Traduction : Florian Robinet et Marc Boulet.
C’est Noël ! Un Westlake que je n’ai pas lu !!! Depuis la mort d’un de mes grands chouchous en 2008, je suis inconsolable et guette, telle une groupie, les romans qui m’ont échappé dans l’énorme production de ce maître aux pseudos variés. C’est ici le quatrième et avant-dernier opus de la série des Mitch Tobin publié en 1970 sous le nom de Tucker Coe. Publié à l’époque en France par la Série Noire sous le titre « Tantes à gogo ! », Rivages nous en offre ici une traduction revue et augmentée.
« Un certain Cornell demande à Tobin, ex-flic viré pour faute professionnelle, au chômage et déprimé, de l’aider à élucider le meurtre de son amant, Jamie, un top model noir qui vient d’être assassiné chez eux. Plongé dans le milieu homosexuel new-yorkais de la fin des années 60, Tobin est confronté au double problème de l’homophobie et du racisme au quotidien. Mais il découvre aussi l’astrologie, car Cornell, à partir d’horoscopes, avait dressé une liste de suspects… »
Mitch Tobin ne va pas mieux : il continue à purger la peine qu’il s’est infligée lui-même après la mort de son coéquipier et son renvoi de la police de New York. Ne pouvant continuer à construire son mur dans le froid de l’hiver new yorkais, il creuse un deuxième sous-sol sous celui de sa maison… tout pour s’empêcher de penser, de vivre… C’est poussé par sa femme qu’il accepte de mener cette enquête. Avec ce personnage déclassé et déprimé, Westlake explore les marges de la société : après le milieu de la psychiatrie dans « la pomme de discorde », il s’intéresse au milieu homosexuel.
Il faut replacer le roman dans son contexte : une époque où il est courant d’interner les homosexuels et de leur faire subir des traitements de choc allant jusqu’à la lobotomie. L’homosexualité est encore un délit dans plusieurs états et même si à New York il existe un « ghetto gay », les descentes de police sont courantes dans les bars fréquentés par les homos. Westlake écrit ce roman l’année de la révolte de Stonewall où pour la première fois des homosexuels réagissent violemment contre la police lors d’une descente dans un bar et qui marquera un tournant dans la lutte pour les droits civiques des gays…
Mitch Tobin n’a jamais travaillé aux mœurs, ne connaît pas ce milieu, c’est un hétérosexuel lambda. Il a quelques idées préconçues, une explication un peu simpliste de l’homosexualité, mais il est loin d’être sectaire. S’il se juge lui-même, il ne s’autorise pas à juger les autres, si crime il y a à être homo, c’est vraiment moins grave que ce qu’il a commis lui-même. Il connaît également le deuil et donne d’emblée toute sa compassion à Cornell.
Un meurtre mérite d’être puni quelle que soit la victime, Mitch (et sa femme) ne supporte pas trop l’injustice. Il découvre la même humanité chez les homos que chez le hétéros : des héros, des salauds… Il connaît les méthodes de la police et ne s’étonne pas trop que l’affaire soit classée par un inspecteur clairement homophobe. Mais quand en plus Cornell est menacé d’internement, il se lance à fond dans l’enquête, sa tolérance devient presque militante face à l’inspecteur qui mène et bâcle l’enquête, car qui se soucie d’un homo assassiné ?
Le vocabulaire utilisé nous surprend, lecteurs de 2016, bercés dans le politiquement correct, et pourtant, on retrouve bien Westlake, avec sa tendresse légèrement moqueuse mais si humaine. Et si quelques éléments du bouquin sont datés, Westlake a le mérite d’évoquer la communauté gay à cette époque et de montrer tout ce que le refoulement, la honte inculquée peut provoquer comme malheur.
Ce livre est un bon polar où on retrouve le ton inimitable de Westlake et à la fois un document où on prend la mesure de l’évolution des mœurs depuis un demi-siècle.
Raccoon
Laisser un commentaire