Chroniques noires et partisanes

ENTENDEZ-VOUS DANS LES CAMPAGNES de Ahmed Tiab / L’Aube noire

« Vingt Stations », le dernier livre d’Ahmed Tiab, était une longue errance douloureuse à travers Oran. Il revient en ce début d’année, avec « Entendez-vous dans les campagnes », a une forme classique et efficace, et en compagnie de son inspecteur Lotfi Benattar, spécialiste du terrorisme islamiste au sein de la DGSI. Ce flic est un concentré de souffrances, un vrai survivant un peu bancal, pas toujours agréable, mais d’une stabilité à toutes épreuves. Un vrai héros de roman.

   Lotfi Benattar est conduit directement sur le lieu de la découverte macabre. Il faut faire vite car on risque de polluer l’endroit. Il est déjà intervenu sur des scènes de crime où l’on a trouvé des trucs qui ne devaient pas y être : des traces de pas, des cendres de cigarette, des miettes de bouffe laissées par des personnes peu habituées à ce genre de situations, ou bien tout simplement distraites. Tomber nez à nez avec un macchabée n’est pas une partie de plaisir, sauf pour des esprits tordus. Il y en a aussi dans la profession mais la plupart peut s’en trouver déstabilisée, ce qui explique certaines erreurs commises. La vraie vie de flic ne ressemble pas aux séries policières inlassablement ventilées sur les plateformes en ligne où les morts se ramassent à la pelle par une légiste top model.


Dans un coin du Morvan, Émilien, 16 ans, est retrouvé mort quelques jours après sa disparition. À deux kilomètres, trois jeunes gars s’évaporent d’un centre de déradicalisation. 

Voilà de quoi satisfaire le voyeurisme des chaînes d’infos continue. C’est Marie-Aliénor Castel de Fontaube, jeune journaliste irascible et ambitieuse  qui se trouve dépêchée sur place.
Elle attend que les gendarmes retrouvent le corps du disparu. Issue de la grosse bourgeoisie, à la haute fonction publique elle a préféré le journalisme et se rêve en bourlingueuse. 

Tous deux, avec Lofti Benattar et sa carcasse déglinguée, ils tiennent le roman. Uniques éléments extérieurs de ce bourg perdu, ils côtoient bien malgré eux les autres personnages, tous enracinés à Verniers. Les deux jeunes gendarmes qui se rêvent en Rambo, Pif le jardinier, la famille du jeune décédé, un patron mutique de motel pourri, etc. Enfin il y a Camille, demi-sœur d’Émilien. Écorchée pas bien farouche un peu camée, on la voit peu, mais elle est omniprésente, comme le brouillard local qui parfume le roman d’un bout à l’autre.

   Lotfi scrute minutieusement le cadavre. Pas de sang, pas de traces apparentes de bagarre. Une odeur de crasse spécifique des personnes en délicatesse avec l’hygiène ordinaire en émane, ce qui ne détonne guère dans cet environnement malsain. D’un geste de la main, il repousse les gars du SAMU avec leur brancard souple.

   « Il est déjà mort, rien ne presse. »

L’écriture est précise, dynamique, les phrases claquent, les dialogues sont rythmés, il faut ajouter quelques belles saillies teintées d’un humour noir brillamment aiguisé. Ahmed Tiab n’est pas adepte de la digression : l’histoire et uniquement ce qui la fait avancer. Tout détail donné a son importance, il faut rester aux aguets durant la lecture.  

Au passage, l’auteur en profite pour brosser le portrait d’une province un peu oubliée, loin de tout, avec ses petits trafics et ses affaires de famille, d’héritage et de partage de terres, de vengeances recuites ; tout juste bonne à accueillir ce que les villes de pouvoir ne veulent pas chez elles, comme ce centre de déradicalisation.


L’enquête, ou les enquêtes, avancent avec lenteur, Ahmed Tiab entretient le flou durant toute l’histoire. Les hypothèses sont nombreuses, il ne cherche pas non plus à nous emmener dans une direction particulière ou dans une autre. Il amasse les renseignements, les interrogatoires plus ou moins formels. Il laisse vivre ses personnages, nous laisse tenter de trouver un début de piste dans cet intense brouillard morvandiau jusqu’au final musclé, un véritable western, dont certains ne se relèveront pas. 

NicoTag

Dans le genre western, la musique du film « Lawless » est exemplaire. Vous pensiez que réunir dans un même morceau le Velvet Underground, Mark Lanegan, Nick Cave et sa bande de scélérats n’était pas possible ?

2 Comments

  1. sylviane

    Bonjour, je me permets d’ajouter que le film « lawless « est l ‘adaptation du livre de Matt Bondurant,  » pour quelques gouttes d’alcool  » (l’Archipel)

    • clete

      Et vous faites bien de le rappeler.

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