Chroniques noires et partisanes

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L’OISEAU QUI BUVAIT DU LAIT de Jaroslav Melnik / Actes Noirs Actes Sud

Traduction: Michèle Kahn

Après un premier passage dans les bacs des librairies françaises en 1998, chez Robert Laffont, Jaroslav Melnik est revenu vingt ans après avec un récit de SF Horizon lointain paru chez Agullo. Une dystopie Macha ou le IVe Reich, en 2020, appréciée ici, scellera son arrivée chez Actes sud où il publie aujourd’hui son premier polar qui prend comme cadre la Lituanie et plus particulièrement Vilnius où vit l’auteur ukrainien depuis plusieurs années.

“Ce jour-là, Algimantas Butkus, commissaire à la police criminelle de Vilnius, la cinquantaine fatiguée, était assis sur un banc devant sa maison. Il toussait beaucoup, ses dents bougeaient et, comme on était samedi, il devait rendre visite à son vieux père. Bref, son humeur n’était pas au beau fixe.

Il se dirigeait vers sa voiture quand son portable sonna : on avait trouvé le cadavre dénudé d’une jeune femme sur le mont des Trois-Croix. Sur le front de la victime, un oiseau mort. Ses seins mutilés, souillés par un mélange de sang et de lait… Et voilà qu’en plus un aigle avait été aperçu planant au-dessus de la scène de crime. Tout ça ne lui disait rien qui vaille. Un meurtrier ordinaire ne joue pas avec la police. Il tue et disparaît.”

Bon, on ne va pas se mentir, une histoire de psychopathe, en Lituanie territoire déshérité et un peu méconnu de l’Europe et heureusement protégé des Russes comme les deux autres républiques baltes par son intégration  à l’Union européenne, a priori, ce n’est pas trop notre tasse de thé. Mais il en va des thrillers sur des tueurs en série comme avec d’autres genres romanesques moins goûtés, il suffit d’en apprécier un pour revenir, au moins provisoirement, sur son jugement. Peut-être, sûrement même, que l’écriture, le style, l’affectif créé emportent tous les préjugés. Des banalités bien sûr, juste une tentative d’explication de l’addiction née pour une histoire passionnante mais non exempte de défauts dans sa toute fin. 

Concernant le cadre, la Lituanie, patrie de Hannibal Lecter a tout d’un petit cauchemar éveillé, à portée de griffes de l’ogre russe. La situation économique est difficile, le pays est étouffé par des tarifs prohibitifs du gaz russe vendu beaucoup plus cher qu’aux Allemands par exemple. Les jeunes tentent tous de partir vers l’Angleterre ou les pays scandinaves.

L’ambiance est morne et  Algimantas Butkus, le flic chargé de l’enquête en est une belle illustration. Quinqua solitaire, abandonné par sa femme, les dents qui se déchaussent, une bronchite qui s’avère être finalement la tuberculose, un père qui se perd dans des histoires d’amour qui ne sont plus de son âge, sa fille qui doit avorter suite à un viol en Arable Saoudite où elle fait ses études… Beaucoup de clichés du flic cabossé bien sûr mais ça passe très bien parce que ce n’est pas appuyé trop lourdement d’une part mais aussi parce que le premier meurtre, particulièrement révoltant, glace et stupéfait d’emblée. Une deuxième victime, rapidement, achèvera bien sûr de créer la panique dans tout le pays et chez le lecteur, méchamment bousculé.

L’enquête est très délicate, toute l’équipe de flics de Algimantas Butkus subit une énorme pression des médias et du pouvoir, tâtonne, s’égare, doit plonger très loin dans l’ésotérisme,  dans un mysticisme qui tend vers le christianisme primitif avec une symbolique héritée de ses origines égyptiennes. C’est flippant et passionnant, Freud aurait adoré. On frôle juste le fantastique, l’intrigue est réellement fascinante, envoûtante et sa résolution nous entraîne très loin dans la psyché malade d’un tueur.

L’oiseau qui buvait du lait, roman passionnant, souffre néanmoins de quelques petites faiblesses vers la toute fin du livre. Si l’enquête est résolue de façon impeccable, on a néanmoins parfois le sentiment qu’elle se déroule un peu trop dans l’environnement proche de Butkus. Pareillement, une piste pourtant évidente, jamais suivie, a pour conséquence d’éliminer un gros suspect de nos cogitations embrumées. Les dernières révélations, probantes, sont peut-être aussi amenées de manière un peu précipitée et maladroite malgré leur pertinence. Enfin, si vous voulez garder en souvenir cette atmosphère très inquiétante, arrêtez vous avant le dernier chapitre où on semble débarquer chez Harlequin, incompréhensible dans le ton, totalement déplacé, bourré jusqu’à l’indigestion de “happy ends” aussi invraisemblables que parfaitement inutiles, dénaturant une ambiance générale pourtant délicieusement dérangeante. Ces menus tracas de fin de roman, néanmoins, ne ternissent pas vraiment un thriller tout à fait recommandable, une belle réussite. 

Clete.

PS: La couverture du roman ayant déjà été interdite par FB, nous craignons un peu pour la diffusion de cet avis sur les réseaux.

Et merci à Brother Jo pour cette illustration musicale parfaite, toute en délicatesse éclairée.

MACHA OU LE IVème REICH de Jaroslav Melnik / ACTES SUD.

Traduction: Michèle Kahn.

«Macha ou le IV REICH » publié chez ACTES SUD est l’œuvre de l’auteur ukrainien Jaroslav Melnik. Il a déjà écrit un certain nombre de romans et de nouvelles dont l’univers allie science-fiction et conte philosophique et pour lesquel il a été récompensé et reconnu. Voilà pour les présentations !

Pour commencer « Macha ou le IV REICH » est un roman à la couverture intrigante et captivante, qui ne passera pas inaperçu dans les rayons des librairies ou de votre propre bibliothèque.

L’histoire quant à elle, est clairement raccord. Je me suis complètement fait embarquer dans cette dystopie. Je regrette que le film soit passé si vite et je dis bien le film parce que c’est la juste impression de ma lecture de ce roman. L’écriture est percutante et très visuelle.

Tout se déroule en 3896 dans un monde ou le IV REICH a tout pouvoir et a balayé les principes et concepts de l’ancien monde. Il n’y a plus de technologies modernes, plus de grosses industries et les hommes sont retournés au travail de la terre, aux valeurs simples…

Dans cette nouvelle société Post Nazi, le nouveau concept est simple, plus de races mais d’un côté les hommes et de l’autre les stors. Les stors sont des hommes qui ont été rendus au fil des siècles et des générations des êtres d’apparence humaine sans capacité de langage ou de réflexion. Ils servent aux hommes de main d’œuvre docile et sont élevés également comme du bétail. Ils fournissent le lait et la viande des hommes qui ne consomment par ailleurs plus d’animaux. 

C’est dans ce monde absurde que vit Dima. Il est journaliste à la Voix du Reich et est aussi un as de la découpe de stors, tradition familiale oblige.Il vit avec sa femme et son fils en campagne et est lui-même propriétaire de stors. Sa vie est depuis peu très banale, sa femme Elsa ne le regarde plus et son fils Albert le déconsidère totalement. Il préfère donc passer son temps avec ses stors. Et un soir qu’il va traire une de ses stors, Macha, sa vie commence à basculer. Il perçoit dans son regard quelque chose d’humain. Ses rapports avec elle vont devenir de plus en plus troublants.

Les jours passent, sa vie familiale se délite de plus en plus et Dima s’attache de jour en jour à Macha, ce qui le pousse à revoir sa vision des stors et leur condition. Un soir il assiste à une réunion qu’un groupe anime, le PHC. L’un des membres présente sa femme qui se révèle être un stor et choque l’assemblée qui devient vindicative.

Il reste alors en contact avec ce groupe qui lui explique l’irrationalité de cette société en lui prouvant qu’un stor n’est rien d’autre qu’un homme. Ce groupe a sauvé des nouveaux nés stors et il s’avère que lorsqu’ils sont élevés avec d’autres enfants, ils sont tout à fait semblables en tous points. Dima prend alors totalement conscience du mensonge dans lequel il a vécu ainsi que ces aïeux avant lui et décide de s’enfuir avec Macha afin de rejoindre le groupe et quitter définitivement cette famille qui ne le comprend plus.

« Je tendis la main et grattai derrière l’oreille. Une goutte de lait tombait de sa mamelle gauche. Si on ne la trayait pas tout de suite, le lait allait surgir. Je l’attirai vers moi. La chaleur était telle que je sentais la sueur couler sur mes épaules. Et j’eus tout à coup une drôle d’idée. Au lieu de traire Macha à la main comme je le faisais dans de tels cas, j’approchai mes lèvres de sa poitrine et me mis à la téter. En général, il n’était pas d’usage que de semblables contacts charnels se produisent entre un humain et un stor…

J’étais couché sur ses genoux et elle me soutenait la tête pour que je sois à l’aise. Et pendant que je tétais sa mamelle droite, elle se mit à me caresser la tête. Il me sembla que je perdais l’esprit. C’était comme si elle n’était pas un animal, mais une femme. »

Le périple pour les rejoindre est difficile, intense, philosophique. On assiste à la renaissance d’un homme et à la transformation à ces côtés de Macha qui devient femme.

Le dénouement fait réfléchir et méditer sur les erreurs du passé de notre propre société, celles du présent et peut être celles à venir.

Le récit est d’autant plus troublant qu’il est cohérent, en phase avec ce que notre monde vit et met en place aujourd’hui dans le contrôle des populations. Après chacun y verra ou décèlera les parallèles qu’il a envie d’accepter.

Pour ma part, j’ai adoré et recommande vivement ce roman qui sort du lot.

Nikoma

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