Chroniques noires et partisanes

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ENTRETIEN avec Benjamin Dierstein / BLEUS,BLANCS, ROUGES.

Photo ©Jean-Philippe Baltel/Flammarion

Juste une petite envie d’en savoir un peu plus sur l’auteur du magnifique Bleus, blancs, rouges et sur sa manière d’écrire. Merci à Benjamin Dierstein.

Vous êtes l’auteur de quatre romans : une trilogie sur la France de 2011 à 2013 La Sirène qui fume, La Défaite des idoles et La Cour des mirages contant la fin du sarkozysme et d’ Un dernier ballon pour la route, gros bazar breton un peu « à l’ouest ». Vous apparaissez aussi dans le recueil du collectif Calibre 35 RENNES NO(IR) FUTUR avec la nouvelle Germaine Petrograd. Pas un inconnu donc mais mais vu votre discrétion sur le net, supportez que le grand public ignore beaucoup de vous (pour l’instant ) et veuille savoir autant que possible qui est Benjamin Dierstein, d’où il vient et à quoi il passe sa vie à part écrire des trilogies sur la France politique au 21e siècle et maintenant au  20 ?

Je suis né à Lannion, dans les Côtes d’Armor, et je vis aux alentours de Rennes depuis plusieurs années. Il y a peu j’étais encore intermittent du spectacle, mais désormais j’écris des trilogies sur la France politique à plein temps, ou presque. Je garde un peu de temps pour gérer mon label de musiques électroniques Tripalium Corp, qui ressemble à ce que j’écris : les morceaux et albums que j’y sors sont généralement violents, bariolés, mais s’écoutent plutôt facilement même si on ne sait pas trop vers où ça va aller.

Quels ont été les prémices d’écriture ? Y a t-il eu un élément déclencheur qui a provoqué un passage à l’acte ? Une envie d’adulte ou un vieux rêve d’enfant ?

Quand j’étais gamin, j’étais déjà très productif. Je faisais des BD ou des sortes de magazines, que je revendais dans les bistrots où traînait mon père, pour m’acheter des bonbecs. A l’époque je lisais essentiellement des BD, et j’achetais Onze mondial et Spirou magazine. Les romans ça m’emmerdait, ce qui était proposé en littérature jeunesse était terriblement fade comparé à ce qu’on pouvait trouver dans Onze ou Spirou : des gens en compétition, des rêves brisés, de la violence (à cette époque dans Spirou, il y avait les séries Soda et Charly de la collection Repérages, et la collection Spirou et Fantasio était pilotée par Tome & Janry, qui ont fait les épisodes les plus adultes de la série). Je crois que gamin, c’est ces premières histoires qui m’ont marqué et m’ont fait comprendre qu’une fiction était beaucoup plus intéressante quand les personnages en prenaient plein la gueule.

Je passais aussi énormément de temps à regarder des films, avec une préférence pour ceux qui avaient un haut potentiel lacrymal (j’ai vu une bonne vingtaine de fois Abyss et Le Grand bleu), ou ceux qui me procuraient un shoot d’adrénaline (ma k7 de Piège de cristal est morte à force de passer dans le magnéto).

Et puis, en arrivant au collège, mes goûts ont évolué vers des récits plus complexes. J’ai pris des tartes monumentales avec Pulp Fiction, La Horde sauvage et Voyage au bout de l’enfer. Mon oncle m’a donné un bouquin d’Ellroy. Ca m’a mis une double baffe, je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir des trucs aussi hardcore dans les livres, pour moi les livres c’était de la merde ! On est con quand a treize ans. Bref, les vrais éléments déclencheurs pour moi sont là : tous ces ressentis archi forts face à la puissance de la fiction, que j’ai pu ressentir quand j’étais en primaire ou au collège. Le reste est venu naturellement : quand on adore ressentir quelque chose d’une manière aussi forte, on a envie d’écrire le truc qu’on rêve de lire. A seize ans, j’ai écrit un roman de cent-vingt pages que je ne ferai jamais lire à personne parce que beaucoup trop inspiré par mes lectures de l’époque (notamment Encore un jour au Paradis). Entre mes seize et mes vingt ans, j’ai écrit des dizaines de nouvelles et de scénarios de courts-métrages, jusqu’à ce que je bute sur une première tentative de scénario de long métrage qui parlait de deux flics obsédés par une fille qui avait disparue et les rendait tous les deux cinglés. Je n’arrivais pas à le développer comme je voulais, je me suis retrouvé avec un brouillon qui faisait deux-cent-cinquante pages… loin des cent–vingt qu’on demande habituellement ! A ce moment-là j’ai compris que je n’aurais aucune chance d’en faire quelque chose, et de toute façon je ne connaissais personne dans le cinéma. J’ai tout rangé dans des cartons et j’ai abandonné. Il y avait mieux à faire à l’époque : les squats, les free-parties, les bars ! J’ai ressorti mon carton quand j’avais trente-deux ans. Je venais de faire la fête pendant douze ans et j’avais envie de retourner à l’écriture. J’ai décidé de transformer mon scénario sur les flics en roman, et ça a donné La Sirène qui fume.

Quand on feuillette pour la première fois Bleus, Blancs, Rouges, on comprend tout de suite la très grande envergure de l’œuvre : une couverture superbe, une bibliographie impressionnante (bouquins, documentaires, archives diverses, podcasts, presse), des documents pour aider à la compréhension fine de l’époque (carte géopolitique de l’Afrique en 1978, organigramme de l’administration policière), un index de 10 pages des personnages secondaires, tous les sigles et le vocabulaire policier expliqués et une intrigue urgente de plus de 750 pages. On sent votre désir de donner toutes les clés au lecteur, celles qui ont été les vôtres. Quel a donc été l’ampleur du travail en amont, le défrichage ?

Quand j’ai décidé quelle période je voulais traiter, je me suis constitué une biblio et j’ai mis une bonne année et demie à lire les ouvrages que j’avais recensés. Il y a en avait plus de 160. En même temps, je faisais mon plan et j’affinais mes personnages au fur et à mesure que je recevais des informations. Au début, je pensais faire un seul roman avec tout ça. Quand j’ai compris que ça allait faire quasi 2000 pages, j’ai changé toute la structure pour faire un diptyque. Et puis quand j’ai compris que ça allait plutôt avoisiner les 2600 pages, j’ai dû refaire la structure pour en faire 3 tomes. Ca rallonge le temps de lecture pour le lecteur, donc ce genre d’annexes en fin d’ouvrage, notamment l’index des personnages, me paraît essentiel. Avec Flammarion, on a ajouté les numéros de pages auxquelles apparaissent les différents personnages, ce qui permet au lecteur de retrouver rapidement où il a croisé tel personnage pour la première fois. Moi qui ai une mémoire défaillante, c’est l’outil dont j’ai longtemps rêvé pour ce genre de roman à la Ellroy, où t’as tellement de personnages que parfois, quand tu tombes sur un nom, tu ne sais plus vraiment qui c’est et tu passes dix minutes à chercher en arrière, en vain.

Sans tarder parce que la question me tenaille depuis le départ, pourquoi commencer cette intrigue fleuve en 1978, une époque que vous n’avez pas connue et dont beaucoup de lecteurs, eux, se souviennent très bien ?

1978 c’est Aldo Moro, l’évasion de Mesrine, l’appel de Cochin. C’est les premiers attentats du mouvement autonome, du FLNC, les prémices d’Action directe, le début des années de plomb made in France. C’est le début du déclin de la voyoucratie à l’ancienne, Zampa et les frères Zemour. C’est le moment où les Français commencent à perdre confiance en Giscard avec la crise économique, les plans de rigueur et les fermetures d’usines. C’est les débuts du Palace, le disco, l’arrivée massive de la coke. Pour faire le récit d’une France qui bout comme une cocotte-minute, c’est franchement une période idéale. Et puis j’avais envie de raconter la jeunesse de certains personnages de ma trilogie précédente. Jacquie Lienard, Michel Morroni, Philippe Nantier, Domino Battesti, Toussaint Mattei, Didier Cheron et Jean-Claude Verhaeghen sont des personnages importants de La Sirène qui fume, La Défaite des idoles et La Cour des mirages, et dans cette nouvelle trilogie ils prennent une importance de premier plan.

La France de 1978 et 1979 racontée par votre plume est une délicieuse madeleine de Proust pour tous ceux qui ont vécu l’époque. En vous immergeant dans l’époque pour la faire vraiment vivre à tous les lecteurs, avez-vous été surpris par la vision du pays que vous avez acquise ? Avez-vous modifié votre opinion sur certains acteurs de la vie politique de l’époque ? C’était mieux avant ?

Je n’ai pas été vraiment surpris puisqu’en m’attaquant à cette époque, l’idée était justement de peindre des chacals prêts à tout pour prendre le pouvoir. En apprendre plus sur les affaires de la période n’a fait que confirmer cette idée. C’était pas mieux avant, ni moins bien d’ailleurs. De tous temps, dès qu’on s’approche du pouvoir c’est la même chose. Le principe même de la politique est d’être clientéliste. Une personnalité politique qui dit vraiment ce qu’elle pense, ça n’existe pas.

 Bleus, blancs, rouges suit l’enfer (pavé de bonnes intentions…) de quatre personnages (trois flics et un voyou de la République) particulièrement bien dessinés. Avez-vous un personnage préféré que vous aimez plus particulièrement retrouver, un homme ou une femme que vous auriez du mal à effacer de l’histoire rapidement ? Benjamin Dierstein s’attache-t-il à ses personnages ?

Je n’ai pas de personnage préféré, je les aime tous les quatre. J’ai fait plus que m’attacher à eux, je viens de passer quatre ans H24 en leur compagnie donc ils sont devenus comme des frères et des sœurs. Et pourtant ils sont bourrés de défauts, et ils sont surtout radicalement différents de moi, de ma manière de penser. Mais ils en prennent tellement plein la gueule dans cette trilogie, que veux-tu faire ? Je sais que certains lecteurs auront du mal à s’identifier à eux parce que tous ces personnages sont des enfoirés, mais moi dès que des gens souffrent, j’y peux rien, je m’attache.

Cette première partie de la trilogie ne nous offre qu’une vue très parcellaire de la suite de l’histoire même si on imagine très bien où tout cela peut et devrait nous mener. Sans vouloir trahir de secret, jusqu’où dans les années 80 va nous emmener votre plume ?

La trilogie s’arrête à l’été 1984, quand Le Pen fait un score énorme aux présidentielles, que les affaires qui secouent l’Elysée deviennent explosives et que Mitterrand nomme Fabius au gouvernement après avoir clairement pris le parti de la mondialisation. L’ensemble de la trilogie raconte comment on en est arrivé là. Comment la gauche a abandonné les travailleurs, comment l’extrême droite est revenue en force en se tournant vers les victimes des fermetures d’usine. C’est là que se situent les prémices de tout ce qu’on vit aujourd’hui : l’abandon par la gauche, les médias et les élites en général de l’électorat populaire blanc, ce qui a eu pour conséquence de faire du RN le premier parti de France. Ça, c’est pour le fond purement politique. A côté de ça, les tomes 2 et 3 racontent le retour de Carlos et tous les attentats qui s’en sont suivi, les Irlandais de Vincennes, les écoutes de l’Elysée, la mort du SAC, la mort de Guy Orsoni, la naissance de la Brise de Mer, le Liban, le Tchad… et bien sûr la campagne présidentielle de 1981.

Un de vos personnages se nomme Gourvennec. Est-ce parce qu’il est originaire des Côtes d’Armor ou peut-on y voir aussi une sorte d’hommage à Jocelyn Gourvennec, l’entraîneur d’En Avant qui avait réussi à ramener la coupe de France à Guingamp en 2014 ? A moins qu’il faille y voir une célébration d’Alexis Gourvennec, syndicaliste agricole et entrepreneur breton des années 60 à 80 ?

Oui, c’est un hommage à Jocelyn Gourvennec. Il est malheureusement descendu de son piédestal après ses mauvaises expériences à Bordeaux, Lille ou Nantes, mais pour nous les Guingampais, il restera toujours un héros, comme Noël Le Graët ou Francis Smerecki. Il n’a pas seulement ramené une deuxième Coupe de France, il a aussi fait sortir l’EAG de National et ramené le club dans l’élite en trois ans. Et puis il nous a fait passer les poules en Coupe d’Europe, ramenés en demi-finale de Coupe de France en 2015… Depuis qu’il est parti, l’EAG n’est plus le même club. Là, enfin, cette année, après dix ans, on commence à revoir la lumière avec un bon parcours en Coupe de France et un espoir de remonter en Ligue 1.

Dans vos remerciements, vous rendez hommage à James Ellroy mais avez-vous d’autres pistes littéraires à nous proposer, des romans qui ne quittent pas votre table de chevet ?

Bleus, Blancs, Rouges a été clairement inspiré d’Ellroy, et notamment d’American Tabloïd. On apprend d’ailleurs qu’un des personnages, le mercenaire Vauthier, a convoyé de l’héroïne dans les années soixante grâce à la filière établie par Pete Bondurant au Viet Nam. C’était une façon de rendre hommage au Dog. Mais concernant la structure, ma vraie influence est La griffe du chien de Don Winslow. Ellroy alterne systématiquement les chapitres focalisés sur ses personnages, là où Winslow ne met en avant qu’un ou deux personnages dans chaque acte. C’est moins systématique, ça permet de quitter complètement un personnage pendant 200 pages et d’être à ses côtés ensuite pendant les 200 autres. C’est plus complexe, plus tortueux, et ça permet de faire des ellipses (ce qui est un des gros défauts de la trilogie Underworld USA : l’alternance systématique des focalisations l’oblige à écrire des chapitres pendant lesquels il ne se passe rien et où il ne fait que répéter de l’information, sans parler des temporalités qui s’étirent et créent des sortes de trous chronologiques… ça donne l’impression de patiner alors que La Griffe du chien ça ne décélère jamais, t’es en cinquième tout du long !).

J’espère que vous comprenez l’impatience des lecteurs de ce premier opus quitté sur un joli suspense. La suite est-elle déjà lancée ? Y a-t-il un calendrier ? Un titre ?

L’Étendard sanglant est levé sortira vers l’été, en juin ou septembre. 14 juillet sortira en janvier 2026.

Entretien réalisé en février 2025 par échange de mails. Merci à Benjamin pour sa disponibilité.

Clete.

BLEUS, BLANCS, ROUGES de Benjamin Dierstein / Flammarion.

On avait découvert Benjamin Dierstein en 2021 dans la collection EquinoX des Arènes d’Aurélien Masson avec Un dernier ballon pour la route sorte de western armoricain, fest-noz éthylique, sympa mais rien entre les lignes ne laissait prévoir la suite… En 2022, toujours chez EquinoX, est sorti le génial La cour des mirages qui peut très bien se lire comme un « one shot » . En fait, le troisième volume d’une trilogie sur les années de notre petit président à bracelet électronique, les années Sarkozy flinguées par un Benjamin Dierstein redoutable chroniqueur. Ce roman concluait un triptyque entamé avec La sirène qui fume et La défaite des idoles aux éditions Nouveau Monde. Il est essentiel de signaler cette trilogie parce qu’on retrouve certains de ses personnages dans Bleus, blancs, rouges. Pour être plus exact, on les découvre puisque Benjamin Dierstein a décidé de s’attaquer à la période 1978/1984 en France dans une intrigue très ambitieuse. Nul doute qu’une fois la lecture de Bleus, blancs, rouges achevée, d’aucuns seront tentés de se jeter dessus mais patientez un peu. Flammarion fait très bien le taf. L’Etendard sanglant sortira vers l’été tandis que 14 juillet achèvera l’histoire début 2026.

« Printemps 1978 : les services français sont en alerte rouge face à la vague de terrorisme qui déferle sur l’Europe. Marco Paolini et Jacquie Lienard, deux inspecteurs fraîchement sortis de l’école de police et que tout oppose, se retrouvent chargés de mettre la main sur un trafiquant d’armes formé par les Cubains et les Libyens et répondant au surnom de Geronimo. Traumatisé par la mort d’un collègue en mai 1968, le brigadier Jean-Louis Gourvennec participe à la traque en infiltrant un groupe gauchiste proche d’Action directe. Après des années d’exil en Afrique, le mercenaire Robert Vauthier revient en France pour régner sur la nuit parisienne avec l’appui des frères Zemour. Lui aussi croisera le chemin de Geronimo. »

Un grand roman doit vous prendre dès son début et Bleus, blancs, rouges qui est un très, très grand roman vous en met une bonne dès l’incipit particulièrement chaud situé à Paris pendant mai 68. Racontant une nuit d’émeute, décrivant l’enfer parisien, faisant ressentir à l’os la guerre urbaine, la panique, ce premier chapitre donne le ton des 700 pages à tombeau ouvert, infernales à venir. On est très loin de l’imagerie romantique bercée par les Moody Blues chouinant Nights in white satin. Dierstein attaque au corps d’entrée, la violence est exacerbée, le sang coule, la mort frappe. Hallucinant.

Bleus, blancs, rouges couvre les années 78 et 79 en France et comme nous l’a confié Benjamin Dierstein dans un entretien que nous mettrons en ligne vendredi cette période se prêtait bien à un roman noir : « 1978 c’est Aldo Moro, l’évasion de Mesrine, l’appel de Cochin. C’est les premiers attentats du mouvement autonome, du FLNC, les prémisses d’Action directe, le début des années de plomb made in France. C’est le début du déclin de la voyoucratie à l’ancienne, Zampa et les frères Zemour. C’est le moment où les Français commencent à perdre confiance en Giscard avec la crise économique, les plans de rigueur et les fermetures d’usines. C’est les débuts du Palace, le disco, l’arrivée massive de la coke. Pour faire le récit d’une France qui bout comme une cocotte-minute, c’est franchement une période idéale.»  

Une France où on tabasse à mort un ministre, une France où, dans un triste remake de Bonnie and Clyde, on assassine l’ennemi numéro 1 dans sa bagnole, une France où les flics… Broussard, Ottavioli sont des stars, une France où le président se fait offrir des diamants et des réserves de chasse en Afrique pour flinguer des lions ou des éléphants, une France où une milice a tous les pouvoirs, une France qui continue son œuvre colonialiste en Afrique, une France où on craint de voir débouler les chars soviétiques sur les Champs en cas de victoire de Mitterrand, la France de Giscard et son accordéon. Si vous avez vécu cette époque, c’est un bonheur de profiter de cette relecture d’une époque par un Benjamin Dierstein hyper pointu, irréprochable jusque dans les plus petits détails. Cette fidélité à l’époque tient quasiment de la maniaquerie mais n’est pas suffisante à faire un grand roman. Soulignons néanmoins la bibliographie monstrueuse en fin d’ouvrage. Bretoned penn kalet! dit-on par ici et il en a fallu de la volonté, de la ténacité au Costarmoricain pour se lancer dans cette longue traversée en solitaire accompagné par Aurélien Masson, depuis toujours précieux pour les auteurs.

Ce qui fait la différence chez Dierstein, grand supporter d’« En Avant Guingamp », ce sont les personnages. Des êtres de chair et de sang avec leurs forces et leurs faiblesses, plus ou moins gris, jamais blancs ou noirs, méprisables souvent mais… On va suivre, vivre dans les pas de deux flics débutants aux dents longues l’un plongeant chez les nuisibles du SAC et l’autre commençant à pencher vers les socialistes ; d’un autre flic infiltré dans les milieux d’extrême gauche, Gourv, Breton pur jus, une vraie gueule, un mec inoubliable… et d’un mercenaire spécialisé dans les affaires reloues françaises en Afrique et parfois bras armé de Giscard. Ces quatre missiles vont filer vers une cible commune, le terroriste Geronimo. Ils se croiseront, se défieront, s’affronteront, se trahiront, vivront les tragédies du moment. L’intrigue est exceptionnelle, irrespirable et passionnante. La violence d’une époque est montrée sans fard mais aussi sans voyeurisme dans un tempo totalement halluciné où certaines structures de phrases, des paragraphes animés comme des mantras, ne manquent pas d’évoquer certaines folies d’Ellroy. Mais énorme avantage pour tous ceux que les histoires à Los Angeles du Dog commencent à saouler, Bleus, blancs, rouges, c’est chez nous, c’est nous, nos parents, notre belle vitrine qui commençait déjà à se fissurer. Personnellement je n’avais pas pris une telle raclée depuis Pukhtu de D.O.A.

Un pur moment de rock’n’roll!

Clete

LA COUR DES MIRAGES de Benjamin Dierstein / EquinoX / Les Arènes

Comme beaucoup j’ai découvert Benjamin Dierstein avec son western armoricain déjanté “ Un dernier ballon pour la route” qui signait l’arrivée dans la collection EquinoX de l’auteur breton, producteur de musiques électroniques. Mais les lecteurs les plus pointus en littérature policière le suivaient depuis “ La sirène qui fume” et “La défaite des idoles” parus il y a peu aux éditions du Nouveau Monde, deux premiers volets d’une trilogie qui s’achève avec “La cour des mirages”.  Précisons que vous n’avez absolument pas obligation d’avoir lu les premiers pour vous faire proprement dézinguer dans ce final.

“Juin 2012. Triomphe politique pour la gauche et gueule de bois pour la droite. Les têtes tombent. Les purges anti-sarkozystes au sein du ministère de l’Intérieur commencent. La commandante Laurence Verhaeghen quitte la DCRI et rallie la Brigade criminelle de Paris. Elle est rapidement rejointe par son ancien collègue Gabriel Prigent, hanté par la disparition de sa fille six ans plus tôt. Pour leur retour au 36, les deux flics écopent d’une scène de crime sauvage : un ancien cadre politique a tué sa femme et son fils avant de se suicider.”

D’emblée, vous comprendrez que Dierstein fait fi de la dentelle. On comprend, par les débuts de l’enquête, que l’on s’apprête à vivre des heures douloureuses. L’enquête cavale vers la prostitution enfantine organisée en réseaux pédophiles puissants et protégés dans cette nouvelle France politique qui s’organise autour du pouvoir politique socialiste de Hollande. 

On comprend qu’à remuer le caniveau de la sorte on va nous faire morfler gravement. Les souffrances infligées aux mômes sont certainement les histoires les plus dures à vivre et aussi certainement les romans les plus difficiles à réussir sans tomber dans le gore, le dégueulasse en surdose. Ici, Benjamin Dierstein évite intelligemment le piège même si les pages sont lourdes du sang des gamins et des larmes de parents. On ne tombe jamais dans l’ignominie malgré l’indicible, malgré l’insupportable, malgré l’innommable. 

“La cour des mirages” s’articule autour du triangle démoniaque pouvoir, argent et sexe dans sa configuration française de 2012. L’argent avec le scandale UBS, l’incomparable Jérôme Cahuzac, mais si rappelez-vous, le ministre du Budget, qui disait aux Français de se serrer la ceinture, qui s’érigeait en preux chevalier de la lutte contre l’évacuation fiscale quand lui planquait sa thune en Suisse. L’argent qui permet de tout acheter, d’assouvir ses pires penchants. Le pouvoir avec la sarkozye en retraite posant ses derniers pièges, les nouveaux barons, Valls et ses réseaux. Et le sexe dans sa version inhumaine que cet argent et ce pouvoir autorisent.

Propulsé à un rythme d’enfer, animé par la folie d’un Prigent allant vers sa fin, creusant sa tombe en cherchant dans cette affaire de disparitions des traces de sa fille disparue six ans plus tôt par sa faute, le roman nous immerge dans le pandémonium du cerveau de Prigent et nous conduit avec lui en enfer. Pas d’autre mot plus approprié pour vous décrire ce que vous allez vivre dans ce roman affolant par son contenu mais aussi par sa forme souvent hypnotique, martelé d’anaphores psychotiques et d’ellipses assassines.

Des impressions très dérangeantes… “le cri” de Munch dans un coin de la tête, des stridences insupportables, le sentiment que votre coeur va se briser de peine, des envies d’auto-justice, ce roman aussi exceptionnel et époustouflant de classe soit-il est fortement déconseillé aux personnes actuellement fragiles ou cherchant une histoire redonnant foi en l’humanité.

Si j’ignorais la sortie de deux romans dont j’attends beaucoup, je dirais, sans hésitation, que nous avons ici, début janvier, le polar français de l’année. Chapeau !

Clete.

PS: vous me servirez la même chose que monsieur Dierstein.

UN DERNIER BALLON POUR LA ROUTE de Benjamin Dierstein / EquinoX.

“Viré de l’armée, viré de la police, viré d’une boîte de sécurité privée, Freddie Morvan vivote de petits boulots. Pour rendre service à un ami, il se met sur la piste d’une enfant enlevée par des hippies. Avec Didier, qui manie aussi bien les bouteilles que les armes, Freddie parcourt la France jusqu’au village de son enfance.

Il y rencontre des propriétaires terriens mélancoliques, des apaches héroïnomanes, des chasseurs de primes asociaux, des clochards célestes, des fillettes qui parlent avec les loups, des chèvres dépressives, des barmaids alcooliques, des ouvriers rebelles, des trappeurs zoophiles, des veuves anarchistes, des médecins écervelés, des charlatans suicidaires, mais surtout des vaches mortes, beaucoup de vaches mortes.” 

Quand on lit la quatrième de couverture, on peut s’attendre à un roman “grave”, hors normes, déjanté. Le titre et la couverture vous aident à préciser cette première opinion confortée définitivement par une présence dans la collection EquinoX qui fouille intelligemment pour proposer d’autres univers bien réels, mais souvent dans l’ombre. Vous y êtes presque, pourtant cela reste bien en deçà de la vérité. Vous allez morfler ! EquinoX cite Crumley, s’exposant ainsi à passer pour une bande de graves toxicos, puis montre un peu de lucidité en évoquant Bukowski, on troque juste les bas-fonds de Los Angeles pour les tréfonds de la Bretagne…

Le roman débute, entre deux beuveries, par la récupération de la gamine disparue, à la dynamite avec une pyrotechnie avant-gardiste et animalière évoquant des hot dogs de guerre . Une véritable opération d’exfiltration en territoire hostile avec au moins 4g dans le sang. S’en suit un petit périple en France animé à s’en faire parfois mal aux côtes de rire. La gamine est rendue à son père et il reste les trois quarts du bouquin et plus vraiment d’intrigue en fait. 

On est au fin fond de la Bretagne, dans la campagne d’Ille ou Vilaine ou des Côtes d’Armor: blanc bonnet et bonnet blanc et sûrement pas mal de bonnets rouges aussi, mais le roman n’étant pas réellement une belle publicité pour la région, il est très sage de rester dans le flou. Freddie retrouve ses amis d’enfance, ses anciennes amours, ses lieux, ses souvenirs et part en riboule non-stop avec ses potes de toujours et les nouveaux amis de bamboche. Happy Hour 24/24! Les tableaux des locaux, sacrés lichous, s’enchaînent, hilarants, décalés ou attendrissants et toujours écrits avec un humour très redoutable basé souvent sur des ressorts totalement absurdes générés par des cerveaux sérieusement perturbés par des arrivées massives dans le sang de carburant à 40 chevaux ou de cocktails dangereux à manipuler avec précaution et en dernière extrémité.

C’est parfois si barré qu’on peut très bien être gagné par l’impression d’être aussi bourré que ces valeureux guerriers celtes, fiers seigneurs du zinc. Mais au bout d’un très long moment de délires éthyliques, le lecteur peut trouver un goût de bouchon au breuvage qu’on lui offre. Heureusement, sentant que c’est en train de partir gravement en distribil, et tout en multipliant les épisodes barges, Benjamin Dierstein revient dans une intrigue dont la soudaine gravité assombrira les faces avant l’embrasement final lors de la fête annuelle de la plus grande saucisse… Le début était explosif, le milieu éthylique, le final sera apocalyptique, il fallait oser. Je ne sais pas ce que consomme monsieur Dierstein mais je veux bien la même chose… Pour terminer sa cour des miracles armoricaine, il nous offre une jacquerie, tout simplement, au XXIème siècle, une putain de révolte de manants…

Alors ce roman qui vit dans les trocsons avec les histoires, la philosophie qui peuplent ces lieux, ne séduira pas tout le monde malgré l’humanité qui se pointe souvent derrière une sale blague, une anecdote tordue, un comportement à l’ouest. Par contre si vous goûtez les univers déjantés et absurdes du dessinateur Edika ou si vous rêvez de vous établir au Groland, vous allez passer de grands moments parfois très cons mais à hurler de rire. Osez un peu, passez la porte, le bar est ouvert et une belle équipe de pochtrons et de gentils dingues vous y attend, accrochés au comptoir, le verre bien rempli.

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