Traduction : Mona De Pracontal.
Il y a de l’eau, tout autour. Alors forcément, les ombres du Robinson de Defoe ou du vieil homme d’Hemingway s’invitent et dessinent le seul horizon disponible au milieu d’un océan sans fin. Il n’a pas de nom, il dérive, à bord de son kayak, frappé par la foudre, abandonné par ses amarres terrestres. Il dérive, ses pensées aussi, entre désespoir et instinct de survie, entre le présent, à savoir une épouse et un enfant à naître, et les réminiscences d’un passé aux côtés d’un père récemment décédé.
Parti justement pour disperser en mer les cendres paternelles, le naufragé se retrouve quasiment amnésique et engoncé dans un corps diminué par de multiples blessures.
« Peu importe qui tu es. Tu sais ce que tu es, physiquement, et que tu es dans un kayak en pleine mer. La seule chose qui compte, pour le moment, c’est ce que tu es. »
À la fois riche et précise, rythmée, ramassée, comme pour résister aux vents, l’écriture de Cynan Jones ressemble à la végétation rase et dure au mal de son Pays de Galles natal. Aberaeron, Aberystwyth, des lieux où l’iode vous fouette le sang mais où l’humidité ambiante n’irrigue jamais l’aridité des existences. En une prose épurée, aisément poétique, l’auteur du déjà sublime À coups de pelle (En 2017, aux éditions Joëlle Losfeld également) nous emmène au large cette fois, et ce n’est pas si large, le large. Il nous y entraîne pour mieux nous étouffer entre le clapot des souvenirs, leurs ressacs en ordre aléatoire, et des piques de douleurs tant physiques que morales. Chaque phrase ricoche contre les murs imaginaires d’un huis clos à ciel ouvert pour nous rappeler l’insignifiance de l’être humain face à l’infinité des éléments. Les rêves et les efforts s’entremêlent en de brefs paragraphes qui prennent leur temps sans le perdre puisque cette notion a disparue : « Temps est un mot qui lui semble trop spécifique. Il pense en moments, en instants, des éléments moins mesurables ».
Si les mots adoptent l’état vaporeux de leur victime solitaire, il ne faudrait pas néanmoins prendre ce livre pour un exercice de style. Sa petite centaine de pages se lit bien au contraire avec toute l’aisance d’un flux marin sans colère. Il suffit de se laisser porter, on dira plutôt de se laisser flotter.
JLM
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