Chroniques noires et partisanes

Étiquette : super 8

POPULATION 48 d’ Adam Sternbergh / Super 8.

Traduction: Charles Bonnot.

« Tout le monde est coupable, personne ne sait de quoi ».

Imaginez un groupement de bungalows entouré d’une clôture, fermé par un portail, au Texas, au milieu de nulle part, 48 habitants, des hommes, des femmes et un enfant né il y a 8 ans dans cette ville fantôme de Caesura. Trois règles régissent cet endroit : pas de visiteur, pas de contact, pas de retour.

« Si tu veux garder un secret, commence par le protéger de toi-même » fut le credo fondateur de la ville.

Il s’agit en fait d’une expérience grandeur nature : une société privée découvre le moyen d’effacer la mémoire, partiellement ou totalement, et, après un accord avec le gouvernement, ils décident d’expérimenter sur de vraies personnes : des criminels, et des témoins bénéficiant du statut de protection. Leur mémoire étant effacée, aucun ne se souvient de pourquoi il est là, personne ne sait s’il fait partie des gentils (témoin à protéger) ou des méchants. Pour superviser le tout, nous avons Cooper, élevé au rang de sheriff de « Blind Town » avec pour insigne une étoile en plastique, jouet de pochette surprise.

Cela fait 8 ans que l’expérimentation se déroule, et tout va pour le mieux. Les gens cohabitent, créent des liens, aucune violence n’est à déplorer. Aucune interaction n’est possible avec le monde extérieur, seul le livreur de denrées vient une fois par semaine et casse cette routine très bien huilée. Les habitants ne se sentent pas  pour autant prisonniers, ils survivent dans cette ville fantôme, ils ne veulent pas se confronter au vrai monde : ne sachant pas pourquoi ils sont là, ils ont peur de se retrouver face à leur vraie vie, à des tueurs à leur recherche ou pire à des victimes de leur violence passée. Chacun s’est acheté une rédemption et veut à tout prix la conserver.

Mais soudain tout bascule, un des résidents se suicide, et quelques semaines plus tard un meurtre à lieu. C’est la fin de cette petite vie tranquille.  La société privée, le gouvernement, envoient des agents pour enquêter sur ces crimes. L’expérimentation est-elle en train de tourner au fiasco ou est-ce une suite de faits malencontreux qui  fait imploser la vie calme et tranquille de « Blind Town » ?

400 pages d’un huit clos angoissant avec des protagonistes auxquels on s’attache, pour lesquels on essaie de deviner de quels côtés de la barrière ils étaient : cet homme d’un certain âge,  qui passe son temps à bricoler dans son garage, cette femme douce et calme qui fait office de bibliothécaire, et cette jeune femme dont la seule passion est ses livres, maman d’un jeune garçon se peut-il qu’ils soient tous de  dangereux criminels ?

L’ambiance est oppressante, de plus en plus stressante au fil des pages. Les indices sont donnés au compte-goutte, et on tourne les pages afin de découvrir tous les secrets enfoui au fin fond du Texas, dans une ambiance de western. Pour chacun « leur victoire ou leur défaite ont été décidées pour eux il y a bien longtemps ».

Adam Sternbergh pose la question de la possibilité de la rédemption.  Peut-on, après avoir vécu une vie entière de crimes plus odieux les uns des autres, recommencer à zéro, oublier son passé, accéder à une terre promise où les compteurs sont remis à zéro ?

A-t-on le droit de se fuir soi-même, et plus que le droit, en avons nous le pouvoir ? C’est une chose de recommencer sa vie quand on oublie ce dont on a pu être capable, mais continuer quand on a connaissance de notre propre ignominie, peut-on faire comme si de rien n’était, nous regarder tous les matins dans une glace, entretenir son petit jardin, boire le café avec son voisin, faire comme si rien n’était arrivé, comme si non, nous n’étions pour rien dans les crimes affreux dont nous nous sommes rendus coupable ? Le jugement par des tiers peut-être compréhensif, dur, mais notre propre jugement n’est-il pas encore plus impitoyable ?

La violence et l’angoisse sont présentes tout au long du roman, et pour faire passer le tout, Stenbergh distille une touche d’humour bien noir. Le roman se lit très vite, vous êtes emportés dans ce tourbillon de secrets, de non-dits, et vous vous interrogez sur le bien-fondé de cette expérimentation et sur notre capacité, à chacun, d’accepter de vivre à côté, avec de potentiels dangereux criminels.

Un grand moment de lecture, un véritable roman noir, avec des héros et des méchants, chacun ayant une frontière assez floue, méthode western spaghetti,  chaque personnage étant assez complexe pour flirter avec le bien et le mal.

Marie-Laure.

 

TREMBLEMENT DE TEMPS de Kurt Vonnegut / Super 8.

Traduction: Aude Pasquier.

Kurt Vonnegut est un auteur américain mort en 2007 à 84 ans. Durant la Seconde guerre mondiale il fut fait prisonnier et ce qu’il vécut durant cette période marqua considérablement son œuvre.

Tremblement de temps est son dernier « roman » publié aux Etats-Unis en 1997.

Le livre parle d’un tremblement de temps, un bug, qui a lieu en 2001 ramenant le monde entier en 1991. Chaque personne est obligée de revivre à l’identique les 10 années écoulées, aucune variante n’étant possible. On reproduit les mêmes erreurs, on revit les mêmes joies et les mêmes périodes difficiles.

Mais est-ce vraiment un roman ? Kurt Vonnegut se sert de cette histoire pour raconter ses souvenirs, mais bien sûr à sa façon, de manière souvent drôle, caustique et parfois irréelle.

Tremblement de temps est avant tout une suite de chapitres sans vraiment de lien entre eux, mais qui dépeint la société de cette fin du XXème siècle avec tous ses travers. Il fustige ainsi la télévision qui ne sert d’après lui qu’à abrutir et empêcher de réfléchir. On ne lit plus, on préfère emmagasiner des images, nous laisser enlever notre libre arbitre.

Parmi les autres diatribes de Vonnegut, on peut citer celles contre l’armée, la guerre, et la technologie. Cette dernière, poussée à son paroxysme, ne sert qu’à créer des bombes tuant des milliers de personnes.

Vous l’aurez compris, ce livre, comparable à nul autre, est une sorte de biographie mais aussi de testament de l’auteur. Drôle, irrévérencieux, pessimiste, Vonnegut fait de ce livre un recueil de pensées afin de montrer que la vie n’offre pas de seconde chance et qu’il est primordial de faire de notre mieux avec les cartes que nous avons en main, et surtout, sans se départir de notre critique, de notre volonté et de notre indépendance.

Si vous connaissez déjà cet auteur, n’hésitez pas, foncez, par contre, pour une découverte, ce livre est peut-être trop déconcertant et extravagant. Roman inclassable mais profondément touchant.

Marie-Laure.

 

 

STONE JUNCTION de Jim Dodge / Super 8 .

Traduction: Nicolas Richard.

Stone Junction est le troisième roman de Jim Dodge. Paru à la fin des années 80 aux USA, il a atteint la reconnaissance en France lors de sa sortie plus de vingt ans plus tard dans l‘indispensable collection LOT49. Super8 le relance aujourd’hui et le roman a toute sa place dans cette maison qui aime bien mélanger les genres et se distingue par des œuvres mélangeant le plus souvent avec bonheur polar et science-fiction, anticipation, dystopies.

« Depuis sa naissance, Daniel Pearse jouit de la protection et des services de l’AMO (Association des magiciens et outlaws), géniale et libertaire société secrète. Sous le parrainage du Grand Volta, ancien magicien aujourd’hui à la tête de l’organisation, le désormais jeune homme va être initié à mille savoir hors normes, de la méditation à la pêche à la mouche, du poker à l’art de la métamorphose, en passant par le crochetage express et l’invisibilité pure et simple. Mais dans quel but ? Celui de l’aider à retrouver (et à faire payer) l’assassin de sa mère… ou celui de dérober un mystérieux – et monstrueux – diamant détenu par le gouvernement, rien moins, peut-être, que la légendaire pierre philosophale ? »

Dans « Stone junction » le surnaturel, la magie, l’ésotérisme se parent de leurs plus séduisants atours pour créer un climat très souvent féérique qui sied à cet étonnant conte moderne. Avant tout, c’est roman d’apprentissage, contant dans sa première partie le parcours vers la connaissance d’un enfant, pas tout à fait encore un ado. Daniel ne connaît pas son père et perd très rapidement sa mère dans des conditions mystérieuses et c’est cette immense douleur, ce désir de comprendre, cette envie de connaître le responsable, le coupable qui vont être le moteur de son implication dans une éducation hors normes. Mais Daniel, né de père inconnu a la même nature explosive que sa mère et c’est loin de ses fameux et parfois fumeux tuteurs qu’il se réalisera.

Alors, les 700 pages, c’est sûr, vous réjouiront et passeront aussi vite que le temps nécessaire à Daniel pour disparaître. Elles peuvent aussi effrayer certains lecteurs, aussi vous pouvez vous tester sur le premier charmant et très court roman de Jim Dodge « l’oiseau Canadèche » qui en plus de la tendresse qu’il en émane vous montrera les premiers signes et certains personnages du roman culte à venir.Roman anar, profondément libertaire, assidûment utopiste, « Stone junction » se vit comme une énorme et inoubliable aventure où aux scènes d’action se superposent des pages de communion avec la nature, des manifestes contre le nucléaire et l’état américain, des appels à la la subversion et de multiples passages à hurler de rire.

Essentiel.

Wollanup.

 

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