Chroniques noires et partisanes

Catégorie : Marie-Laure (Page 2 of 7)

CINQ CARTES BRÛLÉES de Sophie Loubière / Fleuve noir.

La vie de Laurence est une longue suite de frustrations et de solitude. Elle naît et vit à St Flour et travaille à Chaudes-Aigues petite ville du Cantal dans un environnement assez austère. L’arrivée de cet enfant dans le foyer chamboule tout : son frère a du mal à accepter cette petite sœur qui prend sa place, et le couple de parents vole en éclat quelques années plus tard. Pour Laurence il s’agit là du grand malheur de sa vie, elle qui aimait son père d’un amour absolu, ne pourra plus le voir, partager sa vie. Elle se retrouve alors dans une solitude immense, entre une mère aigrie et un grand frère tyrannique. Elle sombre petit à petit, se réfugie dans la nourriture qui lui permet de se constituer une enveloppe qui la coupe certes du monde, mais la protège également.

C’est l’histoire d’une souffrance qui se transforme en folie. On sait, dès les premières pages que cela ne peut que tourner au drame, mais sous quelle forme, quel chemin va être suivi petit à petit pour en arriver là ? 

« Laurence Graissac était, depuis le premier jour de sa naissance, une bombe à retardement »

Son frère l’écrase, sa mère la rend responsable de ses propres malheurs, et au milieu Laurence doit avancer tant bien que mal. Elle voudrait s’échapper de ce monde, de cette famille, vivre sa vie sans aucune dépendance, en totale liberté. Mais en est-elle capable, peut-elle réellement couper les ponts et ne plus se préoccuper de sa mère et surtout de son frère, qui reste son pilier, son appui malgré les quolibets dont il l’afflige?

Sophie Loubière nous offre une illustration de ce que des traumatismes subis dans l’enfance génèrent dans une famille et dans une vie d’adulte. La manipulation est présente tout du long du roman, mais on en vient à se poser cette question : qui manipule qui, qui sous justificatif de sa douleur insuffle encore plus de souffrance aux autres ?

 « Pour les autres, l’important, c’est ce qu’ils font de nous, pas ce que nous sommes. » 

L’atmosphère du roman est très sombre, à l’image de ce coin du Cantal pendant l’hiver : rude, âpre, mordant. La solitude en est le fil conducteur, on peut l’apprécier, la chercher mais elle devient parfois lourde à porter et il faut une grande force pour l’apprivoiser et que ce ne soit pas elle, qui au bout du compte, emporte tout et nous écrase. 

Marie-Laure.



LA FUREUR DE LA RUE de Thomas H. Cook / Le seuil.

Streets of fire

Traduction: Philippe Loubat-Delranc.

1963. Ville de Birmingham, Alabama. Le corps d’une petite fille noire est retrouvé, violée et assassinée. Le sergent Ben Wellman est chargé de l’enquête.

Le contexte, pendant ce printemps-été 1963 n’est pas simple, historiquement il est appelé « la campagne de Birmingham ». Il s’agit de manifestations organisées par l’association américaine pour les droits civiques. Le but étant de réveiller l’opinion publique et mettre fin à la ségrégation. Le mouvement fut mené, entre autres, par Martin Luther King que nous croisons dans ce roman.

Ben Wellman doit enquêter tout en surveillant les discours de Martin Luther King. La situation est tendue. Les responsables de la police et de la mairie souhaite que l’enquête aille jusqu’à son terme, que Ben Wellman ne considère pas ce meurtre comme un de plus au sein de la communauté noire. Mais tel n’était pas son intention. La difficulté, c’est de se faire accepter dans ce travail par ses collègues qui ont un profond dédain, une haine pour les afro américains. Nous sommes en Alabama, état le plus ségrégationniste des Etats-Unis. Et il faut également se faire accepter dans la communauté. Les habitants de ce quartier ne voient pas d’un très bon œil un policier blanc venir les interroger, pour eux, c’est une figure de l’autorité répressive qui se fiche pas mal de trouver le vrai coupable. 

La situation est explosive. La ville est parcourue tous les jours de manifestations pacifiques mais violemment réprimées, à coups de canons à eau, avec des arrestations en masse. 

Thomas H Cook tisse finement une toile entre son histoire policière et l’Histoire de cette époque. Chaque évènement est lié, chaque personnage, réel ou fictif apporte une lumière à cette période difficile mais ô combien importante pour la cause des noirs aux Etats-Unis. On vit l’agitation au travers des yeux de ce flic qui comprend que le monde est en train de changer, et il souhaite participer à ce mouvement à sa façon, rajouter sa pierre à l’édifice. Il ne se démonte jamais, avançant pas à pas, avec comme point de mire, trouver l’assassin de cette petite fille au même titre que si elle avait été blanche et rendre leur dignité humaine à tous ces laissés pour compte.

Roman qui reste présent dans votre tête, longtemps après avoir lu la dernière page.

Marie-Laure.


L’ ANNÉE NYCTALOPES 2019 de Marie-Laure.

Je me livre cette année encore à l’exercice d’établir un top de mes lectures chroniquées sur l’année 2019 et seulement celles-ci. 

Des déceptions, des découvertes, des confirmations. Ces lectures m’ont permis de découvrir des histoires, des auteurs et donc de me faire grandir, d’évoluer, et de me rendre compte que finalement, je devenais plus exigeante dans mes lectures !!

Sans ordre de préférence mais des livres qui m’ont marquée, dérangée, fait réfléchir, aimés quoi !!

Broyé de Cédric Cham

De la noirceur, de la souffrance, on peine à reprendre son souffle, mais que c’est bon !

Les patriotes de Sana Krasikov 

Les relations américano-russes sur trois générations, des années de la grande dépression à nos jours, on parcourt le XXème siècle au travers des yeux d’une jeune américaine qui a cru dans le rêve socialiste et s’y est plongé avec toute la naïveté de la jeunesse.

Zippo de Valentine Imhof 

Lecture très rock, très sombre, sans retour en arrière. 

Grise Fiord de Gilles Stassart 

Un voyage poétique au pays des Inuits. Une seule exigence, se laisser guider sur cette terre froide et hostile et vous en découvrirez la beauté.

L’étoile du Nord de DB John 

Une plongée dans l’état nord-coréen qui fait froid dans le dos !

Requiem pour une république de Thomas Cantaloube 

Une histoire de gangsters à l’ancienne sous fond de fin du colonialisme en France et des prémices de la guerre d’Algérie. Contexte historique réel avec des personnages de petites frappes, de politiciens véreux, et de flics naïfs.

Le pays des oubliés de Mickael Farris Smith

Une description de la souffrance, d’un gars qui s’est laissé porter par les événements, a subi sa vie et n’a même pas conscience que le rêve américain peut exister pour quelques privilégiés.

L’aigle des tourbières de Gérard Coquet.

Un roman avec des femmes fortes, pleines d’honneur, qui redressent la tête et avancent malgré tout. Une histoire sombre mais avec un humour décapant !

Marie-Laure.


LES ROSES DE LA NUIT d’Arnaldur Indridason / Métailié Noir.

Traduction: Eric Boury.

Une jeune femme est retrouvée morte sur la tombe du héros de l’indépendance islandaise. Rien de mieux pour Erlendur pour aiguiser son esprit et se plonger dans l’histoire de son pays. L’enquête est une fois de plus un prétexte pour dévoiler les fractures de la société.

Nous traversons au cours des recherches, l’Islande, pour rejoindre les fjords de l’Ouest. Ce voyage est l’occasion de voir se confronter deux générations : celle d’Erlendur et celle de Sigurdur Oli. L’ancienne est nostalgique d’une époque où l’histoire avait son importance, on s’intéressait à l’héritage de la nation, la langue islandaise était préservée. A contrario, la nouvelle est plus pressée, elle préfère vivre dans les villes et s’abreuve de culture américaine au détriment de la culture islandaise quelle qu’elle soit.

Le livre a été écrit en 1998, période pendant laquelle l’Islande était en pleine récession économique. La pêche et la transformation du poisson étaient une des économies principales du pays. Dans les années 80, la surpêche a obligé le gouvernement à instaurer des quotas au pêcheur, ceux-ci étant définis par bateau. Ces quotas pouvaient être transférés, loués, vendus ou transmis à ses héritiers. La crise s’enfonçait, les pêcheurs en étaient réduits à vendre leur quota pour éviter la faillite. Des villages entiers furent ruinés. Certains ont réussi à vendre à bon prix, permettant ainsi la concentration de l’activité entre quelques mains, qui pour certaines n’avaient rien à voir avec le milieu de la pêche. Les villageois, sans travail, fuirent vers Reykjavik, espérant trouver un second souffle. 

Mais pour beaucoup, l’adaptation dans cette grande ville n’a pas été simple. Indridason nous plonge dans les bas-fonds de la capitale, au milieu des exclus qui survivent comme ils peuvent : vols, drogue, prostitution… La description qui en est faite est saisissante de réalité et de noirceur.

Pour les amateurs purs d’Erlendur, on retrouve bien sûr dans ce roman les traits caractéristiques du personnage bougon, sanguin parfois, solitaire. Ses relations familiales sont plus approfondies : le cheminement au travers des quartiers pauvres se fait avec l’aide de ses enfants, notamment de sa fille, pour qui, il s’inquiète et culpabilise tout du long.

Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce livre, la confrontation entre les deux générations, la description qui est faite des conséquences de la mondialisation au sein d’un territoire vaste, beau mais ô combien difficile à vivre pour ces jeunes qui ont la tête pleine de rêves. Pour les amateurs de Indridason mais pas que !

Marie Laure.


ENTRETIEN JACQUES-OLIVIER BOSCO pour « Laisse le monde tomber ».

Merci à JOB de m’avoir accordé un peu de son temps pour répondre à mes questions, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a joué le jeu !!

Vos livres se lisent souvent comme on regarde un bon film, avec des découpages, une chronologie très photographique, c’est voulu, ou c’est naturel et lié davantage à votre culture cinématographique ?

C’est vrai, j’emprunte beaucoup au cinéma, et particulièrement sur cet ouvrage dont l’envie était de se rapprocher autant des romans noirs des années cinquante à soixante-dix, que des films noirs de la même époque jusqu’à aujourd’hui, entre « Tchao pantin » et « Rue Barbare » jusqu’à « Rambo ». En fait, j’essaie de mélanger la langue et le visuel mais, comme tu l’as remarqué ; cinématographique. L’émotion de la prose et l’envie de faire vivre et voir la scène. C’est évidemment culturel, beaucoup de bande-dessinées en premières lectures et génération cinéma de quartier mais surtout télévision ; « Les dossiers de l’écran » (imaginez, « L’armée des ombres » diffusée sur le poste en noir et blanc dans le calme spectral du salon éteint avec, flottant devant l’écran, la volute de cigarette de mon père). Oui, culturel, intime et générationnel. On peut même dire aujourd’hui qu’une grande majorité d’auteurs de « polars » utilise cette écriture « cinématographique » qui devient un style en soi, tout en pouvant symboliser quelque chose de péjoratif et presque vexant pour les vrais amoureux de ce mélange des genres, lorsqu’à propos d’un bouquin, des chroniqueurs parlent d’une écriture très visuelle, à défaut de ! C’est pour cela que j’insiste sur le côté cinématographique où, dans ce cas, l’auteur s’attache à créer une lumière, une atmosphère sonore et même sensorielle et pour cela, il y a travail d’écriture. Pour ma part, je l’avoue, je joue (d’où l’apport culturel) sur les réminiscences – les clichés – liées à des séquences de film. Lorsque, par exemple, je veux parler d’un coin d’immeubles de cité en pleine nuit, je vais me fier à mes souvenirs et ressentis personnels (parce qu’évidemment j’ai vécu dans ce genre de cités), mais aussi, pour mieux décrire ce ressenti, à un univers du type « Sleepy Hollow », ou « Le loup garou de Londres », ou bien à « Alien » pour les passages dans les caves. Quant à « Rambo », que j’ai déjà cité, la référence est assez claire dans la dernière partie du livre.


Vous situez votre roman « Laisse le monde tomber », et ce n’est pas la première fois, dans une banlieue difficile. Au vue du contexte actuel vous n’avez pas peur d’accentuer ou de donner du crédit à certains discours ?

La banlieue c’est le sujet du roman, non parce que je voulais faire un livre sur les cités ou leurs habitants mais parce que je voulais faire un vrai roman noir. Et par tradition, la ville, ici la banlieue, est une des matières premières. J’ai été baigné de romans noirs américains mais aussi français des dernières décennies et je rêvais d’écrire quelque chose dans cette atmosphère particulière où la violence ne vient pas seulement des individus mais aussi de l’univers dans lequel ils vivent et respirent (une des autres caractéristiques de ces romans noirs est liée à la violence). Il y a bien sûr des raisons plus intimes, puisque comme tu le remarques ce n’est pas la première fois, et je tentais d’introduire cet élément au premier plan depuis assez longtemps. C’est un exercice très difficile, parce que les romans sur la banlieue font tout de suite penser à des racailles, des flics brutaux et des populations bigarrées, un univers trop connu et exaspérant pour nombre d’entre nous qui vivons non loin, pouvant donner un côté rebutant à l’envie de lire ce genre d’histoire, mais (j’espère rassurer les éventuels lecteurs) je ne voulais surtout pas aller sur ce terrain. Mon terrain, c’était de faire un polar urbain et gothique principalement axé sur les personnages. Pour mon histoire, la banlieue, plus exactement ces grandes cités en déliquescence, cela devait être un paysage, un environnement angoissant et violent, déprimant et inhumain, cela devait être ce que l’imaginaire d’un enfant suggère lorsque le train longe ces grandes tours et barres aux murs gris où, chacun doit le reconnaître, l’on n’a pas envie de se retrouver. De vivre. Cela devait être ce que c’est vraiment pour un être humain normalement constitué, qu’il soit blanc, noir, flic ou dealer. Le difficile était de ne pas stigmatiser (sans m’en rendre compte), et, aussi, de ne pas prendre parti pour les uns ou pour les autres. Le fait de choisir de jeunes policiers, mais de jeunes policiers imbibés de cette banlieue et tellement rongés par leur propre situation, en tant qu’institution et en tant que personne ayant traversé des orages, de les prendre comme reflet de cet univers permettait d’avoir un œil désabusé et cru, mais honnête, et je l’espère, empreint d’une vérité, sinon, de leur propre vérité. Pour finir sur ce sujet, s’il y a un message sur les banlieues dans ce roman, il est édicté par les quelques pensées des personnages ; à la fois univers sauvage (d’injustice, de violence haineuse et gratuite, de bêtise criminelle) et vivifiant, empli de jeunesse, d’espoir, de colère et de rage, du combat des institutions (d’hommes et de femmes), mais aussi, comme à la nuit tombée – d’où la métaphore avec la Bête des mondes gothiques -, une entité qui peut vous dévorer et vous briser, que vous y soyez né, ou que l’on vous y ait envoyé pour « protéger et servir ».

Pas de gentils, pas de méchants Mais des personnages qui ont tous des failles, même les plus horribles voient leurs crimes plus ou moins justifiés, le mal en soi n’existe pas ?

Il s’agit là aussi d’une règle du polar et du roman noir, ne pas être manichéen. En vérité, le monde d’aujourd’hui tourne si vite, et d’après, au bout d’un moment, mon expérience, les hommes et les femmes finissent par avoir des regrets, et parfois même, des remords, si l’on parle des méchants. Il y a aussi le fait que l’on ne naît pas « méchant », je ne pars pas dans une étude sociologique, mais dans le cas de ce roman, le méchant, justement, c’est la Banlieue, les guerres, l’ennui, la peur d’un avenir moche, quand aux gentils, de vrais gentils, je n’en ai jamais rencontré (smiley). Non, cela serait aussi catégorique de dire cela, mais évidemment que dans ce contexte particulier de cités, je ne pouvais pas mettre des policiers « supermen » et sûrs d’eux, seule la folie d’une jeunesse, ou le parcours d’une vie cahoteuse pouvait justifier leur foi et l’aspect religieux de leur mission. 

Pour finir, j’ai rajouté ces personnages de braqueurs « tueurs de flics » en hommage au néo-polar (Fajardie) et pour contrer le côté classique du policier héros et bandit méchant. Certes, ils sont condamnables, mais le revendiquent. C’est leur côté nihiliste qui me plaisait, qu’on retrouve aussi dans pas mal de polars noirs américains. J’avais aussi (au niveau de la trame) l’idée de reprendre le sujet du film « M le Maudit », où la pègre s’allie à la Police pour combattre un monstre (M) qui hante leurs rues (et met à mal leur bisness).

Quant à la question si le mal en soi existe, je voulais montrer dans cette fiction, et c’est aussi vrai dans la vie, que le mal se manifeste surtout au travers des victimes, de leurs ressentis, c’est peut-être une façon naïve (de ma part) de vouloir le combattre en disant ; imaginez que cela vous arrive ? On peut se trouver empli de haine et de douleur pour très peu, à la vue d’une rayure sur sa voiture, parce qu’on ne comprend pas, parce qu’on aimerait retrouver la personne et faire aussi quelque chose d’irrationnel et d’idiot. C’est le plus difficile à admettre, pourquoi s’en prendre aux faibles, aux démunis, aux innocents ? Mais plus que le mal, je parle de violence, autant intime que sociétale. Et le sujet de la banlieue revient encore ici, il y a le mal quotidien que peut créer l’architecture brutale et les conditions d’isolement, mais, en contrepartie, certains jeunes développent une violence démesurée et irrationnelle. En période de guerre (j’en parle dans le roman) la violence crée une aspiration où même les plus protégés peuvent basculer, la fameuse folie humaine dans Apocalypse Now, mais nous ne sommes pas en guerre et pourtant ce sentiment, cette envie de partir « en guerre » existe en chacun des adolescents touchés par la misérabilité et l’injustice de son monde (intime ou social), et donc, attention à l’aspiration quand « certains » se transforme en « beaucoup ». Il y a une deuxième cause malheureusement banale, l’absence de valeur, d’estime de soi, et la bêtise qui ouvrent la porte à une violence malsaine et complaisante, jusqu’à la désinhibition, il n’y a plus de volonté politique, de réaction primale ou vengeresse, il y a une autre sorte de « mal », cette fois liée à la facilité de s’en prendre au plus faible, du sadisme, de la perversion, celle d’un abruti mal dans sa peau. Ce n’est pas si simple, je ne suis ni un intellectuel ni un véritable écrivain, simplement un auteur de polar. Dans « Laisse le monde tomber », on peut dire que, s’il y a violence, il y a souffrance, frustration et peur (de l’avenir, de la situation, pour sa peau, ses proches – violence politique – cela peut s’appliquer aux forces de l’ordre dans certaines conditions) et donc il y a peut-être un moyen d’endiguer le fléau, ou de passer la serpillère derrière, mais comme dans le cas des sérial killers aux EU, il peut y avoir une violence malsaine et crade habitant des individus dérangés, ou simplement (très) trop cons, au point d’y prendre du plaisir, d’avoir la satisfaction de posséder un certain pouvoir, celui d’écraser plus faible que  soi.

Dans la même veine, il s’agit souvent de justification liée à une vengeance, JOB serait-il rancunier ?? Croyez-vous davantage en la vengeance qu’en la justice ?

La vengeance est abordée dans presque tous mes livres, tout simplement parce que j’aime que mes personnages soient au départ des personnes lambda qui basculent subitement dans l’irrationnel et le désir de faire du mal, parce qu’on leur a fait du mal (on en parlait justement), il s’agit en fait d’une primo réaction à la douleur et à l’injustice qui généralement se canalise, sauf dans le cas de personnages de romans noirs. Mais cette fois j’ai voulu décortiquer, montrer que ce n’est pas aussi simple, pour le soldat ; « qui m’a vraiment fait du mal ? », « à quoi cela sert, finalement, de se venger ?», et dans le cas de Jef « Est-ce que j’en suis capable ? », et le pire, c’est que cette idée torture le personnage. Il y a aussi Tracy, qui fonce tête baissée dans l’horreur, alors que ce n’est pas son monde, est-ce par peur, par manque, par vengeance contre autrui, ou pour se venger d’elle-même ? J’insiste aussi sur les divers degrés de ressentiments, quand par exemple Hélène se demande si ce qu’elle a vécu n’est pas bénin, finalement, comparé à ce que d’autres subissent, c’est une sorte d’automutilation, mais cela démontre à quel point la souffrance peut-être terrible quand on a été victime d’un outrage, et jusqu’à quelle aberration, et même, sentiments contradictoires elle peut mener. Cela revient au sujet du roman sur la violence, au-delà de la violence de la vie, de la ville (la société), la propre violence intime des personnages, par rapport à leur vécu et expériences douloureuses, interagit dans le roman, et bien sûr, au-delà de l’intrigue, jusqu’à la modifier.

Dans beaucoup de vos romans les femmes ont une place importante, elles sont fortes, voire dures. C’est comme ça que vous les voyez dans notre société ? Ou bien elles  doivent être ainsi pour se faire une place ?

Les femmes sont à présent du niveau de l’homme sur le plan professionnel ou des aptitudes, mais humainement, je pense, elles gardent leurs propres caractéristiques. D’ailleurs ne parle-t-on pas de la part de féminité d’un homme, ce n’est pas à cause de ses cheveux longs ou de son déhanché, mais d’une certaine sensibilité et clairvoyance (l’instinct j’y crois moins, sinon maternel). Je voulais leur faire une place dans le roman noir, à commencer par “Laisse le monde tomber”, et c’était vraiment intéressant et émouvant de jouer avec leur fragilité et leur côté bravache, alors je ne suis pas mieux placé qu’une femme pour en parler, mais c’est le rendu d’un observateur père de deux filles, dont une ado et l’autre de 27 ans. Cependant, j’écris un polar de divertissement, et donc je fabrique des personnages, des héroïnes, des femmes flics qui n’existent pas, alors je ne les vois pas « comme ça » dans la société, mais dans mes livres oui (smiley). Non franchement, je ne pense pas qu’elles doivent se faire une place, je travaille à Air France, nous avons presque autant de jeune femmes co-pilotes que d’hommes, quant aux cadres sup, c’est plus, en revanche, cela doit être dans le milieu politique où c’est plus difficile. 

Doit-on s’attendre à recroiser certains personnages, Vère, Rimbe, Tracy ?

Oui pourquoi pas ☺ Je commence à avoir une bonne bande de gangsters comme je les aime à disposition, je pourrais les mettre dans une histoire avec Le Cramé et Le Maudit, ou bien faire revenir Brutale pour les combattre (sans oublier Linda son double maléfique). Mais j’avoue que j’aime bien passer d’un univers à un autre, et le plaisir d’écrire et beaucoup dans la création de personnage (si j’avoue qu’ils accumulent les stéréotypes et ressemblances). Pour être franc, j’aimerai les voir revivre, mais sur un écran de cinéma, ou dans une BD.

Entretien réalisé par échange de mails, novembre et décembre 2019.

Marie-Laure.








SECRET DE POLICHINELLE de Yonatan Sagiv / L’Antilope.

Traduction: Jean-Luc Allouche.

Oded Hefer est un homme qui n’a pas encore trouvé sa voie, il est gay, le revendique, et en fait sa qualité principale. Il rêve de vivre la grande vie, avec des amants éblouissants, et de ne pas avoir trop à suer sous la chaleur de tel Aviv pour gagner son pain. Il passe donc de projet en projet, jusqu’au jour où, influencé par Remington Steele et Hercule Poirot, il décide de devenir détective privé. Reste juste à trouver des clients.

Mais c’est sans compter sur son ami, Ofer Ganor, membre de la haute société, qui lui apporte une affaire sur un plateau : Smadar Tamir, magnat immobilière est retrouvée morte à l’hôpital, où elle était suivie pour un cancer. C’était une femme forte, inflexible, elle n’aurait pas supporté la déchéance liée à sa maladie et se serait suicidée. Sa sœur, Mira, n’en croit pas un mot et elle décide d’engager Oded, pour trouver l’assassin de sa sœur.

Oded a une semaine en tout et pour tout pour résoudre sa première enquête. N’ayant aucune expérience, ses seuls atouts, sont son sans-gêne, sa curiosité et son réseau de pipelettes dans la haute société de tel Aviv. Et bien sûr Yaron Malka, ami ou plus exactement connaissance d’enfance, qui est devenu flic, homo dans le placard comme dirait Oded, et qui aide notre loufoque enquêteur dans sa quête.

Le style est totalement décalé, avec un emploi du genre sans aucune règle, une narration des dialogues inversées, et des dialogues justement totalement irrévérencieux. Chacun en prend pour son grade, les féministes, les bobos, les gays, les hétéro, les machos, personne n’est épargné. 

Nous sommes bien dans un polar en plein cœur de la population huppée de la ville. L’enquête aura son lot de rebondissements et de surprises avec des complots, des mensonges, des passe-droits, des non-dits, des secrets. Tous se connaissent et se côtoient, nous slalomons au cœur d’un microcosme, on se croirait presque plongé au cœur d’un soap opéra mais infiniment drôle et impertinent.

Gai, vif, rafraîchissant et divertissant !

Marie-Laure.


BROYÉ de Cédric Cham / Jigal.

Dans son précédent roman, « Le fruit de mes entrailles », Cédric Cham nous avait plongés dans un univers très noir et violent, où chaque protagoniste cherchait une forme de rédemption. Nous le retrouvons aujourd’hui dans son nouveau live Broyé, où la tension et la noirceur n’ont pas faiblit. 

Nous suivons Christo, jeune homme bousillé par la vie, qui n’a connu que souffrance, douleur, violence et soumission. Il vit aujourd’hui dans une casse, sans vie sociale. Il préfère se tenir loin du monde extérieur, ne veut pas interagir avec les autres. Sa seule relation c’est celle qu’il a avec son chien Ringo qui le comprend comme s’il avait vécu la même chose. Le hasard fera qu’il croisera Salomé, jeune et belle femme qui saura entrouvrir la porte pour apporter un semblant de bonheur et de douceur à ce personnage.

 Et en parallèle on suit Mattias, jeune garçon qui est enlevé pour être dressé, tel un chien sauvage. Et il s’agit bel et bien d’un dressage pour que Mattias se transforme en soldat, mais en soldat qui se contente d’obéir aux ordres sans bien sûr se rebeller. Nous assistons ainsi à un endoctrinement par le biais de violence, d’humiliations, de privations et participons silencieusement à la naissance d’un mercenaire dépourvu de sentiments.

La tension monte crescendo au fil des pages. Cédric Cham ne nous épargne pas, et on en redemande ! Pas d’espoir, pas de calme, uniquement de la férocité, de l’horreur page après page. Les seuls moments de répits, pour reprendre notre souffle se situent dans les interactions entre Christo et son chien et dans l’arrivée de Salomé qui apporte un grand souffle d’air frais. Et c’est nécessaire de prendre une grande goulée avant de replonger encore plus profond dans les abîmes de l’âme humaine. Et là, nous parlons de personnages qui n’ont jamais rien connu de positif, aucune caresse, aucun sourire bienveillant. Tout leur univers se limite à la violence et à la noirceur. Nous nous retrouvons enfermés avec les personnages, broyés avec eux sans aucune lueur d’espérance, sans aucune foi dans le bonheur.

Cédric Cham arrive à plonger encore plus loin dans le néant, à ne nous donner aucun espoir dans les relations humaines quand notre parcours ne nous a enseigné que la violence et la dureté. Une fois encore son style très percutant fait mouche à chaque chapitre, et le livre défile sous vos yeux sans que vous ayez le temps de reprendre votre respiration.

Une grande claque !

Marie-Laure.


LES PATRIOTES de Sana Krasikov / Terres d’Amérique.

The Patriots.

Traduction: Sarah Gurcel.

Nous voilà donc dans une fresque des relations américano soviétiques des années 1930 à 2008. Pour ce faire, l’auteur nous fait faire plusieurs allers-retours entre les Etats-Unis et l’URSS, entre les trois protagonistes principaux de cette immense histoire : Florence tout d’abord, jeune américaine, puis son fils Julian/Yulik et enfin son petit-fils, Lenny.

Florence est une jeune fille de Brooklyn, qui vit son adolescence et ses premières années de femme pendant la grande dépression aux Etats-Unis. Elle ressent un mal-être au sein de cette vie américaine,  sa condition de femme, de juive lui ferme des portes. Pleine d’idéaux, elle décide de tout plaquer pour partir vers son eldorado, l’URSS, où pour elle existe la seule vraie vision d’un futur possible.

Sa vie dans la Grande Union Soviétique n’est bien sûr pas simple, elle comprend vite que ce nouveau monde n’est pas celui qu’elle espérait. Elle est, là encore, et même bien plus, obligée de lutter contre les absurdités auxquelles elle doit faire face, contre les privations et les préjugés.

Ne renonçant jamais, elle doit faire des choix, entre sa vie, son amour, son enfant, et son travail. Vivant sous un régime autoritaire, où tout le monde est surveillé et plus encore ces américains juifs immigrés, les options qu’elle prend ne sont pas toujours les bonnes et elle devra en payer le prix à chaque fois.

« Elle avait été la victime de son temps, de ses croyances politiques, de son obstination et de ses illusions. »

Aucun jugement dans ces pages, nous sommes confrontés à cette vie difficile sous ce régime autoritaire, et subissons les conséquences au même titre que Florence et sa famille.

Il s’agit à n’en pas douter, d’un récit sur ces 80 années  de guerre froide où les Américains ayant choisi de tourner le dos à leur pays se retrouvent rejetés de tous, de leur propre pays mais aussi de ce régime qu’ils ont embrassé avec un espoir énorme sur sa justesse et sa droiture. C’est bien une fresque historique mais aussi une histoire d’amour, entre une jeune femme et un jeune homme, entre une femme et son enfant, entre une femme et ses rêves.

Nous découvrons la condition de ces hommes et de ces femmes de nationalités américaines mais qui deviennent russes par le droit du sol, de la condition de vie des juifs dans l’URSS, où nous découvrons que le moment où ils ont été le plus en sécurité s’avère finalement être pendant la seconde guerre mondiale. Staline avait besoin d’eux et la dictature sait se servir de chacun jusqu’à plus soif, pour leur tourner le dos quand ils n’apportent plus rien d’utile au régime.

Certes, le livre est imposant avec ses 590 pages, mais n’hésitez pas une seconde avant de vous plonger dans cette épopée. Vous découvrirez cette période de notre histoire pas si lointaine et vous vous plongerez dans cette histoire familiale dure, où les choix que nous faisons pour nous même se répercutent obligatoirement sur nos enfants et nos petits-enfants. Vous ressentirez de la tristesse, de la désillusion, de la colère parfois, mais vous découvrirez un texte riche qui vous transportera dans un appartement communautaire en plein cœur de Moscou, et c’est là la grande réussite de Sana Krasikov.

Marie-Laure.



EN MOI LE VENIN de Philippe Hauret / Jigal.

Nous voilà plongés au cœur d’une campagne électorale d’une ville de banlieue, ou de province. Le sujet n’est pas véritablement la campagne en elle-même mais plutôt la corruption qui y a toute sa place et qui touche chaque strate de la société. C’est l’occasion pour Philippe Hauret de nous dépeindre des personnages blasés, moroses,  ou au contraire ambitieux et cyniques.

Nous suivons Franck Mattis, qui doit rentrer dans sa ville natale pour l’enterrement de ses parents. Ce retour aux sources l’oblige à se questionner sur sa vie, sur ce qu’il veut faire, il est dans une situation où il est bien plus simple de répondre à  l’appel de la bouteille qu’à vraiment prendre des décisions pour réorienter le cours de sa vie.

Il va ainsi croiser ses anciens amis, leurs parcours de vie pouvant être diamétralement opposés, ils se retrouvent tous en ce même endroit, cette ville qui les a forgés. Certains ont mieux réussi que d’autres mais à quel prix ?

Le trait commun à chacun des protagonistes est l’extrême solitude dans laquelle ils se retrouvent. Ben l’ami d’enfance, devenu un vrai geek, sans ami, sans vie sociale, qui se contente de vivoter jour après jour. Esther, qui a tout misé sur sa carrière et qui arrive à un moment de sa vie, où le regard en arrière est lourd : avoir tout sacrifié pour ça et seulement ça, pas de véritables amis non plus, sa vie c’est son boulot. Et son boulot actuel c’est de faire accéder à la mairie Maxence, candidat très extrême droite qui est prêt à tout pour arriver au pouvoir. Pour ce faire, rien de mieux que de s’acoquiner avec le mafieux local, ancien ami de lycée, qui semble avoir réussi : Valéry, propriétaire de boîte de nuit, proxénète sans aucun sentiment, sa seule faiblesse, son jeune amant Warren, qui ressemble plus à une poule de luxe qu’à un véritable partenaire.

Philippe Hauret se livre ainsi à une critique de notre société, où les individus sont désabusés, névrosés et ne parviennent à survivre qu’à grand renfort d’anxiolytiques et /ou d’alcool. Cette tendance n’épargne personne, chacun étant confronté à une violence physique ou psychologique. Les plus démunis n’ont aucun horizon, ils subsistent comme ils peuvent, et ceux qui s’en sortent cherchent à acquérir encore plus de pouvoir par tous les moyens possibles afin d’asservir les autres. 

Le bonheur n’est qu’une utopie dans ce livre, inaccessible à tous, la solitude est le lot de chacun. L’amour n’est qu’un mirage, qui ne permet que d’entrevoir un semblant de bonheur pendant quelques heures. Tout est noir, sinistre, glauque et aucun espoir n’est permis. Vous l’aurez compris, Philippe Hauret a un regard sur notre monde plutôt déprimant, et il nous le dépeint avec un rythme assez lent, à l’image de la vie de ses personnages, qui semble parfois avoir été mise sur pause.

Il s’agit sans aucun doute d’un roman noir qui n’épargne aucune catégorie sociale, aucun environnement, sans aucune éclaircie pour personne.

Marie-Laure



LAISSE LE MONDE TOMBER de Jacques Olivier Bosco / Pulp Editions.

Pour son nouveau roman, Jacques Olivier Bosco nous plonge dans une banlieue parisienne, bien glauque, bien noire, où peu d’espoir est permis. Pas d’horizon pour ses habitants, ni visuel, ils sont entourés de barres d’immeuble avec un ciel bas, ni dans leur vie. Pour eux, pas de rêves de vie meilleure, autre part, dans un monde plus bleu.

On suit Jef et Hélène, deux flics de quartier malmenés par la vie, qui vont devoir faire face à une enquête encore plus cruelle que leur environnement. Un gamin, puis une femme sont retrouvés morts, bouffés et tués par un chien, un monstre de férocité. L’autopsie révèlera que leurs visages ont été pelés. Cet animal n’agit donc pas seul, il a un maître qui tue les habitants de cette banlieue, dans une barbarie inhumaine.

JOB nous plonge dans cet univers sans nous laisser la moindre espérance. Une telle noirceur entoure chaque personnage, une telle haine contre le monde,  qu’il arrive à nous faire tomber toujours plus profond dans le précipice. Chacun voudrait trouver la rédemption, parfois dans l’amour mais comment trouver cette étincelle dans un tel contexte. Les habitants ont la haine, les flics sont seuls et démunis.

« Je croyais qu’être flic c’était quelque chose, être crainte tout du moins aimée, respectée. Reconnue. (…) il n’y avait que des insultes, du rejet, de la haine, des crachats à longueur de journée. Du mépris, ils étaient la lie de la lie dans ce lieu banni, la banlieue. »

On pourra regretter une violence parfois dans la surenchère sur la première partie du bouquin, mais qui se rattrape par davantage de profondeur dans la seconde. Cette deuxième partie permet d’intensifier les personnages, de mieux comprendre d’où vient cette profusion de rage. Le dénouement de l’enquête arrive un peu vite mais pour mieux s’axer sur la conclusion de l’histoire de ses protagonistes. Aucun n’est épargné, pas de gentils et de méchants, mais plutôt des personnalités qui trouvent dans la brutalité, dans la sauvagerie, le seul moyen de faire face aux horreurs qu’ils ont subies.

Aucun répit ne nous est donné dans ce roman, véritable « roman noir » dans sa  définition même, les amateurs apprécieront.

Marie-Laure.


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