Chroniques noires et partisanes

Catégorie : Wollanup (Page 7 of 78)

UN AUTRE EDEN de James Lee Burke / Rivages Noir.

Another Kind of Eden

Traduction: Christophe Mercier

Texas forever, La maison du soleil levant, Robicheaux, New Iberia Blues, Une cathédrale à soi, Les jaloux. Depuis ses débuts, Nyctalopes a toujours été au rendez-vous des sorties de James Lee Burke que je considère, et de très loin, comme le meilleur auteur de noir ricain, tendance un peu cowboy du sud, à cheval entre Texas et Louisiane avec quelques incursions jusque dans le Montana ou au Colorado comme ici.

James Lee Burke a écrit, depuis ses débuts… en 1965, plus d’une quarantaine de romans dont certains sont toujours inédits en France. L’homme, que je pense immortel, a quand même 88 ans et s’il est aidé maintenant par sa fille Alafair également romancière, ses livraisons annuelles s’apparentent néanmoins à de petits miracles. Par ailleurs, une info qui ravira les fans, Robicheaux revient dans deux jours dans les librairies américaines dans une histoire au titre sobre mais prometteur « Clete ».

James Lee Burke est surtout connu pour sa série autour des enquêtes de Dave Robicheaux qui, aidé de son pote Clete Purcel, s’oppose aux puissants et défend les pauvres et les déshérités du bayou de Louisiane à New Iberia. Le top pour beaucoup de fans de Burke. Il a aussi écrit une autre série autour de la famille Holland, originaire du Texas et que l’on retrouve à différentes époques de l’histoire américaine ou texane. Dans cette saga Holland viennent se glisser trois romans autour de Aaron Holland Broussard que l’on a découvert ado des années 50 dans Les jaloux et qu’on retrouve adulte dans le Colorado, au milieu des années 60. La fin de cette trilogie, Every cloak rolled in blood, est déjà sortie outre atlantique.

« L’Ouest américain des années 1960 donne encore l’impression d’une nature édénique. Le romancier Aaron Holland Broussard (de la célèbre famille Holland) fait « la route » à bord de wagons de marchandises, pour trouver l’inspiration. Il s’arrête dans la région de Denver où il va faire la connaissance de Joanne McDuffy, une jeune étudiante douée pour la peinture. Ils éprouvent une attirance réciproque quasi immédiate… » mais chez Burke, il n’y a jamais très loin de l’Eden à l’enfer et Aaron va le connaître pour sauver Anne Jo, victime de ses mauvaises fréquentations. Une fois de plus les grands thèmes de Burke :  la résilience, la rédemption, la filiation sont encore au rendez-vous. Son héros Aaron, écrivain en herbe, a beaucoup de traits de caractère identiques à Robicheaux. Certaines anecdotes ou situations ont déjà été racontées mais une fois de plus le talent de l’écrivain fait son œuvre et dès les premières pages, le vieux Jim, roi de l’incipit vous embarque. Les figures du mal sont, une fois de plus, terrifiantes et la crainte est amplifiée par des petits passages plus obscurs, à la limite du surnaturel, où on ne sait plus où est la réalité, la vérité.

Comme toujours chez Burke, les héros représentent le bien qui part en croisade contre les représentants du mal qui sont connus, identifiés dès le départ. Ces derniers temps, Burke y ajoute des pincées de surnaturel à doses homépathiques. Le roman prend son essor autour de ce combat cruel qui se termine souvent, mais pas toujours, par une fusillade digne d’un western.

Tout en restant assez succinct sur cette belle histoire où Aaron découvre la douleur de la désillusion et la cruauté de l’homme, ajoutons qu’ Un autre Eden, écrit par la plume mélancolique belle à en pleurer d’un James Lee Burke au sommet de son art porte un titre qui l’habille parfaitement.

« Depuis cette nuit dans le canyon, je n’ai jamais craint la mort, et elle ne me fait plus broyer du noir. J’irai même plus loin. Depuis cette nuit, je n’ai plus jamais eu peur de rien, ni dans ce monde ni dans le monde à venir. »

Clete.

NOIR D’ENCRE de Sara Vallefuoco / Métailié Noir.

Neorinchiostro

Traduction: Serge Quadruppani

« 1899. L’unité de l’Italie existe dans les cartes mais pas dans les cœurs des habitants.
Un groupe de carabiniers venus des quatre coins du pays est envoyé pour combattre le banditisme en Sardaigne, un lieu où il y a beaucoup de crimes mais aucune dénonciation. Affecté dans un petit village sarde superstitieux et féroce, le jeune vice-brigadier turinois Ghibaudo est très surpris par une plainte pour vol. Il l’est moins lorsque, en examinant les lieux du larcin, il découvre le cadavre d’un des carabiniers. Il est accompagné par le brigadier Moretti, romain, fervent catholique et enfant de la haute société, adepte d’une nouvelle méthode qu’il essaie d’imposer avec enthousiasme : les empreintes digitales. Ghibaudo, lui, veut résoudre l’enquête en racontant les histoires et donc en découvrant les failles du récit. »

Rien de tel que le roman historique pour nous proposer du nouveau avec du vieux dont on ignore tout. Sans partir très loin, sans nécessité de créer des nouveaux univers ou des mondes en train de crever. Un petit voyage dans le temps à quelques miles de nos côtes a de quoi surprendre le lecteur. Et c’est ce qu’a très bien compris Sara Vallefuoco, jeune professeur d’école italienne, auteure de ce premier roman aux multiples atouts pour le lecteur patient et enclin à pénétrer dans ce monde secret d’une Sardaigne qui n’aime pas se livrer aux étrangers et encore moins s’ils sont carabiniers.

« Noir d’encre » est le surnom d’un des personnages les plus réussis, un môme du coin aux mains noires de l’encre des journaux livrés ou parcourus, de l’encre utilisée pour composer des lettres anonymes ou recopier les vers de poètes de village qui s’opposent dans des joutes villageoises sous les applaudissements et des hurlements d’une foule très friande de ces festivités. Cette tradition typiquement sarde peut se voir finalement comme une ancêtre du « slam ». Tout le monde peut y participer, les meilleurs sont adulés et récompensés et certains poètes comme nous le verrons dans le roman, atteignent le statut de stars et seront d’ailleurs un des moteurs du roman.

Même si les meurtres sont nombreux et les nuisibles très actifs, prévenons que le rythme du roman ne s’avère guère trépidant, se mettant au diapason de la vie quotidienne lente, monotone d’une campagne sarde pas encore très concernée ou touchée par les avancées technologiques de la fin du 19ème siècle, à l’opposé de Moretti un brigadier passionné par les nouvelles techniques balbutiantes d’investigation policière notamment la reconnaissance par les empreintes digitales. Son collègue et personnage principal de  Noir d’encre , Ghibaudo Robespierre, lui s’attache beaucoup plus aux récits, tentant de trouver les failles dans les témoignages qui lui sont rapportés et se nourrissant souvent uniquement de l’incompréhension dans ce monde si éloigné du sien.

Si l’enquête est parfois un peu reléguée au second plan au profit d’un vaste panorama humain des campagnes éloignées de l’île, elle n’est jamais absente des pensées pourtant bien tourmentées d’un Ghibaudo se posant bien des questions existentielles. Il est certain que l’enquête aurait pu trouver son issue bien plus tôt mais la plume de Sara Vallefuoco, grâcieuse et délicieusement surannée, nous accompagne et nous ensorcelle gentiment tout en insistant sur le pouvoir de l’écriture et la violence déchaînée parfois par ceux qui la maîtrisent ou qui sont experts d’un discours.

Une plume qu’on aura beaucoup de plaisir à retrouver et pas forcément et uniquement dans le domaine du noir. Charmant !

Clete.

FILLE DE de Christian Roux / Rivages.

Six ans séparent Fille de de Que la guerre est jolie paru en 2018. L’auteur est donc plutôt rare peut-être parce que l’homme Christian Roux a plusieurs cordes à son arc, exerçant aussi son talent en tant que scénariste, auteur, compositeur et interprète. Sachons donc apprécier à sa juste valeur la rareté de ce nouveau roman.

« Sam, 26 ans, est une solitaire. Mécanicienne hors pair, elle tient un garage sur les hauteurs de Cassis et semble mener une vie tranquille. Mais un jour, son passé ressurgit sous les traits de Franck, un homme qu’elle aurait souhaité ne jamais revoir, tout comme son père Antoine. Adolescente, elle a fait partie de leur bande de braqueurs, puis à 20 ans, elle les a quittés. Juste après son départ, un coup a mal tourné, Antoine a dû planquer le butin tandis que Franck s’est retrouvé derrière les barreaux. Aujourd’hui Franck veut récupérer le magot. Hélas Antoine a plus ou moins perdu la mémoire à la suite d’une crise cardiaque. Qui d’autre que Sam pour tenter de la lui rafraîchir ? »

Road trip,  Fille de nous balade sur les routes les plus discrètes de France en compagnie de Sam jeune femme au caractère bien trempé et d’Antoine son père tous deux plongés dans le théâtre du passé, sur les chemins de la vérité. Un voyage périlleux pour retrouver la cache d’un trésor perdu dans les méandres du cerveau quasiment cramé d’Antoine et un retour aux origines du drame qui a scellé l’explosion de la famille : la fuite de Sam, la disparition de sa mère, le casse raté, l’arrestation… six ans plus tôt. Petit à petit, on entre dans le mystère et on se frotte à la douleur de Sam, aux horreurs du passé, aux erreurs coupables.

Il est certain que le thème du roman est loin d’être original mais on ne demande pas non plus aux auteurs de refaire le monde à chaque roman. Dans la multitude des histoires de relation filiale, de notion de famille, d’héritage du sang seuls le talent et l’écriture vous sauvent d’un possible ennui. Mais aucun souci, Christian Roux a déjà prouvé sa maîtrise à maintes reprises. Néanmoins, par la voix de Sam, il prévient le lecteur venu s’aventurer.

« Que les choses soient bien claires mon vieux. Je ne reviens pas. Je ne suis pas là pour jouer la grande dégoulinade hollywoodienne entre le pépère et sa fifille qui enfin se comprennent, se sont toujours aimés, mais la vie et blablabla et blablabla… Dès qu’on a retrouvé ce putain de trésor planqué dans ta putain de mémoire, tu rentres dans ton trou à rats, moi dans le mien, et basta, fin de l’histoire. » Il en sera bien autrement et de manière bien plus tragique durant 150 pages sèches, sans dorures, sans artifices faciles et pourtant si attachantes quand le narrateur puis l’auteur interpellent malicieusement le lecteur.

Du noir, du vrai, du bon.

Clete

MALART de Aro Sainz de la Maza / Actes noirs / Actes Sud.

Traduction: Serge Mestre

Faisant suite à Le bourreau de Gaudi en 2014, Les muselés en 2016 et Docile en 2021, Malart est le quatrième volet des enquêtes de l’inspecteur Milo Malart de la police de Barcelone.

« A quelques milles des côtes barcelonaises un yacht dérive sans équipage. Il traîne deux filins auxquels sont accrochés les cadavres des propriétaires. A la scène : un couple d`entrepreneurs membres de la jet set locale mais pour l`inspecteur Malart, deux psychopathes à la perversité sans borne. Inculpés puis relaxés à la faveur de preuves falsifiées, ils constituent une névrose obsessionnelle pour Malart qui les traque depuis des années à l`insu de sa hiérarchie. Or, l`embarcation est saturée de l`ADN de l`inspecteur qui (opportunément ?) reste introuvable. En 60 heures d`une course effrénée, ses coéquipiers adoptent par un troublant mimétisme les méthodes peu orthodoxes du policier le plus révolté et empathique d`Espagne pour rétablir une vérité que certains voudraient taire. »

Malart a disparu et c’est un peu ballot pour un roman portant son nom… et où il incarne le rôle du coupable pour une fois. Tous ceux qui ont déjà suivi Milo et ses casseroles familiales, ses démons, ses obsessions morbides et son humanité renversante auront le même plaisir que d’habitude à évoluer dans cette intrigue retorse, racontée de manière originale. Les nouveaux lecteurs n’auront aucun mal à comprendre la psyché torturée de Milo Malart car s’il est absent, disparu une partie du roman, il occupe néanmoins le centre de l’histoire à défaut de vraiment s’y distinguer.

Une fois de plus, Aro Sainz de la Maza privilégie les comportements et la psychologie des personnages à l’action mais le roman s’emballe très vite. Le suspense s’avère addictif ; l’investigation, les recherches sont agrémentées de bons coups de théâtre. Un polar béton dans une Barcelone au cœur noir n’offrant plus la protection à ses malheureux.

Milo Malart certainement le meilleur flic apparu ces dernières années.

Clete.

LA MAISON SUR LA FALAISE de Chris Brookmyre / Métailié Noir.

The Cliff House

Traduction: Céline Schwaller.

« Elles étaient sur l’île depuis moins de cinq heures et déjà tout partait en vrille. »

C’était déjà une drôle d’idée de se marier pour la deuxième fois avec un homme en lequel on n’a pas confiance et d’aller enterrer la vie de jeune fille d’une femme de 35 ans, mais choisir une île, où la seule maison ouverte était la résidence qui les accueillait, était aussi très bizarre, malgré le luxe. Mais elles étaient toutes là, des amies de la mariée qui ne se connaissaient pas, ou peu, entre elles. Arrivées en hélicoptère ou en bateau, pour tout dire elles étaient coincées, d’autant plus que la tempête se levait.

« Elle tendait la main vers la poignée de la porte lorsqu’elle entendit le hurlement. » Elles venaient de découvrir un cadavre dans la cuisine !

Depuis le temps que j’entendais parler de Chris Brookmyre par-ci, Chris Brokmyre par-là, il était peut-être temps faire connaissance avec l’auteur britannique si loué ces derniers temps. Sa présence chez Métailié au catalogue noir de qualité garantissait un certain niveau. Las…

Nous n’irons pas plus loin que la couverture éditoriale et nous vous invitons donc à entrer dans cette histoire pour comprendre le drame qui démarre par un meurtre sur cette île isolée au large de l’Ecosse. Partant d’une situation de huis clos à la Agatha Christie, Brookmyre y mêle une ambiance à la « Desperate Housewives » d’un groupe de huit quadras qui ont toutes des histoires cachées dont elles ont un peu honte et qui pourraient être à l’origine des tourments qu’elles subissent.

Il faudra laisser sa rationalité au vestiaire pour bien apprécier La maison sur la falaise. Néanmoins, les multiples rebondissements, certains très prévisibles mais d’autres plus surprenants, judicieusement agencés par un auteur maîtrisant les ressorts du roman à suspense, plairont à un large lectorat adepte des thrillers psychologiques et de « cosy crime ».

Clete.

LES JOURS DE LA PEUR de Loriano Macchiavelli / Editions du Chemin de fer.

Le piste dell’attentato

Traduction: Laurent Lombard

« Bologne. Années 70. Un attentat détruit le centre de transmission de l’armée, faisant quatre morts et de nombreux blessés. Le sergent Sarti Antonio, flanqué de son acolyte Felice Cantoni, mène l’enquête. Entre milieux interlopes et notables intouchables, c’est tout un système de corruption qui est à l’œuvre et qu’il tente de dénoncer en dépit de la résistance de ses supérieurs, alors que les meurtres se multiplient dans la ville. »

Loriano Macchiavelli est une légende du polar en Italie. Son héros récurrent, Sarti, que nous découvrons ici dans sa première enquête datée de 1974 a été l’objet de deux séries à succès à la télévision italienne en 1978 et en 1991. En France depuis quelques enquêtes éditées par Métailié au début des années 2000, l’auteur avait disparu des librairies. Reconnaissance donc aux éditions du Chemin de fer de nous faire connaître cet auteur, également acteur et metteur en scène et ce Sarti Antonio « pauvre flic perdu devant la complexité du monde et la folie des hommes qui déteste les armes et souffre d’une colite nerveuse qui l’oblige à trouver un lieu approprié aux moments les moins opportuns »

En préambule dans une « lettre d’accompagnement de l’auteur à son personnage qui repart à l’étranger » Macchiavelli, 90 printemps donne le ton, moqueur tout en rappelant les années terribles de la ville de Bologne, martyrisée par des tueries et des attentats politiques dans son passé de la fin du XXème. Si la mafia est souvent présente dans le polar rital, ici, ce sont les luttes politiques qui sont au cœur de l’intrigue.

Dans un format très ramassé, un peu comme les anciennes Série Noire, reflet d’une époque où le genre était considéré comme de la simple littérature de gare, Les jours de la peur nous fait découvrir un flic entêté, usant du coup de poing ou de genou quand on le contrarie vraiment, éprouvé par des problèmes intestinaux gênants, passant ses journées à se prendre la tête avec une hiérarchie pas franche du collier et cherchant un peu d’affection auprès d’une jeune prostituée.

Les jours de la peur, écrit en 1974, montre aussi une société qui n’existe plus vraiment. Pas de téléphone portable ni Internet, la GS Citroën 1000 comme signe extérieur de richesse… c’est à l’usure de ses semelles qu’on reconnaissait un bon flic incorruptible. L’intrigue est passionnante, agrémentée par un Sarti vraiment impeccable, attachant, on attend la suite de ses enquêtes avec une réelle impatience.

Clete.

EDEN L’AFFAIRE ROCKWELL de Christophe Penalan / Viviane Hamy Editions.

Ses peluches étaient dans une corbeille en osier, ses habits sales dans un bac en plastique, ses jouets et ses livres sur ses étagères, parfaitement rangés… Les cahiers d’exercices et les manuels qu’elle n’avait pas emportés à l’école étaient restés sur son bureau, rien ne dépassait. Rien ne laissait penser à une fugue. Tout était là, à sa place.

Bakersfield, Californie, 12 octobre 2004. Eden, 11 ans, a disparu en rentrant de l’école. Les recherches sont confiées à l’inspecteur Dwight Myers, anciennement sergent au LAPD, et à son coéquipier, Buddy Holcomb. Quand le principal suspect est retrouvé mort d’une balle dans la tête, et que trois autres enlèvements de fillettes sont signalés à Los Angeles, la piste d’un terrible réseau criminel semble se confirmer.

Mais pendant ce temps, d’autres victimes sont découvertes et un “simple” enlèvement devient une affaire beaucoup plus compliquée. “Eden, l’affaire Rockwell” est un petit bijou de polar à l’ancienne, l’histoire d’une investigation policière menée par Dwight Myers, enquêteur en provenance du LAPD où il a fait ses armes pendant sept ans. Sa première vraie affaire, un enlèvement…Myers n’a pas trop de casseroles dans sa vie, il est juste séparé et ne voit pas assez sa petite fille. Ses tourments ne sont pas souvent abordés et donc pas rédhibitoires. Il sera secondé par un adjoint cool, pépère du coin bien utile, parfait faire valoir mais aussi d’un très vieux flic de L.A représentant une sorte de sagesse et toujours en conflit avec Myers. L’équipe fonctionne bien, dans des rôles qu’on connaît déjà tant mais on adhère rapidement car le suspens est constant, souvent ranimé, soufflant les braises dans le cerveau du lecteur.

On sent bien le côté élève appliqué chez l’auteur, alors on reconnaît bien sûr beaucoup des canons traditionnels d’un polar mais l’enquête s’avère de belle qualité malgré quelques longueurs dans des dialogues souvent assez pâles. Il n’empêche que cette sale histoire en surprendra plus d’un et notamment une certaine anomalie médicale incroyable mais bien réelle, une trouvaille digne d’un Jo Nesbo, eh ouais !

Un premier roman solide, Christophe Penalan, un nom à retenir.

Clete

LE DERNIER ROI DE CALIFORNIE de Jordan Harper / Actes noirs / Actes Sud.

The Last King of California

Traduction: Laure Manceau

Jordan Harper nous avait stupéfié en 2017 avec son recueil L’amour et autres blessures. Quinze histoires terribles où Harper vous balance au cœur du chaos, juste avant le drame ou l’irréparable, un régal de noir. Ce premier coup de poing sera confirmé par un passage au roman réussi avec La place du mort en  2019, belle histoire d’un père criminel et de sa fille dans un joli mix de suspense et de sentiments “nobles”, alliage qui semble guider l’oeuvre naissante d’un Jordan Harper à la très belle plume par ailleurs aiguisée par l’écriture des scénarios des séries telles que The Mentalist et Gotham.

Le dernier roi de Californie qui sort cette année chez nous a été en fait écrit avant La place du mort et serait donc le premier roman noir de Jordan Harper. Ce dernier a eu d’ailleurs du mal à le placer aux USA devant se contenter d’une diffusion britannique dans un premier temps. Les mystères de l’édition…

Devore, Californie. Luke aurait préféré ne jamais retourner sur les terres de son enfance – l’événement traumatisant dont il a été témoin à l’âge de sept ans l’a changé à tout jamais. Il est hanté par la honte de ne pas avoir su l’encaisser comme un homme, un vrai Crosswhite, en digne héritier de son père, Big Bobby, à la tête du redoutable Combine. Mais une guerre de clans éclate et le fils prodigue se retrouve confronté à ce qu’il a toujours cherché à fuir. La devise de la famille ne laisse aucune place au doute : “Sang et amour”.

Luke, 19 ans et déjà au bout de tout, souffrant du traumatisme de la vision de son père défonçant la tête d’un type à coups de bottes contre le bord du trottoir, décide de retourner dans sa famille, dans le gang criminel de son père là où s’est produit l’abomination douze ans auparavant.  Du haut de ses sept ans alors, il se considérait comme le petit prince puisque son père était sûrement le roi de Californie vu le nombre de gens à se prosterner devant lui. Le rêve s’est brisé ce jour-là. Son retour n’est pas vraiment souhaité mais il est accepté par la famille toujours dirigée par son père depuis Folsom où il est encore incarcéré. On est dans l’archétype, les stéréotypes d’un gang criminel américain où on traficote un peu de tout mais sans autre ambition que d’arriver à se faire de la thune pour la famille pour qui on doit  également donner son sang. Très rapidement, dès la première scène, on découvre la violence inhérente à ces histoires de guerres de gangs et qui imprégnera tout le roman. 

“Un meurtre, ça a quelque chose magique. Des pouvoirs qui font qu’une seule personne tuée exprès hantera bien plus le monde qu’un million de vies écourtées par un accident de voiture ou un cancer. Best Daniels le sait. C’est pour ça qu’avec ses hommes il a crucifié Troy au sol de cette caravane et l’a laissé brûler vif.”

Mais sous cette intrigue qui pue les incendies de forêts, l’adrénaline, la poudre, le graillon et la testostérone en marcel se tisse une toute autre histoire, une initiation, un passage à l’âge adulte pour quatre ados. C’est l’heure des choix pour Luke bien sûr mais aussi pour Callie et “Pretty Baby” aussi fous amoureux que dopés et qui veulent monter une arnaque pour fuir la famille et enfin pour Sam qui voudrait être un bon soldat mais qui ne peut nier ses faiblesses, sa gentillesse. C’est le moment de bascule pour eux, au milieu d’une guerre sans merci qui ne les regarde pas mais qui les frappera et guidera leur vie future. Cet aspect tragédie est le vrai et beau moteur d’un roman qu’on pourrait rapprocher du premier David Joy Là où les lumières se perdent ainsi qu’ à Le monde à l’endroit de Ron Rash.

Le dernier roi de Californie, cauchemar aux accents Thrash Metal hurlant prend aussi souvent aux tripes. Du bon noir.

Clete.

VINE STREET de Dominic Nolan / Rivages/Noir.

Vine Street

Traduction: Bernard Turle

“Londres, 1935. Leon Geats travaille à la brigade des Mœurs & Night-clubs de la police de Westminster. Misanthrope et hargneux, il dirige la racaille de Soho – un quartier peuplé de prostituées, de jazzmen et de mafieux – selon un code moral élastique. Lorsque le corps d’une femme est retrouvé au-dessus d’un club, les inspecteurs de la Criminelle ont vite fait de classer l’affaire, ignorant qu’il s’agit de la première victime d’une longue série. En collaboration avec un collègue de la Brigade Volante et une officière de police, Geats se consacre à la recherche d’un tueur pervers et insaisissable.”

Comme Ian Rankin sur la quatrième de couverture et de nombreuses critiques, on ne peut qu’ admettre que l’on a ici un roman à placer aux côtés du Quatuor de Los Angeles de James Ellroy. On quitte néanmoins Los Angeles pour se retrouver sur les bords de la Tamise à Londres et plus exactement dans le quartier de Soho. Si le début et l’épilogue se déroulent en 2002, l’histoire se situe bien en amont, dans les années trente puis pendant la période du Blitz de la seconde guerre mondiale. S’y rajouteront  quelques chapitres dans les années 60.

Comme chez Ellroy, des femmes massacrées, des ambiances et comportements troubles et troublants, des flics pourris jusqu’à la moelle dont on espère la mort dans les plus grands tourments, des mafias, des services secrets sans états d’âme, le côté obscur des êtres, une description pointue de la ville et d’une certaine marge évoluant dans les quartiers chauds. L’histoire s’anime sur la poursuite du tueur particulièrement dégueulasse “le brigadier”agissant comme un fantôme sans laisser d’autres traces que l’effroi et le malaise que sa barbarie déclenche.

Sur sa piste, habités par leur enquête jusqu’à l’aliénation, trois flics qui vont aussi former un très troublant triangle passionnel, ajoutant d’étranges perversions dans une atmosphère qui en est déjà saturée. Le trio est à la poursuite du tueur mais le vrai héros du roman, c’est Leon Geats. Longtemps, très longtemps qu’on ne nous avait pas offert un si beau personnage de flic. Très grand Leon Geats! un vrai chien qui ne lâche pas, utilisant la méthode dure, assénant la violence autant qu’il l’encaisse, se montrant trouble, retors, secret et dans le même temps, si bellement humain. Un seigneur. 

Le roman est dense, les personnages nombreux, les bonds dans le temps déstabilisants, les rebondissements parfois divins, la psyché des trois flics, magnifiquement développée ou astucieusement voilée dépasse souvent en intensité dramatique la chasse à l’homme, un bonheur de noir.

Comme tout bon élixir, Vine Street se savoure, se laisse apprivoiser lentement pour enfin développer les effluves puissantes d’une intrigue complexe et passionnante.

L’étoffe des grands polars.

Clete

LA CASSE de Eugenia Almeida / Métailié Noir.

Desarmadero

Traduction: Lise Belperron

L’Argentine Eugenia Almeida avait montré bien du talent dès son premier roman “L’autobus”. On la retrouve quelques années plus tard avec bonheur dans un roman furieux et intelligemment monté. Dans son premier opus, elle montrait comment un simple petit changement, un autobus qui ne s’arrête plus, pouvait désorganiser un petit village perdu du fin fond du pays. La thématique est quasiment identique dans “La casse” et la réussite, en se déplaçant de la pampa vers la ville, elle, s’avère encore plus impressionnante

“« Deux petits cons qui se bourrent la gueule et qui tout à coup ont envie de foutre la merde. Comme ça, pour rien. Et qui tuent. Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Moi je n’ai fait que te protéger. » Et il a tué les gamins.”

Et c’est le début du foutoir. Dans cette ville existe une délinquance qui fonctionne bien, une économie de la misère bien structurée de la rue jusqu’aux plus hautes instances et tout le monde en croque un peu. Les magouilles engraissent certains, toujours les mêmes aux quatre coins de la planète, et permet aux autres d’un peu mieux survivre. Mais, un acte malheureux, une initiative non réfléchie va provoquer un gros dawa. Le grain de sable dans l’engrenage, l’effet papillon, le château de cartes, l’effet domino, les images sont nombreuses… et tout fout le camp, s’en va à vau l’eau, part en couilles, en cacahuètes, en distribil, toute une chaîne d’événements qui se suivent les uns les autres et dont le précédent influe sur le suivant dans un crescendo infernal et violent.

Eugenia Almeida insuffle un rythme infernal à son roman, le dépouillant de tout ce qui lui semble inutile, superflu, une vraie réussite qui aurait sûrement beaucoup plu à Elmore Leonard. L’émotion et un humour bien noir sont aussi au rendez-vous. Rappelant parfois le meilleur des polars du Chilien Boris Quercia de la trilogie Santiago Quiñones, “La casse”, moins de deux cents pages, doit se consommer en “one shot” pour apprécier les prouesses d’une auteure qui cogne très dur. Les temps morts sont absents, les personnages souvent réduits à leurs paroles, une urgence nécessitant une réelle attention pour comprendre l’intrigue et apprécier les multiples et superbes fulgurances d’un roman furieusement noir et létal.

Clete.

« Older posts Newer posts »

© 2025 Nyctalopes

Theme by Anders NorenUp ↑