Chroniques noires et partisanes

Étiquette : Niklas Natt och Dag

1794 de Niklas Natt och Dag / Sonatine.

Traduction: Rémi Cassaigne.

1794 est la suite directe de 1793 premier volume de la trilogie créée par l’auteur suédois Niklas Natt och Dag (Nuit et Jour) que nous avions particulièrement encensé à sa sortie en 2019. Il commence donc aux premières heures de l’année dans une ville de Stockholm très loin des idées que l’on se fait de la Scandinavie en général et de la Suède en particulier et prolonge directement l’histoire épouvantable contée précédemment.

“Stockholm, 1794. Une nouvelle année commence sous le régime autoritaire du baron Reuterholm, conseiller du roi. Dans une métairie de l’intérieur du pays, une jeune fille est retrouvée morte le lendemain de ses noces. Victime d’une attaque de loups, conclut-on un peu précipitamment. Sauf que le jeune marié est introuvable. Et que personne ne semble vouloir faire la lumière sur cette étrange affaire. Désespérée, la mère de la victime décide de faire appel à Jean Michael Cardell, un invalide de guerre traumatisé par sa dernière enquête. Voyant une occasion de garder ses démons à distance, Cardell se lance corps et âme dans cette nouvelle investigation. Mais il est loin d’imaginer l’ampleur et la monstruosité de la vérité.”

La quatrième de couverture ne rend pas vraiment compte de l’ampleur du roman et donne à penser que l’on se trouve dans un simple whodunit historique. Or, Niklas Natt och Dag, comme l’indique bien le titre, couvre une année entière et si la résolution de l’énigme, un peu prévisible, crée un mystère, elle n’est qu’une petite partie du propos de l’auteur. On retrouve avec grand plaisir Jean Michael Cardell qui s’associe avec le frère de son associé du premier opus. Réapparaît aussi un personnage particulièrement touchant qui émouvait tout au long de 1793. S’y greffent d’autres personnages, eux aussi passionnants, dans le malheur comme dans l’horreur.

La récurrence de certains personnages n’empêche pas de lire uniquement ce deuxième tome mais, néanmoins, si vous voulez vraiment comprendre les agissements et la psychologie des êtres qui se débattent dans ce cauchemar géant qu’est Stockholm à l’époque, attaquez l’histoire par le début, c’est à dire par le redoutablement brillant 1793.

1794 ne bénéficie plus de l’effet de surprise provoqué par le précédent. L’écriture reste magnifique, très adaptée au propos et semble-t-il à l’époque et c’est un réel plaisir, coupable parfois, de déambuler avec Cardell dans le marasme de la capitale et des campagnes. Mais, la succession de descriptions de lieux très visuelles, cinématographiques peuvent parfois lasser car elles ralentissent le développement de l’intrigue de manière parfois un peu inutile mais aussi quelque peu redondante. Pareillement, la narration des plaies qui gangrènent le pays incitant la population à se comporter de la plus vile des manières afin de garder la tête au dessus de la fange, fait parfois montre d’excès, de surplus d’abominations, de surenchère dans l’ignominie. Ces horreurs racontées sont certes nécessaires pour expliquer le délitement de la société mais leur répétition et leur assènement systématique peuvent provoquer un certain malaise. La multiplication de scènes parfois aussi horribles que parfaitement inutiles peuvent légitimement déplaire, lasser ou provoquer des sentiments bien dérangeants.

Néanmoins, grâce à la finesse de la plume, à l’empathie créée par l’infortuné Cardell, on fonce dans une intrigue un peu bien moins calibrée que dans 1793. L’auteur multiplie les intrigues et si son talent lui permet de ne jamais perdre le lecteur, certains passages, notamment au début pourront désorienter les lecteurs les moins attentifs. Outre Stockholm, Niklas Natt och Dag nous emmène longuement à St Barth, bien avant Johnny et sa clique, à l’époque où l’île qui s’appelait encore Saint Barthélemy, propriété de la couronne suédoise, était le théâtre de bien viles pratiques.

En fait, l’écriture divine, la noirceur horrifique, atouts du premier roman, plombent un peu cette deuxième partie par leur succession, leur exagération et leur systématisation. 1794 peut se voir un peu comme “les douze enfants de Paris”, suite imparfaite du chef d’œuvre “la Religion” de Tim Willocks souffrant pareillement de l’abus de scènes de violence aveugle. Néanmoins, 1794, reste un sacré bon roman particulièrement recommandé aux lecteurs n’ayant pas froid aux yeux et avides d’intrigues historiques de grande qualité sur des territoires ou des époques peu courus sous nos latitudes.

Clete.

1793 de Niklas Natt och Dag / Sonatine.

Traduction: Rémi Cassaigne.

Dans les eaux putrides d’un lac où se mêlent excréments de la ville, carcasses d’animaux des abattoirs est retrouvé le cadavre d’un homme. Il a été amputé des deux jambes, des bras, de la langue, des yeux et des dents mais à chaque fois les plaies ont été soignées pour le maintenir en vie. Son calvaire a dû durer des mois, le maintenant dans son cauchemar mais ces amputations ne sont pas la cause de sa mort, pas plus que la noyade. Nous sommes à Stockholm en 1793 et il y a quelque chose de pourri au royaume de Suède.

La guerre contre la Russie, caprice du roi, a laissé la population exsangue, le peuple est affamé, abruti, victime des épidémies, de la faim, de l’obscurantisme et de l’alcoolisme qui permet de tenir dans le chaos, de ne plus voir l’enfer quotidien et d’y échapper de façon prématurée et salvatrice. Le pouvoir est corrompu, la crainte de la contagion de la Révolution française est grande et ceux qui détiennent le pouvoir, la noblesse et le clergé: duo maléfique et leur valetaille, font tout pour le conserver, pour garder leurs privilèges et les avantages qui vont avec. Cardell, manchot, vétéran de la guerre contre la Russie, buvant sa vie brisée par son roi de droit divin, qui a sorti de l’eau le supplicié va être employé par Winge, homme de loi, incorruptible et condamné à brève échéance par la tuberculose qui le ronge, pour l’aider dans l’élucidation de cette abomination qui indiffère les autorités et le commun des mortels mais qui leur est à tous deux insupportable.

Il s’agit ici du premier roman de Niklas Natt och Dag, issu de la plus ancienne famille noble suédoise et nul doute que nous n’avons pas fini d’entendre parler de lui. Roman subtilement monté en quatre parties correspondant à quatre saisons et écrit par une plume virtuose voit sa première saison se terminer dans une impasse pour les deux enquêteurs partis fouiller dans les bas-fonds d’une ville à vomir et dans le giron d’élites perverses. Les deuxième et troisième parties surprennent au début par leur absence de lien visible avec l’affaire. On reste bien sûr dans le thriller qu’est avant tout “1793” mais l’auteur se penche sur le destin de la jeunesse du pays.”Rouge, humide” raconte le destin de Kristofer Blix jeune de la campagne venu chercher fortune dans la capitale en tentant d’arnaquer les jeunes nobles friqués tandis que la troisième partie “Papillon de nuit” (surnom donné aux prostituées) contera l’enfer terrestre vécu par Anna Spina Knapp, symbole de la condition des femmes en Suède comme sous toutes les latitudes à l’époque, victimes des hommes qu’ils aient le pantalon sur les chevilles, l’uniforme ou la soutane. Habilement, Niklas Natt och Dag (nuit et jour) relie tous les fils afin d’offrir un final époustouflant à un roman tout à fait exceptionnel.

“1793”, thriller historique, est un roman comme on en rencontre peu dans le genre. Dès la première page, on est stupéfait, hébété par l’histoire comme par le talent de l’auteur. On peut évoquer, “le parfum” de Süskind pour l’épouvantable Cour des Miracles, “l’aliéniste” aussi, bien que “1793” soit nettement plus puissant, plus profond, plus noir. Evidemment, c’est un écrit sans concession, horrible à bien des moments, révoltant souvent mais d’une puissance énorme vous entraînant vers des abîmes insondables et qui, du coup, s’avère très, très dispensable aux personnes sensibles. Niklas Natt och Dag instille l’hébétètement, la colère, la révolte, l’effroi, l’horreur avec un talent qui l’impose, pour moi, au même niveau que le Tim Willocks de “La Religion”. Choc identique.

En voguant sur le Styx, vous arrivez à Stockholm… “1793”, l’enfer suédois.

Wollanup.


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