Chroniques noires et partisanes

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CARTEL 1011-LES BÂTISSEURS de Mattias Köping / Flammarion.

On avait raté les deux premiers romans de Mattias Köping  Les Démoniaques et Le Manufacturier  publiés chez un éditeur avec lequel nous n’entendions pas « collaborer ». On le découvre donc maintenant édité chez Flammarion avec  Cartel 1011 une trilogie sur un nouveau cartel. Les bâtisseurs est donc le premier tome racontant l’émergence dans la violence de cette nouvelle galaxie narcotrafiquante.

« La péninsule du Yucatán, entre le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes. Des sites d’une beauté renversante mais qui, depuis des siècles, se résignent à la violence. Le Yucatán est le fief du clan Hernandez, arrivé avec les premiers conquistadors et qui compte sur le pharaonique projet du Train Maya pour resserrer encore l’emprise qu’exerce son conglomérat, la toute-puissante Comex.

C’est là aussi, entre Cancún et Tulum, qu’émerge un nouveau cartel, le 1011, capable du pire pour asseoir son hégémonie sur les trafics internationaux.

Comme celui des capitaines d’industrie, l’appétit des criminels est sans limite. Tout s’achète et tout se vend : drogues, armes, matières premières, animaux, territoires, corps, âmes. Rares sont les téméraires qui osent leur résister.

En Europe aussi, les victimes s’accumulent. Les forces de police sont sur les dents, confrontées à une sauvagerie inédite.

Car nul ne bâtit de nouvel empire sans anéantir les précédents. »

Il est certain qu’on ne peut que louer le travail d’orfèvre de Köping, cette réussite à créer une histoire saisissante et passionnante en montrant la naissance d’une nouvelle figure du mal : le Cartel 1011. Il apparait un peu comme Anonymous : secret, indécelable et hyper informé sur ses adversaires et ennemis.  Débuté furieusement avec des scènes de violence souvent insoutenables situées aux quatre coins du globe où le groupe veut s’implanter, le roman laisse abasourdi, provoque une onde de choc qui n’est jamais démentie durant 600 pages explosives. Tout en détaillant cette guerre au départ mexicaine, Köping élargit la sphère pour montrer les « United colors » de la sauvagerie et de la barbarie tout en explorant aussi toutes les ramifications de ces cartels dans l’économie mondiale, la finance mais aussi dans la vie politique des états. Le constat est horrible, parfois connu mais mis en pleine lumière par un auteur qui sait, sans lasser, par sa documentation très pointue sur les cartels, les drogues et leurs réseaux de distribution, créer une addiction de premier ordre. Peuplé de personnages haïssables et de quelques « héros » suicidaires, « Cartel 1011 » parvient très rapidement à ferrer le lecteur qui ne lâchera plus l’histoire si…

Il y a un « si » et non des moindres. La violence sans nom, présente dès le début, est utile à comprendre l’ascension d’un cartel qui, comme les autres, adore médiatiser ses œuvres, massacres, viols et séances de torture pour rester dans un convenable dont l’auteur n’aura que faire… Mais ces horreurs, petit à petit, commencent à lasser car au bout d’un moment, elles n’apportent plus rien et ralentissent finalement une intrigue pourtant béton. Alors, un petit conseil, on peut sauter ces pages douloureuses, très, trop théâtralisées et dont on connait dès le début l’issue dégueulasse.

J’ai lu beaucoup de comparaisons de « Cartel 1011» avec des romans de Don Winslow ou même de D.O.A . et s’il est vrai que d’un point de vue de la documentation, de sa capacité à nous immerger avec précision et bonheur dans des théâtres de guerre très divers aux quatre coins du globe, Köping est à leur niveau , il échoue totalement dans la démonstration de la violence. Jamais la suggestion pourtant parfois bien plus terrifiante que le relatation chirurgicale, ne remplace le spectacle répétitif de la mise en pièces d’un individu… on patauge dans le sang, encouragé par un éditeur qui met en exergue sur la quatrième de couverture la phrase « « Cette violence-là ne ressemblait pas à celle qui se pratiquait en Europe. Pas encore, du moins. »

Si l’objectif de l’auteur et de l’éditeur était de montrer, sans voile, cette violence en train de s’exporter, le terme de « mexicanisation » de plus en plus présent dans le discours des politiques français, l’objectif est pleinement atteint, au-dessus des espérances certainement mais laisse apparaître néanmoins une certaine complaisance pour les scènes d’« abattage ». On aurait aimé un peu de finesse. C’est bien dommage car ce parti pris de montrer continuellement la violence physique met un peu en retrait toute la partie surprenante et géniale du roman sur le blanchiment de l’agent de la came dans des sociétés avec pignon sur rue, les belles vitrines respectables des salauds, le développement de sociétés toxiques aux apparences lisses, toute cette criminalité en col blanc, la plus dangereuse. Tous ces gens empoisonnent les populations puis pillent la planète avec l’aide des acteurs de la vie économique, politique ou religieuse.

Du très lourd, un peu relou parfois, dommage. Néanmoins un roman béton, vivement la suite.

Clete.

SUR LA DALLE de Fred Vargas / Flammarion

“Adamsberg quitte Paris pour la Bretagne afin d’enquêter sur des meurtres dont le principal suspect est un descendant de Chateaubriand.”

On attendait Adamsberg depuis six ans, enfin le revoilà qui plus est en Bretagne ! Certes, pas tout à fait la mienne, plutôt une carte postale sépia tirée des années 70 avec ses biniouseries que les gens nous envient : les légendes, les vieux cailloux, les boiteux, les fantômes, les piétineurs d’ombre, les cafés très conviviaux où vit le village… tout le folklore est présent. On avait quitté Adamsberg avec des araignées, il revient en chasseur de puces, attaché autant que l’auteure aux maux de la planète et aux dérèglements du climat.

Les fans du commissaire retrouveront avec plaisir son côté lunaire et totalement atypique et ses “je ne sais pas” devenus légende. Dans cet opus, il va jusqu’à s’allonger sur la dalle d’un dolmen, d’où le titre, pour éclaircir ses idées floues. On peut aussi saluer la grande diversité des personnages secondaires: de Josselin de Chateaubriand cultivant sa ressemblance avec son illustre ancêtre afin d’attirer les touristes jusqu’à l’aubergiste local, figure importante et restaurateur hors pair.

L’enquête est très alambiquée comme à l’accoutumée et on aime ou déteste Fred Vargas justement pour ça, mais cette fois, elle nous perd de temps en temps. On se lasse des multiples fausses pistes et malgré le bonheur de passer un moment avec Adamsberg, Retancourt et Veyrenc, on accueille la fin avec un certain soulagement.

Pour les inconditionnels, ce roman restera un plaisir. Aux nouveaux lecteurs, je conseillerais de découvrir Fred Vargas dans ses anciens romans comme “L’homme à l’envers” ou “Pars vite et reviens tard”.

Avec “Sur la dalle”, Fred Vargas nous laisse un peu sur notre faim.

Clete.

ILS ONT VOULU NOUS CIVILISER de Marin Ledun / Flammarion.

Au décours d’une nuit, où les éléments naturels se déchaînent et que le dieu Eole trace son impitoyable sarabande, les existences de cinq hommes se trouveront mêlées dans des affrontement sans retour. La côte landaise en est le décor, les pinèdes formant un paysage reproductible à l’infini, et les haines, les colères couplées à cette apocalypse nous décriront un bal bien macabre.

« Thomas Ferrer n’est pas un truand. Pas vraiment. Les petits trafics lui permettent de sortir la tête de l’eau, même si la vie n’a pas été tendre avec lui. De petits larcins en détournements de ferraille, le voilà face à face avec un truand, un vrai cette fois. Celui-ci, laissé pour mort par Ferrer, embarque deux frères assoiffés de vengeance à la poursuite de son agresseur. La traque sera sans pitié, alors qu’une puissante tempête s’abat sur la région. Une histoire envoûtante où les éléments se déchaînent en même temps que les passions, au service d’une profonde humanité. »

Les petits boulots, un horizon flou ou masqué, des destins qui n’ont jamais pris leurs élans, des fréquentations délétères, pour les uns, le passé telle une chape de béton qui cloue le présent dans une gangue d’acrimonies, de remords, de sur place, de haines injustifiées envers autrui pour les autres. C’est dans cet assemblage surprenant que le réel violent s’entredéchire avec, comme bien trop communément, l’avidité, la cupidité en points d’orgue.

Si l’on devait admettre ou rechercher des points convergents avec son précédent écrit, « En Douce », ils se situeraient irrémédiablement dans ces face à face. Néanmoins les ressorts symptomatiques, qui amènent ces protagonistes à se combattre n’ont pas les mêmes étiologies. Là, le filigrane et l’agent causal n’est pas aussi évident de prime abord, mais le recul et la digestion se faisant, on prend conscience que l’on est encore face à une descente inexorable nous clouant à ce résultat. Descente favorisée par les cicatrices d’un passé, par des choix qui n’ont pu s’affirmer ou s’ouvrir tels des sas vers une chaleureuse lumière.

Marin Ledun garde son cap, affirme son message et réussit, avec une âpreté identitaire, la friction de personnalités dont le vernis ne permet pas la compatibilité. L’enjeu des émotions, dont la pudeur reste de mise, évolue dans une transcendance favorisée par un écrit ramassé qui sied à sa narration et au récit conté.

La civilisation a du bon mais l’imposer avec intransigeance est voué à l’échec.

Rugueux, me faisant évoquer à une référence littéraire : « Laissez bronzer les cadavres »

NOIR SANG !

Chouchou.

 

AMERICAN WAR de Omar El Akkad / Flammarion.

Traduction: Laurent Barucq.

Dans son premier roman, le journaliste Omar El Akkad imagine des Etats-Unis ravagés par une Seconde Guerre de  Sécession, à la fin du XXIe siècle. Dans la veine dystopique devenue familière aux lecteurs et téléspectateurs, c’est la plausibilité des projections d’Omar El Akkad qui donne à son roman un aspect de sombre prophétie.

  • le réchauffement climatique et ses conséquences ont modifié la géographie des Etats-Unis. Ouragans et montée des eaux ont submergé la Floride, le sud de la Louisiane, d’autres côtes au bord de la nouvelle Mer du Mississippi. Les températures caniculaires empêchent l’agriculture et font progresser la désertification dans tout l’intérieur du pays.
  • La décision du pouvoir  à Colombus (nouvelle capitale) de bannir les énergies fossiles, responsables de ces dérèglements, à l’origine aussi de plusieurs accidents écologiques, provoque la rébellion et la sécession des Etats du Sud, où les intérêts pétroliers sont importants et où est cultivée une mythologie historique et identitaire dévoyée.
  • La guerre éclate en 2074, après un attentat-suicide contre la personne du président de l’Union. Elle va durer 19 ans, jusqu’en 2093 et opposer les Bleus de l’Union contre les Rouges sécessionnistes du Mississippi, de l’Alabama, de Géorgie et de Caroline du Sud, dans un imbroglio de combats entre milices, d’attentats, de frappes de drones, de déplacements de populations et de massacres de civils, qui n’est pas sans rappeler ce que subissent certains malheureux pays du Moyen-Orient actuel.
  • Comme autant d’échos d’un déclin états-unien, le Mexique récupère au bout du fusil ses anciens territoires et l’Union Bouazizi des pays arabes envoie aide humanitaire et conseillers militaires pour que cette guerre fratricide s’étire et continue d’affaiblir un rival.

Ce cadre touffu ainsi posé, il convient d’indiquer qu’American War est avant tout un récit familial qui s’attache à suivre les Chestnut de Louisiane sur une période de près de 50 ans. L’enfance de Sarat s’achève brusquement avec la mort de son père dans un attentat. Avec sa mère, son frère, sa sœur, elle doit rejoindre un camp de réfugiés. Au fil des épreuves et des injustices, la fillette se transforme. Avec un physique déjà atypique, pleine de ressources et de résolution, elle s’endurcit, grince de révolte. Un homme la prend sous son aile et en fait petit à petit une féroce combattante dont les actions auront des répercussions sur l’ensemble du conflit. Trahie, arrêtée, torturée, brisée, elle sera libérée à la fin du conflit, la guerre et la vengeance couvant de façon inextinguible dans son cœur. Jusqu’au bout, Sarat voudra tuer la Paix et incarner la Mort, la sienne et celle des autres.

Pour employer un terme qui fait florès, c’est une « radicalisation » sans retour véritable que nous raconte American War, la transformation d’une personnalité dans un contexte de guerre, influencée par des expériences terribles, manipulée par des croyances et des idéologies ou tout simplement bernée par ceux qui l’entourent, des « recruteurs » aux motifs troubles, jusqu’à basculer sans retour dans l’obscur.

_ Enfin quand ils nous ont fait rentrer d’Irak et de Syrie pour la dernière fois, j’ai un peu bourlingué avant de m’installer à Montgomery. Tu sais, dans ce pays, on a la fâcheuse habitude de réfléchir à nos guerres après les avoir faites, et il faut croire qu’on avait décidé que la guerre où on m’avait envoyé n’était pas si une bonne idée que ça. Dans le Nord, tous les gens qui apprenaient que j’avais été au front voulaient en débattre, encore et encore, comme si c’était moi qui avais donné l’ordre d’y aller. Au Sud, ils ne font pas ça ; du moins, personne ne me l’a fait.

_ C’est tout ? Ils étaient sympas avec vous, ici, alors vous vous êtes rallié aux Rouges ?

_ Non a dit Gaines. J’ai rejoint les Rouges parce que, quand un sudiste te raconte pour quoi il se bat – que ce soit la tradition, la fierté ou simplement l’obstination -, tu peux être d’accord ou pas, mais tu ne peux pas dire que c’est un mensonge. Quand un nordiste te raconte pour quoi il se bat, il emploie des mots comme « démocratie »,  « liberté » et « égalité », mais vous savez très bien tous les deux que le sens de ces mots change jour après jour comme le temps qu’il fait. J’en ai eu assez de tout ça. Si tu prends les armes pour te battre pour une cause, tu as intérêt à ne pas changer d’avis. Que tu aies raison ou tort, tu assumes ce pour quoi tu te bats et tu ne changes jamais, jamais d’avis.

_ Alors vous pensez qu’on a tort ? Vous pensez qu’on ne se bat pas pour une bonne cause ?

_ Non, et toi ?

_ Non.

_ Mais si c’était le cas ? Si tu étais sûre d’avoir tort, est-ce que ça suffirait pour que tu te retournes contre les tiens ?

_ Non. »

Gaines a souri.

_« C’est bien ma fille. »

 

On pourra garder certaines réserves sur la construction du roman (la narration du personnage principal, enchâssée dans celle de son neveu qui lui a survécu. Devenu historien de la période, il insert de façon régulière et plus ou moins adroite des extraits de documents officiels, d’archives, de mémoires, pour replacer en perspective les épisodes de la longue guerre civile) et son écriture (certaines lignes de dialogue un peu trop mélo). Il conserve néanmoins une force certaine et un aspect dérangeant. American War nous propose un avenir pour un pays et ses (mauvaises) habitudes impériales et militaires, son déni d’un bouleversement climatique mondial en cours et sa facilité à jouer sur de vieilles fractures historiques, sociales, raciales plutôt que de les dépasser. Il est terrible d’évocation, car il ressemble au pire présent que d’autres peuples doivent affronter aujourd’hui.

Après tout, qu’est ce que la sécurité sinon le bruit des bombes qui tombent sur la maison de quelqu’un d’autre ?

Une fable lugubre pas si irréelle. Les réfractaires au roman d’anticipation n’y trouveront  peut-être pas leur compte.

Paotrsaout.

 

QUAND SORT LA RECLUSE de Fred Vargas chez Flammarion

Fred Vargas est une archéozoologue et une écrivaine qu’on ne présente plus tant ses livres ont du succès, notamment ceux de la série du commissaire Adamsberg qu’on retrouve ici avec bonheur.

« – Trois morts, c’est exact, dit Danglard. Mais cela regarde les médecins, les épidémiologistes, les zoologues. Nous, en aucun cas. Ce n’est pas de notre compétence.

– Ce qu’il serait bon de vérifier, dit Adamsberg. J’ai donc rendez-vous demain au Muséum d’Histoire naturelle.

– Je ne veux pas y croire, je ne veux pas y croire. Revenez-nous, commissaire. Bon sang mais

dans quelles brumes avez-vous perdu la vue?

– Je vois très bien dans les brumes, dit Adamsberg un peu sèchement, en posant ses deux mains à plat sur la table. Je vais donc être net. Je crois que ces trois hommes ont été assassinés.

– Assassinés, répéta le commandant Danglard. Par l’araignée recluse? »

Adamsberg et son équipe, cette brigade qu’on aimerait réelle où les enquêtes soulèvent toujours des questions existentielles qui font évoluer même les plus bourrins, où l’on nourrit chat et merles. Adamsberg, policier original avec ses pensées volatiles, ses intuitions brumeuses, son œil sans pareil pour les détails qui paraissent insignifiants, Danglard sa mémoire érudite et sa rigueur presque insoluble dans le vin, Retancourt la déesse mère, Peyrenc le poète… et tous les autres, on les retrouve avec un grand plaisir, avec en prime une visite de Mathias, personnage d’anciens romans que personnellement j’adore.

Pourtant, dans cet opus, la brigade n’est pas loin d’imploser : Danglard s’oppose à Adamsberg de façon inédite et brutale et menace de briser l’unité de la brigade. L’enquête démarrée sur un frisson de nuque d’Adamsberg se fera donc sans et malgré lui, après trois morts par morsure de recluse, une petite araignée du sud de la France peu agressive et normalement non mortelle, contrairement à sa cousine d’Amérique, malgré un venin nécrotique capable de provoquer des dégâts horribles chez les sujets sensibles.

Mais les recluses ce sont aussi ces femmes qui se faisaient volontairement emmurer vivantes au Moyen-Age. Considérées comme des saintes protectrices de par le sacrifice de leur vie, elles survivaient grâce à la charité et aux dons qu’on leur passait par une fenestrelle. Fred Vargas, l’historienne amoureuse des mots ne pouvait passer à côté : elle nous entraîne dans une sombre histoire de recluses qu’elle tisse de main de maître en jouant avec les sens, les racines des mots sans oublier leur musique ! Son écriture ciselée, sensuelle crée un univers étrange et poétique avec des dialogues savoureux et on y plonge avec délice.

L’affaire des morts par morsure de recluse fait du bruit sur le net dans les blogs spécialisés : la cousine américaine de la recluse a-t-elle pris l’avion ? Le dérèglement climatique est-il en cause ? Les hypothèses vont bon train et cette mini psychose donne un prétexte à Adamsberg pour enquêter. Il va être entraîné dans une histoire noire, violente dont les racines plongent loin dans le passé mais aussi dans les ténèbres de l’esprit humain, le mal dont il est capable, la souffrance qu’il peut infliger. Une histoire dont personne ne sortira indemne, ni les personnages, tous réussis, ni le lecteur.

Fred Vargas raconte une histoire extraordinaire tout en étant complètement vraisemblable. La psychologie des personnages est fouillée, même les inconscients s’expriment, Fred Vargas connaît la puissance des mots et des noms. Elle réussit à nous tenir en haleine jusqu’au bout et nous offre un roman fort qui nous confronte au Mal et résonne longtemps après avoir refermé le livre.

Magnifique !

 

Raccoon.

BIENVENUE A COTTON’S WARWICK de Michael Mention/ éditions Flammarion / Ombres Noires

Plongez en apnée dans une zone reculée, inamicale, du pays continent ! La dépravation inéluctable et brutale d’un îlot de congénères aux prises à une mystérieuse aberration, une damnation sans issue, débouchera sur un jeu de mikado hémorragique où le moindre relâchement, la moindre hésitation seront synonymes d’anéantissement au propre comme au figuré.

« Ici, il n’y a rien. Excepté quelques fantômes à la peau rougie de terre, reclus dans le trou du cul de l’Australie. Perdus au fin fond du Northern, ce néant où la bière est une religion et où les médecins se déplacent en avion. »

Australie, Territoire du Nord.

Dans l’Outback, on ne vit plus depuis longtemps, on survit.

Seize hommes et une femme, totalement isolés, passent leurs journées entre ennui, alcool et chasse.

Routine mortifère sous l’autorité de Quinn, Ranger véreux.

Tandis que sévit une canicule sans précédent, des morts suspectes ébranlent le village, réveillant les rancoeurs et les frustrations.

Désormais la peur est partout, donnant à ce qui reste de vie le goût fielleux de la sueur, de la folie et du sang.

Vous n’oublierez jamais Cotton’s Warwick. »

 

Cette communauté, inhospitalière de par sa géographie, composée d’un groupe numériquement proche d’une équipe de rugby sans la totalité de ses remplaçants, est dirigée par un matamore arguant de son emprise par la justice expéditive, l’édiction de règles autocratiques et la mise en place d’un trafic licencieux. Le semblant de village tourne autour de préoccupations et d’occupations binaires. Dans cette ode à la divination « glut », la vie dans ce trou du cul du monde s’articule sur des pivots rimant avec poivrots et bas du plafond. La zizanie, l’éclatement de cet équilibre précaire vont brutalement prendre la forme d’un éboulement d’un jeu de dominos mortifère.

Les fondations de l’ouvrage m’ont fait penser, par certains de ces aspects, instinctivement, comme le ressaut de souvenirs enfouis, au film de Christian de Chalonge MALEVIL. Dans sa dramaturgie, dans l’isolement d’êtres aux prises avec des démons, avec leurs démons, l’on est aspiré dans un gouffre noir dont on ne voit pas le fond.

C’est comme une peau sans l’épiderme, ça suinte, ça douille, c’est poreux, pas de barrières contre la vermine et la désolation. Une brûlure corps entier faisant hurler de douleur, scalps d’esprits en déroute, à la dérive, voués à l’abandon, à la vacation de la décence, au refus inconscient d’une dignité.

Dans ce cauchemar livresque, on s’agite en tout sens, on sue abondamment, notre subconscient n’est pas épargné et la violence crescendo abolit notre sens rationnel mais l’on sait que l’on va se réveiller…. La chute vertigineuse du pas dans le vide coupera cette horreur et l’on pourra se désaltérer d’une large rasade d’eau fraîche. Et bien NON, il n’y rien d’onirique on est dans une réalité crue et effroyable.

A ne pas mettre dans toutes les mains, M. Mention s’ouvre sur un autre pan de sa littérature en paraphant comme il se doit cet opus d’un habillage musical aux petits oignons soit complètement en lien avec le contexte soit en complet décalage pour renforcer le malaise.

Suffocant à plus d’un titre !

Chouchou.

 

 

EN DOUCE de Marin Ledun/Ombres Noires Flammarion.

Une revanche qui semble préméditée, muée par une logique implacable aspire Emilie à incarner des personnages sur des profils empreints du sceau du tourment. On navigue en eaux troubles dans cette descente en enfer. Ce face à face noir khôl permettra au lecteur de se faire sa propre analyse, son propre ressenti, sa propre histoire…

« Sud de la France. Un homme est enfermé dans un hangar isolé. Après l’avoir séduit, sa geôlière, Émilie, lui tire une balle à bout portant. Il peut hurler, elle vit seule dans son chenil, au milieu de nulle part. Elle lui apprend que, cinq ans plus tôt, alors jeune infirmière, elle a été victime d’un chauffard. L’accident lui a coûté une jambe. Le destin s’acharne. La colère d’Émilie devient aussi puissante que sa soif de vengeance.”

Entre alternance du présent et vision du passé, nous, lecteurs, sommes aux prises avec une vie fissurée, fracturée, « amputée »…Son tracé sinueux qui ne cesse de s’infléchir vers l’échec, les rêves brisés, le destin embrumé pousse sensiblement, mais variablement, à l’empathie alternative. (Tant pour l’agressé que pour l’agresseur). Leurs existences irrémédiablement liées et, surtout, leur duel présenteront les signes progressifs du syndrome de Stockholm.

Emile la noire, l’éclopée, pourrait être l’addition, la résultante, d’un système, d’une société qui brise les destinées, qui ne tend pas la main à ceux qui le nécessitent. Les problématiques soulevées telles que l’origine sociale, le handicap, l’épuisement professionnel en représentent bien des stigmates. Malgré la volonté, Emilie sombre, Emilie se noie dans sa conscience, dans son subconscient. Insidieusement, puis comme une évidence, sa psychose se matérialise derrière le personnage de Simon.

Sa cible, elle se la représente comme le mille, comme la solution, la réponse à ses maux. Et le discours, le prisme rhétorique choisis par l’auteur ouvre à l’oscillation ambiguë de personnalités confondues. Elle se cherche, ON la cherche dans ces échanges humains râpeux, abrasifs. De ce tourbillon de rancœurs s’opérera une inflexion surprenante et l’on découvrira un binôme inattendu symboles d’un miroir des âmes.

Déstabilisant, incisif sur un ressenti de lecture strictement personnel…

Lacéré, évidé le roman se veut une reconstruction par la vacuité de l’effacement d’un virage en épingle de vie.

En dérive… (Broyer du dur) !

Chouchou.

 

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