Chroniques noires et partisanes

Catégorie : Wollanup (Page 1 of 78)

UN MONDE NOUVEAU de Jess Row / Terres d’Amérique / Albin Michel

The New Earth

Traduction: Stéphane Rocques

Jess Row est un Américain partageant sa vie entre New York où il travaille et le Vermont deux des multiples décors de ce roman. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages où nouvelles et romans se côtoient à parts égales. Curieusement, Jess Row, auteur reconnu sur ses terres n’avait jamais été traduit en français. Cet oubli est maintenant réparé et Un monde nouveau rejoint la très belle famille de la collection Terres d’Amérique de Francis Geffard.

 » Issue de la bourgeoisie juive new-yorkaise, la famille Wilcox n’a plus guère en partage que son nom. Membre d’un cabinet d’avocats huppé, Sandy, qui ne s’est jamais remis de son divorce, est la proie de pensées suicidaires. Son ex-femme, Naomi, géophysicienne de renom, vit recluse dans un laboratoire avec sa compagne. Patrick, le fils aîné, s’est installé au Népal où il est devenu moine bouddhiste. Sa soeur, Winter, avocate qui défend les sans-papiers, en veut à leur mère de leur avoir longtemps caché l’identité de son père biologique. Tous sont hantés par la disparition tragique de Bering, la cadette, militante pacifiste morte à vingt et un ans en Cisjordanie sous les balles d’un soldat israélien.
Comment les Wilcox ont-ils bien pu en arriver là ? Cette fracture entre eux tous est-elle irrémédiable ? »

Un monde nouveau est un grand roman qui affiche une parenté certaine avec d’autres oeuvres majeures américaines. Volumineux, comme beaucoup d’œuvres majeures ou considérées comme telles, on pense d’emblée à Les corrections de Jonathan Frantzen. On y retrouve certaines névroses familiales déjà décrites chez Frantzen mais Row les dévoile, les dissèque à l’aune d’un monde qui tourne de moins en moins bien. Remontant à la source, la rencontre de Sandy le père et de Naomi la mère dans les années 80, Jess Row raconte leur couple puis la famille qu’ils ont fondée jusqu’à 2018, au début du premier mandat de Trump. Le caractère juif de la famille nous approche aussi des mondes de Philip Roth de La tache particulièrement, Pastorale américaine, étant d’ailleurs cité au détour d’une page.

Un monde nouveau se mérite, s’aventure parfois dans des mondes parfois très éloignés de notre propre histoire mais en proposant toujours une vision radicale, sans langue de bois, avec des propos acerbes, durs vis à vis du monde mais aussi surtout vis à vis d’une famille composée de personnes aux parcours professionnels impressionnants. Un membre de la famille s’interroge d’ailleurs. Comment une famille formée de gens « intelligents » peut elle-en être arrivée là ?

Variant les histoires et les époques, revisitant les traumatismes vécus et en nous imposant d’autres restés enfouis, Row nous embarque brillamment dans un tourbillon de sentiments très contradictoires, montre parfois l’indicible, crée une certaine gêne mais montre aussi la vacuité d’une famille très aisée, bardée de gourous, de psys, si new-yorkaise, si américaine et terriblement égoïste dans le moindre de ses agissements. Derrière le masque des apparences de parcours professionnels accomplis, beaucoup de noirceur. Du lourd qu’il faudra parfois appréhender avec patience mais le voyage vaut vraiment le détour.

Clete

UNE SAISON DE COLERE de Sébastien Vidal / le mot et le reste.

Avec Une saison de colère Sébastien Vidal met un terme à son « cycle des saisons » aux éditions Le Mot et le Reste entamé par Ça restera comme une lumière poursuivi avec Où reposent nos ombres et De neige et de vent (prix Landerneau Polar 2024).

« De nos jours, à Lamonédat en Corrèze, cinq mille habitants. Le printemps s’annonce sur les bords de la Vézère. Deux événements bouleversent la quiétude de la bourgade. À l’usine VentureMétal, la grève générale a été votée pour lutter contre une délocalisation en Roumanie. En outre, un projet porté par le maire a fuité et fait scandale. Il vise à dynamiser le territoire mais il implique de raser la forêt municipale. Surnommée la Coulée verte, celle-ci est très appréciée des habitants qui, pour la défendre, se mobilisent et créent une ZAD. Dès lors, le climat se dégrade à Lamonédat et les clans se forment, opposant les pro aux anti. C’est dans ce contexte, que les chemins de Julius, un ancien gendarme démissionnaire, de Grégor, le porte-parole des ouvriers, d’Alba, une jeune ouvrière, de Jolène, une tueuse à gage en perdition et de Jarod, un zadiste surnommé l’Écureuil, vont se croiser. Tous sont alors en prise avec des sentiments contradictoires – peur, indignation, dépit, espoir – qui les mèneront pourtant ensemble à la révolte. »

Une saison de colère, c’est avant tout un roman noir social dans la France périphérique, poumon de la nation peu médiatisé, un roman de lutte pour le respect d’hommes et femmes bafoués, humiliés. Une délocalisation en Roumanie, la mondialisation dans toute son horreur… 400 emplois sur le carreau, 400 familles flinguées, une ville poignardée, les services de l’état vont se barrer, les classes vont fermer, des commerces vont baisser le rideau, le chômage… et ce sentiment d’injustice qu’il faut flatter pour ne pas sombrer dans la noirceur d’une vie qui semble s’arrêter, d’une existence qui mène toujours à l’échec. La colère gronde et elle sera libératrice.

« Ils étaient chez eux, ils vivaient ici, ils y avaient leurs souvenirs, beaucoup y avaient des racines, et toutes et tous éprouvaient au fond d’eux _ et c’était un sentiment émouvant_ que c’était ce territoire qui allait leur enseigner ce que cela faisait de se battre pour une juste cause. »

Une saison de colère, c’est aussi un polar. Parallèlement au conflit se glisse une magouille de certains édiles avides du fric de l’industrie du tourisme qui vendent leur âme au diable et tout cela finira dans le sang et dans une investigation policière.

Mais Une saison de colère, c’est aussi une grande tranche réjouissante d’Americana, Sébastien Vidal déplaçant la Corrèze dans l’Amérique rurale de James Lee Burke ou Larry Brown qui l’inspirent depuis toujours, au son d’une Amérique ouvrière chantée par Bruce Springsteen.

Et enfin, Une saison de colère est une belle leçon d’humanité. Julius, son personnage (son clone littéraire ?) et d’autres tentent d’apaiser les brûlures, d’aider. Sébastien Vidal, souvent, tente de désamorcer toute cette noirceur. Par une utopie de convergences des luttes, par une description forestière ou un moment plus contemplatif, il tente d’enrayer les spirales de la violence et de la douleur et comme sa plume est belle, le lecteur suit ces petits enchantements, ces instants de solidarité. Des petits moments qui font toute la beauté du roman, qui l’éclairent.

« La solidarité, ce mot épuisé par tant d’usages, allait être mis en pratique. »

C’est un beau roman, c’est une triste histoire.

Clete.

L’ÉTENDARD SANGLANT EST LEVÉ de Benjamin Dierstein / Flammarion.

L’étendard sanglant est levé est le deuxième tome d’une trilogie racontant la cinquième république de 1978 à 1984. Du noir d’orfèvre, le plus pur depuis longtemps que l’on retrouvera une dernière fois en janvier prochain avec 14 juillet pour un épilogue que l’on imagine explosif. Dans l’entretien qu’il nous a accordé lundi, Benjamin Dierstein déclare avoir fait le maximum pour qu’on puisse aborder cet opus sans avoir lu la première partie, mais il considère aussi qu’il vaut mieux avoir lu Bleus, Blancs, Rouges avant d’entamer cette suite… Franchement comment pourrait-on se priver d’une histoire de très haut vol et particulièrement essentielle à la compréhension des faits et des gestes des quatre personnages principaux ?

Janvier 1980. Alors que la France s’enfonce dans la crise économique, les services de police sont déterminés à mettre un visage sur ceux qui importent le terrorisme révolutionnaire dans le pays.

Infiltré auprès d’Action directe, le brigadier Jean-Louis Gourvennec approche un marchand d’armes formé par les services libyens qui affole Beauvau et répond au surnom de Geronimo. Jacquie Lienard, son officier traitant aux RG, tout comme Marco Paolini, un jeune flic tourmenté de la BRI, sont prêts à tout pour localiser et identifier le trafiquant. Les deux inspecteurs concurrents vont rapidement faire face à Robert Vauthier, un mercenaire reconverti en proxénète qui enflamme les nuits de la jet-set parisienne et s’apprête à prendre le chemin du Tchad pour traquer Geronimo. La campagne présidentielle et le retour de Carlos sur le devant de la scène vont plonger ces quatre personnages dans un déchaînement de coups bas, de corruption et de violence dont personne ne sortira indemne.

Le deuxième tome d’une saga historique entre satire politique, roman noir et tragédie mondaine, dont les personnages secondaires ont pour nom Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Charles Pasqua, Tany Zampa, François de Grossouvre, Carlos ou Gaston Defferre.

Certains s’interrogeaient pour savoir si l’auteur aurait assez de souffle pour tenir les trois tomes, mais c’est le lecteur qui a rapidement le souffle coupé. Et il fallait s’y attendre vu que Benjamin Dierstein a tout écrit d’une traite avant d’en faire ensuite trois volumes au moment de l’édition. Aucune chute de tension. On s’en doutait, l’auteur a déjà à son actif une trilogie des années Sarkozy terminée par La cour des mirages et ça redémarre pied au plancher, après néanmoins un déstabilisant premier chapitre (un peu à la manière des Anglo-Saxons) qui nous expédie… au Congo en 1965. Après quelques pages pour atterrir, on retourne dans la France de 1980. Une autre France, paysage politique, traditions, styles de vie, mentalités, dangers intérieurs et extérieurs… tout est pointé, sans excès, mais avec une grande minutie pour une plus grande fidélité à l’histoire, se révélant parfois de l’ordre de l’intime pour certaines générations qui ont rêvé très fort un certain dimanche de mai 1981.

Et c’est un immense plaisir de retrouver les quatre personnages principaux qu’on a laissés avec quelques casseroles et qui vont s’empresser de replonger dans les eaux sales de la république. Tous veulent gagner mais ont beaucoup à perdre, plus proches du ravin que des cieux. Sur la lame du rasoir : Jacquie Lienard qui trempe à gauche, Paolini qui mouille à droite, Vauthier l’ex mercenaire aujourd’hui roi des nuits parisiennes qui s’impose dans le sang, et Gourv, « Il faut sauver le soldat Gourvennec ! », infiltré dans les réseaux d’extrême gauche. Ces quatre personnages vous attendent pour 900 pages de folie, traversant toutes les sales histoires intérieures et extérieures de la république, y laissant des plaies, payant de leur personne leur cupidité, leurs croyances, leur idéal, leur intérêt, leur folie, leurs erreurs… Des êtres de chair et de sang, parfois inhumains et si simplement humains finalement.

Comme dans Bleus, Blancs, Rouges, le rythme est halluciné, ne laissant aucun répit. Benjamin Dierstein, avec maestria, intègre la destinée de ses personnages dans le grand cercle des sales histoires de l’histoire de la fin du vingtième siècle. On corrompt, on tue, on élimine, on exfiltre, on possède, on prend, on vole, on se venge, on trahit, on renie.

« BLAM ! BLAM ! »

En empruntant au style de James Ellroy par cette utilisation de documents confidentiels comme les écoutes téléphoniques, les comptes rendus d’interrogatoires… Dierstein installe une proximité à l’histoire, complément intéressant à l’addiction créée par les destins des personnages. Tout en semblant jouer le témoin neutre, se « contentant » de raconter l’époque, il joue avec le lecteur en essayant de lui faire venir parfois une émotion qui déclenchera peut-être une larmichette. Il l’avait déjà tenté par le passé. Enfin, il finit de séduire avec un humour agréablement parsemé tout au long du roman aussi noir qu’inattendu comme ce duo de clowns grandiose ( Barril / Prouteau du GIGN ).

Aussi explosif que Bleus, Blancs, Rouges,  L’étendard sanglant est levé est encore plus furieux et explose dans de multiples directions que l’on n’attendait pas forcément, mais toujours avec un souci de présenter l’essentiel au lecteur parfois déboussolé dans ce marigot alimenté par les affaires françaises mais aussi par les irruptions étrangères, Paris étant devenu le terrain de jeu préféré des poseurs de bombes.

Remarquable !

Clete.

PS: entretien avec Benjamin Dierstein pour Bleus, Blancs, Rouges.

Entretien express avec Benjamin Dierstein pour L’ÉTENDARD SANGLANT EST LEVÉ.

On vous avait déjà proposé un entretien avec Benjamin Dierstein au moment de la sortie en janvier de Bleus, Blancs, Rouges le premier volume de la trilogie de l’auteur. Voici donc un petit complément à deux jours de la parution de la suite, « L’étendard sanglant est levé ». Juste un petit teasing pour vous remettre les idées en place avant d’entamer 900 pages furieuses racontant la France de 1980 à 1982.

Nous remercions Benjamin pour sa disponibilité, sa générosité et son souci de toujours rendre son œuvre accessible à tous. A Nyctalopes, on adore Benjamin Dierstein pour sa plume, son intelligence et pour sa personnalité passionnante.

Photo: Jean-Philippe Baltel / Flammarion

Benjamin, on t’avait rencontré en janvier au moment de la sortie de Bleus, blancs, rouges , comment se sont passés ces quelques mois de promotion, de rencontres avec les lecteurs ? Comment a été reçue cette première partie de la trilogie ? Comment vis-tu cette médiatisation ? Fait-elle juste partie du taf ou y trouves-tu des éléments de satisfaction ?

Oui, c’est toujours un plaisir d’aller à la rencontre de ses lecteurs, ça permet d’avoir des retours différents de ce qu’on peut avoir dans la presse. Les lecteurs peuvent être beaucoup plus critiques que les journalistes, parfois ils ne prennent pas de pincettes et peuvent vous dire qu’ils n’ont pas du tout aimé tel ou tel truc. C’est important de s’y confronter, ça permet de sortir de sa bulle de verre et de comprendre la réception réelle d’un roman sur le public.

Pour entrer dans le vif du sujet, penses-tu qu’un lecteur puisse attaquer directement « L’étendard sanglant est levé » sans avoir lu le premier tome ?

Je ne peux que conseiller de lire Bleus, Blancs, Rouges avant, puisque la trilogie n’était à la base qu’un seul et même roman. Les fils narratifs de L’étendard sanglant est levé sont donc directement dans la continuité de ceux de Bleus, Blancs, Rouges. Mais malgré ça, j’ai fait le maximum pour permettre une lecture autonome de L’étendard sanglant est levé, avec un prologue qui expose une intrigue résolue en fin de tome, et un maximum d’informations apportées en début de roman pour pallier à une éventuelle non connaissance de Bleus, Blancs, Rouges. L’étendard sanglant est levé peut donc se lire indépendamment.

Dans un petit mot que tu nous as glissé, tu écris que ce deuxième tome est « plus noir, plus politique aussi ». A quoi doit-on ce crescendo, le destin de tes personnages ? les événements de l’époque ou ta volonté de poursuivre un rythme infernal ?

Oui, c’est lié aux trajectoires des personnages, qui prennent une forme que j’ai l’habitude d’utiliser et qui est celle d’une descente aux enfers. Bleus, Blancs, Rouges était plus léger parce qu’il exposait les personnages et qu’il prenait le temps de permettre au lecteur de les découvrir avec toutes leurs qualités et leurs défauts. L’étendard sanglant est levé est plus sombre parce qu’ils arrivent à un moment du récit où ils commencent à en prendre plein la gueule. Le troisième tome sera plus noir encore parce que j’aime quand ça termine en feu d’artifice. Mais avec quand même, bien sûr, énormément de second degré et de dialogues potaches comme dans Bleus, Blancs, Rouges. Ca permet de faire passer la pilule plus facilement !

Dans « L’étendard sanglant est levé », tu écris un très beau chapitre quasi contemplatif sur le Finistère, la Bretagne. Les racines ont-elles une importance particulière pour toi ? Te sens-tu breton ?

Oui, je suis né à Lannion et j’adore ma région. L’époque que je décris dans la trilogie est notamment celle des événements de Plogoff, ça me paraissait donc nécessaire de placer une scène là-bas. J’en ai profité pour écrire une autre scène dans le Kreiz Breizh, quelque part au sud de Guingamp, où le personnage en question, après être passé à Plogoff, retourne voir ses parents et évoque avec eux la fin de l’agriculture paysanne et l’exode de la jeunesse qui transforme les campagnes bretonnes en déserts. Ces sujets liés aux territoires me tiennent particulièrement à cœur, parce que quand on y regarde de plus près, on voit que la République, à une époque, a tout fait pour étouffer les cultures locales et perpétuer les logiques de colonisation au sein même de l’Hexagone. Je parle aussi de tous ces sujets via le FLNC et les nombreuses scènes en Corse, qui deviennent le coeur du récit à la fin du roman.

Plogoff 1980 / Archives Ouest France.

J’ai entendu dire que les droits de « Bleus, Blancs, rouges » avaient été vendus, un projet télévisuel est-il lancé ?

Oui, on va rentrer dans la phase d’écriture là. Il va y avoir pas mal de boulot sur l’adaptation, dans l’idée d’en faire une série de 6 ou 8 épisodes. Il y a une très belle équipe dans la boucle, notamment côté mise en scène, mais je vais garder ces noms secrets pour l’instant !

Le troisième volume de ta trilogie sortira début 2026, as-tu déjà la date de parution, un titre à nous révéler ? Jusqu’où comptes-tu nous immerger dans cette France des années 80 ?

Le troisième tome s’appellera 14 Juillet et couvrira la période qui va de juillet 1982 à juillet 1984. On assistera entre autres à l’attentat de la rue des Rosiers, à la création de la cellule antiterroriste de l’Elysée, au débarquement du commissaire Broussard en Corse, aux événements du Liban, à l’arrivée du sida et aux batailles internes des socialistes à propos de la crise économique, qui aboutiront au choix d’inscrire pleinement la France dans la mondialisation, ce qui mènera de facto à l’abandon des classes populaires et au score historique du Front National en juin 1984. Le roman est prévu pour début janvier.

Entretien réalisé en septembre 2025 par échange de mails.

Allez EAG !

Clete.

TROIS ENTERREMENTS d’Anders Lustgarten / Actes Sud.

Three Burials

Traduction: Claro

Trois enterrements est le premier roman du dramaturge Anders Lustgareten dont la pièce Lanpedusa a été jouée dans quarante pays. Cette attention à la tragédie des migrants s’avère le principal moteur de ce roman.

« Comment Cherry, infirmière et mère de deux enfants, s’est-elle retrouvée en cavale au volant d’une décapotable rose, flanquée d’un policier menotté et du cadavre d’un réfugié assassiné ? Dans quelle quête pour la justice s’est-elle embarquée ? À ses trousses, un inspecteur de police raciste et enragé… Mais que peut bien faire d’autre une femme dotée d’une conscience dans l’Angleterre d’aujourd’hui ? »

Fan de « Thema et Louise », Cherry s’embarque dans une histoire totalement barrée, on l’aura compris à la quatrième couverture et vous le découvrirez très bien par vous-même. Disons seulement : Cherry ne s’est jamais remise du suicide de son fils et croit reconnaître ses traits, un matin d’ivresse, sur le visage d’un môme qui a traversé une partie de l’Afrique, survécu à l’enfer lybien pour traverser la Méditerranée et finir rejeté, mort, sur une plage de la Manche. Et c’est le début d’un gros bordel…

Etrange roman qui en surprendra plus d’un, racontant de manière très humaine, à hauteur d’homme, le drame des migrants qu’il habille d’un humour particulièrement noir, limite gênant parfois, de manière délibérée et totalement assumée. Se lisant très rapidement, Trois enterrements fait particulièrement bien le taf d’un Noir qu’on apprécie, franc, direct, garanti sans aucun filtre. Certes, ce roman n’est pas exempt de quelques faiblesses notamment dans ce désir d’épouser de trop nombreux thèmes qui tiennent à cœur au primo- romancier et Trois enterrements s’avèrera surtout maladroit en mettant en parallèle l’enfer des migrants et le mal être, le mal vivre des jeunes Anglais.

Néanmoins, le roman ouvre pas mal les yeux sur la tragédie vécue par ces gamins qui n’ont, de toute manière, rien à perdre… sauf la vie mais n’est-ce pas leur ordinaire depuis la naissance ? Eminemment politique, soulignant un côté sombre du Royaume Uni que confirme l’actu récente de la perfide Albion, Trois enterrements percute, atteint sa cible et peut être rangé à côté des romans de Joseph Incardona par exemple. On y retrouve cette rage contenue, cette colère froide devant le devenir de l’humanité, cette volonté de montrer les « invisibles » et un humour vachard particulièrement bien senti voilant un temps la tristesse, la peine. Lustgarten a choisi le combat, la lutte avec ses armes et peu importent les quelques imperfections, le message passe.

« Quand tout changement possible venant d’en haut est exclu, quand le pouvoir n’est que malveillance, que faire ? On se replie sur soi ? Ou on va chercher les autres et on se bat ? »

Clete.

LE MONDE EST FATIGUÉ de Joseph Incardona / Finitude.

« Êve est une sirène professionnelle qui nage dans les plus grands aquariums du monde. Mais personne n’imagine la femme brisée, fracassée, que cache sa queue en silicone. Quelqu’un lui a fait du mal, tellement de mal, et il faudra un jour rééquilibrer les comptes.
En attendant, de Genève à Tokyo, de Brisbane à Dubaï, elle sillonne la planète, icône glamour et artificielle d’un monde fatigué par le trop-plein des désirs. »

On suit Joseph Incardona depuis de nombreuses années maintenant et chacun de ses romans s’avère un régal. Grand défenseur des humbles, des bousillés, des oubliés du libéralisme cannibale, des victimes du système dont tout le monde se fout, le Suisse nous raconte des destins tragiques mais surtout la résistance de ces personnes qui affrontent le grand capital broyeur d’existences. « Homme à femmes » depuis quelques années, Joseph Incardona fait d’elles les héroïnes modernes qui ne lâchent rien dans l’adversité, de belles rebelles qui se lèvent, luttent seules pour un avenir meilleur. Dans les plus récentes parutions, on pourra citer les magnifiques Les corps solides de 2022 et Stella et l’Amérique de 2024, ses deux derniers romans. Le monde est fatigué est donc une nouvelle variante de « la lutte des classes » avec l’histoire d’une femme flinguée par la vie, la connerie, le fric roi. Mais ici, pas d’apitoiement, on a presque brisé Eve mais surtout on a fait de la jeune femme une guerrière que personne ne pourra arrêter dans sa quête.

« Parce que dans rêve, il y a Êve. »

Alors, les fans dont je suis, trouveront peut-être que le garçon tourne un peu en rond, que peut-être cette histoire comme les réflexions sur l’époque qui l’accompagnent ont déjà été écrites par le Suisse. « Ce n’était pas mieux avant. C’est pire maintenant. » Bien sûr, on a déjà senti la rage et la colère sous-jacentes chez le Suisse mais pourtant, il faut le reconnaître, on ne l’en lasse pas. Comment en vouloir à ce brillant avocat des filles, des femmes, des mères, ces victimes depuis l’aube des temps? … Les nouveaux lecteurs, eux, seront certainement impressionnés par la patte de l’auteur, le pouvoir émotionnel dégagé par ce roman.

On n’en dira pas plus faisant ainsi l’économie de certaines péripéties à l’image d’un auteur un tantinet paresseux parfois à nous dévoiler les détails du décor. La guerre d’Êve s’avère instantanément addictive et le final, démentiel, politiquement jouissif emporte tout, merci beaucoup Joseph Incardona !

Redoutez le chant des sirènes…

Clete.

PS: De Joseph Incardona également chez Nyctalopes:

STELLA ET L’ AMÉRIQUE, DERRIÈRE LES PANNEAUX IL Y A DES HOMMES, LES CORPS SOLIDES, LONELY BETTY, 220 Volts, CHALEUR, LA SOUSTRACTION DES POSSIBLES.

A LA TABLE DES LOUPS d’Adam Rapp / Seuil.

Wolf at the Table

Traduction: Sabine Porte

A la table des loups est le premier roman traduit en français de l’auteur américain Adam Rapp. Inconnu chez nous, Adam Rapp a écrit une trentaine de pièces de théâtre, autant de romans jeunesse, a réalisé trois longs métrages dont Blackbird, une adaptation d’une de ses pièces, a participé à de nombreuses séries comme l’écriture du pilote de Dexter: new blood. Il est aussi l’auteur de deux autres romans inédits en France.

« Lorsque les frère et sœurs Larkin quittent le nid familial, chacun poursuit un fragment du rêve américain. Myra est infirmière en prison tout en élevant son fils, Lexy incarne la bourgeoisie des banlieues chic, Fiona plonge dans la bohème new-yorkaise, et Alec, autrefois enfant de chœur, disparaît dans les méandres de l’Amérique profonde. Si leurs existences sont radicalement différentes, une constante semble les rapprocher : la violence la plus sauvage rôde autour d’eux et, à leur insu, la mort les frôle à plusieurs reprises. Puis leur mère commence à recevoir d’inquiétantes cartes postales, dont elle choisit d’ignorer le message.« 

A la table des loups est la saga d’une famille de l’état de New-York, très loin de la folie de la ville, dans l’arrière pays. A priori, rien ne distingue ce roman de toutes ces histoires américaines où les protagonistes courent derrière un supposé rêve américain. Une mère très bigotte, un père souffrant d’un syndrome post-traumatique de la seconde guerre mondiale et leurs cinq enfants dont le dernier mourra très rapidement. Démarré à Elmira en 1951, le roman s’achèvera à Los Angeles en 2010, c’est donc à une long périple dans l’histoire américaine que nous convie Adam Rapp. Racontant le destin de trois des filles, leurs joies et peines, A la table des loups insuffle aussi autre chose de bien plus effroyable, une violence quasiment invisible mais néanmoins très perceptible, créant dès la première page un malaise qui ne nous quittera jamais.

Vers la moitié du roman, alors qu’on a surtout suivi le parcours de Myra Lee (on comprendra à la fin pourquoi) le drame, l’horreur qu’on pressentait se matérialise, explose à la tête de l’ainée de la famille et d’Ava sa mère. Alec, le fils dont on avait perdu la trace à 19 ans quand ses parents l’avaient viré de chez eux, pour avoir volé l’argent de la quête, donne de ses nouvelles… Le contenu des cartes postales, sibyllin d’apparence, envoyées depuis différents coins paumés, ne souffre pourtant d’aucune contestation et révèle au grand jour l’horreur pressentie depuis le début, depuis la première scène où le cauchemar restait tapi derrière un tableau d’apparence enchanteur.

Comment réagir quand le mal touche votre famille ? Que faire quand l’horreur vous ébranle, vous faire perdre toutes vos convictions, vos croyances?

 » Mais son Dieu a toujours été un Dieu de vengeance. Il a ôté la raison à son mari, il lui a ôté la santé et une grande part de son bonheur. Il lui a même ôté son petit frère alors qu’il était encore bébé. il s’est montré impitoyable. Pourquoi en irait-il autrement aujourd’hui? »

Animé d’une réelle force narrative, suggérant l’indicible sans jamais le montrer, offrant parfois quelques clés très troublantes au détour d’une page A la table des loups est un roman redoutable, triste à fendre le cœur parfois, développant les mécanismes d’une omerta familiale, laissant un trace indélébile et interrogeant sur les désordres de la psyché, sur les maladies mentales. A la croisée de certaines œuvres de Joyce Carol Oates et de Lionel Shriver A la table des loups s’avère terriblement noir, triste mais immanquable pour la finesse de son écriture et pour la réflexion sur nos choix qu’il propose, qu’il impose. L’étoffe des grands romans noirs.

Clete

LES DEUX SŒURS de Cathy Bonidan / La Martinière

Nyctalopes suit Cathy Bonidan depuis ses débuts avec Le parfum de l’hellébore (un premier roman récompensé par onze prix littéraires) et a chroniqué ses romans quand ils abordaient la noirceur que nous chérissons ici. Victor Kessler n’a pas tout dit, sorti en 2020 en pleine pandémie, fut l’occasion de constater qu’on avait eu méchamment tort de cantonner la dame dans le « feel good ». Elle n’y a jamais évolué si on sait bien lire ses romans, y compris les plus légers comme Chambre 128 où derrière une certaine fantaisie se lisaient des situations difficiles. Traduit dans neuf pays ce roman a connu une belle carrière américaine, toujours présent en anglais mais aussi en français dans les bibliothèques publiques des plus grandes villes comme New York. « Nul n’est prophète en son pays« , semblait dire ce beau succès à l’étranger.

« Depuis son plus jeune âge, Barbara prend soin de sa sœur Edwige, dont l’enfance traumatisée ne cesse de la poursuivre – au point de mettre de côté sa propre vie. Jusqu’au jour où les deux sœurs quittent leur Normandie natale pour le petit village de Sainte-Colombe, dans les Hautes-Alpes.
Au creux des montagnes, elles prennent un nouveau départ : Edwige est accueillie à bras ouverts, se passionne pour l’écriture et, bientôt, son état psychologique se stabilise. Barbara, quant à elle, tisse de nouvelles amitiés. Soutenues par leur tante et la petite communauté, les deux sœurs tentent de se reconstruire. Mais le passé d’Edwige n’a pas fini de se rappeler à elles. Barbara, tiraillée entre le besoin de protéger sa sœur et son propre désir d’indépendance, doit faire face à des choix difficiles. »

Il est évident que si je n’avais pas déjà lu l’auteure qui nous avait accordé un entretien en 2020, jamais je n’aurais choisi cette histoire qui ne nous concernait pas vraiment. Alors cette quatrième n’est pas fausse, elle est juste indigemment incomplète. Lacunaire pour ne pas effrayer un nouveau lectorat séduit par l’intrigue plus légère de son dernier opus Où la vie nous conduira ? Or, l’auteur confirmée qui écrit maintenant depuis le golfe du Morbihan, tout comme la gamine de Sarcelles qui s’inventait des histoires puis l’instit de banlieue qui écrivait en secret avant l’école, aime changer de monde comme de genre à chaque nouveau roman, cultive son indépendance. Pas de formatage. Juste le plaisir d’écrire et l’envie de raconter des histoires humaines qui la mènent là où les personnages la portent.

Si, bien sûr, les liens entre Barbara et Edwige sont au coeur, Les deux sœurs est avant et tout simplement un putain de polar et il n’y a aucune honte à ça, enfin pas chez nous toujours. Deux histoires criminelles autour des deux sœurs s’y côtoient. L’une est un meurtre et tout accuse Edwige, jeune femme traumatisée dans l’enfance et qui n’a plus eu envie de grandir. L’autre affaire, assez glauque, se situe dans le passé des deux jeunes femmes à Rouen et évoque un aspect de la criminalité particulièrement vicieux et rarement traité dans la littérature policière. Comme à l’accoutumée, la violence est cachée mais la peine, la douleur, la souffrance sont contées avec délicatesse, respect.

En situant son intrigue principale dans un village perdu des Hautes-Alpes, Cathy Bonidan rend à nouveau un chaleureux hommage à cette France qu’on ne voit plus, ces villages semblant assoupis mais qui maintiennent des espaces de solidarité et de bonté. Parfois, par contre on y emporte les secrets dans la tombe. Chez Cathy Bonidan, on croise toujours ces bonnes personnes, souvent âgées dont l’humanité peut faire fondre. Tendre la main, offrir un sourire ou un toit, prendre soin. Roman de la ruralité certainement, Les deux sœurs est de plus traversé, éclairé, par le plus beau personnage créé par Cathy Bonidan à ce jour: La Bessonne, petite vieille, burinée par le temps qui voit tout et qui sait tout, fausse méchante et vraie malheureuse.

« Survivre, on croit que c’est le bonheur. Pour un peu, on allumerait un cierge et on danserait la gigue sur la tombe de ceux qu’ont pas eu cette chance. Ben non! Quand on est la dernière, on porte tous les péchés des morts ».

Bien rythmé, le roman développe une intrigue maline avec de nombreux faux-semblants et fausses pistes. Les deux sœurs permet également à Cathy Bonidan, témoin de son temps, d’enrichir et de développer les thèmes toujours présents dans son oeuvre : l’enfance maltraitée, le don de soi jusqu’au sacrifice d’une vie, les liens familiaux, la vieillesse, la solitude et tous ces gens qui anonymement aident, font du bien…

Cathy Bonidan s’est vêtue de noir et cela lui va très bien. Une sale histoire et un beau roman. Classe !

Clete

IL ETAIT UNE FOIS DANS LES AMÉRIQUES de David Grann / Editions du Sous-Sol

David Grann est journaliste et travaille depuis 2003 pour le magnifique et précieux magazine The New Yorker qu’il alimente d’enquêtes, d’histoires, de destinées qu’on a du mal à croire réelles tant elles défient parfois l’entendement.

Ce recueil regroupe deux nouvelles sorties dans The New Yorker il y a une dizaine d’années et éditées en France par les éditions Allia et une histoire beaucoup plus dense qui fait les trois-quarts du livre et éditée par Robert Laffont. L’ouvrage est titré Il était une fois dans les Amériques parce qu’aucune ne se déroule aux USA. Cuba, le Guatemala et l’Amazonie sont le décor de ces aventures complètement folles.

On vous a déjà parlé de David Grann auteur du fantastique Les naufragés du Wager en cours d’adaptation par Martin Scorsese himself avec Di Caprio dans le rôle principal. Le dernier film du réalisateur était lui-aussi une adaptation d’un excellente enquête de David Grann La note américaine devenu Killers of the Flower Moon interpété notamment par Di Caprio encore et Robert De Niro. Mais Scorsese n’est pas le seul grand cinéaste à avoir été séduit par le travail de Grann comme vous pourrez le constater plus loin.

Chronique d’un meurtre annoncé

« Lorsqu’en 2008, mandaté par l’ONU, le juge Castresana atterrit au Guatemala et s’empare de l’affaire du meurtre de Rodrigo Rosenberg, avocat guatémaltèque estimé, il ne sait pas qu’il s’apprête à ouvrir une véritable boîte de Pandore. » Le Guatemala, pays parmi les plus dangereux du nouveau millénaire, est le théâtre d’un meurtre, un de plus finalement dont on ne découvrira jamais les vrais commanditaires… Mais l’ONU mandate un spécialiste des affaires délicates en milieu hostile, qui va enquêter dans l’adversité et sera lui-même surpris, effrayé par ce qu’il découvrira.
« Une fois résolu le mystère de l’assassinat de Rosenberg, c’est la panique et non le soulagement, qui a submergé castresana. Il trouvait l’histoire si incroyable – c’était sans doute l’épisode le plus bizarre dans les annales des complots politiques – que tout le monde, pensait-il, l’accuserait d’avoir créé une fiction mensongère, comme il y en avait eu tant d’autres, afin de protéger le gouvernement. »

Yankee Comandante

Cette novella datée de 2012 raconte l’histoire extraordinaire de William Alexander Morgan, Américain ayant épousé la cause de Fidel Castro et s’étant battu pour libérer Cuba du tyran Batista. Le leader cubain le fera fusiller en 1961…

« Le Comandante yankee, c’est William Alexander Morgan, figure héroïque de la révolution cubaine pour les uns, traître national pour les autres. Cet homme intègre n’aura eu qu’un mot à la bouche : Liberté. Mais aussi : Vengeance. En 1957, il se joint aux forces rebelles menées par Fidel Castro pour libérer Cuba du dictateur Batista. Son mobile : venger la mort de l’un de ses amis, torturé et jeté aux requins pour avoir fourni des armes aux rebelles. Ce renversement politique permet l’accession au pouvoir de Fidel Castro, le même qui ordonnera qu’on le fusille, le 11 mars 1961. Salué pour sa bravoure, Morgan avait obtenu le plus haut grade, celui de commandant, à l’égal de l’autre figure étrangère de cette rébellion, l’Argentin Che Guevara. Cependant, cet Américain proche de Castro éveille bientôt des soupçons… » Révolutionnaire ou agent double ? Quelles étaient ses réelles motivations ?

La cité perdue de Z

« Considéré comme le dernier des grands explorateurs victoriens, Percy Harrison Fawcett était de ceux qui s’aventuraient dans des contrées inconnues avec pour seules armes une machette, une boussole et une ferveur quasi mystique.
Ce colonel passionné d’aventures avait déjà acquis de son vivant l’étoffe d’un héros : ses expéditions légendaires, suivies par une presse avide d’exploits, fascinaient le monde entier.
Lorsqu’il engage en 1925 une expédition au cœur de l’Amazonie, Fawcett a la certitude qu’elle renferme un fabuleux royaume, une civilisation raffinée dotée d’une architecture monumentale. Accompagné de son fils Jack et de son ami d’enfance Raleigh, le colonel s’enfonce dans la forêt. Mais bientôt, l’expédition ne donne plus aucun signe de vie, laissant en suspens le mystère de la cité perdue. »

Sorti aux USA en 2009 et l’année suivante chez Robert Laffont cet ouvrage raconte le destin tragique du cartographe Percy Fawcett disparu en 1925 avec son fils lors d’une expédition pour découvrir une cité perdue au plus profond de l’Amazonie, synonyme d’une civilisation avancée. L’Aventure humaine avec une majuscule transpire de ces pages un peu comme dans l’histoire du Wager. La disparition de Fawcett a entraîné une dizaine d’expéditions au cours du XXème siècle. Une fois de plus la crème du cinéma américain s’est emparé de l’oeuvre de Grann et c’est James Gray, très attachant réalisateur, qui a tourné l’histoire en 2016. Même si vous avez vu le fim, la lecture de cet opus vous réserve de belles surprises car le long métrage ne rend pas compte de l’obsession de Grann qui, en cours d’écriture, se demande s’il n’est pas lui aussi gravement contaminé par la quête de cette cité. Une fois de plus, Grann a effectué un travail d’orfèvre accédant aux sources les plus intimes de la vie de l’explorateur.
« Mes fouilles dans la vie de Fawcett m’ont amené à puiser largement dans ces documents inédits: journaux intimes, carnets de route, lettres de sa femme et de ses enfants, courriers de ses compagnons les plus proches, mais aussi de ses concurrents les plus âpres. »

Nombreux sont les journalistes qui se lancent dans la « non fiction » mais aucun n’atteint la perfection, la maîtrise du récit, la précision d’un David Grann conteur hors pair. Si vous aimez les destins extraordinaires d’hommes habités par une passion dévastatrice qui les mènera à leur perte, si vous aimez quand la réalité est tellement plus forte, plus belle que n’importe quelle fiction, quand l’écriture vous emporte au plus profond de la noirceur, Il était une fois dans les Amériques vous séduira, vous enchantera, vous comblera bien au-delà de vos espérances.

Clete

L’HOMME QUI AIMAIT LES LIVRES de Patrick DeWitt / Actes Sud.

The Librarianist

Traduction: Emmanuelle et Philippe Aronson

Il est des romans qu’on lit, qu’on apprécie vraiment mais qu’on laisse de côté parce qu’ils ne semblent pas être tout à fait de la délicieuse noirceur qu’on privilégie ici. Et puis au moment où on va baisser le rideau pour l’été, on s’aperçoit que ces romans qui prennent des traverses frôlent peu ou prou les univers aimés, on se dit que si on a été profondément touché par l’histoire, le propos ou les deux, certains, on le souhaite, y trouveront aussi leur bonheur. Ainsi, nous exhumons de nos archives quatre romans de cette année qui, loin d’être des seconds couteaux, s’avèrent être de dangereuses lames à l’écriture brillante et parfois inoubliable.

Ma première entrée dans l’univers de Patrick DeWitt s’est produite avec son deuxième roman Les Frères Sisters, un western qui sera adapté à l’écran par Jacques Audiard dans un film éponyme. Tout en appréciant la verve, la folie, certaines trouvailles de DeWitt, force est de dire que, hélas, l’histoire à succès de ces deux grands bourrins dangereux ne m’a pas particulièrement ému et ne m’a point donné une quelconque envie d’y retourner. Une impression coupable de ne pas avoir vu la richesse que tout le monde vantait et admirait.

Oui mais voilà, avec le temps, les goûts peuvent changer. Certains détails indécelables, improbables peuvent vous troubler… Peut-être une allusion, s’avérant finalement très, très fausse à l’univers de Wes Anderson dans un canard bien-pensant, gardien du bon goût littéraire. Non, plus sérieusement une dédicace sur la première page à la mémoire de David Berman, leader de Silver Jews et de Purple Mountains qui a décidé de nous quitter en 2019. Brother Jo vous a déjà présenté ce perdant magnifique en chroniquant Au nom du pire de Pascal Bertin qui lui était consacré aux éditions du Gospel.

« L’existence de Bob Comet, bibliothécaire à la retraite, s’écoule tel un long fleuve tranquille : il n’a pas d’amis, son téléphone ne sonne jamais, et si quelqu’un frappe à sa porte c’est pour lui vendre quelque chose. Depuis longtemps, Bob a abandonné l’idée de connaître son prochain, ou de s’en faire connaître, et sa seule façon d’être au monde est la lecture. Lors d’une de ses longues promenades, Bob croise la route d’une vieille femme égarée et la raccompagne à la maison de retraite. C’est là qu’il tombe sur un appel à bénévoles. L’opportunité pour lui de faire découvrir ses romans préférés aux résidents, mais aussi, de manière tout à fait inattendue, l’occasion de se réconcilier avec son passé et, peut-être, d’affronter la nostalgie féroce d’un amour perdu…« 

Dès le départ, on sent le grand écart entre un nom Bob Comet qui évoque un héros survolté de Comics et la réalité de ce bibliothécaire en retraite qui veut donner un peu de sa vie, de son temps à faire encore connaître les trésors de la littérature. Une toute petite maison de retraite comme théâtre des opérations, on se dit que le bouquin, qui ne démarre pas pied au plancher mais de manière très touchante, a peu de risques de nous affoler. Et pourtant, le roman, entre émotion et sourires, captive rapidement, enchante par son humour, sa finesse, sa tendresse et laisse des impressions, des sentiments très troubles. On oscille souvent entre peine et ravissement comme dans le cinéma de Chaplin. Bob Comet par son innocence, sa gentillesse, émeut. La vacuité d’une existence, les rendez-vous ratés, les trahisons, les abandons, son désir d’aider de manière modeste les plus démunis est émouvante. C’est vrai que l’on ne prend plus le temps de rencontrer des types comme Bob Comet mais des mecs gentils, ça existe. Sont juste invisibles dans le monde nombriliste des réseaux sociaux. Nous sommes en 2005, Bob Comet a soixante-douze ans et on se surprend à se passionner pour sa vie sans charme, sans éclats, sans couleurs ni saveur quand DeWitt, perfidement, nous ébranle par une étonnante révélation avant de clore sèchement sur cette époque et nous propulser dans le passé.

En 1959 Bob va connaître l’amour d’une vie et découvrir une amitié qu’il espère aussi éternelle… Las, bien sûr, Bob Comet est l’éternel perdant, le malchanceux pathétique, l’éternel second. DeWitt, dans une nouvelle pirouette, nous invite aux quatre jours de fugue de Bob en 1945 quand il part à la recherche d’une quelconque affection qu’il n’a jamais trouvée auprès de sa mère. L’épilogue nous ramènera en 2006 pour assister à une conclusion un peu chagrinante.

On s’étonnera un peu du titre français car le roman traite finalement très peu des livres. Le titre original, The Libriarist, habillait beaucoup plus habilement le personnage, donnait des impressions sur l’existence du héros. Alors, on a du mal à imaginer un bibliothécaire en parfait aventurier, et on a bien tort bien sûr… Là, je fais gaffe car je suis en train, mine de rien, de niquer deux amitiés de longue date, ayant survécu pourtant à d’autres tempêtes… Bref, on se trompe souvent en ne représentant pas assez les bibliothécaires en guerriers aux multiples combats, missions et quêtes. Dans l’imaginaire populaire, un bibliothécaire mène une vie aussi rangée que les livres qu’il dépose dans les rayonnages et Bob en est le parfait exemple.

Lire était une chose vivante, toujours en mouvement, qui lui échappait, qui grandissait et qui, il le savait, ne prendrait jamais fin.”

Souvent drôle, touchant, L’homme qui aimait les livres est un grand roman. Chaleureux comme sait l’être Richard Russo, Patrick Dewitt en racontant une histoire ordinaire, crée un roman extraordinaire. Bonne route Bob Comet !

Clete.

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