Traduction: Rémi Cassaigne.
Dans les eaux putrides d’un lac où se mêlent excréments de la ville, carcasses d’animaux des abattoirs est retrouvé le cadavre d’un homme. Il a été amputé des deux jambes, des bras, de la langue, des yeux et des dents mais à chaque fois les plaies ont été soignées pour le maintenir en vie. Son calvaire a dû durer des mois, le maintenant dans son cauchemar mais ces amputations ne sont pas la cause de sa mort, pas plus que la noyade. Nous sommes à Stockholm en 1793 et il y a quelque chose de pourri au royaume de Suède.
La guerre contre la Russie, caprice du roi, a laissé la population exsangue, le peuple est affamé, abruti, victime des épidémies, de la faim, de l’obscurantisme et de l’alcoolisme qui permet de tenir dans le chaos, de ne plus voir l’enfer quotidien et d’y échapper de façon prématurée et salvatrice. Le pouvoir est corrompu, la crainte de la contagion de la Révolution française est grande et ceux qui détiennent le pouvoir, la noblesse et le clergé: duo maléfique et leur valetaille, font tout pour le conserver, pour garder leurs privilèges et les avantages qui vont avec. Cardell, manchot, vétéran de la guerre contre la Russie, buvant sa vie brisée par son roi de droit divin, qui a sorti de l’eau le supplicié va être employé par Winge, homme de loi, incorruptible et condamné à brève échéance par la tuberculose qui le ronge, pour l’aider dans l’élucidation de cette abomination qui indiffère les autorités et le commun des mortels mais qui leur est à tous deux insupportable.
Il s’agit ici du premier roman de Niklas Natt och Dag, issu de la plus ancienne famille noble suédoise et nul doute que nous n’avons pas fini d’entendre parler de lui. Roman subtilement monté en quatre parties correspondant à quatre saisons et écrit par une plume virtuose voit sa première saison se terminer dans une impasse pour les deux enquêteurs partis fouiller dans les bas-fonds d’une ville à vomir et dans le giron d’élites perverses. Les deuxième et troisième parties surprennent au début par leur absence de lien visible avec l’affaire. On reste bien sûr dans le thriller qu’est avant tout “1793” mais l’auteur se penche sur le destin de la jeunesse du pays.”Rouge, humide” raconte le destin de Kristofer Blix jeune de la campagne venu chercher fortune dans la capitale en tentant d’arnaquer les jeunes nobles friqués tandis que la troisième partie “Papillon de nuit” (surnom donné aux prostituées) contera l’enfer terrestre vécu par Anna Spina Knapp, symbole de la condition des femmes en Suède comme sous toutes les latitudes à l’époque, victimes des hommes qu’ils aient le pantalon sur les chevilles, l’uniforme ou la soutane. Habilement, Niklas Natt och Dag (nuit et jour) relie tous les fils afin d’offrir un final époustouflant à un roman tout à fait exceptionnel.
“1793”, thriller historique, est un roman comme on en rencontre peu dans le genre. Dès la première page, on est stupéfait, hébété par l’histoire comme par le talent de l’auteur. On peut évoquer, “le parfum” de Süskind pour l’épouvantable Cour des Miracles, “l’aliéniste” aussi, bien que “1793” soit nettement plus puissant, plus profond, plus noir. Evidemment, c’est un écrit sans concession, horrible à bien des moments, révoltant souvent mais d’une puissance énorme vous entraînant vers des abîmes insondables et qui, du coup, s’avère très, très dispensable aux personnes sensibles. Niklas Natt och Dag instille l’hébétètement, la colère, la révolte, l’effroi, l’horreur avec un talent qui l’impose, pour moi, au même niveau que le Tim Willocks de “La Religion”. Choc identique.
En voguant sur le Styx, vous arrivez à Stockholm… “1793”, l’enfer suédois.
Wollanup.
Je l’avais repéré à l’occasion de sa traduction en anglais, les critiques étaient aussi très élogieuses, ce que tu dis dans ta belle chronique me pousse à l’avancer sur ma pile de livres à lire… j’ai besoin d’un livre pour me remettre du choc phénoménal qu’a été la lecture du nouveau roman d’Alain Damasio…
Bon week-end !
Salut Tanhauser,
alors peut-être que tu trouveras que personne ne peut égaler le Willocks de « la religion » mais j’y ai retrouvé le même puissance, la même horreur dans la description de la guerre, des personnages très forts, le même pandémonium, la même intelligence, le même effroi et j’ai connu le même choc à la lecture. un roman dur, peut-être moins baroque que Willocks, mais quelle écriture, quel talent.
Merci de ton passage.
Wollanup.
PS: Damasio, 700 pages… vais m’y intéresser;
Le parfum, La religion… Tu as trouvé les références pour me convaincre !
J’espère alors que je ne me suis pas trop enflammé dans les références. Et j’ajouterai que c’est le premier volume d’une trilogie. Enfin l’auteur a déjà exprimé son admiration pour le travail de Eco dans « le nom de la rose ».
Je viens de le terminer, et j’avais pensé à la religion a priori, au vu du résumé.
Je l’ai trouvé très fort, mais quand même loin du monstre de Willocks. Dans La religion j’avais ressenti la violence, dans son horreur mais également, dans certaines batailles, dans la jouissance, d’une façon jamais approchée ici.
Ca tient aussi au fait, peut-être, que Willocks nous plonge en pleine mêlée, alors que 1793 arrive après la guerre, du coup il n’a pas la même ampleur.
Bref très bien, mais quand même, loin du monstre.
Et j’ai aussi le Damasio, en attente, pour cet été peut-être …
Salut Jean-Marc,
J’avais lu avec intérêt ta chronique de 1793 mais je persiste à dire que ce n’est pas très loin de « La religion ». Je ne parle pas de la suite « les douze enfants de Paris » qui m’a paru un peu trop « kill them all ». Je trouve justement que les scènes de batailles navales contre la Russie ont la même effroyable force d’évocation que le siège de Malte chez Willocks. Après, et tu as raison, l’ histoire se situe « après » la guerre mais de manière générale, j’ai trouvé 1793, particulièrement crispant et j’attends avec impatience les deux volumes suivants de la trilogie. On est néanmoins d’accord que c’est une très belle découverte.
Damasio? Jamais entré dans son univers mais je vois beaucoup de buzz autour de son nouveau roman.
Le nouveau Clément Millian à sortir début mai chez EquinoX parle lui aussi de manière très dure de guerre, celle de 100 ans, avec, il me semble, pour ce que j’en ai lu pour l’instant, un ersatz de Gilles de Rais comme figure du mal.