Traduction : Henry-Luc Planchat.

Qui n’a jamais rêvé de vivre l’Ouest américain du temps des pionniers ? Respirer ce parfum d’antan, cet air non pollué encore vierge d’une civilisation oppressante ? Parcourir ces plaines ondoyantes du midwest et peut-être même apercevoir des troupeaux de bisons à l’état sauvage ! Et pour ceux que les joies bucoliques ne tentent pas, arpenter les rues de New York ou de San Francisco bien avant que les gratte-ciels n’en obscurcissent l’horizon de vaines promesses de grandeur, ne serait-ce pas le plus prodigieux des voyages ?

« L’authenticité est essentielle pour les profits. Les gens qui paient pour voir l’Ouest du XIXe siècle ne veulent pas d’un parc à thème où de faux cow-boys se la coulent douce dans un ranch et regardent Netflix en grignotant des Doritos. Ils souhaitent contempler l’Ouest authentique. » (Auguste Kemp)

Si l’aventure vous tente, elle est désormais à votre portée. C’est tout du moins ce que propose le milliardaire Auguste Kemp, sorte de génie à la Elon Musk. Ce dernier possède en effet une technologie fabuleuse appelée communément « le Miroir » qui permet le voyage dans le temps. Nous sommes donc invités, nous résidents du XXIe siècle, à embarquer pour un incroyable périple vers ce glorieux passé où sévissent encore cow-boys et indiens. L’invitation sera cependant de courte durée, puisque le portail temporel se refermera en 1877, soit cinq années après sa mise en service.

A Futurity, la ville bâtie en un temps record dans les plaines de l’Illinois par Kemp pour accueillir les touristes, tout est vrai. On ne se balade donc pas dans une sorte de « Westworld bis » pour ceux qui auraient pressenti l’éventuelle entourloupe. Futurity n’est pas non plus exclusivement peuplée par nos contemporains : afin d’augmenter sa source de business, Kemp a fait construire deux tours qui s’élèvent comme des flèches ardentes vers l’azur, constructions titanesques pour l’époque faisant office d’hôtel de luxe pour les nouveaux arrivants. Si La tour n°1 s’avère effectivement réservée aux touristes du futur, servant de base de départ à leurs pérégrinations, la tour n°2 ouvre ses portes quant à elle aux gens du XIXe afin de leur faire profiter des merveilles technologiques de notre époque. Enfin, de leur donner un aperçu édulcoré, dirons-nous.

C’est là que nous retrouvons Jesse Cullum, garde taciturne autochtone au passé flou et ayant participé à la construction de Futurity suite à des désagréments de voyage (on l’a jeté d’un train et il s’est retrouvé là sans le sou). C’est un grand jour pour la Cité, le général Grant est de visite et Jesse fait le planton dans le cordon de sécurité. Manque de bol, ça tombe sur lui : un homme va dégainer une sorte d’arme pas très catholique et tenter d’assassiner le président. Mais Jesse est rapide, et il en a vu d’autres…

Si l’idée d’une machine à explorer le temps n’est pas nouvelle, depuis H. G. Wells et tant d’autres qui en ont repris la thématique, elle n’en reste pas moins un outil puissant pour tout écrivain avide de plonger son lecteur dans les potentialités d’un monde parallèle. Robert Charles Wilson avait d’ailleurs lui-même déjà brillamment utilisé ce principe dans « les Chronolites » paru chez Gallimard au rayon Folio SF. Au delà du décalage induit et propre au merveilleux, l’idée est de se servir du voyage dans le temps pour soutenir un propos, une thèse, ouvrir une perspective nouvelle et finalement parler de notre présent. Peu importe que cette fameuse machine ait été inventée un bon millier de fois sous toutes ses coutures, ou plutôt sous tous ses boulons devrions-nous dire, l’essentiel est ailleurs.

En l’occurrence ici, la trame rocambolesque et savoureuse de Jesse Cullum nous amènera sur les rives humanistes de la tolérance, chère à l’auteur, envers celui dont on ne comprend pas forcement la culture et les moeurs. L’autochtone, l’indigène, le barbare au comportement impropre et scandaleux, c’est forcement toujours l’autre…

Le racisme, le sexisme et l’homophobie d’une époque feront ainsi face au dédain, à la trivialité et à la suffisance d’une autre. Wilson traite l’incompréhension des contemporains de ces deux époques qui se télescopent comme d’autres parleront d’interférence culturelle et de la difficulté d’accepter cet étranger qui nous regarde comme son égal.

Si le récit s’annonce par ailleurs alerte et léger, drôle et porté par un souffle épique propre au roman d’aventure – parfois violent comme tout bon western qui se respecte – il s’avérera également nimbé par moment d’une aura plus grave, état d’âme qui s’exprimera dans de nombreuses thématiques sous-jacentes parsemant le récit comme autant de zones plus sombres. On pense ici au drame du 11 septembre (l’image des deux tours n’est sans doute pas anodine) ou à celui du stress post-traumatique vécu par ces soldats rescapés des champs de batailles.

Ce qui nous amène au point névralgique de cette chronique : la grande force de Robert Charles Wilson, c’est son humanité ainsi que la justesse avec laquelle il dépeint ses personnages et la qualité des relations qu’ils tissent les uns les autres au cours de l’aventure. Tout sonne juste, on est à mille lieux des stéréotypes fastidieux servant la soupe à un récit bancal. Il y a des moments de grâce chez Wilson, des petits moments de magie où les personnages prennent vie au delà de la trame principale pour notre plus grand bonheur.

L’auteur canadien signe ici une nouvelle grande fresque dans l’épopée spatio-temporelle, cinglante et haletante comme un bon vieux western, mais aussi touchante et vibrante d’une humanité qui colmate ses failles comme elle peut.

Wangobi.