Chroniques noires et partisanes

Étiquette : éditions fleuve

SI VULNERABLE de Simo Hiltunen / Fleuve.

Traduction: Anne Colin Du Terrail.

“Si Vulnérable”. Il s’agit de la vulnérabilité des enfants, que nous conditionnons, formatons, en fonction de l’éducation qu’on leur apporte et des valeurs qu’on leur inculque. Nos enfants sont des éponges, des éponges à apprentissage qui s’instruisent dans notre ombre, autant par nos gestes que par nos mots. Ils apprennent et parfois nous imitent pour le meilleur comme pour le pire. Mais, du coup, si la violence et la cruauté étaient elles aussi deux valeurs qui se transmettaient de père en fils ? Si un enfant grandit dans un environnement oppressant, devient-il obligatoirement un être dont la brutalité caractérisera l’essentiel de sa vie d’adulte ?

Il s’agit là des principales questions que se pose, et nous pose l’auteur Simo Hiltunen dans son roman “Si vulnérable”.

Pour tenter d’apporter une réponse il prend comme exemple l’histoire d’un tueur en série qui pratique les meurtres de familles entières en les déguisant en familicides.

Lauri Kivi, célèbre et brillant journaliste judiciaire dans un grand quotidien finlandais s’intéresse à ces drames et décide d’enquêter. Il découvre peu à peu un mode opératoire qui le conduit à penser qu’il s’agit en fait de meurtres commis par un tiers, et le mène sur les traces du tueur.

Sur toute la première partie du livre, en fait les ¾ du roman, on suit donc Lauri qui s’interroge sur la violence de ces meurtres, ce qui a comme un effet miroir avec lui-même.

Il est né et a été élevé dans une maison où le père était très violent. Il insufflait de la peur dans la famille afin d’exercer le pouvoir et une forme de domination. La mère et les deux enfants subissaient de la maltraitance, de la douleur physique, ils étaient humiliés. Il découvre, à l’occasion d’une visite à son père, que ce dernier a souffert lui-même de violence de la part de son propre père. Ce contexte a-t-il décidé du fait que Lauri devrait subir les mêmes souffrances? Cette violence est née des vexations, de la peur, du harcèlement, devenu adulte il a fait également subir cette domination afin d’asseoir son pouvoir et acquérir un sentiment de puissance.

Pour autant, toute personne maltraitée dans son enfance devient-elle un sociopathe ? Le meurtrier est-il un enfant qui a connu les coups et les humiliations ? Sur la dernière partie du livre, Lauri se rapproche dangereusement du bourreau. Ce dernier, se retrouve dans notre chroniqueur judiciaire, comme un double, pour lui il s’agit de son semblable. Il doit laisser sa rage s’exprimer et non la laisser enchaînée. Elle doit le libérer des contraintes, lui permettre de s’épanouir, d’acquérir enfin le pouvoir dont chacun d’entre eux a été privé durant sa jeunesse.

La démonstration est faite, la fureur est un sentiment qui naît dans l’enfance, alimentée par les sévices subis, et une fois devenu adulte, libre d’agir à sa guise, il faut faire partager l’expérience de la peur, non plus en la subissant et en étant celui qui la ressent mais plutôt en étant le tortionnaire, en se sentant tout puissant face à la peur de ses victimes.

Lauri Kivi refuse cette part de lui-même : « en chacun de nous vit deux loups : le loup blanc qui essaie de conduire vers le bonheur et le loup noir qui encourage à mal agir. Lequel des deux gagne ? Celui que tu nourris ». Pour lui, il faut au contraire de la détermination, de l’intelligence et de la volonté pour se détacher des modèles de son enfance et vivre à sa façon. Subir des sévices n’est pas une fatalité et ne doit en aucune façon conditionner notre vie d’adulte. Il faut savoir faire face, être plus fort encore et lutter contre ces sentiments de rage et ne pas les laisser prendre le dessus.

Ce roman, tiré de faits réels, est un véritable roman noir, une étude sociologique et psychologique du mal. Simo Hiltunen prend le temps de creuser ses personnages, aucun n’est vraiment secondaire, tous prennent part à l’intrigue et apportent une pierre à la démonstration faite par l’auteur. C’est un roman qui prend son temps, pour autant nous n’avons pas le sentiment de longueur, tout est à sa place. La tension est présente tout du long et seule la conclusion nous permet de souffler.

Il s’agit du premier roman de Simo Hiltunen, et nul doute qu’il s’agit d’un nouvel auteur à suivre.

Marie-Laure.

 

TOUT CELA JE TE LE DONNERAI de Dolores Redondo / Fleuve.

Traduction: Judith Vernant

Dolores Redondo nous avait précédemment embarqués dans sa trilogie du Batzan aux confins du Pays Basque espagnol. Là, elle nous enjoint à la suivre en pays de Galice situé au Nord-Ouest de l’état ibérique à la frontière lusitanienne, non loin de Saint Jacques de Compostelle. Car la Galice présente une histoire monarchique, noble par l’entité représentée par le royaume suève, ce qui aura son importance dans le présent récit. C’est avec délectation que l’on retrouve l’écriture de cet auteur capable d’aimanter notre esprit dans un ouvrage consistant.

«Interrompu un matin dans l’écriture de son prochain roman, Manuel Ortigosa, auteur à succès, trouve deux policiers à sa porte.Cela aurait pu n’être qu’un banal et triste accident – une voiture qui, au petit jour, quitte la route de façon inexpliquée. Mais la mort de Alvaro Muniz de Davila, est le mari de Manuel et le chef d’une prestigieuse dynastie patricienne de Galice. Dans ce bout du monde aussi sublime qu’archaïque commence alors pour Manuel un chemin de croix, au fil duquel il découvre qu’Alvaro n’était pas celui qu’il croyait.Accompagnée par un garde civil à la retraite et par un ami d’enfance du défunt, il plonge dans les arcanes d’une aristocratie où la cupidité le dispute à l’arrogance.Il lui faudra toute sa ténacité pour affronter des secrets impunis, pour lutter contre ses propres démons, et apprendre qu’un rire d’enfant peut mener à la vérité aussi sûrement que l’amour. »

L’auteur à succès, pilier porteur du roman, voit son existence lacérée par une terrible nouvelle qui infléchira celle-ci. Il devra, alors, revêtir d’autres habits, se forger une culture appropriée afin de s’incarner dans le personnage qui tentera de faire la lumière sur cette tragédie. Entrer dans les secrets, dans une vie parallèle, dans les arcanes d’une société opaque, le fait se pencher dangereusement sur les lèvres d’un précipices. Les coups sont profonds et rudes néanmoins il trouvera des alliés insoupçonnés. Sur le fil du rasoir, certes, mais il affronte, il combat, il s’affirme! Des ressources il en perçoit et trouve, ou retrouve, des repères pour évoluer dans sa quête salvatrice.

Dolores Redondo assigne de sa patte, de sa sensibilité littéraire et humaine son roman lui permettant, par là même, de découvrir une région par ses us et coutumes. Elle prend le temps de poser ses personnages et de les inclure dans un contexte cohérent. Elle nous hameçonne sans tirer brusquement sur le fil, en apposant une tension crédible régulière tout en s’autorisant des plages d’inspiration vitale en lien avec l’adaptation de Manuel à son environnement. Contrairement à sa trilogie, elle s’appuie sur des ressorts manichéens bien que le trouble, le doute et l’opacité nimbent l’ensemble. Sous sa coupe, lecteur on en devient inquisiteur et cherchons avec discernement, inflexibilité la voie éclairée.

Grand écrivain qui, à nouveau, réussit un coup magistral de justesse, d’intérêt, dans cette communauté!

Chouchou.

COMME DE LONGS ECHOS d’Elena Piacentini / Fleuve.

Elena Piacentini débarque chez Fleuve avec une nouvelle équipe de flics toujours basée à Lille où vit l’auteure.

« Vincent Dussart est sûr de son coup. Ce break imposé par sa femme va prendre fin aujourd’hui. Il n’a rien laissé au hasard. Comme toujours. Confiant, il pénètre dans la maison de son épouse. Le silence l’accueille. Il monte les escaliers. Puis un cri déchire l’espace. Ce hurlement, c’est le sien. Branle-bas de combat à la DIPJ de Lille. Un mari en état de choc, une épouse assassinée et leur bébé de quelques mois, introuvable. Les heures qui suivent cette disparition sont cruciales. Le chef de groupe Lazaret et le capitaine Mathilde Sénéchal le savent. Malgré ses propres fêlures, ou peut-être à cause d’elles, Sénéchal n’est jamais aussi brillante que sous la pression de l’urgence. Son équipe s’attend à tout, surtout au pire. À des milliers de kilomètres, un homme tourne en rond dans son salon. L’écran de son ordinateur affiche les premiers éléments de l’affaire. Ce fait divers vient de réveiller de douloureux échos… »

Sans conteste, les fans de Piacentini seront comblés par le retour de la dame et se retrouveront en terrain connu mais les néophytes devraient aussi y trouver leur compte. Inspiré d’un fait divers assez incroyable, l’auteure a écrit un roman qui se lit d’une traite tant l’histoire, bien qu’un peu courte, est attractive. Elena Piacentini, avec beaucoup de sérieux, a su tisser une belle toile mystérieuse tout en commençant à dresser les portraits des différents flics de l’équipe regroupée autour de Mathilde Sénéchal, prototype de la femme flic particulièrement à la mode ces temps-ci dans la littérature policière. Pas de problème, le récit est enlevé et on note, par la présence des chapitres très serrés, l’influence du travail de scénariste pour la TV de l’auteure. C’est sérieux, c’est du bon boulot mais le terme de boulot, hélas, correspond bien à l’impression de tâche à accomplir pour atteindre une cible que donne le livre.

Un roman étant un produit commercial, il est normal que les éditeurs fassent tout pour bien vendre les bouquins qu’ils proposent, surtout ceux des auteurs qui arrivent précédés déjà d’une bonne réputation. Parfois, on a l’impression quand même que l’éditeur donne un cahier des charges assez strict à l’auteur, dénaturant l’essence créatrice de l’auteur.Les éditeurs s’en défendent mais les auteurs, off, parlent .Bref, je trouve que Fleuve en a fait un peu trop sur ce roman. Je n’ai lu nulle part ailleurs les réticences que je peux avoir pour totalement adhérer à ce livre, je n’en démords pas néanmoins. Dès la couverture, par le titre, l’illustration, j’ai immédiatement pensé Fred Vargas. Il est possible que je me fasse des idées, ces dernières sont néanmoins accentuées par le frôlement vers le fantastique ici comme souvent chez Vargas mais il me semble que c’est bien l’objectif recherché, peut-être inconscient. Par ailleurs, le fait que ce soit le début d’une série donne nettement moins de puissance au roman, on sent que l’auteure en a laissé beaucoup sous la godasse et n’a pas pu ou voulu faire de Mathilde, dès le début, un personnage réellement charismatique, qui me donne envie d’attendre impatiemment la suite. L’aversion terrible de Mathilde pour les odeurs mentholées dont on ne connait pas la raison à la fin du roman ne troublera pas mon sommeil outre-mesure. En fait, les multiples personnages  paraissent juste esquissés ce qui donne une impression d’un univers de flics assez lisse, en manque de pathos.

Dommage.

Wollanup.

 

Entretien avec Stéphane Pair pour « Elastique Nègre » chez Fleuve éditions.

Crédit photo: Julien MICHEL.

Stéphane Pair est l’auteur d’un roman qui tranche par son décor, la Guadeloupe  et par son thème du trafic de drogue dans la Caraïbe et les DOM. « Elastique nègre » propose une vision très noire et hélas très crédible de l’île et nous vous proposons, par le biais de cet entretien, d’approfondir certains points du roman,  parfait négatif  des brochures d’agences de voyage. Merci à Stéphane Pair pour son accueil et sa disponibilité. Continue reading

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