Chroniques noires et partisanes

REQUIEM POUR UNE REPUBLIQUE de Thomas Cantaloube / Série Noire.

L’histoire se passe en France entre 1959 et 1961. Un grand avocat algérien Abderhamane Bentoui, proche du FLN, est assassiné chez lui avec toute sa famille. Le meurtre a été commandité par Deogratias, directeur adjoint du cabinet du préfet de Paris, Maurice Papon. Pour ce faire, il a engagé un écrivain, proche de l’extrême droite française Victor Lemaire, et Sirius Volkstrom, franc-tireur, qui nage en eau trouble.

Afin de noyer le poisson, la préfecture donne la charge de l’enquête à Luc Blanchard,  tout jeune flic assez naïf, et son coéquipier Amédée Janvier, alcoolique notoire. Mais Luc, bien que novice dans la police, ne compte pas lâcher l’affaire et se laisser imposer ses conclusions.

Une recherche parallèle est menée par Antoine Carrega, truand corse, appartenant au milieu, qui est engagé par un ancien compagnon de lutte dans le maquis, père d’une des victimes.

Les trois principaux protagonistes, Luc, Sirius et  Antoine, vont bien sûr se croiser, créer des alliances plus ou moins consenties, confronter leurs modes de vie, rangé et policé pour Luc, non conformiste et violent pour Sirius et en plein cœur du milieu pour Antoine.

Luc a finalement sa naïveté pour lui : il croit en la justice française et au travail de policier, il ne se sent pas manipulé avant de se retrouver face à face avec ses supérieurs. Il prend tellement son travail au sérieux, qu’il finit par poser les bonnes questions, aux bonnes personnes.

Sirius cherche toujours à avoir l’ascendant sur ses interlocuteurs, à avoir la bonne carte en main, ce qui lui donne un comportement imprévisible et proche de la folie, mais ô combien efficace. Il se rallie à des causes, non pas qui lui sont chères, mais qui peuvent lui rapporter.

Antoine, quant à lui est un ancien pêcheur corse, qui ne se sent pas prêt à mener une vie tranquille. Il préfère vivre avec ses propres règles, celle du milieu, des truands, où la parole donnée fait figure d’acte d’engagement. Il fait confiance à ses comparses de la pègre et mène sa vie au travers de différents trafics. Mais sa fidélité lui impose de répondre aux demandes de son ami et de retrouver les assassins de la famille Bentoui.

Ce roman est une cartographie de la France à la fin des années 50 et au début des années 60. Le pays se confronte à la fin du colonialisme, au désir d’indépendance de l’Algérie. De Gaulle qui est assez favorable à cette indépendance, s’est entouré de politiciens qui y sont farouchement opposés. Et pour sauvegarder ce territoire, ils sont prêts à tout, à toutes les violences, toutes les manipulations, y compris des meurtres et des attentats. Les immigrés algériens sont venus en nombre pour travailler dans les usines françaises qui ont besoin de main d’œuvre. Mais ceux-ci sont rejetés par une grande partie de la population. On les traite de bougnouls, de sales arabes, alors le meurtre de l’un d’entre eux, même faisant partie de la  bourgeoisie parisienne, n’émeut pas grand monde. L’histoire ne fait pas la une des journaux bien longtemps.

Thomas Cantaloube nous plonge dans un polar, ambiance gangster, politiciens véreux. Il nous immerge dans cette France qui est partagée entre accorder l’indépendance à l’Algérie ou au contraire, sauvegarder ce territoire qui permet de faire des essais nucléaires en plein désert.

On croise François Mitterrand, jeune député, on assiste même à son attentat manqué/organisé de l’Observatoire. On participe à la création de l’OAS, à l’organisation de l’attentat contre le train Paris-Strasbourg en 1961, aux manifestations d’Algériens en 1961 violemment réprimées par les forces de police.

Mélange d’histoire de gangsters, d’histoire de France, de politique colonialiste, ce livre est une plongée prodigieuse dans cette époque troublée. On suit les trois personnages, chaque chapitre étant consacré à l’un d’eux, on participe à leur enquête, à leurs malversations, à leur vie qu’ils tentent de poursuivre malgré tout. Certains pourront reprocher quelques longueurs, la chronologie s’étalant sur près de 2 ans, et une conclusion somme toute assez simple, mais personnellement, il m’a passionné de bout en bout, et je suis arrivée sur les dernières pages avec une pointe de regret à l’idée de le fermer.

Marie-Laure.


2 Comments

  1. Naud eveline

    J’avais peur que ce livre soit trop lourd, trop technique, trop intellectuel. c’est en fait un roman avec 3 hommes indépendants de cette époque trouble. Je vais faire des recherches sur tous ces personnages, policiers, élus, hauts fonctionnaires, qui ressemblent beaucoup à notre époque.

    • clete

      Tu as raison Eveline, un très bon roman.

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