Chroniques noires et partisanes

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JE CROIS QUE J’AI TUÉ MA FEMME de Frasse Mikardsson / L’Aube noire

 — On n’aura jamais fini à midi, se plaint David.

 — Je n’ai jamais eu l’intention de finir aussi tôt », constata Sara en soutenant son regard. Elle se souvint en prononçant ces paroles de ce que lui avait dit Bettina à ses débuts. Ce jour-là, sa consœur avait érigé l’exigence de minutie en principe de vie ou de mort :

 « Si nous ne voulons pas aller systématiquement au fond des choses, si nous ne voulons pas nous dépasser à chaque fois, si nous ne voulons pas comprendre aussi loin que possible, il ne nous reste plus qu’à poser le scalpel, nous allonger par terre et mourir. »

 Bettina hocha la tête dans sa direction en signe d’approbation. S’ensuivit la litanie de la description des lésions. 

Je crois que j’ai tué ma femme débute par un avertissement de l’auteur. Tout ce qu’on va lire s’est réellement passé, il faut bien l’assimiler et le garder en tête, à défaut de le comprendre. Tout ce qu’on trouve dans le livre est public ; précisons également que l’affaire est close et que tout ce que l’auteur a modifié, dont les noms et prénoms des personnages, est spécifié. Frasse Mikardsson est médecin légiste, c’est lui qui a autopsié la victime, la femme du titre, Fatiha.

Avant même de tourner les pages les questions affluent. Va-t-on lire un rapport de police ? Est-ce bien un roman comme indiqué sur la page de titre ? N’y a-t-il pas une part de voyeurisme dans ce que l’on va lire ? Etc.
Cet avertissement et la citation qui le précède, sont importants à plus d’un titre. Ils posent donc des questions sur la forme du roman, mais aussi sur le modèle de société que l’on souhaite, sur les limites du multiculturalisme et de la tolérance au nom d’us et coutumes aberrants, et pas uniquement en Suède. Fatiha, est originaire de la partie turque du Kurdistan, le meurtrier, Ohran son mari, aussi. Il est question d’honneur et de honte dans ce meurtre. Fatiha est morte pour avoir montré ses épaules lors d’un mariage.

La protection accordée aux femmes face aux hommes violents est aussi, bien évidemment, au cœur du livre.

« On est bientôt arrivés, mais je ne trouve pas le numéro 66, s’inquiéta le chauffeur, scrutant les alentours par la vitre.

 — Il suffit de repérer les voitures de police », lui lança Sara amusée.

 Il se retourna vers elle, interloqué.

 « C’est moi qu’ils attendent » fut l’explication.

 Le chauffeur trouva ça drôle :

 « Nooooooon ! » s’exclama-t-il incrédule, persuadé que Sara la charriait. 

 Il fallut attendre qu’elle soit accueillie par le policier de faction pour qu’il la prenne au sérieux.

Sara Israelsson est l’interne en médecine légale d’astreinte ce soir-là à Stockholm. La séquence qui précède son arrivée est une rare trace d’humour. Elle arrive dans l’appartement, la description de la scène de crime est très nette, froide, judiciaire. En plus de tuer Fatiha de très nombreux coups de couteaux, Ohran l’a mutilée. Il venait de sortir de prison après une condamnation pour violence envers Fatiha.
De la même façon, quand Sara pratiquera l’autopsie et rendra ses conclusions, nous serons à ses côtés. C’est instructif, si tant est que l’on a envie d’en connaître plus sur la médecine légale.
L’enquête de Victoria Holmqvist est elle aussi scrupuleusement décrite, avec les différents rapports d’expertise, les interrogatoires de l’accusé et de l’entourage du couple. 

Les propos sont souvent techniques mais absolument pas dénués d’émotions, d’humanité. 

L’auteur ne veut rien passer sous silence, rien oublier, pas pour nous infliger un peu plus d’horreur ou d’hémoglobine, non, plutôt pour rendre un dernier hommage à Fatiha.

Bien que suédois, Frasse Mikardsson écrit en français, tout en conservant des caractéristiques de sa langue d’origine comme le tutoiement généralisé, ce qui est perturbant lorsqu’il s’adresse directement à nous.
L’écriture n’est pas classique, ce n’est pas qu’une suite de phrases, de paragraphes. Le récit est truffé de retranscriptions d’appels téléphoniques, de sms, d’auditions, de rapports, etc, qui sont comme des haltes nécessaires dans ce roman constamment dans l’action.
À chaque chapitre, l’auteur contextualise ce qui va suivre en indiquant très précisément les lieux, dates et horaires. C’est utile car les allers-retours sont incessants entre le soir du crime au 66 chemin du bonheur à Märsta, et ce qui s’est passé auparavant ; ce qui a mené à la première condamnation et ce qui a suivi la libération du meurtrier. Comme pour rappeler que ce meurtre est vrai, que Fatiha a bien été tuée par son mari.

Voilà un roman procédural qui remue violemment les tripes, qui bouscule les idées et donne à réfléchir. C’est bien là sa grande réussite.

NicoTag

NOUS ÉTIONS LE SEL DE LA MER de Roxanne Bouchard / L’aube

 Catherine Day s’ennuie sec dans sa vie de citadine, elle démissionne et s’en va. Elle se retrouve en Gaspésie, une péninsule québécoise, à Caplan, un village posé entre la route 132 et l’océan. Un ou deux bistrots, une poignée de navires, rien à faire que regarder l’eau et le ciel, écouter les jurons des vieux pêcheurs. Catherine est là pour un rendez-vous.
Elle fait connaissance avec les locaux, Renaud le barman, sa logeuse Guylaine, les pêcheurs Vital Bujold et Cyrille Bernard, le curé Leblanc. Elle discute avec eux, ne comprend pas trop pourquoi elle reste puisque son lieu de rendez-vous a brûlé deux mois plus tôt.
Malgré des dialogues nourris et parfois crus et drôles, « Nous étions le sel de la mer » avance assez lentement dans la première partie.
Un matin Vital Bujold revient au port avec un cadavre dans son filet.

― Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pêcheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Amen.

 Ils se sont approchés, lentement. Ils ont pris doucement le corps des mains de Cyrille qui s’est relevé, trempé d’elle. Il est resté un moment immobile, hébété, à les regarder faire, puis il est sorti du bateau et s’est dirigé vers la camionnette. Au passage, il m’a jeté un regard vide d’homme dépouillé qui n’a plus d’endroit où échouer sa peine. J’ai pris ce regard et l’ai logé au fond de mes pupilles, là où il restera longtemps rangé comme l’image du désarroi.

C’est à partir de ce moment du roman qu’entre en scène Joaquin Moralès, personnage qui reviendra plusieurs fois sous la plume de Roxanne Bouchard (ce roman a été publié initialement en 2014 au Canada). Le sergent vient tout juste d’être muté au poste de police Bonaventure, un peu plus loin sur la côte. Il vient de la banlieue montréalaise, n’a pas du tout les manières ni les usages de cette côte sauvage, rude avec les gens du coin. Avec lui, ou plutôt malgré lui, le livre prend une brusque accélération.

Deux enquêtes vont alors avancer parallèlement. Bien évidemment elles sont en relation même si l’une est policière, assez classique, et l’autre bien plus personnelle, presque généalogique, et surtout d’une grande sensibilité.
On comprend très vite ce que cherche Catherine Day, les prologues de chaque partie nous renseignent suffisamment, mais ne comptez pas sur moi pour le révéler.
Quant à Joaquin Moralès, il est confronté à un monde dont il ignore tout. Cette péninsule est peuplée de taiseux dont les liens sont compliqués à délier. On le voit tenter de surnager dans ce nœud de silences que lui imposent les gens qu’il interroge, ce qui donne des situations franchement absurdes, voire burlesques. Et quand enfin ils lui parlent, il s’agit de dégager une vérité bien enfouie sous les mensonges, truffée de patois et d’expressions biscornues, un peu trop parfois d’ailleurs, notamment les dialogues avec Renaud et Vital.

Le roman se poursuit avec ces deux enquêtes, ou plutôt avec une quête familiale et ce qui ressemble à une affaire policière. Joaquin Moralès et Catherine Day sont deux solitaires malgré eux. L’un fait penser à un Buster Keaton moderne, rien ne tourne comme il veut. L’autre affronte une grande tristesse et ne sait pas quoi faire de sa liberté fraîchement acquise.
L’affaire est classée un peu vite au goût de Joaquin Moralès. Il sent bien que les gens autour de lui cachent des choses au sujet de la navigatrice retrouvée dans le filet du marin. Les bouches se ferment trop vite quand il pose des questions un peu précises, de plus sa totale méconnaissance de la mer ne l’aide pas, tout comme le coroner Robichaud qui délivre le résultat de l’enquête avant même son début. Tout va mal pour Moralès, mais il n’est pas homme à se laisser conter des histoires, et n’hésite pas à rouvrir de vieux dossiers, quitte à bousculer un ou deux notables.

 Nous étions le sel de la mer tangue avec ces deux personnages qui se croisent sans se voir, s’évitent pendant un temps, et finissent par discuter et nous emmener vers une conclusion haletante. Nico Tag

Il y a le sel de la mer de Roxanne Bouchard et il y a celui de la terre.

ENTENDEZ-VOUS DANS LES CAMPAGNES de Ahmed Tiab / L’Aube noire

« Vingt Stations », le dernier livre d’Ahmed Tiab, était une longue errance douloureuse à travers Oran. Il revient en ce début d’année, avec « Entendez-vous dans les campagnes », a une forme classique et efficace, et en compagnie de son inspecteur Lotfi Benattar, spécialiste du terrorisme islamiste au sein de la DGSI. Ce flic est un concentré de souffrances, un vrai survivant un peu bancal, pas toujours agréable, mais d’une stabilité à toutes épreuves. Un vrai héros de roman.

   Lotfi Benattar est conduit directement sur le lieu de la découverte macabre. Il faut faire vite car on risque de polluer l’endroit. Il est déjà intervenu sur des scènes de crime où l’on a trouvé des trucs qui ne devaient pas y être : des traces de pas, des cendres de cigarette, des miettes de bouffe laissées par des personnes peu habituées à ce genre de situations, ou bien tout simplement distraites. Tomber nez à nez avec un macchabée n’est pas une partie de plaisir, sauf pour des esprits tordus. Il y en a aussi dans la profession mais la plupart peut s’en trouver déstabilisée, ce qui explique certaines erreurs commises. La vraie vie de flic ne ressemble pas aux séries policières inlassablement ventilées sur les plateformes en ligne où les morts se ramassent à la pelle par une légiste top model.


Dans un coin du Morvan, Émilien, 16 ans, est retrouvé mort quelques jours après sa disparition. À deux kilomètres, trois jeunes gars s’évaporent d’un centre de déradicalisation. 

Voilà de quoi satisfaire le voyeurisme des chaînes d’infos continue. C’est Marie-Aliénor Castel de Fontaube, jeune journaliste irascible et ambitieuse  qui se trouve dépêchée sur place.
Elle attend que les gendarmes retrouvent le corps du disparu. Issue de la grosse bourgeoisie, à la haute fonction publique elle a préféré le journalisme et se rêve en bourlingueuse. 

Tous deux, avec Lofti Benattar et sa carcasse déglinguée, ils tiennent le roman. Uniques éléments extérieurs de ce bourg perdu, ils côtoient bien malgré eux les autres personnages, tous enracinés à Verniers. Les deux jeunes gendarmes qui se rêvent en Rambo, Pif le jardinier, la famille du jeune décédé, un patron mutique de motel pourri, etc. Enfin il y a Camille, demi-sœur d’Émilien. Écorchée pas bien farouche un peu camée, on la voit peu, mais elle est omniprésente, comme le brouillard local qui parfume le roman d’un bout à l’autre.

   Lotfi scrute minutieusement le cadavre. Pas de sang, pas de traces apparentes de bagarre. Une odeur de crasse spécifique des personnes en délicatesse avec l’hygiène ordinaire en émane, ce qui ne détonne guère dans cet environnement malsain. D’un geste de la main, il repousse les gars du SAMU avec leur brancard souple.

   « Il est déjà mort, rien ne presse. »

L’écriture est précise, dynamique, les phrases claquent, les dialogues sont rythmés, il faut ajouter quelques belles saillies teintées d’un humour noir brillamment aiguisé. Ahmed Tiab n’est pas adepte de la digression : l’histoire et uniquement ce qui la fait avancer. Tout détail donné a son importance, il faut rester aux aguets durant la lecture.  

Au passage, l’auteur en profite pour brosser le portrait d’une province un peu oubliée, loin de tout, avec ses petits trafics et ses affaires de famille, d’héritage et de partage de terres, de vengeances recuites ; tout juste bonne à accueillir ce que les villes de pouvoir ne veulent pas chez elles, comme ce centre de déradicalisation.


L’enquête, ou les enquêtes, avancent avec lenteur, Ahmed Tiab entretient le flou durant toute l’histoire. Les hypothèses sont nombreuses, il ne cherche pas non plus à nous emmener dans une direction particulière ou dans une autre. Il amasse les renseignements, les interrogatoires plus ou moins formels. Il laisse vivre ses personnages, nous laisse tenter de trouver un début de piste dans cet intense brouillard morvandiau jusqu’au final musclé, un véritable western, dont certains ne se relèveront pas. 

NicoTag

Dans le genre western, la musique du film « Lawless » est exemplaire. Vous pensiez que réunir dans un même morceau le Velvet Underground, Mark Lanegan, Nick Cave et sa bande de scélérats n’était pas possible ?

DE RAGE ET DE VENT d’Alessandro Robecchi / L’Aube Noire.

Di rabbia e di vento

Traduction: Paolo Bellomo et Agathe Lauriot dit Prévost

Quel plaisir de retrouver Alessandro Robecchi que nous avions découvert l’an dernier à la faveur d’un roman “Ceci n’est pas une chanson d’amour » dont le titre évoquait méchamment Public Image Limited de John Lydon et qui était en fait gavé de Bob Dylan, Dieu du héros Carlo Montessori, animateur vedette et producteur génial de tv poubelle pour la chaîne qu’il nomme “l’unsine à merde”. Ce roman était un bon polar milanais et peut-être plutôt une farce policière. A quelques pages de la fin, on se demandait comment le héros allait pouvoir s’en sortir et comment Robecchi allait bien pouvoir ne pas se gaufrer dans le final. Mais, vraiment contre toute attente, l’auteur avait réussi le sans faute.

Ce deuxième roman, toujours plus délicat à conclure a donc véritablement valeur de test pour savoir si la série en cours en Italie, un roman par an depuis 2014, soit 8 histoires est un filon à suivre…

“Carlo Monterossi, détective à ses heures perdues, est ravagé par la culpabilité : après avoir pris un verre avec Anna, une escort girl avec laquelle il a partagé un moment de surprenante sincérité, il est parti de chez elle sans fermer derrière lui, laissant le champ libre à un meurtrier tortionnaire.”

Si le premier roman se montrait parfois extravagant dans sa collection de doux dingues et de furieux malades, dans sa succession de scènes improbables et pas toujours du meilleur goût, on passait néanmoins un grand moment de bonne humeur. A l’époque j’avais “osé” parler d’un côté westlakien que je fus agréablement surpris de retrouver dans la bouche du célèbre critique littéraire Michel Abescat. Indéniablement, on retrouve cette filiation à laquelle on peut ajouter le regretté Andrea Camilleri dans l’art de se foutre des flics. Si furieux pouvait être attribué à “Ceci n’est pas une histoire d’amour”, sérieux et appliqué conviendraient bien à ce deuxième opus beaucoup plus réfléchi, tout en laissant néanmoins échapper, à bon escient, une étonnante verve.

Il semblerait qu’une équipe soit née autour d’un Carlo Montessori dans une rage peut-être un peu exagérée contre le tueur d’une personne qu’il n’a côtoyé que deux heures dans sa vie. Mais qu’importe, on le suit d’emblée, lui et ses deux complices, un journaliste peu bavard mais très efficace et un flic, roi du travestissement en filature, sorte d’inspecteur Cluzot malchanceux qui trouve d’entrée le moyen de se faire exploser la tronche alors qu’il est déguisé en moine.

L’intrigue est parfaitement maîtrisée, les dialogues et les situations sont souvent savoureux, bref, le roman est très réussi. Assurément, Alessandro Robecchi est un auteur à suivre.

Clete.

CECI N’EST PAS UNE CHANSON D’ AMOUR de Alessandro Robecchi / Aube Noire.

Traduction: Paolo Bellomo en collaboration avec Agathe Lauriot dit Prévost

“Carlo Monterossi, homme de télévision, est victime d’une tentative d’assassinat. N’ayant qu’une confiance limitée – au mieux – dans les compétences des équipes de police chargées de l’enquête, il fait appel aux services d’un ami journaliste et d’une spécialiste du numérique pour comprendre qui peut bien lui en vouloir autant. En parallèle, des Gitans justiciers et des tueurs à gages professionnels semblent suivre des pistes similaires.”

Alessandro Robecchi est une des plumes de “Cuore”, un hebdo satirique italien et qui un beau  jour s’est lancé dans l’aventure romanesque. Dès les première pages, on sait que c’était une très bonne initiative. Il fait donc ses premiers pas chez nous avec ce “Ceci n’est pas une chanson d’amour”. La mode du moment est d’emprunter des titres de chansons connues pour nommer des romans. Heu, ce n’est pas toujours réussi même si sans conteste, cela peut attirer l’amateur de musique espérant retrouver dans les lignes l’émoi que ses oreilles ont pu connaître ou un ravivement de souvenirs, plutôt les bons d’ailleurs, pour pouvoir passer un bon moment, quoi. Par exemple, non, je ne ferai pas de délation mais certains artistes décédés n’auraient sûrement pas aimé être associés de leur vivant à certaines niaiseries qui sortent en ce moment . 

Ici, tout de suite, les vieux punks sont alertés, peuvent très bien être la cible d’ailleurs avec l’évocation en titre de l’hymne de Public Image Limited de John Lydon icône punk par excellence. Bon autant leur dire de suite qu’ils seront déçus s’ils comptaient parcourir le roman en pogotant, des épingles à nourrice dans les joues, le tartan en folie, les cheveux vérolés, “No future” et tout le folklore avec force crachats et remugles de Valstar rouge éventée. Le héros de l’histoire est un fan de Dylan et soulage ses maux, qui sont multiples dans l’histoire, avec sa musique et tout le monde reconnaîtra qu’il y a quand même plus furieux que le petit Zimmerman, prix Nobel de littérature…c’est vrai mon dieu!

« …pas une chanson d’amour” n’est pas tout à fait une histoire d’amour, vous êtes prévenus, même si le sentiment est bien présent dans le roman. Pourtant publié par l’Aube Noire, “…chanson d’amour”, n’engendre pas la mélancolie, loin de là. Comme c’est rital, certains pensent déjà farce mais non, tout cela reste très fin, enfin presque, dans l’humour au milieu de nombreux rebondissements et situations tout à fait dignes d’un bon polar qu’il est totalement de surcroît. En aparté, le seul problème de ce roman serait peut-être un titre trop long à écrire une fois qu’on est harassé par la pronominalisation…En Italie,“…amour” a été comparé à Scerbanenco avec qui il partage le décor milanais c’est un fait mais il n’y en a pas vraiment d’autres et puis à Lansdale et là, c’est une preuve accablante que la coke fait encore des ravages dans les milieux journalistiques. Et les toxicos  du “Corriere de la Serra”, fiers comme une ambassadrice des pôles, n’ont pas peur ni honte d’ajouter “ peut-être même avec une pincée de Stieg larsson”. Pas d’inquiétude, la dézinguée de Millenium est absente du tableau suffisamment agité sans elle.

“…r” est juste, et c’est déjà beaucoup, une très sympa comédie policière qui envoie pas mal et dont la lecture fait souvent sourire voire rire malgré le funeste des événements. Il y a du suspense mais on n’est pas vraiment inquiet pour Carlo, sa mort plomberait l’ambiance et la carrière du roman. Non, à l’approche de la fin, on se demande juste comment l’auteur va bien pouvoir mettre fin à ce dawa, à cette course à la mort menée par des gitans bien remontés et des tueurs pince sans rire et c’est le moindre mal, nullement inquiétés par de flics indolents ou incapables ou les deux plus un excellent mytho. Mais il réussit le défi, haut la main et non le doigt dans le cul. Seuls ceux qui auront lu le roman comprendront qu’ici je ne fais nullement usage de vulgarité très mal venue mais juste un emprunt à une situation récurrente du roman. Bref, le roman tient joyeusement la route, ses dialogues flinguent et ses personnages sont très crédibles et attachants.

Après vérification, sept aventures de Carlo Monterossi sont sorties de l’autre côté des Alpes. On attend la suite de ce méchant hallali qui fait oublier plaisamment que c’est la rentrée.

Clete.

PS: en cadeau , la plus belle des chansons d’amour.

BOCCANERA de Michèle Pedinielli / L’ Aube Noire.

Nice, la déclinaison de contrastes entre son vieux port et les collines, est le théâtre d’une enquête suite aux meurtres consécutifs d’un couple homo. Sa direction en sera assurée  par une Niçoise aux racines corses, dont l’existence, rythmée par celui de sa ville, se joue des codes, de la bienséance et du conformisme. En puisant sa force motrice dans des personnages, qui eux mêmes sortent des rangs, structurant son quotidien et sa capacité à rebondir, elle plonge sans retenue dans ce périlleux cluedo!

«Si l’on en croit le reste de l’Hexagone, à Nice il y a le soleil, la mer, des touristes, des vieux et des fachos. Mais pas que. Il y a aussi Ghjulia – Diou – Boccanera, quinqua sans enfant et avec colocataire, buveuse de café et insomniaque. Détective privée en Doc Martens. Un homme à la gueule d’ange lui demande d’enquêter sur la mort de son compagnon, avant d’être lui-même assassiné. Diou va sillonner la ville pour retrouver le coupable. Une ville en chantier où des drapeaux arc-en-ciel flottent fièrement alors que la solidarité envers les étrangers s’exerce en milieu hostile… Au milieu de ce western sudiste, Diou peut compter sur un voisin bricoleur, un shérif inspecteur du travail, et surtout une bonne dose d’inconscience face au danger. »

Michèle Pedinielli est née à Niça, possédant des racines corses et italiennes, elle décide de monter à la capitale afin de se lancer dans une carrière journalistique de presse écrite durant une quinzaine d’années. De retour dans ses Alpes Maritimes natives, elle se destine à l’écriture faisant suite à la sélection de sa première nouvelle par le Festival Toulouse Polars du Sud. Boccanera est donc son premier ouvrage, point de départ d’une série noire dans son pays méditerranéen.

L’ambiance et la plume balancent!

Sous couvert de ponctuations décalées humoristiques et de situations moins « rococo », cette lecture attise notre curiosité, ainsi que notre détermination à avancer dans le récit. Les saynètes cocasses s’empilent donc sur des événements concrètement noirs et mortifères. C’est aussi ce rythme et cette « pulsatilité » qui nous fidélisent au fond scénaristique en nous incluant dans une trame crédible.

L’auteur, par l’entremise de son attachant épicentre, fait montre aussi d’un bon-sens naturel, qui fait cruellement défaut de nos jours, ainsi que d’une vision critique de notre société placée sous le sceau d’une luminosité, d’une finesse, d’une vérité tellement juste, douée d’acuité. C’est, pour moi, la pierre fondatrice de l’ouvrage. L’humanité, les ressorts de valeurs intrinsèques, qui louent les préceptes de l’égalité et de la fraternité en préalable d’autres secondaires, forment, effectivement, un tissu salvateur au défi d’objectifs meurtriers.

Michèle Pedinielli a, donc, créé un personnage de détective privé sortant des sentiers battus avec sa cohorte de failles, ses héraldiques humanistes, consubstantiel à un discours se plaçant sur un niveau similaire. En nous assénant des vertus, que l’on pourrait penser non contemporaines, elle construit vertement un roman noir de belle facture.

Roman noir frais que n’aurait pas renié Jean Claude Izzo!

Chouchou.

Un exemple bondissant de la scène niçoise…!

POUR DONNER LA MORT, TAPEZ 1 de Ahmed TIAB/ L’AUBE NOIRE

Ahmed Tiab nous propose un polar marseillais, un polar marseillais avec tout ce qui est charrié par la cité phocéenne. De la Canebière aux quartiers nord, des forces s’opposent entre services de police de l’évêché et jeunesse en recherche chimérique d’une identité, d’une voie, d’un idéal de vie. C’est un polar d’aujourd’hui balisé par les scories, les déviances de notre société déliquescente qui renvoie des images froides par instant et fébriles à d’autres.

« Marseille, 2017. Les vidéos d’exécutions qui circulent sur l’internet donnent des idées macabres à un groupe d’adolescents, subjugués par la détermination et la froideur des bourreaux de Daech. Le commissaire Massonnier, lui, enquête sur une affaire de trafic de drogue et d’islamisme. Affaire qui va le concerner personnellement quand il s’apercevra que sa fille Maï y est intimement mêlée ! L’adolescente, en révolte depuis le divorce de ses parents et la nouvelle vie de son père, a décidé en effet d’entrer dans la cour des grands. Mais sera-t-elle à la hauteur du jeu proposé ? 

Il est certain que l’on est dans un classicisme éprouvé et l’originalité n’est pas un des points forts du roman. Il affiche avec rigueur, mais néanmoins sensibilité, les rouages de la conversion religieuse, voire dans des entreprises licencieuses terroristes, d’une jeunesse en perte de repères et surtout de compréhension, d’amour. Le désenchantement n’est pas l’apanage exclusif de celle-ci hors il contribue invariablement à cette perte d’estime, cette perte de latitude décisionnelle. Et c’est sans cette autonomie que la mue de l’adolescent, le jeune adulte, grève sa naturelle évolution. Par cela, ce prisme, l’auteur nous délivre un message simple, simple comme l’engrenage glissant vers l’abîme.

Donc effectivement l’on pourrait trouver ce récit basique sur ses fondements, n’usant pas de subterfuges ampoulés mais c’est bien aussi la force de ce réalisme cru. Les profils des personnages ancrés dans l’histoire restent crédibles malgré quelques menues incohérences ou passages manquant de fluidité. Face aux oppositions frontales des sensibilités s’affichent et créent un équilibre, un tableau consistant, réaliste.

Si cet effort nous présente le prologue d’une série marseillaise, à l’instar de sa trilogie oranaise, sa ville natale, il n’en est que plus d’intérêt, car effectivement on peut ressentir comme une certaine concision dans le propos et les personnages évoqués qui méritent ce développement constituant l’ouvrage kaléidoscope d’une mégapole bien trop souvent cantonnée dans des poncifs, des raccourcis éculés, des images d’Epinal paradoxales…

L’adolescence noire et la relation filiale mis à mal dans une société, une ville à la dérive.

Préambule d’une série qui pourrait présager d’une réussite à l’issue.

Classique sans circonvolutions!

Chouchou.

Chouchou

IL NE FAUT JAMAIS FAIRE LE MAL À DEMI de Lionel Fintoni / L’Aube noire.

Des milieux et des êtres de mondes étrangers, parallèles, se croisent, se confondant dans un pêché capital que pourrait être le mercantilisme. Des activités obscures derrière les tentures sombres plongent des acteurs dans la légitimité respective de leur fonction et leur parcours de vie. Face à l’absence de scrupules d’une part et les tentatives moralisatrices d’autre part, on plonge dans notre monde aux contours abscons et à des vérités que l’on ne saurait voir !

« Dans les quartiers Nord de Paris, des enfants roms disparaissent. Un ex-médecin légiste égaré dans l’humanitaire quémande de l’aide auprès d’un ancien collègue, capitaine de la PJ. Celui-ci accepte, à contrecœur, de s’engager dans une affaire aux ramifications inattendues. Entre des négociants maghrébins associés à un groupe mafieux russe, un photographe au talent discutable, une clinique privée réservée à une clientèle richissime, des interventions parallèles de la DGSI et Marjiana, la jolie Rom au charme déroutant, le capitaine Alain Dormeuil, réchappé d’un univers de violence et en convalescence d’amours malheureuses, finira par réaliser que Machiavel avait raison : « Il ne faut jamais faire le mal à demi… »

Sur une trame et une construction à plusieurs entrées initiales on rentre dans ce roman noir à tous les étages. Puis les chemins se croisent, prennent une direction commune, pour nous révéler des accointances, des liaisons dangereuses entre institutions dont les vitrines sont rutilantes mais masquent une arrière cour nauséabonde. Il semble toujours y avoir un pas de porte propre, voire scintillant, mais l’énergie vicieuse des hommes décide bien souvent de pervertir le tableau.

La thématique centrale du trafic d’organes pose aussi le problème éthique, déontologique, dans un même temps, de la lutte de classes. Car le propos de Lionel Fintoni reste, en exergue, de montrer et de démontrer que nos sociétés présentent plusieurs faces. Et parmi celles-ci il y en a des sombres, des très sombres. Ne nous laissons pas bercer par tant d’illusions pourrait être aussi la morale de son conte cruel et ouvrons les paupières en grand, grattons le vernis du clinquant en tentant de résoudre les énigmes de notre temps.

J’ai retrouvé en filigrane des points communs avec les ouvrages de Gianni Pirozzi tel Sara la Noire ou Romicide autant dans le discours que dans la plume. Et c’est avec un attachement certain pour les personnages croqués par Fintoni que l’on progresse dans ce marigot urbain. Ils ont cette naturelle complémentarité, ce côté cliché pour certains mais qui confère à l’ensemble une humanité riche et des sentiments de lecture empreints d’alacrité. Il n’y a donc pas de choses nouvelles dans cet écrit mais force est de constater que l’on s’y attache par le traitement des thématiques et les faiblesses humaines des protagonistes.

Le critère du roman noir le plus définitif n’est- il pas la question que l’on peut, légitimement, se poser : est-ce un roman ?

Chouchou

 

JADIS, ROMINA WAGNER de Naïri Nahapétian/ éditions de L’Aube Noire

La psychanalyse peut ouvrir des portes, des accès plombés par ces intérêts politiques ou stratégiques échappant à l’individu dans une dimension personnelle. Romina ne dérogera pas à cette litanie inféodant notre environnement de ce manipulateur prisme pour cet illusoire intérêt supérieur. Son activité professionnelle ainsi que celle de son époux les imprègnent de ce paradigme et la découverte de leur implication dans une activité parallèle les plongent alors dans un désarroi. Celui-ci se présentera comme un révélateur de sentiments intrinsèques constitutifs de leurs parcours de vie.

« Romina Wagner a toujours fait l’objet de rumeurs plus ou moins farfelues. Aussi, quand elle évoque auprès de son psychanalyste une drôle d’ambiance sur son lieu de ­travail, celui-ci n’y prête que peu d’attention. « Qui ­pourrait en vouloir à cette belle femme d’origine roumaine, ­ingénieure au sein de Microreva, une entreprise de haute techno­logie ? » se dit Moïni, un Iranien qui pratique des thérapies alternatives pour la clientèle huppée du quartier de la Butte-aux-Cailles, à Paris. Jusqu’à ce que l’étrange Parviz lui dérobe le dossier de sa patiente. Romina, bientôt accusée d’espionnage industriel pour le compte de puissances étrangères, plonge dans un cauchemar ­paranoïaque et ne peut plus faire confiance à personne, et surtout pas à son mari…

C’est Florence Nakash, de la DGSE, qui a pour mission de tirer cette affaire au clair. »

Naïri Nahapétian est née en 1970 en Iran, pays qu’elle a quitté après la révolution islamique. Journaliste free-lance durant quelques années, elle a fait de nombreux reportages en Iran pour de nombreux journaux. Elle travaille actuellement pour Alternatives économiques, et a publié un essai intitulé “L’Usine à vingt ans”, “Les Petits matins” 2006, “Qui a tué l’Ayatollah Kanuni?” et “Dernier refrain à Ispahan”, Liana Levi 2009 et 2012. Ainsi qu’aux éditions de l’Aube Noire “ Un agent nommé Parviz ” en 2015 et “ Le mage de l’Hotel Royal ” en 2016.

De part cet écrit où se mêlent espionnage et contre espionnage, ce diptyque enfantera de véritables questionnements sur la valeur ajoutée de l’innovation technologique, sur les rapports humains découlant de ces mutations altérant notre quotidien et les interrogations éthiques légitimes. Intrications, interpénétrations dans sa vie personnelle engendreront une mise à plat de ses engagements. Les facultés de Romina dans son secteur scientifique contrebalancées par les intestines luttes de pouvoir et cette volonté de tirer un profit contraire à sa déontologie la plongent dans un marasme affectif et émotionnel.

L’auteur semble avoir retranscrit une vérité d’officines oeuvrant tantôt à un équilibre de notre monde fracturé, tantôt à son déséquilibre impulsé par le joug de la puissance politique. En s’attachant à décrire les profils psychologiques des différents protagonistes peuplant l’ouvrage, elle commet un point gagnant en donnant une profonde humanité dans un contexte ayant tendance à l’exclure. De part cette qualité où elle inscrit ses personnages dans ce jeu d’échecs complexe avec ce souci constant de les faire évoluer avec leur passé, les affres du présent et leurs solutions, leurs issues pour leur, pour un avenir.

Analyse psychologique sensible et fine d’un récit sous marin.

Chouchou.

SOUS LA TERRE DES MAORIS de Carl Nixon / L’Aube Noire.

Traduction :  Benoîte Dauvergne .

Le pays à la fougère argentée puise ses forces, ses légendes, sa culture dans sa mixité ethnique et culturelle. Mais le pendant de ce melting-pot ouvre à des incompréhensions pouvant déboucher sur des frictions graduelles. Le suicide d’un jeune homme débouchera sur les difficultés inhérentes au deuil mais aussi à l’opposition de croyances, à l’affrontement communautaire… Le deuil est une épine dans le pied que l’on ne peut extraire.

« Mark Saxton s’est suicidé. Il s’appelait aussi Maaka Pitama. Son père biologique, un Maori du nom de Tipene, vient voler sa dépouille afin de lui offrir des funérailles dans le respect de la tradition maorie. Sauf que c’est Box Saxton qui a élevé Mark, et il entend bien que son fils soit enterré sur les terres de sa propre famille. À travers l’affrontement terrible que vont se livrer les deux hommes, c’est un portrait sans concession de la Nouvelle-Zélande que nous propose Carl Nixon, dévoilant les tensions existantes entre les communautés du pays, l’attachement aux traditions et l’amour de la terre. » Continue reading

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