L’étendard sanglant est levé est le deuxième tome d’une trilogie racontant la cinquième république de 1978 à 1984. Du noir d’orfèvre, le plus pur depuis longtemps que l’on retrouvera une dernière fois en janvier prochain avec 14 juillet pour un épilogue que l’on imagine explosif. Dans l’entretien qu’il nous a accordé lundi, Benjamin Dierstein déclare avoir fait le maximum pour qu’on puisse aborder cet opus sans avoir lu la première partie, mais il considère aussi qu’il vaut mieux avoir lu Bleus, Blancs, Rouges avant d’entamer cette suite… Franchement comment pourrait-on se priver d’une histoire de très haut vol et particulièrement essentielle à la compréhension des faits et des gestes des quatre personnages principaux ?

Janvier 1980. Alors que la France s’enfonce dans la crise économique, les services de police sont déterminés à mettre un visage sur ceux qui importent le terrorisme révolutionnaire dans le pays.

Infiltré auprès d’Action directe, le brigadier Jean-Louis Gourvennec approche un marchand d’armes formé par les services libyens qui affole Beauvau et répond au surnom de Geronimo. Jacquie Lienard, son officier traitant aux RG, tout comme Marco Paolini, un jeune flic tourmenté de la BRI, sont prêts à tout pour localiser et identifier le trafiquant. Les deux inspecteurs concurrents vont rapidement faire face à Robert Vauthier, un mercenaire reconverti en proxénète qui enflamme les nuits de la jet-set parisienne et s’apprête à prendre le chemin du Tchad pour traquer Geronimo. La campagne présidentielle et le retour de Carlos sur le devant de la scène vont plonger ces quatre personnages dans un déchaînement de coups bas, de corruption et de violence dont personne ne sortira indemne.

Le deuxième tome d’une saga historique entre satire politique, roman noir et tragédie mondaine, dont les personnages secondaires ont pour nom Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Charles Pasqua, Tany Zampa, François de Grossouvre, Carlos ou Gaston Defferre.

Certains s’interrogeaient pour savoir si l’auteur aurait assez de souffle pour tenir les trois tomes, mais c’est le lecteur qui a rapidement le souffle coupé. Et il fallait s’y attendre vu que Benjamin Dierstein a tout écrit d’une traite avant d’en faire ensuite trois volumes au moment de l’édition. Aucune chute de tension. On s’en doutait, l’auteur a déjà à son actif une trilogie des années Sarkozy terminée par La cour des mirages et ça redémarre pied au plancher, après néanmoins un déstabilisant premier chapitre (un peu à la manière des Anglo-Saxons) qui nous expédie… au Congo en 1965. Après quelques pages pour atterrir, on retourne dans la France de 1980. Une autre France, paysage politique, traditions, styles de vie, mentalités, dangers intérieurs et extérieurs… tout est pointé, sans excès, mais avec une grande minutie pour une plus grande fidélité à l’histoire, se révélant parfois de l’ordre de l’intime pour certaines générations qui ont rêvé très fort un certain dimanche de mai 1981.

Et c’est un immense plaisir de retrouver les quatre personnages principaux qu’on a laissés avec quelques casseroles et qui vont s’empresser de replonger dans les eaux sales de la république. Tous veulent gagner mais ont beaucoup à perdre, plus proches du ravin que des cieux. Sur la lame du rasoir : Jacquie Lienard qui trempe à gauche, Paolini qui mouille à droite, Vauthier l’ex mercenaire aujourd’hui roi des nuits parisiennes qui s’impose dans le sang, et Gourv, « Il faut sauver le soldat Gourvennec ! », infiltré dans les réseaux d’extrême gauche. Ces quatre personnages vous attendent pour 900 pages de folie, traversant toutes les sales histoires intérieures et extérieures de la république, y laissant des plaies, payant de leur personne leur cupidité, leurs croyances, leur idéal, leur intérêt, leur folie, leurs erreurs… Des êtres de chair et de sang, parfois inhumains et si simplement humains finalement.

Comme dans Bleus, Blancs, Rouges, le rythme est halluciné, ne laissant aucun répit. Benjamin Dierstein, avec maestria, intègre la destinée de ses personnages dans le grand cercle des sales histoires de l’histoire de la fin du vingtième siècle. On corrompt, on tue, on élimine, on exfiltre, on possède, on prend, on vole, on se venge, on trahit, on renie.

« BLAM ! BLAM ! »

En empruntant au style de James Ellroy par cette utilisation de documents confidentiels comme les écoutes téléphoniques, les comptes rendus d’interrogatoires… Dierstein installe une proximité à l’histoire, complément intéressant à l’addiction créée par les destins des personnages. Tout en semblant jouer le témoin neutre, se « contentant » de raconter l’époque, il joue avec le lecteur en essayant de lui faire venir parfois une émotion qui déclenchera peut-être une larmichette. Il l’avait déjà tenté par le passé. Enfin, il finit de séduire avec un humour agréablement parsemé tout au long du roman aussi noir qu’inattendu comme ce duo de clowns grandiose ( Barril / Prouteau du GIGN ).

Aussi explosif que Bleus, Blancs, Rouges,  L’étendard sanglant est levé est encore plus furieux et explose dans de multiples directions que l’on n’attendait pas forcément, mais toujours avec un souci de présenter l’essentiel au lecteur parfois déboussolé dans ce marigot alimenté par les affaires françaises mais aussi par les irruptions étrangères, Paris étant devenu le terrain de jeu préféré des poseurs de bombes.

Remarquable !

Clete.

PS: entretien avec Benjamin Dierstein pour Bleus, Blancs, Rouges.