Traduction: Agathe Neuve.

Avec ce titre, Bertrand Tavernier et la collection « L’Ouest, le vrai », clôture la traduction et la publication étalée sur quatre ans en France du cycle The Big Sky, quatre ouvrages écrits dans les années 1950 par Alfred Bertram Guthrie, historien, écrivain et scénariste, qui reçut le prix Pullitzer pour les deux premiers titres de sa saga. Car de saga il s’agit, louée par James Lee Burke par exemple, qui s’étale des années 1830 à 1890, dans l’ouest américain de part et d’autre des Rocheuses. On aimerait vous la lister, histoire que vous n’en perdiez rien :
La Captive aux yeux clairs
La Route de l’ouest
Dans un si beau pays
L’irrésistible ascension de Lat Evans.

Bertrand Tavernier le précise, qui signe la postface de chacune de ces publications : il tient ce quatrième tome comme « l’œuvre la plus mûre et la plus aboutie de l’auteur, et pourtant la plus méconnue. La plus dense aussi, peut-être, parce ce que pour la première fois dans ce cycle, la colonne vertébrale du récit s’appuie sur une problématique sociale et non plus épique. »

Lat Evans, fils d’un couple de pionniers rencontrés dans La Route de l’ouest, quitte le domicile familial de l’Oregon où il étouffe dans un cadre moralement étriqué et laborieux. Il veut de l’aventure, il a de l’ambition. Dans ses projets, un ranch, des terres, des têtes de bétail. Il s’engage dans un convoi de cowboys vers le Montana qui s’annonce à cette époque comme une terre d’opportunités. Entre apprentissage, période de vache enragée, coup de dé et investissement astucieux, Lat Evans va devenir le rancher et le notable qu’il rêvait d’être. Mais il y a un prix à payer, car si les amitiés, les fidélités, la générosité accompagnent et permettent cette ascension, il y a en nombre des reniements, des mensonges, de morts.

On ne peut nier à l’historien Guthrie la fine connaissance d’une époque et de ses changements. Extermination des bisons, marginalisation des tribus, stabilisation d’une société de pionniers et d’aventuriers qui deviennent pour certains (et certains seulement) des entrepreneurs et des notables, enracinement de valeurs morales et religieuses plus conservatrices et intransigeantes. Tout cela infuse le récit. A petites touches, c’est aussi la beauté et la rudesse du Montana qui est donnée au lecteur, contrée où l’auteur vint s’installer avec le succès littéraire.

Il faut confesser peut-être que, parmi tous les personnages distribués dans le cycle, celui de Lat Evans n’est pas le plus attachant à mes yeux. Il y a quelque chose qui agace dans la rectitude apparente de celui-ci, dans son comportement de « do-gooder », terme qui qualifie ceux qui pensent agir pour le bien (il s’agit bien souvent de leur propre bien) sans réaliser que tous les autres ne vont pas nécessairement être illuminés par leurs actes. Avec une facilité étonnante, Lat Evans se met à dos un ami plus tourmenté ou moins en réussite, se détourne d’une femme à qui il doit beaucoup mais dont le statut de prostituée ne peut que contrarier ses désirs de notabilité. On aurait l’impression d’un héros archétypal de western des années 1950, sûr de ses valeurs et son chemin, et il ne peut être mauvais parce qu’il réussit. Seules les dernières pages, un final dramatique et dépouillé, nous le rendraient plus sympathique, qui rappellent que le destin réserve des gifles même à ceux qui oublient qu’ils ne sont pas intouchables.

Terminons avec ce qui est le plus réjouissant. Le cycle The Big Sky est bouclé, donné aujourd’hui dans son intégralité à ses lecteurs francophones. Il est magistral. Groupez les quatre volumes dans votre bibliothèque. Quand vous les aurez lus, ils y seront comme des pics de la chaîne des Rocheuses. Eclairés par le couchant, ils vous feront penser à un beau pays et à de la belle littérature.

Paotrsaout