25 novembre 1980 donc : le régisseur de Coluche est assassiné. C’est ce qu’annonce le bandeau du livre et retiendra l’histoire. Voilà pour la vérité, même si le flou et les odeurs fétides qui entourent cette triste affaire parlent plutôt de mensonges et de poussière sous les tapis. En campagne présidentielle, Coluche dérange, bouscule le ronron des institutions. On s’en prend à lui, à ses proches, et de la menace à l’exécution, il n’y a hélas qu’un pas à imprimer dans les déjections de la raison d’état. Bref, rien n’est clair et le brouillard perdurera…
Alors ce livre, du coup, fiction ou réalité ? Paul, Jim, quelques prénoms crédibles fusent et donnent corps à l’option vraie. Mais pour tout dire, on s’en fout bien au-delà des convenances. La lecture est agréable, passionnante. Et la lecture, arrêtez-moi si je me trompe, c’est pour ça que nous sommes là, non ? Alors, prenons tout pour argent comptant. Content ? Pas si sûr. « C’est l’histoire d’un mec » : un mec qui fait rire, même si les histoires en marge du mythe sont plus grinçantes. Le nez rouge certes, mais l’âme souvent grise et les narines pleines de farine aussi.
Utilisant ces parts d’ombre, le staccato soutenu de Jeanne Desaubry détoure les ornières oubliées par les projecteurs d’un destin qui fera long feu. Ce sont la voix of du défunt massacré et l’incompréhension de Marie qui, la plupart du temps, racontent. Elle est la maîtresse mi cachée mi assumée de René, voire même enceinte du même René, le régisseur en question, retrouvé exécuté dans une friche de banlieue, deux balles dans la nuque, le sceau des traîtres, des deadlines mafieuses… Marie tangue et prend des gnons, ballot innocent balancé sans ménagement dans le grand toboggan des interrogatoires policiers et des arcanes judiciaires.
« Non, je ne vois pas. Non, je ne sais pas. Non… », comme un refrain, comme un garrot qui étrangle. Phrases courtes et rythme dense, à la fois rugueux et lancinant, style à la fois parcimonieux et élégant, mots pesés et choisis : l’écriture est aussi vive que belle. Elle peut en dérouter certains mais s’avère le tempo parfait, le contrepoids méthodique et cardiaque d’une affaire écartelée entre drame humain et blitzkrieg médiatique. Juste en filigrane et pour situer, Didier Daeninckx préface.
Alors ? Crime passionnel, sûrement, dérive de la jalousie, forcément, pure barbouzerie maquillée, peut-être, on ne saura jamais vraiment ce que raconte et cache ce 22 novembre 1963, euh pardon, ce 25 novembre 1980, mais la Version Desaubry du présent Régisseur gagne ces galons de politique fiction à la fois factuelle et de brillante dimension romanesque.
JLM
Laisser un commentaire