Chroniques noires et partisanes

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TOUS LES MAYAS SONT BONS et ENCORE RATÉ de Donald Westlake / Rivages.

Traduction: Nicolas Bondil

Donald Westlake était un grand écrivain de polars new-yorkais décédé il y a 10 ans laissant un  vide abyssal jamais comblé derrière lui. Depuis, Rivages, son éditeur français a publié quelques inédits, puis la source s’est tarie. Et soudain arrive maintenant ce “tous les Mayas sont bons “ avec un titre français sentant bon les jeux de mots à deux balles que nous offraient les éditeurs français dans les années 60, 70 et 80 pour les polars. Alors, si vous ne connaissez pas ce grand maître, nul doute que ce ne sera pas forcément un roman marquant pour vous et que de multiples autres entrées beaucoup plus riches sont recommandées. Tout bon libraire saura vous guider entre autres vers “le couperet” ou “ Aztèques dansants”, très réussi qui montre un peu lui aussi un réel intérêt de Westlake pour les civilisations précolombiennes.

Si vous êtes un fan, par contre, malgré que vous puissiez légitimement  vous demander pourquoi ce roman sorti en 1985 aux States ne fasse son entrée chez nous que plus de trente ans plus tard, vous ne pourrez certainement pas résister et je vous comprends très bien… j’ai craqué immédiatement. Et, rassurons tout le monde, ce roman n’est pas une daube, n’est pas juste un fond de tiroir.

“Kirby, un Américain installé au Bélize – minuscule État d’Amérique centrale -, a acquis un terrain dans la jungle sur lequel il a édifié un faux temple maya avec la complicité de villageois locaux. Ces derniers fabriquent pour lui des « antiquités » qu’il entend vendre à des clients américains. Son but est quand même de s’enrichir le plus possible, on ne va pas se le cacher. Mais lorsque lesdits clients arrivent au Bélize en même temps qu’une archéologue idéaliste, certaines complications se font jour. Car l’archéologue est une vraie spécialiste qui sait distinguer le vrai du faux. Comme dit Kirby, « une fichue peste ».”

 

Capable d’écrire des comédies policières ébouriffées et hilarantes dans sa série consacrée à John Dortmunder cambrioleur new-yorkais particulièrement touché par une scoumoune qui ne le lâche jamais avec sa bande sympathique de bras cassés et des polars beaucoup plus sombres  avec sa série Parker, Westlake était brillant dans tous les genres qu’il touchait. Celui-ci avec sa profusion d’informations sur le Bélize en Amérique Centrale, se rapproche de “Kawaha”, roman d’aventures situé dans l’Ouganda des années 70 du triste sire Idi Amin Dada.

Roman d’aventures donc situé dans la jungle du Bélize qu’il a arpentée avec son épouse et à qui il a dédié le roman pour avoir enduré un trip avec lui dans l’enfer vert, se double aussi d’une farce et d’un énorme jeu de dupes, d’arnaques avec moult rebondissements, trahisons en cascade. Ce n’est sûrement pas le meilleur de Weslake que l’on retrouve ici mais le rythme est bien là, le ton gentiment moqueur et un humour souvent très fin, pince sans rire qui est une de ces marques de fabrique, bien présents, font que c’est du Weslake  et… c’est bon.

Les novices découvriront plus facilement le grand Donald Westlake en achetant le recueil de Rivages nouvellement sorti “Encore raté” proposant la première cata de Dortmunder “Pierre qui roule”  et deux autres très bonnes aventures “ Personne n’est parfait” et “Dégâts des eaux”. “Pierre qui roule” a d’ailleurs été adapté en 1972 par Peter Yates sous le titre ”Les quatre malfrats” avec un très incongru Robert Redford dans le rôle de Dortmunder. Christophe Lambert, dans un nanar ricain s’y est aussi essayé mais le costume était bien trop grand pour lui. Nombreuses ont été les adaptations des œuvres de Westlake, peu ont été convaincantes, la finesse de l’humour n’étant que très rarement retrouvée à l’écran. Dortmunder est un poissard, souvent aigri, totalement désabusé: le personnage que joue souvent jean Pierre Bacri correspondrait assez bien au tempérament et à l’état d’esprit du New-Yorkais.

“Tous les Mayas sont bons” à glisser légitimement et obligatoirement sous le sapin de tous les fans de Westlake et le volume “ Encore raté” sous le sapin de tous les amateurs de polars old school.

Wollanup.

INSCRIT DANS LES ASTRES de Donald Westlake chez Rivages/noir

Traduction : Florian Robinet et Marc Boulet.

C’est Noël ! Un Westlake que je n’ai pas lu !!! Depuis la mort d’un de mes grands chouchous en 2008, je suis inconsolable et guette, telle une groupie, les romans qui m’ont échappé dans l’énorme production de ce maître aux pseudos variés. C’est ici le quatrième et avant-dernier opus de la série des Mitch Tobin publié en 1970 sous le nom de Tucker Coe. Publié à l’époque en France par la Série Noire sous le titre « Tantes à gogo ! », Rivages nous en offre ici une traduction revue et augmentée.

« Un certain Cornell demande à Tobin, ex-flic viré pour faute professionnelle, au chômage et déprimé, de l’aider à élucider le meurtre de son amant, Jamie, un top model noir qui vient d’être assassiné chez eux. Plongé dans le milieu homosexuel new-yorkais de la fin des années 60, Tobin est confronté au double problème de l’homophobie et du racisme au quotidien. Mais il découvre aussi l’astrologie, car Cornell, à partir d’horoscopes, avait dressé une liste de suspects… »

Mitch Tobin ne va pas mieux : il continue à purger la peine qu’il s’est infligée lui-même après la mort de son coéquipier et son renvoi de la police de New York. Ne pouvant continuer à construire son mur dans le froid de l’hiver new yorkais, il creuse un deuxième sous-sol sous celui de sa maison… tout pour s’empêcher de penser, de vivre… C’est poussé par sa femme qu’il accepte de mener cette enquête. Avec ce personnage déclassé et déprimé, Westlake explore les marges de la société : après le milieu de la psychiatrie dans « la pomme de discorde », il s’intéresse au milieu homosexuel.

Il faut replacer le roman dans son contexte : une époque où il est courant d’interner les homosexuels et de leur faire subir des traitements de choc allant jusqu’à la lobotomie. L’homosexualité est encore un délit dans plusieurs états et même si à New York il existe un « ghetto gay », les descentes de police sont courantes dans les bars fréquentés par les homos. Westlake écrit ce roman l’année de la révolte de Stonewall où pour la première fois des homosexuels réagissent violemment contre la police lors d’une descente dans un bar et qui marquera un tournant dans la lutte pour les droits civiques des gays…

Emeute de Stonewall, 1969.

Mitch Tobin n’a jamais travaillé aux mœurs, ne connaît pas ce milieu, c’est un hétérosexuel lambda. Il a quelques idées préconçues, une explication un peu simpliste de l’homosexualité, mais il est loin d’être sectaire. S’il se juge lui-même, il ne s’autorise pas à juger les autres, si crime il y a à être homo, c’est vraiment moins grave que ce qu’il a commis lui-même. Il connaît également le deuil et donne d’emblée toute sa compassion à Cornell.

Un meurtre mérite d’être puni quelle que soit la victime, Mitch (et sa femme) ne supporte pas trop l’injustice. Il découvre la même humanité chez les homos que chez le hétéros : des héros, des salauds… Il connaît les méthodes de la police et ne s’étonne pas trop que l’affaire soit classée par un inspecteur clairement homophobe. Mais quand en plus Cornell est menacé d’internement, il se lance à fond dans l’enquête, sa tolérance devient presque militante face à l’inspecteur qui mène et bâcle l’enquête, car qui se soucie d’un homo assassiné ?

Le vocabulaire utilisé nous surprend, lecteurs de 2016, bercés dans le politiquement correct, et pourtant, on retrouve bien Westlake, avec sa tendresse légèrement moqueuse mais si humaine. Et si quelques éléments du bouquin sont datés, Westlake a le mérite d’évoquer la communauté gay à cette époque et de montrer tout ce que le refoulement, la honte inculquée peut provoquer comme malheur.

Ce livre est un bon polar où on retrouve le ton inimitable de Westlake et à la fois un document où on prend la mesure de l’évolution des mœurs depuis un demi-siècle.

Raccoon

 

 

 

LA POMME DE DISCORDE de Donald Westlake chez Rivages/noir

Traduction : Denise May, traduction revue et augmentée : Marc Boulet.

On ne présente plus le grand, l’immense, le génial Donald Westlake, alias Richard Stark, alias Tucker Coe, alias Alan Marshall… Il a écrit une centaine de livres et a gagné de nombreux prix littéraires américains et internationaux…

Je suis fan ! Et inconsolable de savoir que c’est fini… Alors je guette… et dès qu’apparaît quelque chose que je n’ai pas lu, je me jette dessus et … au diable le livre que j’avais en cours ! Je me jette littéralement sur les Westlake ! C’est plus facile maintenant que tout est réédité sous son vrai nom.

Alors, voilà, un « Mitch Tobin » que je n’avais pas lu…

Les « Mitch Tobin » sont sortis vers 1970 à la Série Noire sous le nom de Tucker Coe et le premier opus « Chauffé à blanc » a été réédité en 1995 pour le cinquantième anniversaire de la Série Noire, c’est là que j’ai connu Mitch… Rivages réédite maintenant la série des « Mitch Tobin » avec des traductions revues et augmentées, de nouveaux titres et sous le nom de Donald Westlake. J’ai acheté « On aime et on meurt comme ça », la nouvelle traduction de « Chauffé à blanc »  pour comparer… Vous êtes prévenus,  je suis complètement, totalement, absolument fan !

Revenons à ce « Mitch Tobin », « La pomme de discorde ». L’ancien titre était « Alerte aux dingues » paru en 1970. L’évolution de ces quelques mots de titre illustre vraiment bien l’image que le polar véhiculait à cette époque et les lettres de noblesse qu’il a gagnées depuis !

« La pomme de discorde » donc :

« Depuis son renvoi de la police de New York, Mitch Tobin flirte avec la dépression nerveuse. Aussi, lorsqu’il est interné dans un établissement de soins psychiatriques, peut-on se demander s’il est là en tant qu’enquêteur privé ou en tant que patient… »

Mitch Tobin enquête dans un centre de postcure. Mitch Tobin ne va pas bien, c’est un homme brisé qui n’arrive pas à se remettre de la mort de son co-équipier et qui expie en construisant un mur, il s’est condamné lui-même aux travaux forcés. Il sait également que son attitude blesse sa femme et son fils, il les aime mais ne peut tout simplement pas accepter de retrouver sa vie alors que son co-équipier, lui, est mort. Quand je vous dis qu’il ne va pas bien, c’est un euphémisme… Et c’est cet homme à la limite de la rupture qui va aller enquêter dans un centre psychiatrique. Il est quasiment dans le même état que les patients, mais n’a pas encore basculé tout à fait. C’est lui le narrateur. Westlake s’introduit ainsi en douceur dans l’univers de la psychiatrie de la fin des années 60 : les relations avec la police, la population de la ville…

Pas de théorie psy, tout est amené au fil de l’histoire et on retrouve le ton profondément humain de Westlake. Les pensionnaires du centre ne sont pas des monstres, on comprend comment ils ont pu sombrer dans la folie, ce sont des humains pour qui on a plus ou moins de sympathie, tout comme les psychiatres. L’histoire se déroule à huis clos dans le centre, de manière très classique, on pense à « la maison du Dr Edwardes » d’Hitchcock, à « Shutter Island » de Lehane… Ce n’est pas un Westlake drôle, on se frotte là à beaucoup de souffrance et peu d’espoir.

Mais Westlake sait tout faire : de l’hilarant avec les aventures et mésaventures de Dortmunder, du noir violent avec Parker qui, lui, n’a pas le sens de l’humour, et ici du noir plus psychologique avec Mitch Tobin, ex-flic dépressif… Plus des grands romans plus sociaux comme « le couperet », lucide et glaçant !

Avis aux amateurs donc, s’ils ont loupé la sortie de ce poche : c’est un polar classique mais écrit par Westlake…

Et il y a encore deux livres de cette série à sortir en traduction améliorée,  pourvu que ce soit prévu par Rivages !

Raccoon.

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