Nein, Nein, Nein!: One Man’s Tale of Depression, Psychic Torment, and a Bus Tour of the Holocaust
En septembre 2016, l’inénarrable Jerry Stahl touche le fond. Son éternelle dépression est au plus haut, sa carrière et sa vie personnelle, au plus bas. Découvrant grâce à son improbable alerte Google « Holocauste » que des voyagistes proposent des circuits sur les hauts lieux de la tragédie, il décide de s’inscrire. Puisqu’il ne peut soigner son mal de vivre, il ira le nourrir en compagnie de ces « touristes des camps de la mort », qui viennent consommer frites et sensations fortes au snack-bar d’Auschwitz, comme dans un parc d’attractions.
Jerry Stahl, un nom que je connaissais de loin mais que j’étais loin de connaître. Jamais lu, même si j’ai un doute là-dessus (il était édité fut un temps chez 13e Note), et vite fait vu (Inland Empire). Quoi qu’il en soit, dès que je suis tombé sur le titre de son nouveau livre Nein, Nein, Nein ! La dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar, j’ai su qu’il fallait que je le lise, sans savoir le moins du monde à quoi m’attendre. Avec un tel titre, franchement, ça se tente les yeux fermés (mais ouverts, c’est tout de même plus pratique).
Alors en plein divorce qui n’est pas son premier, Jerry Stahl, ancien toxico consommateur d’héroïne dont le père s’est suicidé au monoxyde de carbone, scénariste qui se traîne quelques petites casseroles artistiques (par exemple la série Alf), dépressif chronique, en pleine phase de conception d’une série inspirée de son histoire de couple – et ce à la demande de producteurs d’ABC – décide soudainement de partir en voyage organisé pour visiter les camps de la mort. Un plan on ne peut plus adéquat pour se changer les idées ! Ça vaut bien une petite cure thermale, non ?
Direction les camps avec Jerry Stahl pour guide et interprète. Tout en nous dévoilant des bouts de sa vie, notre narrateur va se voir confronté à ses congénères touristes, la réalité même de ce voyage organisé, mais aussi celle des camps de la morts, tels qu’existants à l’époque et tels qu’ils sont visitables aujourd’hui. De façon plus générale, c’est un peu Stahl face au reste du monde, à un instant donné de sa vie et dans des conditions un poil singulières. Si on accroche à la personnalité du bonhomme, on se laisse facilement embarquer dans son improbable expédition.
Dans l’écriture règne une dynamique assez chaotique, Stahl passant d’un sujet à un autre et digressant régulièrement entre parenthèses. Une façon de faire qui ne fait qu’ajouter à sa liberté de ton. Souvent cynique, critique autant à son égard qu’à l’égard des autres, il ne se prive de rien (vraiment rien) et ce pour notre plus grand plaisir. Enchaînant les situations gênantes voire franchement grotesques, tout est prétexte à écrire tout et rien sur mille et un sujets. Tout en mettant en exergue la gravité de l’Histoire qui défile sous ses yeux, il étale non sans gêne certaines futilités de sa propre vie ou aberrations du monde d’aujourd’hui. Trump en prend pour son grade, l’Amérique de Trump même, autant que le racisme ordinaire, la bêtise humaine, les comportements des uns et des autres autour de lui, mais sans jamais oublier ses propres conneries.
On rigole franchement. On savoure même. Il fallait oser (ou pas?) s’inscrire, en pleine excursion, sur le site internet alt.com pour se renseigner sur les éventuelles déviances sexuelles existantes aux abords d’Auschwitz (un chapitre dont le titre vaut déjà son pesant de cacahuètes : Brève digression (je vous présente le « vagin youpin »)). J’étais également ravi d’apprendre qu’Ilsa, la louve des SS fut tourné dans les décors de la série Papa Schultz, avec tout l’explicatif autour des faits historiques derrière ce film et de l’importance qu’il occupe dans la carrière de l’actrice principale, ainsi que dans l’imaginaire de Jerry Stahl lui-même. J’en passe et des meilleures. Il fait feu de tout bois.
Que je vous rassure quand même, les réflexions intelligentes et sensées ne manquent pas non plus. L’anecdotique se mélange toujours à des réflexions plus larges. Le cocktail est assez explosif mais pas sans fondements. On retrouve ici un esprit digne d’un Hunter S. Thompson, en un peu moins cramé quand même, mais tout aussi réjouissant et fantasque.
Amateurs d’humour non filtré (ce qui tend à manquer par les temps qui courent), ou simples curieux d’approcher l’Histoire sous un angle (clairement) différent, ce Nein, Nein, Nein ! La dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar ne devrait pas vous laisser insensible. Une parenthèse (toujours ces parenthèses!) bienvenue de franche rigolade, de traits d’esprits douteux et un bain d’Histoire – au regard du monde tel qu’il est aujourd’hui – nécessaire pour rafraîchir un peu les mémoires. Aussi jouissif qu’impertinent ! Une lecture de premier Shoah.
Brother Jo.
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