Chroniques noires et partisanes

Étiquette : sonatine (Page 3 of 6)

MON TERRITOIRE de Tess Sharpe / Sonatine.

Barbed Wire Heart

Traduction: Héloïse Esquié.

“À 8 ans, Harley McKenna a assisté à la mort violente de sa mère. Au même âge, elle a vu son père, Duke, tuer un homme. Rien de très étonnant de la part de ce baron de la drogue, connu dans tout le nord de la Californie pour sa brutalité, qui élève sa fille pour qu’elle lui succède. Adolescente, Harley s’occupe du Ruby, un foyer pour femmes en détresse installé dans un motel, fondé des années plus tôt par sa mère. Victimes de violence conjugale, d’addictions diverses, filles-mères, toutes s’y sentent en sécurité, protégées par le nom et la réputation des McKenna.

Mais le jour où une des pensionnaires du Ruby disparaît, Harley, en passe de reprendre les rênes de l’empire familial, décide de faire les choses à sa manière, même si elle doit, pour cela, quitter le chemin qu’on a tracé pour elle.”

“J’ai huit ans la première fois que je vois papa tuer un homme”. La première phrase du roman annonce la couleur en dévoilant la narratrice Harley dont l’histoire de son apprentissage de la violence et de la délinquance dans l’empire de la came de son père sera l’objet d’un chapitre sur deux. 

“J’ai douze ans le jour où je pointe un révolver sur quelqu’un pour la première fois”.

“Quand j’ai quatorze ans, Bennett Springfield me casse le nez”.

“J’ai presque onze ans lorsque je me réveille dans le coffre d’une voiture”

etc

Tous ces retours dans le passé, un chapitre sur deux, étaient-ils tous forcément utiles? On peut en douter car certains cassent vraiment le rythme d’une intrigue qui se déroule quand Harvey, âgée maintenant de 23 ans, va prendre en main l’héritage paternel, un empire de la meth créé à coups de barres de fer, de tournevis, de flingues, de nez explosés, de tailladages de tronches, de meurtres, de disparitions. Mais à sa manière. Elle a un plan et veut en terminer avec une guerre entre son clan McKenna et la famille Springfield, autre bande de malades basée sur l’autre rive de la rivière. On se demande d’ailleurs comment Carl Springfield, responsable de la mort de la mère de Harvey quinze ans plus tôt peut encore être en vie sachant que la famille de Harvey a le soutien d’une bande de Hell’s angels locaux, UPS de service de la came, en plus de la horde de tarés qui bosse avec Duke. 

Ce n’est pas un mauvais roman, il a des atouts certains en donnant un rôle fort à une jeune femme, en offrant deux rebondissements percutants mais il a aussi des faiblesses, des dialogues aussi inutiles que plan plan, une fin hum! Dans cette histoire, tout est beaucoup trop centré sur Harvey, les autres personnages se fondent, se perdent dans un décor californien, très peu de consistance pour les comparses de la Jeanne d’Arc locale. La région est si peu évoquée qu’on pourrait aisément déplacer l’intrigue en Alaska ou au Pérou. Du coup, le choix du titre français “mon territoire” semble un poil déplacé.

David Joy, l’auteur de “ Là où les lumières se perdent” a aimé et c’est vrai que les deux intrigues, au départ, offrent  beaucoup de similitudes mais les deux histoires n’ont pas tout à fait la même puissance. Néanmoins le roman se lit bien malgré l’impossibilité toute personnelle et subjective d’avoir une quelconque empathie pour une jeune femme qui gagne sa vie en vendant de la mort. 

Sonatine nous a souvent habitués à beaucoup mieux et je ne peux cacher ma grande déception et puis bon, faut quand même le dire, ceux qui s’aventureront dans le roman à cause de la comparaison avec “Winter’s Bone” de Woodrell présente en quatrième de couverture s’exposeront à une très cruelle désillusion.

Wollanup.


L’EMPREINTE d’Alexandria MARZANO-LESNEVICH / Sonatine.

Traduction : Héloïse Esquié

Aux origines de ce livre, il y a un crime pédophile, celui commis par Ricky Langley en 1992 en Louisiane. Un jour de février, sous le coup d’une des pulsions qui l’ont précédemment amené à des actes très graves, il va plus loin encore et tue un petit voisin, Jeremy Guillory. Arrêté, jugé, un premier procès le condamne à mort. Aux origines de ce livre, il y a aussi l’histoire personnelle de l’auteur, lourde de secrets et de blessures, et qui, jeune adulte, décide de suivre les pas de ses parents dans la carrière d’avocat. En 2003, Alexandria Marzano-Lesnevich commence un stage dans un cabinet d’avocats en Louisiane dans le but de défendre des hommes accusés de meurtre. Elle est fermement, croit-elle, opposée à la peine de mort. C’est là que les hasards terribles de la vie font se croiser Ricky Langley et Alexandria Marzano-Lesnevich. La confession de Ricky, enregistrée, documentée, épouvante la jeune femme et ébranle toutes ses convictions. Elle est submergée par le sentiment de vouloir le punir, de le voir mourir. Choquée par sa propre réaction, elle creuse et va peu à peu comprendre le lien inattendu entre son propre passé et cette sordide affaire. Pendant 10 ans, elle n’aura de cesse d’enquêter inlassablement sur les raisons profondes qui ont conduit Langley à commettre un crime épouvantable.

Pour ceux qui s’intéressent aux littératures du crime (il pourrait y en avoir un certain nombre parmi les visiteurs du blog Nyctalopes), « affronter » le récit d’affaires bien réelles peut constituer une expérience des plus éprouvantes car débarrassée du filtre de la fiction. Il faut se faire à l’idée que cela s’est réellement passé ou qu’une affaire comme Langley/Guillory est, hélas, aussi ignoble soit-elle, une tragédie parmi d’autres. Autour des déroulés judiciaires, Alexandra Marazano-Lesnevich exhume l’histoire de la famille Langley, de Ricky et ses parents. Telle qu’elle est présentée, elle serre le cœur tant le drame, la souffrance, le traumatisme l’imprègnent. La personnalité et la psychologie de Ricky, un nullard, dérangé finalement, en seront marquées à jamais. Il y a des victimes aussi, ne les oublions pas, en particulier un petit garçon et sa mère. Une vie qui s’arrête, une autre qui continue, avec quelle épouvantable tristesse. 

L’enquête journalistique et le travail d’un auteur (forcément fait de spéculations et projections, ce que certains lui ont reproché) qui cherche à explorer parts d’ombre et zones de flou par l’imagination auraient pu suffire. Comme nous l’avons dit plus haut, ce dont nous parle aussi le texte d’Alexandra Marzano-Lesnevich ce sont les échos avec une expérience personnelle de violence sexuelle sur enfants. L’histoire familiale et le parcours de l’auteur sont ainsi racontés avec un luxe de détails intimes. Et il y a du moche. L’empreinte, parfois abruptement, se fait autobiographie, témoignage, interrogation sur la vérité et la justice. Le texte, qui s’est vu récompensé de nombreuses fois, est donc un objet littéraire très particulier, atypique dans le genre des littératures du crime.

C’est peut-être là où le bât blesse, à mon sens. Il n’y a pas de doute : le sujet de la pédophilie et des crimes pédophiles est très chargé et il faut reconnaître l’intensité de la démarche cathartique d’Alexandra Marzano-Lesnevich, la nécessité et le courage de celle-là. Mais ses efforts semblent parfois être ce qu’ils sont, des efforts pour mettre en relation deux histoires qui n’ont peut-être pas grand-chose en commun, même si elles s’intersectent.

Paotrsaout


LE KARATÉ EST UN ETAT D’ESPRIT de Harry Crews / Sonatine.

Traduction: Patrick Raynal.

Les éditions Sonatine poursuivent le travail d’édition d’inédits d’Harry Crews, disparu en 2012. Après Nu dans le jardin d’Eden (2013) et Les portes de l’enfer (2015), ils publient cette année Le karaté est un état d’esprit, quatrième roman du natif de Géorgie datant de 1971. Harry Crews a déjà beaucoup donné au roman noir et ses meilleurs titres n’ont pas été auparavant ignorés par les traducteurs et éditeurs. Même s’il est probable que les inconditionnels de Crews apprécieront plus que d’autres le karaté ultraviolent à la mode floridienne, il est bon d’entendre Harry nous parler encore du pays, à savoir un versant sombre de l’Amérique où les gueules cassées de la vie pataugent, gueules cassées pour lesquelles l’auteur n’a jamais démenti une tendresse couturée de cicatrices et déformée par des fractures mal réduites.

Après avoir vagabondé à travers les États-Unis, John Kaimon arrive en Floride, où il fait la connaissance d’une petite communauté de karatékas fanatiques. Ceux-ci exercent leur art dans la piscine vide du motel désaffecté où ils ont élu résidence. Plus qu’un simple art martial, c’est un véritable culte auquel s’adonne cette tribu, dont chaque membre a renoncé à sa vie passée ainsi qu’à toute possession matérielle. Seule compte pour eux la pureté de l’esprit. Si Kaimon y trouve d’abord une philosophie de vie satisfaisante, son attirance pour Gaye, une magnifique karateka, va bientôt l’entraîner dans de sulfureuses aventures. Car si l’esprit se doit d’être fort, la chair est parfois bien faible…

La formule du chef Harry est des plus habituelles. Prenez des éléments d’humanité tordue comme un drop-out désabusé, une karateka reine de beauté et létale, un nain gourou, un maître de dojo et des disciples qui veulent oublier leur faillite personnelle antérieure en devenant des philosophes de la violence ciblée (apparemment la rédemption passe par l’éclatement des phalanges sur une planche de bois d’exercice… ), des queers lubriques et, bien entendu, une tapée d’idiots américains moyens en mode badauds. Plongez tout ça dans un fond de piscine désaffectée, déversez une douche solaire impitoyable et badigeonnez de stupre, de violence et de crème solaire cacao. Vous obtiendrez cette comédie grotesque, critique d’un esprit communautaire ou de culte sixties, et bien entendu loufoque, laquelle, toutefois, n’est pas à ranger parmi les préparations les plus inoubliables de l’auteur.

Il vous sera pardonné de ne pas pratiquer le Karaté. Mais dire que c’est un Crews raté, ce serait vous exposer à un mawashi-geri (ou coup de pied circulaire) qu’il vous faudrait accueillir avec tendresse bien entendu. Car Harry Crews aussi est un état d’esprit.

   « L’homme qui avait frappé Lazarus était soûl. Il croyait que Lazarus était le type qui avait pincé le cul de sa femme quelques minutes plus tôt.

« Ça, c’est pour avoir pincé le cul de ma femme », dit-il en titubant sur place et en louchant sur Lazarus.

   Lazarus s’était vautré sur le pare-chocs de la Dodge et dans les bras de John Kaimon. Il reprit ses esprits et se figea, les mains sur la bouche. Du sang coulait entre ses doigts. L’ivrogne était un énorme type poilu vêtu d’un maillot de bain qui faisait des poches aux fesses, et rien d’autre excepté des Crocs. Sa femme, une naine blonde dotée d’un front de crétine, se tenait juste derrière lui et mangeait une pomme d’amour. Elle portait un maillot une pièce dont les bretelles défaites pendaient le long de son corps sans forme. Apparemment seul l’espoir faisait tenir ce maillot. John Kaimon craignait que Lazarus ne tuât l’homme et se tenait prêt à le retenir, quand Lazarus sauta au-dessus du pare-chocs en direction de la petite blonde qui n’avait pas levé la tête de sa pomme d’amour. Mais Lazarus voulait juste lui parler.« Madame », dit-il doucement

   Elle leva le visage de sa pomme. Elle avait du sucre rouge sur la lèvre supérieure et sur le menton. Elle était soûle elle aussi. Lazarus allait lui parler quand une explosion secoua le cielet fit trembler la terre. Ils s’arrêtèrent tous pour contempler les lumières multicolores et le fumée dérivant au-dessus de l’eau quand la bombe avait explosé.

   L’obscurité finit par retomber. « Madame », répéta Lazarus. Il approcha son visage tout près du sien. « Est-ce que je vous ai pincé le cul ? »

   Elle soupira, et l’on aurait dit qu’elle allait pleurer. « Personne ne m’a pincé le cul. Je le lui ai dit. Personne ne m’a pincé le cul. Il le sait. Mais il continue à espérer et à cogner les gens. »

La porte arrière du combi Volkswagen s’ouvrit brusquement, le grand et beau jeune homme aux cheveux longs et aux yeux morts sortit, s’étira, ouvrit largement les bras, se cambra et émit un grognement satisfait. L’ivrogne poussa Lazarus, frappa le gars et l’envoya dans le combi. Les mains posées sur les hanches, il lui dit :

« ça, c’est pour avoir pincé le cul de ma femme. » »

Paotrsaout

LUNE NOIRE d’ Anthony Neil Smith / Sonatine.

Traduction: Fabrice Pointeau

“ Une vision toute particulière de la justice et de la morale a valu à Billy Lafitte d’être viré de la police du Mississippi. Il végète aujourd’hui comme shérif adjoint dans les plaines sibériennes du Minnesota, avec l’alcool et les filles du coin pour lui tenir compagnie, les laboratoires clandestins de meth pour occuper ses journées. Si Billy franchit toutes les lignes, on peut néanmoins lui reconnaître une chose : il a un grand cœur. Ainsi, lorsqu’une amie lui demande de tirer d’affaire son fiancé, impliqué dans une sale affaire de drogue, c’est bien volontiers qu’il accepte.”

Mais déjà, nous allons trop vite car quand le roman débute, Billy Laffite est interrogé par la Sécurité Intérieure des USA afin d’expliquer les multiples et très variés morts violentes, explosions, incendies, disparitions et autres cataclysmes qui ont jalonné son parcours d’officier de police des trois dernières semaines et dont tous les indices tendent à prouver qu’il en est le seul et unique responsable. De fait, tous ceux qui pourraient l’innocenter ont été flingués, pour les plus chanceux… Billy Lafitte est un pourri mais ce n’est pas un salaud et en voulant aider des gens qu’il aime, il s’est foutu dans une merde effroyable. En fait, chacune de ses initiatives, a contribué à accroître son triste et lamentable bilan des trois semaines passées vers lesquelles nous convie très rapidement Anthony Neil Smith avec un ton parfait pour ce genre de polars de grands fêlés. De Charybde en Scylla, version Minnesota.

On pourrait penser que “Lune noire” (aucun clin d’oeil au roman de Steinbeck) est un énième roman sur la guerre de gangs autour de la meth mais que nenni et Billy le regrette lui même d’ailleurs. L’intrigue est très originale et l’ennemi est pour le moins inédit, très inédit, autrement plus dangereux et déterminé que les laborantins dézingués du bulbe du coin de Yellow Medicine où Lafitte fait sa loi en temps ordinaire. En fait, sans qu’il le sache ou le devine assez tôt, pas mal de monde se fout de la tronche de Billy, l’envoyant à la guerre seul. Mais la rage l’habite et Billy est un chien qui ne lâche rien et qui ne cogite pas vraiment plus qu’un canidé non plus, il faut bien le concéder aussi.

Raconté par la voix de Billy, l’histoire est très speedée, ne laissant pas de temps pour souffler mais dévoilant néanmoins une certaine humanité le rendant finalement… sympathique malgré le machisme, la filouterie, le désespoir, la haine, la rage et on en passe et on en oublie. Dans “Lune noire”, écrit à la fin des années 2000, on voit que le trauma du 11 septembre n’est toujours pas guéri. Se foutant bien de la bienveillance et du discours policé, Anthony Neil Smith, à plusieurs reprises, ne mâche pas ses mots et nul doute que son roman ne peut que déplaire à certaines hordes de barbus adorateurs de Dieu.

“Lune noire”, tout sauf une série B, est le premier volet d’une série et en septembre lui succèdera “Bête noire” annoncé encore plus barje par l’éditeur. Maison spécialisée dans le thriller, Sonatine nous a dégoté un auteur superbement déjanté sans verser dans le grand guignol et un anti-héros impeccable.

100% “Psycho-Billy”.

Wollanup.

LE PAYS DES OUBLIÉS de Michael Farris Smith / Sonatine.

Traduction: Fabrice Pointeau.

Jack Boucher est un oublié. Il a été abandonné, élevé par une mère adoptive à qui il doit tout, Maryann. Elle rêvait pour lui d’un avenir meilleur dans ce delta du Mississipi, mais il a découvert très jeune l’univers des combats clandestins. L’adrénaline, les frissons qu’il ressentait en participant et en gagnant ces combats l’ont enchaîné à cette vie. Mais à force de recevoir des coups, en vieillissant, il devient un combattant de seconde main. Il n’est plus capable de se faire respecter dans une cage de combat. Il souffre atrocement de maux de tête, et le seul remède qui lui permette de tenir est l’alcool associé à des pilules magiques.

En sombrant peu à peu, il s’endette et auprès de la pire personne qui soit : Big Momma Sweet, matrone qui tient d’une main de fer les jeux clandestins sur le territoire. Et elle ne compte pas lâcher facilement sa proie. Il risque de tout perdre : sa vie, la maison que lui a laissée Maryann. Il tente le tout pour le tout et mise ses derniers jetons dans un casino, et remporte de quoi retrouver un peu d’espoir. Mais rien n’est jamais simple et facile dans la vie de jack, et il perd l’argent qui pourrait le sauver des griffes de Big Momma Sweet.

S’en suit une descente encore plus rapide au milieu des exclus. Son destin croise Annette, jeune et jolie jeune femme qui vit de la beauté de son corps entièrement tatoué, comme danseuse et comme attraction dans une fête foraine. C’est ce personnage qui symbolise toute l’espérance que l’on peut ressentir malgré le désespoir présent autour de Jack.

Il s’agit bien d’un périple au Pays des oubliés. Jack est un personnage désespéré, hanté par son passé, qui se sent coupable de ne pas avoir su avoir la vie qu’espérait pour lui Maryann. La violence est omniprésente, on voyage dans les bas fonds de cette région du Mississipi, au milieu des exclus, où les gens tentent de survivre, bien loin du rêve américain. Le roman est sombre, plein de détresse, mais on a foi en Jack et Annette et on espère pour chacun d’eux un avenir possible.

Michael Farris Smith (entretien Nyctalopes) arrive admirablement bien à nous dépeindre la vie de ce « pauvre type », les souffrances, la violence, l’abandon dont chaque personnage a une trace. Il sait toutefois instiller une part d’espoir afin que toute cette souffrance soit plus acceptable. Un grand moment.

Marie-Laure.


ALLEZ TOUS VOUS FAIRE FOUTRE de Aidan Truhen / Sonatine.

Traduction: Pierre Delacolonge.

« Ceci n’est pas un polar pour votre grand-mère, avec des gentils et des méchants. C’est un bouquin pour adulte. Et honnêtement, je dois dire qu’il est moralement répréhensible. Vous allez l’adorer, et à cause de cela, vous allez vous sentir coupable. Mieux vaudra ne pas le laisser traîner : les gens vous regarderont comme si quelque chose ne tournait pas très rond chez vous. Le mieux, c’est peut-être de le glisser dans un autre livre, avec des fleurs sur la couverture. Comme ça quand vous rirez personne ne se fera une piètre opinion de l’état de votre âme.” Aidan Truhen

Qui a donc commis ce roman, également auteur de la citation d’avertissement au lecteur? Ce serait un célèbre auteur britannique écrivant sous pseudo. Pour le NY Times, il s’agirait de Nick Harkaway,  le nom de plume de Nicholas Cornwell, qui écrit de la science-fiction et de fantasy et accessoirement fils du romancier John le Carré. Nul doute que l’oeuvre de son père ne lui a pas réellement servi pour ce roman, son premier dans le genre thriller. Truhen a -t-il eu peur de choquer son entourage et son lectorat pour avancer ainsi masqué ? Peut-être a-t-il simplement voulu se défouler, lâcher tous les chevaux mais sans inquiéter ses fans ? Mais qu’importe le flacon…

Jack Price est à la cocaïne ce qu’Über est au transport. C’est un criminel en col blanc, parfaitement organisé, avec une force de vente décentralisée et un produit de marque. Quand sa voisine du dessous se fait tuer, façon exécution, Jack doit savoir pourquoi. C’est une simple question de business et de sécurité personnelle, mais quelqu’un n’aime pas qu’il la pose. La preuve : les Sept Démons, probablement les sept personnes les pires de la terre, ont été engagées pour le liquider.

Jack Price s’est mis dans de sales draps, il en a conscience mais il a le courage et la confiance des barges, c’est certain, et sa folie lui permet aussi de se montrer très imaginatif dans la manière de se défendre contre les fameux tueurs légendaires les Sept démons. Moins célèbres que les quatre cavaliers de l’apocalypse, moins doués que les sept mercenaires, leur nombre va très rapidement salement diminuer au fur et à mesure des attaques d’un Jack Price particulièrement remonté. En fait, les Sept Démons sont des grosses quiches, Price nous le montrera tout au long de son monologue dérangé de 276 pages.

Alors, qu’en retenir ? Je dois dire que ce roman lu il y a une quinzaine est totalement sorti de mon esprit et a disparu de ma mémoire si on fait exception une des outrances du sieur Price, grand, très grand malade. Attention, c’est déjanté, sauvage, borderline, provoc et se lit très rapidement en donnant le plaisir brut d’une série Z et ce n’est pas non plus négligeable. On est très loin d’un Willocks sorti il y a peu chez le même éditeur. “Allez tous vous faire foutre »  se rapproche d’un comic destiné à faire rire ou tout au moins sourire si vous êtes dans le bon ou plutôt le mauvais état d’esprit. On peut très bien ranger cet opus aux côtés des œuvres de Bourbon Kid ou du Néo- Zélandais Paul Cleave aux romans très violents à l’humour très noir et outrancier semblant sortis d’un cerveau alimenté par des substances telles que celles vendues par Price et également au catalogue des éditions Sonatine. Un de temps en temps, quand  l’envie d’un shot terrible se fait sentir mais qui ne provoquera pas chez moi, loin de là, un début d’addiction avec ce ton qui se voudrait rock n’ roll et qui fait plutôt vieux punk à chien, majeur dressé.

Barré.

Wollanup.

SEANCE INFERNALE de Jonathan Skariton / Sonatine.

Traduction: Claude et Jean Demanuelli.

La quatrième de couverture avait de quoi me séduire, bien que,  n’étant pas une fan de Dan Brown, le bandeau me refroidisse un peu « Le Da Vinci Code du Cinéma ».

Et je dois dire que le bandeau prend le pas sur la quatrième de couverture.

L’intrigue : Alex Whitman est un expert, un archéologue du  7ème art, il déniche pour de riches collectionneurs, des pièces uniques, des affiches originelles,  des bobines disparues depuis des décennies. Il est embauché par un collectionneur pour retrouver un film mais pas n’importe lequel : Séance infernale, le premier film jamais réalisé par Augustin Sekuler, bien avant Edison et les frères Lumière. Selon l’histoire, Sekuler aurait mystérieusement disparu avant la présentation officielle de son film. Le roman est issu d’une histoire vraie, celle de Louis Aimé Augustin Le Prince pionnier du cinéma, et de sa disparition.

La base est posée, s’en suit alors une quête à travers l’Europe, afin de trouver des indices pour mettre la main sur ce soi-disant film. En parallèle une deuxième intrigue prend forme, celle d’un  homme, violeur et tueur, sans lien évident avec l’intrigue première si ce n’est Whitman et son histoire personnelle.

En effet, le protagoniste est un homme tourmenté, sa famille a volé en éclat, il y a 10 ans, avec la disparition de sa fille lors d’une promenade au parc. Ses recherches d’œuvres disparues lui servent de rédemption, lui qui n’a pas su protéger et par la suite retrouver sa fille. Le meurtrier a-t-il un lien avec cette affaire ?

Il s’agit d’un premier roman, et Skariton a du mal à faire un choix dans son livre. S’agit-il d’une quête du St Graal, avec des rebondissements à la Indiana Jones, ou d’un thriller où le fil conducteur est notre enquêteur et notre violeur ? En fait, au bout de 350 pages, on ne sait pas vraiment. On a le sentiment qu’il s’agit de deux intrigues bien distinctes, qui mériteraient deux romans bien différents. Le mélange des deux histoires n’apporte rien, par contre cela génère une histoire confuse, brouillonne, qui m’a totalement perdue.

Skariton a fait sans nul doute, beaucoup de recherches pour écrire ce livre, je ne remets pas en cause son travail. Par contre, il n’est pas forcément nécessaire de retranscrire toutes ses études dans le roman. Nous sommes submergés par une multitude de détails qui n’apportent rien à l’intrigue mais rendent la lecture laborieuse et ennuyeuse. Certains passages, voire chapitre entier, sont longs et sans grand intérêt.

Ajouté à cela une écriture grandiloquente, pompeuse, sans aucune simplicité, et vous êtes coulé. L’idée de départ aurait pu être très bonne, mais cela souffre d’éparpillement sur plusieurs histoires, de simplicité et de cohérence.

Une vraie séance infernale, où nous n’espérons qu’une chose, arriver à sa conclusion et trouver la sortie au plus vite.

Marie-Laure.

LA MORT SELON TURNER de Tim Willocks / Sonatine.

Traduction: Benjamin Legrand.

Automne 2018, le retour de Tim Willocks !

Alors, évidemment ceux qui ont lu “La religion” et dans une moindre mesure “Les douze enfants de Paris”, rêvent, espèrent le troisième volet du cycle historique autour de Tannhauser  au milieu des massacres européens du XVIème siècle mais ils attendront. Parallèlement et antérieurement à ces deux œuvres imposantes au grand souffle de sang et de guerre, Tim Willocks, auteur anglais, a écrit plusieurs polars se déroulant aux USA et brillant tous par un déchaînement de violence. Du « hard boiled » dans son essence et c’est dans ce cadre qu’il revient en changeant de théâtre de combat, se penchant sur un pays aux maux multiples: l’Afrique du sud.

“Lors d’un week-end arrosé au Cap, un jeune et riche Afrikaner renverse en voiture une jeune Noire sans logis qui erre dans la rue. Ni lui ni ses amis ne préviennent les secours alors que la victime agonise. La mère du chauffeur, Margot Le Roux, femme puissante qui règne sur les mines du Northern Cape, décide de couvrir son fils. Pourquoi compromettre une carrière qui s’annonce brillante à cause d’une pauvresse ? Dans un pays où la corruption règne à tous les étages, tout le monde s’en fout. Tout le monde, sauf Turner, un flic noir des Homicides. Lorsqu’il arrive sur le territoire des Le Roux, une région aride et désertique, la confrontation va être terrible, entre cet homme déterminé à faire la justice, à tout prix, et cette femme décidée à protéger son fils, à tout prix.”

On en convient aisément, l’intrigue n’a rien d’original. On l’a déjà lue à diverses époques et sous de nombreuses latitudes. Le cadre de l’Afrique du Sud, pays très inégalitaire, grandement violent et corrompu, à la société vérolée par tant de maux comme sait le montrer Willocks , laisse néanmoins présupposer que l’ affaire risque de déboucher sur une tuerie dont l’auteur a le secret et qu’il a déjà montré à maintes reprises. Par contre, le traitement de cette affaire d’une mère qui veut sauver son fils de la prison, ce matriarcat forcené prend toute sa dimension furieuse et intelligente avec un Tim Willocks ayant plusieurs cordes à son arc. Sur son CV: écrivain bien sûr mais aussi médecin, chirurgien, psychiatre et grand maître en arts martiaux.  Willocks met toutes ses compétences, ses multiples et vastes connaissances au service d’une intrigue éprouvante pour lui donner une dimension crédible en amenant, proposant, une réflexion. Au lecteur d’y trouver ses réponses ou tout au moins ses questions, une fois les différents épisodes sanglants et gores assimilés.

Tout au long d’une histoire au cruel parfum de mort violente, l’auteur montre clairement les souffrances physiques et psychiques subies par les différents personnages tout en soulignant l’inéluctabilité de l’issue par une étude psychologique fine montrant que les protagonistes des deux camps sont finalement prisonniers, ne peuvent agir d’une autre manière, une fois l’affrontement entamé. Les dés sont pipés, tout le monde est pris dans un engrenage morbide et mortifère.

Ceux qui connaissent Willocks comprendront très vite qu’une fois de plus l’ Anglais ne fait pas dans la dentelle et certains parties vous couperont certainement le souffle. Un épisode de survie dans le désert, notamment, se révèle absolument effroyable et difficilement oubliable. Turner, flic à sang très froid, incorruptible et déterminé, adepte des arts martiaux, va mettre son corps, son cerveau au supplice afin de remplir cette mission qui lui semble plus importante que sa vie, une quête de rédemption impossible noyée dans un bain de sang. Pas particulièrement fan du Willocks auteur de polars  sombrant parfois dans l’excès, je dois reconnaître que celui-ci, c’est du lourd.

Furieux et effroyable, 100% Willocks !

Wollanup.

LA DISPARITION D’ADELE BEDEAU de Graeme Macrae Burnet / Sonatine.

Traduction: Julie Sibony.

C’est un duel, une confrontation, un face à face. Deux hommes sont en opposition, l’un flic de son état, l’autre témoin dans une affaire de disparition. Une jeune femme s’est volatilisée et cet inquiétant contexte ravivera un passé où les damiers noirs sont masqués par une mémoire défaillante. Les deux protagonistes rétablissent leur passé et éclaircissent leurs zones d’ombres. C’est de cette petite ville de province, à la confluence de la zone frontalière franco-germanique-suisse alémanique, que les scories spécifiques de cette petite communauté prennent une ampleur et une couleur traduisant, en quelque sorte, une part de désœuvrement social, des idées préconçues sur autrui et sur ailleurs.

«Manfred Baumann est un solitaire. Timide, inadapté, secret, il passe ses soirées à boire seul, en observant Adèle Bedeau, la jolie serveuse du bar de cette petite ville alsacienne très ordinaire.Georges Gorski est un policier qui se confond avec la grisaille de la ville. S’il a eu de l’ambition, celle-ci s’est envolée il y a bien longtemps. Peut-être le jour où il a échoué à résoudre une de ses toutes premières enquêtes criminelles, qui depuis ne cesse de l’obséder.Lorsque Adèle disparaît, Baumann devient le principal suspect de Gorski. Un étrange jeu se met alors en place entre les deux hommes. »

L’auteur écossais est déjà coupable de « L’accusé du Ross-Shire« , sélectionné pour le Booker Prize.

On aborde un récit classique sur un habillage un brin suranné. Alors oui, initialement mon ressenti n’est pas surpris, il n’est pas bouleversé, mais, et c’est c’est probablement son habillage, insidieusement le jeu prend de la consistance, de la matière, une matière nous réservant des inflexions stupéfiantes et conquérant notre appétence tout au long de l’avancée du roman. Les personnages caractérisés, malgré leurs opacités passées et présentes, se développent et harponnent notre curiosité dans ce siphon de profondes détresses, de cicatrices qui ne referment pas.

En créant des profils qui ne se mettent pas à nu qui détournent une vérité, la vérité, l’auteur sème le trouble. Il est patent et sans y paraître on se pose des interrogations entre les lignes. Ce roman pourrait avoir plusieurs lectures. Et ce qui nous est présenté là reste aussi la résultante de petites pierres qui jonchent des parcours de vies. Au lieu d’être linéaire, le fil de l’ouvrage bifurque et s’autorise des flash-back noircissant l’ensemble. Des gens simples, dans une bourgade terne, dans une vie méthodique, réglée, au centre d’un drame plus complexe qu’il n’y parait. Après on peut se demander s’il y a réellement un « mystère » ou est-ce l’affluent d’une construction psychologique perturbée….

Quoi qu’il en soit l’écrivain a su parfaitement cadrer son roman et lui a insufflé un souffle percutant dans un emballage qui aurait pu paraître insipide ou vieillot. On est bien là dans un roman noir où l’on se délecte à tourner les pages, tentant de rétablir une vérité.

Surprenant!

Chouchou

 

 

LES DIABLES DE CARDONA de Matthew Carr chez Sonatine

Traduction : Claro.

Matthew Carr est un journaliste anglais, il écrit pour The Guardian ou le New Tork Times entre autres. Il est également historien, spécialiste des religions et a écrit plusieurs essais. « Les diables de Cardona » son premier roman, est un polar historique qui nous plonge au cœur de la très catholique Espagne du XVIème siècle.

« 1584. Le prêtre de Belamar de la Sierra, un petit village d’Aragon à la frontière avec la France, est assassiné, son église profanée. Sur les murs : des inscriptions en arabe. Est-ce l’œuvre de celui qui se fait appeler le Rédempteur, dont tout le monde ignore l’identité, et qui a promis l’extermination de tous les chrétiens, avec la même violence que celle exercée sur les musulmans ? La plupart des habitants de la région sont en effet des morisques, convertis de force au catholicisme, et qui pratiquent encore l’islam en secret.

À la veille d’une visite royale, Bernardo de Mendoza, magistrat à Valladolid, soldat et humaniste, issu d’une famille juive, est chargé de l’enquête. Très vite, les tensions s’exacerbent entre les communautés, une véritable guerre de religion se profile. Et les meurtres continuent, toujours aussi inexplicables. Entre l’Inquisition et les extrémistes morisques et chrétiens, la tâche de Mendoza va se révéler ardue. »

La reconquista est terminée depuis longtemps, les morisques, anciens musulmans convertis au catholicisme, sont sous la haute surveillance de l’inquisition qui contrôle tout et tous et se méfie de ces nouveaux chrétiens. Elle peut court-circuiter la justice, gardant au secret les gens qu’elle questionne et leurs révélations, même l’enquêteur désigné par le roi, Bernardo de Mendoza surveille ses paroles en public. Matthew Carr réussit parfaitement à faire ressentir l’atmosphère oppressante, la violence de tous les instants qui règne alors. Son récit est documenté, érudit, il nous présente la situation très complexe de ce royaume où se mêlent  et s’affrontent des intérêts très variés : l’église, le roi, les seigneurs aragonais jaloux de leurs prérogatives, les morisques, les vieux-chrétiens…  et il le fait simplement, avec un grand talent, en suivant différents personnages dont les destins se mêlent aussi bien à l’enquête qu’à l’Histoire.

Tous les personnages sont fouillés, principaux et secondaires, ils sont tous liés à l’inquisition, qu’ils en soient victimes ou qu’ils s’en servent car les côtés sombres de l’humanité s’expriment à fond dans cette époque plus que trouble, des salauds il y en a beaucoup : brutes épaisses, profiteurs, délateurs… Et il y a les autres qui tentent malgré tout de vivre ou de survivre pour les plus malchanceux, notamment les morisques, citoyens de seconde zone avec peu d’espoir de justice. Matthew Carr porte sur ses personnages un regard plein d’empathie qui fonctionne : Bernard de Mendoza, issu d’une famille juive persécutée qui veut absolument rendre justice, son  « neveu » Gabriel qu’il a sauvé de la mort lors de la révolte de Grenade, le docteur Segura et sa fille, la comtesse de Cardona… beaucoup de beaux personnages, humains et attachants.

L’enquête de Mendoza dans ce climat de terreur, est d’autant plus difficile que la vérité est dangereuse si elle ne correspond pas à la version officielle, alors tout le monde ment, ne serait-ce que pour se protéger. La religion est toujours un prétexte à des luttes de pouvoir bien terre à terre, elle sert des ambitions, des appétits bien humains, Bernardo de Mendoza en est conscient mais devra affronter bien des dangers pour le prouver. Matthew Carr fait monter le suspense tout au long de ce bouquin aux multiples actions et rebondissements.

Un polar historique passionnant.

Raccoon

 

« Older posts Newer posts »

© 2025 Nyctalopes

Theme by Anders NorenUp ↑