Le temps maussade et plutôt frais aux alentours de 18h30 ne devait pas porter à une certaine allégresse. Je me trouvais dans le quartier des éditeurs à quelques encablures de la rue du Bac. Mais voilà, un événement motivant m’attendait en ce jeudi soir. En effet les éditions Gallimard et la Série Noire nous accueillaient en petit comité, sous l’égide de Babélio, pour une rencontre excitante, débordant du simple cadre de la lecture puisque nous allions, j’allais rencontrer le géniteur de l’œuvre magistrale PUKHTU.
Un peu tendu en pareille circonstance d’assister, de participer à un tel échange avec ce littérateur qui m’a tellement transporté dans ce qui représente l’une de mes nourritures spirituelles incontournables. Je dois préciser que mon adhésion au travail du sieur ne se limite pas à ce dernier ; j’ai aussi vibré sur « La Ligne de Sang » qui avait reçu un accueil mitigé et bien sûr le socle du dernier en date « Citoyens Clandestins » et « Le Serpent aux mille coupures ».
Questions/réponses sur une durée de 45’ une heure nous exposant la genèse dudit écrit et l’homme n’est pas avare dans ses explications. Je pourrais dire qu’au delà de ma réceptivité de son travail d’écrivain j’ai découvert un être humain, de manière partielle, à l’écoute, sensible aux avis de son lectorat, ouvert à la critique constructive sous couvert d’un ensemble didactique. En nous révélant ses méthodes d’élaboration de son œuvre maîtresse, en précisant certaines anecdotes ponctuant l’avancée de celle-ci,il témoignait de sa volonté sincère et respectueuse d’une relation tournée vers autrui. Cela a amplifié mon ressenti face à une concrète humanité manifestée pour son amour de ses personnages.
L’homme, et concomitamment l’auteur, fait montre d’une réelle propension à la prise de risque, c’est son adrénaline, probablement sa raison de vivre, son combat, ses challenges. On le perçoit structuré, s’affranchissant du superflu, s’amendant du sensationnalisme pour le sensationnalisme en cherchant à décrire des réalités crues sans guirlandes et trompettes.
Ce fut, donc, sous les ors et lambris du cadre imposant des éditions Gallimard tout sauf une soirée maussade mais bien la découverte derrière le rideau d’un condisciple, n’aimant pas les représentations imagées, qui préfère la ligne droite tout en étant capable de tracer des voies d’emprunts parallèle à sa ligne de conduite.
Présenter ou résumer PUKHTU Secundo c’est utopique, voire irrespectueux pour son géniteur et son (futur) lectorat. Un ressenti de cette saga additionnée à des bribes symptomatiques de ma lecture, de ma plongée, n’en sera que le sel d’un roc brut aride mais qui délivrera des émotions que seul le vivant reste susceptible de transmettre, de communiquer.
« “Vous avez bonne mémoire. ”
Montana acquiesce, songeur. Ce nom le hante depuis six ans. Après avoir atteint leur objectif, empêcher l’attaque et récupérer le puissant neurotoxique d’origine française dont les islamistes entendaient faire usage, le clandestin et l’infiltré, Robert Ramdane, se sont volatilisés. Un imprévu contrariant. Il avait en effet été décidé de rhabiller les deux hommes en ennemis de la République et de les tuer, pour leur faire endosser plus aisément la responsabilité d’une série de décès suspects, ceux des véritables intégristes, auxquels les journaux et les services de police commençaient à s’intéresser. “Où se cache-t-il ? ” »
Les sentiments, les affects, les tensions se conjuguent à tous les temps et de son rythme propre l’auteur nous convoque comme prévu pour ce second acte. Avide de dénouer les nœuds gordiens d’une géopolitique implacable, froide, on rentre les épaules pour se frayer un passage dans la nasse tressée. Les retrouvailles avec les différents acteurs sont parfois empreintes de retenues, d’une certaine frilosité. Mais de nouveau on perçoit que nous ne sommes pas les parangons d’une farce, d’une duperie, d’une vile manipulation. La manipulation elle procède d’un autre niveau, ce niveau qui ne tient pas compte des êtres dans leur singularité, leur richesse propre. On assiste alors à une révolte de « pions » qui ne veulent plus en être. Et comme dans tout soulèvement, il y’a des victimes, des virages, des inflexions de vie à assumer. La poussière vole, les cœurs se déchirent, les estomacs se nouent et proche de la nausée on vomit une coulée d’émotions où nous sommes contraints de faire face !
Les consciences face au miroir sont meurtries qui mènent à des prises de décisions lourdes mais irrévocables. Possédé par la force suggestive derrière une fresque « picaresque » à la Guernica, on se résout à constater, qu’inconsciemment ou pas, que noter empathie pour les différents acteurs grandit tout au long de notre trajet en leurs compagnies. La force magnétique de chacun montre et démontrent l’universalité des émotions, des sentiments et la difficulté d’y faire face, d’exister avec. A chaque impasse, à chaque cul-de-sac la lumière l’emporte sur la terreur.
DOA a tenté, a réussi un pari osé qui aurait pu passer pour un roman d’étude géopolitique, qu’il est en partie, mais indubitablement le roman d’êtres humains mis à nu avec leurs forces, leurs faiblesses. Cette irrépressible volonté de dénuder ses personnages pour en faire les égaux de nous-mêmes exploite nos émotions les plus profondes, les plus authentiques, les plus limbiques.
La littérature sert aussi à se voir comme l’on aimerait être sans cette dimension du paraître. Nul besoin d’artifices, d’atomiseurs, de formes tapageuses, les tripes et la pompe à fluides vitaux, sont bel et bien les seules armes de nos existences réelles.
« Un IPod, ombilic superflu, indispensable à sa raison » c’est dérisoire mais nécessaire au même titre que rechercher l’humain, bien trop dédaigné, méprisé, est essentiel.
« C’est un long voyage, mouvementé, souvent difficile, parfois grandiose, à travers le monde d’aujourd’hui – son versant noir et caché s’entend – mais, à l’instar de tous les périples lointains, il est exigeant et se mérite. Quant aux deux parties, leur différence perçue est surtout la conséquence de leur séparation physique. Lue dans la continuité, la seconde moitié apparaît pour ce qu’elle est, l’évolution logique de la première, un resserrement du général au détail et au personnel. » (DOA, extrait de l’entretien en ligne le 14/10/2016)
Les propos de l’auteur vous garantissent une continuité entre les deux tomes de Pukhtu mais ne parlent aucunement des énormes surprises que ce second opus réserve au lecteur. Il va sans dire que ceux qui n’ont pas lu Primo doivent commencer par le faire. Le mieux est même de commencer par « Citoyens clandestins », d’enchaîner par « le serpent aux mille coupures » pour bien appréhender le final de ce cycle que DOA expliquera avec la franchise qu’on lui connait dans l’entretien haut de gamme qu’il nous a accordé, en ligne vendredi. Cette fin de cycle qui représente plus de dix ans de travail, ce qui n’aurait pas à être mentionné s’il aboutissait à un résultat médiocre, mais c’est loin d’être le cas et même l’emploi de superlatifs ne peut rendre compte de ce que j’ai pu éprouver à la lecture de Secundo.
« Un resserrement du général au détail et au personnel ». Le général, c’est bien sûr Primo avec la guerre au XXIème siècle et je reprends ici des passages de ma chro du livre parue chez Unwalkers à l’époque, avril 2015, et aujourd’hui disparue du Net.
[Ce pavé parle de la guerre en Afghanistan à une époque, 2008, dans un pays rendu exsangue par les ravages de la guerre et où les magouilles traditionnelles du pays le plus corrompu de la planète à égalité avec la Corée du Nord et la Somalie se sont développées avec l’argent des occupants américains et à la faveur de l’anonymat créé par la guerre en Irak. Mais avant tout, comme dans « la Religion », c’est le combat entre deux sociétés qui ne se comprennent pas et se combattent comme à l’époque des croisades. Rien n’a changé. Comme Willocks, DOA sait décrire les combats, la peur, l’horreur, la folie meurtrière, l’héroïsme, la boucherie, la folie des hommes… et comme chez Willocks, on reste hébété devant le carnage décrit très maladroitement par les média et que les auteurs arrivent à nous faire vivre comme l’enfer sur Terre avec ces combattants, dans chaque camp, égarés, complices d’intérêts qu’ils ne comprennent pas et dont ils sont les premières victimes.]
Quand on reprend l’histoire, c’est le même enfer :
« Ouais, ouais y a du déchet, quelques morts, enfin pas mal, des blessés et des innocents qui finissent dans des cages, des jeunes et des vieux aussi, des gentilles barbes grises, et eux, c’est presque sûr, ils se retrouvent là pour des comptes mal réglés ou parce qu’ils l’ont ouvert trop grand, contre le président afghan qui pédale dans l’ opium, les alliés du président qui les rackettent, les battent et violent leurs femmes et leurs gosses, ou nous autres, les alliés des alliés du président qui fermons les yeux… Mais tu le sais toi, que c’est pas simple de trouver qui est qui dans ce pays de putains d’enculés de leur mère, qu’a pas envie de sortir de sa merde… Alors s’il faut marcher sur des pieds, tordre des bras, fracasser deux trois crânes voire buter des inoffensifs pour leur mettre la main dessus, aux nuisibles, tant pis, ils avaient qu’à pas être là, hein ? Eux ou nous, mon frère, eux ou nous. » (page 312).
Mais la grande particularité de Secundo, c’est « au détail et au personnel » car, après nous avoir conté de manière très didactique et passionnante cette guerre et toutes les guerres souterraines, toute la folie, les magouilles des différents camps, DOA va se consacrer à ce que tout lecteur attend avec force, l’heure où certains salopards vont payer pour leurs exactions, leurs manœuvres, leurs profits. Certains doivent payer mais ce n’est jamais si simple chez DOA et vous n’êtes pas au bout de vos surprises parce que si châtiment il y aura bien, impossible de savoir qui tiendra le glaive et qui seront les victimes.
La grande force de Secundo, c’est d’arriver à faire vivre la multitude de personnages qui peuplent son œuvre, d’analyser en détail la psychologie de chacun, les principaux comme les secondaires tout en réveillant des fantômes, créant ainsi un immense tableau apocalyptique dont tous les participants vont se diriger inexorablement, implacablement vers un chaos prévisible, espéré pour certains et bien regrettable pour d’autres.
Comme jamais auparavant, même si certaines pages de Primo, déjà, débordaient de tristesse, DOA fait ressentir la douleur de la disparition, la folie, le désespoir, la misère du monde chez des hommes, des femmes et des enfants victimes du côté sombre de l’humanité. Il prouve ainsi à ceux qui en doutaient encore qu’il est un grand écrivain, malgré sa volonté de rester invisible et imperméable aux émotions dans ces romans, animé d’une grande humanité.
On connait l’impact douloureux des scènes choc chez DOA et finalement, c’est dans les scènes les plus intimes comme l’errance solitaire dans les montagnes afghanes d’un personnage ou la relation entre un enfant et une personne emprisonnée ou enfin le dernier moment de grâce d’un homme qui sait sa mort prochaine qu’il se montre le plus redoutable, qu’il émeut, qu’il renverse comme seuls les plus grands savent le faire.Un crescendo infernal !
« Pukhtu secundo » sort le 13 octobre et il me semble essentiel d’avoir lu »Pukhtu Primo » ou, encore mieux, tout le cycle avec « citoyens clandestins » et « le serpent aux mille coupures » pour voir le destin des personnages du « Guerre et Paix » de DOA et pleinement apprécier le final. Donc, si ce n’est pas fait, vous avez encore le temps de réparer votre très regrettable bévue.
A l’heure où on loue à juste titre Ellroy et Winslow, on a parfois tendance à oublier qu’ en France on a un écrivain aussi talentueux, aussi impressionnant. Et pour mieux vous préparer à l’effroyable explosion finale, je remets en ligne un entretien réalisé avec DOA en 2015 dans une France qui n’avait pas encore connu les attentats et précédemment mis en ligne chez Unwalkers.
DOA est un grand écrivain, sans nul doute mais c’est aussi un homme, un vrai. Au cours de cet entretien-fleuve, il se dévoile et c’est aussi puissant et convaincant que ses écrits : son enfance, ses débuts, ses modèles, l’Afghanistan, Pukhtu, le milieu du polar, la loi sur le renseignement, la tristesse et le chagrin, Ellroy…le tout sans langue de bois, attention aux turbulences.
***
Je sais votre volonté de rester le plus anonyme possible et je ne vais donc pas vous demander de nous raconter votre vie dont des bribes apparaissent néanmoins sur le net mais pouvez-vous nous dire quand le désir d’écrire est apparu chez vous et de quelle manière ?
Aussi loin que remontent mes souvenirs, raconter des histoires m’a toujours plu. Petit, satisfait d’être mon seul public, je me baratinais beaucoup moi-même. Gros risque de paraître complètement dingo. Il m’arrivait parfois de les écrire, ces histoires, dans des cahiers, sans jamais aller au bout. C’était un plaisir, un passe-temps, pas une vocation. Et c’est encore pour passer le temps, entre deux boulots, que j’ai repris ce qui n’était à l’époque qu’un vieux projet de BD pour servir de base aux « Fous d’avril » mon premier – et très maladroit – roman. Après quelques péripéties, l’éditeur chez lequel ce livre-ci a finalement été publié, le Fleuve Noir, a bien voulu prendre un autre projet, qui était à l’origine un script de film, sur lequel j’avais commencé à travailler : « La ligne de sang ». Ensuite, il y a eu « Citoyens clandestins », pour lequel Gallimard m’a récupéré et puis « Le serpent aux mille coupures », et puis, et puis… Et puis, le passe-temps est devenu un vrai boulot.
Quels sont les auteurs qui vous ont marqué, avez-vous des modèles ?
Le premier auteur qui a réellement compté pour moi est JRR Tolkien, lu très jeune. J’avais huit ou neuf ans quand une maîtresse d’école m’a fait découvrir « Bilbo le Hobbit » et à peine plus lorsque j’ai ouvert « Le seigneur des anneaux » pour la première fois. J’en ai bavé mais ça valait vraiment le coup de s’accrocher. Le relire est devenu depuis un rendez-vous annuel. La puissance créatrice de cet homme, qui a su construire un univers d’une complexité et d’une profondeur rares en littérature, l’œuvre de toute une vie, m’a toujours impressionné. Mes grands chocs littéraires suivants furent Hemingway – « Paris est une fête », un petit bijou de légèreté désabusée – William Gibson, le Big Boss du Cyberpunk, auteur de « Neuromancien », « Identification des schémas » et j’en passe, et Bret Easton Ellis. J’ai pris son « Moins que zéro », écrit à vingt ans, et surtout « American psycho », qui est à mes yeux un des trois ou quatre grands romans sur les sociopathes, en pleine poire. Ensuite, autre gifle énorme, « Le Quatuor de Los Angeles » de James Ellroy, en particulier « LA Confidential » et « White Jazz », suivie, la gifle, quelques temps plus tard, par l’uppercut « American Tabloïd ». En refermant ce bouquin-là, je me suis dit que si j’étais écrivain et que j’avais le quart du dixième du talent de ce mec, j’aimerais un jour écrire un truc comme ça. Plus récemment, c’est Cormac McCarthy qui m’a bluffé et s’il ne faut en lire qu’un, c’est bien sûr « Méridien de sang ». Après un texte pareil ou sa « Trilogie des confins », le reste de la littérature des grands espaces… Evidemment, ce ne sont là que quelques jalons, parce que des auteurs que j’admire, je pourrais en énumérer plein d’autres, de Dostoïevski à Poe, en passant par Faulkner, Thompson – Hunter S. plus que Jim – Selby Jr, Tolstoï, Brautigan, Mailer, Conrad, Edogawa, McBain, Céline, Baudelaire, K. Dick, Ballard et Keats pour ne citer qu’eux. Aucun n’est mon modèle mais tous m’ont certainement influencé. La seule, au fond, dont la plume a profondément marqué la mienne, c’est Dominique Manotti, ma copine. Parce qu’un jour, quand nous avons commencé à réfléchir à notre quatre mains, « L’honorable société », elle m’a imposé d’écrire au présent. Une révélation et une révolution.
Rentrons dans le sujet du monstre « Pukhtu », Phillipp Meyer a dit avoir lu 300 bouquins sur le Texas avant d’écrire « Le fils », quel a été votre travail de documentation ?
Il y a trois choses assez pénibles dans les usages contemporains de la promotion. La première est cette envie – qui doit être à tout prix satisfaite – de savoir comment les objets artistiques sont conçus et fabriqués dans les moindres détails. C’est une question contrenature pour un créateur, à laquelle lui-même a du mal à répondre, et cela tue, à mon sens, la mystique de son travail et le merveilleux associé aux œuvres. A terme, cela annihile même toute forme d’innocence chez le lecteur/spectateur. La seconde est la propension à se servir de la documentation comme argument de vente, notamment des livres et/ou des films et des séries, tous mis en avant avec cette accroche : tiré de faits super réels. Quand on parle de bouquins notamment, cela permet d’escamoter l’essentiel, ce qui est écrit et la façon dont le sel du roman est transmis à celui qui le lit. Le troisième truc, c’est cette manie ultra-capitaliste qui consiste à aligner, dans tous les domaines, des chiffres pour un oui pour un non afin de se donner l’illusion de la performance ; j’ai lu beaucoup donc forcément ce que je vous raconte est hyper-valable.
Ne vous sentez pas particulièrement attaqué par ma réponse, cette tendance nous concerne tous et il m’arrive de ne pouvoir m’en défaire – je lutte, pourtant, hein ! (sourire) – mais je n’ai pas envie de m’amuser ici à aligner les pommes de la presse avec les poires de la littérature – spécialisée ou non – et les oranges documentaires – officielles ou pas, écrites ou audiovisuelles – avec lesquelles j’ai, entre autres, composé la salade de fruits intellectuelle qui a nourri « Pukhtu ». Il suffit de dire que j’ai pris mon temps, harmonisé les saveurs et rectifié les assaisonnements de façon à la rendre digeste. Enfin, espérons. Il me semble, dès lors que l’on a la prétention d’inscrire son travail dans une certaine réalité, nécessaire de prendre le temps de se renseigner sur le sujet traité, c’est la moindre des politesses.
A la lecture de votre roman, on s’aperçoit que le travail pour rendre ce flot d’informations lisible pour le pékin moyen pas trop au fait de la situation a dû être fastidieux, y a-t -il des ouvrages que vous conseilleriez afin d’approfondir la réflexion sur ce conflit ?
Fastidieux, non. Long, détaillé, soupesé, discriminatoire, organisé pour que la matière première de l’histoire n’arrive pas de façon (trop) didactique et soit toujours rattachée à l’un des personnages et à son point de vue sur le monde, héritage de son histoire personnelle et de sa psychologie, sur le moment et sur le long terme… puisque tout homme est la somme de ses propres expériences. Ou presque. Maintenant, aucune illusion, « Pukhtu » n’est pas écrit pour tout le monde, il en rebutera plus d’un.
Difficile de conseiller des ouvrages dans la mesure où l’essentiel de ceux qui m’ont servi sont rédigés en langue anglaise et non traduits. J’avoue avoir ouvert les yeux sur l’Afghanistan en commençant avec un livre très simple et très beau de l’écrivain marcheur Rory Stewart intitulé justement « En Afghanistan ». Il y a eu aussi un retour en grâce de lectures de jeunesse, en particulier « Les cavaliers » de Joseph Kessel, « L’homme qui voulut être roi et autres nouvelles indiennes » de Rudyard Kipling et « Putain de mort » de Michael Herr. Des introductions qui en valent bien d’autres. Sur les talibans, celui qui m’a montré la voie est le journaliste pakistanais Ahmed Rashid, un ancien militant, dont le travail est un préalable intéressant à des textes plus pointus. On trouve certains de ses écrits en français. Il faut également jeter un œil à « Blackwater » de Jeremy Scahill, une première approche de la problématique des sociétés militaires privées, toujours dans les ouvrages traduits, ou « Guerre » de Sebastian Junger, sur la réalité de soldats américains sur le front de l’est afghan. Ce ne sont là que quelques points d’entrée parmi des dizaines d’autres.
Vous avez embrassé la carrière militaire à une époque au sein de l’infanterie de marine spécialisée dans les interventions à l’étranger si je ne m’abuse, cette expérience vous a -t-elle servi pour comprendre le dessous des cartes dans certains théâtres opérationnels ?
Corrigeons tout de suite : je n’ai pas embrassé la carrière militaire, juste compté parmi les derniers couillons obligés de faire leur Service national. Il se trouve que, du fait de mes études, j’ai pu intégrer l’armée comme aspirant dans l’infanterie et, par un concours de circonstances, il m’a fallu choisir entre des unités de légion étrangère et des troupes parachutistes pour mon affectation. A l’époque, les paras paraissaient moins extrêmes. Prolonger l’expérience au maximum m’a permis de voyager, toujours dans des conditions très stables et sûres, et de côtoyer un temps des individus hors normes et, pour certains d’entre eux, assez intéressants. Même s’il y avait aussi pas mal de cons dans le tas. Une constante que l’on retrouve partout, malheureusement, y compris dans le joyeux royaume du polar où tout le monde est si intelligent et s’adore. Cette expérience m’a-t-elle rendu plus sensible à certaines choses ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, j’ai trop de respect pour les femmes et les hommes en uniforme, qui risquent désormais leur vie au quotidien, partout dans le monde, au gré des caprices géostratégiques des gouvernements français, pour me draper d’une mante de guerrier qui serait totalement usurpée.
J’ai été très surpris par vos descriptions détaillées de territoires interdits au public en Afghanistan et dans les FATA (zones tribales du Pakistan), comment avez-vous fait en mettant à part des relations qui auraient pu perdurer avec des gens de « la grande muette » ?
Deux règles qui pourraient procéder de la sagesse populaire et sont applicables à « Pukhtu » dans son ensemble – sans nécessiter l’intervention de « la grande muette » – : l’imagination est l’arme première des romanciers et celui qui cherche trouve. On pourrait en ajouter une troisième : les voyages forment la jeunesse.
Pourquoi l’Afghanistan et pas l’Irak ?
« Pukhtu » est la conclusion d’un projet littéraire imaginé après le succès (relatif) de « Citoyens clandestins », mon premier pas à la Série Noire, en 2007. Lorsqu’il a fallu commencer à réfléchir sérieusement aux suites éventuelles à donner à ce volet initial et au « Serpent aux mille coupures » deux certitudes m’ont guidé : il fallait faire revenir, dans la mesure du possible, la plupart des personnages et, par ailleurs, il était nécessaire de sortir du cadre strict des premiers romans. Pas question d’écrire une autre histoire de services secrets et d’attentats à déjouer en France. Pour autant, certaines choses avaient séduit les lecteurs et il semblait important de les retrouver dans un nouvel opus. Parmi celles-ci figurait l’ancrage dans un réel historique proche, puisque l’intrigue de « Citoyens » est bornée par le 11 septembre 2001 et le 21 avril 2002.
L’Irak aurait pu être un terrain de jeu intéressant, après tout ce qui se passait là-bas agitait une bonne partie de la planète. Mais le rude Afghanistan, ce tombeau des empires, me faisait plus bander. Et puis, son invasion et la chute du régime du mollah Omar en deux mois, fin 2001, avaient été les conséquences premières des attentats du 11 septembre. Je me suis donc concentré sur cette zone géographique et sur son histoire, passée et présente. Assez rapidement, les années 2008 et 2009 sont apparues très riches en événements. Autant de thèmes potentiels pour une suite à la hauteur de ce projet. D’une part, 2008, c’est la dernière année de la présidence Bush, l’homme qui a précipité son pays dans deux guerres terribles et embarqué toute la planète ou presque dans sa croisade contre le terrorisme. Il est remplacé par Barack Obama, le premier président noir des Etats-Unis, vendu à l’époque comme une colombe et pas comme un faucon. Lui allait mettre fin au bordel général, la bonne blague. D’ autre part, 2008, c’est aussi l’année où les talibans, laissés relativement tranquilles par des Américains trop occupés à guerroyer chez Saddam, font un retour en force, notamment sur le front de l’est. Ça couvait depuis un an et demi et le sud du pays était déjà très agité depuis 2004-2005 mais, en 2008, ils montrent qu’ils sont capables d’emmerder le monde sur tout le territoire en frappant au cœur de Kaboul dès le mois de janvier. Si on ajoute à ça que la CIA commence à industrialiser le renseignement à coups de bombardements de drones – plus de frappes en 2008 que pendant les six années qui précèdent, et ça augmente encore en 2009 – et que la production d’opium bat tous les records, alors le tableau est complet et le décor dans lequel mon bouquin s’ouvre planté.
Reuters.
A lire les premières critiques, par ailleurs unanimes quant à la qualité de votre roman, se dégagent des avis assez différents sur le sujet réel du roman. Certains ont mis en avant le combat des membres de la 6N dont nous allons reparler quand d’autres (dont je fais partie) y voient un témoignage plus universel, une présentation, une dénonciation d’une guerre du XXIème siècle. Comment présenteriez-vous votre roman à un néophyte ?
Certainement pas comme une dénonciation de quoi que ce soit, déjà. « Pukhtu », en surface, c’est un livre sur la guerre, prise au sens classique de l’affrontement d’entités militarisées et moins classique des conflits secrets ou contre des intérêts criminels. Plus largement, c’est un livre sur la guerre de tous contre tous et de chacun contre lui-même. D’une certaine manière, il est l’écho, évidemment amplifié et déformé – nous sommes dans le domaine de la littérature – de la grande tension qui agite actuellement notre monde, une tension que je trouve, à titre personnel, très inquiétante et oppressante. Une profonde tristesse m’a accompagné tout au long de l’écriture de ce roman, et elle n’a pas encore disparu. Peut-être s’envolera-t-elle lorsque je mettrai le point final au second volume. Les sources de cette mélancolie sont multiples mais il est évident que tout ce que j’ai absorbé lors de l’élaboration de ce texte m’a beaucoup affecté. Ces réalités multiples fondues en une seule, de fiction, sont désespérantes. Donc c’est aussi un texte sur le chagrin. Enfin, à mesure que je l’écrivais, il m’est apparu que le thème de la transmission y affleurait de façon inattendue et répétée : que nous ont transmis ceux qui nous ont précédés et que transmettons-nous aux générations qui suivent ?
Concernant votre présentation du conflit, quelles sont les innovations de cette guerre ? J’ai été très surpris voire choqué par la présence et l’activité de ces officines privées injectées dans cette guerre (le groupe 6N de Fox anciennement Fennec dans le passé dans vos romans) et dont les activités restent bien opaques et incontrôlables et dont on a bien du mal à connaître les vrais commanditaires. Est-ce une nouveauté à laquelle il faudra s’habituer ou est-ce une version moderne des barbouzes ?
Cette guerre, et celle d’Irak, a d’abord permis à l’armée américaine – la plus richement dotée du monde – et dans une moindre mesure, aux autres contingents de l’OTAN, France comprise, de mettre à l’épreuve ou développer, tester et perfectionner tout un tas de nouvelles stratégies, technologies et armements. Les drones en sont l’exemple le plus évident.
Mais la transformation la plus spectaculaire est effectivement, aux Etats-Unis, l’élan de privatisation sans précédent, à tous les niveaux, de la chose militaire, jusque sur la ligne de front. Faut-il s’en inquiéter ? Très certainement. Peut-on lutter contre ? Cela me semble difficile tant la chose paraît normale dans les pays anglo-saxons. Au-delà de la demande évidente des états, les grands groupes industriels et commerciaux, qui ont des intérêts à défendre sur tous les continents, dans des zones de plus en plus instables, intérêts qui ne sont pas nécessairement compatibles avec la diplomatie de leurs pays d’origine, ont les moyens de faire appel à des sociétés militaires privées pour assurer leurs arrières. Et ils ne s’en priveront pas. Le mercenariat, appelons un chat un chat, a toujours existé mais pas à cette échelle, avec les capacités de projection et de destruction d’aujourd’hui. L’avenir va piquer.
Le major général américain Smeldey Butler, dès 1935, a déclaré : “WAR is a racket. It always has been. It is possibly the oldest, easily the most profitable, surely the most vicious. It is the only one international in scope. It is the only one in which the profits are reckoned in dollars and the losses in lives.” A qui profite, dans chaque camp, ce commerce juteux?
A des intérêts privés, évidemment. Grosso modo ce que l’on appelle le complexe militaro- industriel d’un côté et tout un tas d’entités politiques, criminelles, armées, subversives, de l’autre. Les échelles ne sont pas les mêmes mais les motivations et les buts si. Prendre le pouvoir, dominer la concurrence ou l’adversaire, s’enrichir.
En ayant connaissance de la débâcle soviétique dans les années 80, pourquoi les Américains ont-ils occupé l’Afghanistan ? Quelles erreurs ont-ils commises ?
Je ne vais certainement pas me risquer à répondre à cette question, n’étant ni expert patenté, ni apostériologue professionnel. Juste une remarque : avant les Etats-Unis, l’Union Soviétique n’est pas le premier empire à s’être cassé les dents sur l’Afghanistan. En fait, tous ceux qui ont essayé de l’occuper en ont été pour leurs frais. Personne ne semble vouloir retenir la leçon. L’homme, quoi.
« Pukhtu » est situé en 2008, quelle analyse faites-vous de la situation actuelle ( avril 2015) ? Y a-t-il vraiment un nouveau protagoniste avec l’Etat islamique?
Il y a, en Afghanistan et dans les régions limitrophes de ce pays, une forte concentration de combattants islamistes, d’origines diverses – Arabes, Tchétchènes, Ouzbèkes, convertis occidentaux – qui, ces trente dernières années, ont cherché là un refuge et une terre de djihad. Jusqu’à un passé récent, ils se rassemblaient plus ou moins sous la bannière ou la franchise Al-Qaïda, ou celles d’entités locales. Al-Qaïda est en perte de vitesse, peu à peu remplacée par un nouveau caïd, l’Etat Islamique. Le nouveau est en italiques parce que cette organisation est ancienne en fait. Sa naissance remonte à la fin des années quatre-vingt-dix et son chef a longtemps été Abou Moussab Al-Zarqaoui, bête noire des Etats-Unis en Irak jusqu’au milieu de la première décennie 2000. Le mouvement a été presque entièrement détruit après sa mort, en 2006, mais il a pu se reconstituer en secret, profitant des frustrations des populations sunnites d’Irak, martyrisées par le gouvernement chiite mis en place par les Américains au moment de leur départ du pays, et de dynamiques tribales. Ils font maintenant une sérieuse concurrence au groupe fondé par Ben Laden partout dans le monde, y compris dans la zone Af-Pak.
Dans un passé récent, les Russes, les Américains, les talibans toujours, les lois tribales… existe-t-il un espoir pour les populations civiles ?
Bien sûr, si un jour tous ces mecs sont fatigués de se foutre sur la gueule (sourire). Et puis, les populations civiles ne sont pas toujours étrangères aux dynamiques qui les accablent.
La France doit-elle se considérer en guerre, quel est votre sentiment vis-à-vis de la loi sur le Renseignement ?
La France et les Français doivent considérer que le monde d’avant a disparu. Nous ne pourrons plus nous promener tranquillement sur la planète comme nous l’avons longtemps fait, sûrs de notre supériorité tricolore, économique, politique, intellectuelle et philosophique, et la réalité qui nous entoure s’invitera sans doute de plus en plus, et de plus en plus violemment, dans notre quotidien. A terme, j’ai le sentiment que nous ne pourrons pas nous abstenir de faire des choix difficiles pour maintenir un certain modèle républicain qui nous est cher.
Quant à la loi sur le renseignement, no comment. Qu’un ministre de l’Intérieur socialiste puisse déclarer sans sourciller, devant l’Assemblée représentant le peuple français, qu’il est normal de sacrifier une partie de notre vie privée m’a semblé tellement surréaliste que j’en suis resté baba. Rappelons que dans le même temps, lui et les autres caciques de son parti, ces vigies de la démocratie idéale, nous mettent en garde contre l’éventualité de l’arrivée du Front National au pouvoir. C’est parfait, si cela devait se produire, tous les instruments de surveillance et de contrôle seront déjà en place. « 1984 » est en train de prendre corps sous nos yeux, en direct sur les chaînes d’info en continu.
J’ai apprécié la playlist accompagnant votre roman (enfin, beaucoup plus les Stooges et les Black Angels que Jean- Pierre Castaldi néanmoins et sans vouloir vous offenser), qu’écoutez-vous en ce moment dont vous aimeriez nous faire profiter ? Pareillement y a-t-il des romans que vous nous conseillez.
Jean-Pierre Castaldi figure dans la playlist parce qu’il était en 2008 dans les bacs de certains DJ résidents du Baron, une boîte parisienne à la mode évoquée dans le roman. Branchitude, quand tu nous tiens. En ce moment, j’écoute beaucoup de musique sans parole, électronique, produite par des labels allemands comme Finest Ego ou Ostgut Ton, et le seul groupe de rock qui trouve encore grâce à mes yeux, c’est Interpol, pour lequel mon intérêt ne se dément pas. Une passade, à n’en pas douter.
Je ne lis plus assez de romans depuis deux ans, et la plupart de ceux que j’ouvre me tombent des mains. J’ai été très déçu par le dernier Ellroy, Perfidia, terminé avec peine il y a quelques semaines. Le Dog tourne à vide, il se caricature lui-même, et son retour sur des terres pourtant familières, entouré de figures connues et bien intentionnées, comme Dudley Smith, m’a profondément ennuyé. Mais peut-être est-ce juste mon goût qui évolue. Mon dernier gros coup de cœur, en fait, est un roman italien : « Les noirs et les rouges » d’Alberto Garlini.
Enfin, parce que je le pense vraiment, quelle est la question que j’ai omis de vous poser et à laquelle vous auriez aimé répondre ?
Et sinon, comment va la vie ? Bien, merci.
Entretien réalisé par échange de mails entre le 19 et le 22 avril 2015 suite à une brève rencontre le 12 avril 2015 lors du salon du polar de Mauves en Noir.
DOA est l’ acronyme d’un auteur français qui est devenu un grand écrivain avec « PUKHTU primo » et tous ceux qui l’ont lu ont senti la puissance qui émane d’un pavé qu’on aurait bien tort de cantonner à un roman sur la guerre tant il recèle des trésors pour le lecteur patient et attentif; la sensibilité, l’humanité et le chagrin masqués derrière la furie. Devenu l’égal des Ellroy et Winslow et se caractérisant par une modestie et un effacement derrière ses écrits, très soucieux de ses déclarations, DOA se confie peu et c’est donc avec une joie non dissimulée et non feinte que Nyctalopes vous offre sa vision sans langue de bois de l’Amérique. Take shelter!
Première prise de conscience d’une attirance pour l’Amérique:
J’ai eu la chance de voyager tôt et j’ai connu New York avant mes dix ans. Je garde un souvenir très fort du gigantisme (j’étais tout petit au milieu des buildings), premier contact avec les Etats-Unis, et de ma montée en haut du World Trade Center. Forcément, à cet âge-là, la démesure m’avait impressionné. Tout semblait grandiose, possible là-bas. J’entretiens depuis un rapport plus compliqué avec ce pays. J’admire une partie de sa production intellectuelle que d’aucuns pourraient qualifier d’élitiste, et j’en rejette l’essentiel qui, pour moi, contribue à un grand affadissement artistique au profit du fric-roi, mètre-étalon de l’Amérique. Je respecte certaines réussites, mais je crains son développement technologique, et les bouleversements sociologiques et politiques globaux qu’il implique. Enfin, de sa politique étrangère, sur tous les plans, je perçois qu’elle nous mène au chaos total. Après avoir longtemps souscrit au mythe des Etats-Unis protecteurs du monde libre, je pense maintenant qu’ils se comportent comme la brute de la cour de récré, égoïste, aveugle, irrationnelle.
Une image:
(Burt Reynolds, « Deliverance » – grosse claque ce film, je l’ai vu très jeune, sans tout saisir, sauf le tropisme sauvage du pays, à tous points de vue)
Un événement marquant:
Hiroshima. Les Etats-Unis sont le premier et le seul pays à avoir utilisé l’arme atomique contre un autre état souverain.
Un roman:
« Méridien de sang », de Cormac McCarthy (en fait il y en aurait beaucoup d’autres, difficile de choisir parmi tous les romans qui m’ont marqué. Celui-ci est le dernier).
Un auteur
Ernest Hemingway.
Un film:
« Blade Runner », de Ridley Scott (le réalisateur est anglais, mais le film est américain, se passe dans une Amérique futuriste et est tiré d’un roman écrit par un auteur américain). Vu à sa sortie en salles, puis devenu mon film de chevet lorsque j’étais étudiant. Et encore aujourd’hui. Celui avec lequel j’ai terminé le plus de nuits. J’ai dû le voir plus de trois cents fois, principalement dans sa version de 1982, avec la voix-off, longtemps la seule disponible.
Un réalisateur:
Sam Peckinpah, un personnage de roman noir, intransigeant, fidèle, violent comme ses films, un des premiers à déniaiser le western et à faire de soldats allemands de la Wehrmacht les héros d’un long-métrage.
Un disque:
« Ascenseur pour l’échafaud », de Miles Davis.
Un musicien ou un groupe:
Jimi Hendrix.
Un personnage de fiction:
Harry Callahan.
Un personnage historique:
George Armstrong Custer, la quintessence maudite de l’Amérique est tout entière contenue dans son destin tragique.
Une personnalité actuelle:
Donald Trump, le populiste américain, reflet de nos passions tristes européennes. Celui dont même le camp républicain ne veut pas. S’il est élu, la face du monde s’en trouvera sûrement changée, en pire.
Une ville, une région:
Martha’s Vineyard, la vieille Amérique civilisée et, d’un certain point de vue, l’Amérique primale, une île magnifique hors saison.
Un souvenir, une anecdote
House of Blues, Los Angeles, 1999. La boîte qui m’emploie édite un jeu dont David Bowie compose la musique avec Reeves Gabrels. Il sont là, avec d’autres pointures, dans cette salle de concert mythique qui, ce soir-là, reçoit le gratin du monde vidéoludique et où tout le monde se presse. Je suis le producteur de ce jeu, réalisé par une équipe brillante, ma place est en coulisses, mais du choix du Thin White Duke à la signature de son contrat et à sa présence ce soir-là, mon implication a été essentielle. Moi seul en suis le moteur, personne d’autre. Et ce moment, cette culmination-là, je me les suis offerts à moi-même. Le plaisir que j’ai ressenti tout au long de cette collaboration, intime, est bien plus important que les honneurs ou les avantages collatéraux qui vont ensuite en découler, parce que David Bowie est, ou a été – c’est dur de l’écrire comme ça – le musicien qui m’a initié au rock. Il m’a dépucelé, musicalement, à douze ans, lorsque j’ai découvert le clip de « Ashes to Ashes » et sa voix magnifique. J’ai commencé ensuite à acheter ses disques et je dois encore avoir un exemplaire de tous ses vinyles, y compris ceux de la période Manish Boys / Davy Jones & The Lower Third (de mémoire, deux singles). Mon plus grand souvenir américain, c’est celui-ci. A cette soirée, le monde m’appartenait. Juste après, je partais en virée « Fear and Loathing in Las Vegas », au Bellagio, hôtel aperçu ensuite dans « Ocean’s Eleven », inauguré six mois plus tôt. Une période de grand n’importe quoi.
Le meilleur de l’Amérique
Guns & ammo (les flingues et les munitions, les vrais – pas la revue du même nom).
Le pire de l’Amérique
Guns & ammo.
Un vœu, une envie, une phrase.
Une envie d’Alaska et de « Voyage au bout de la solitude », à la McCandless. On en revient toujours au mythe du territoire sauvage. A noter que la Russie peut aussi, d’un certain point de vue, offrir les mêmes horizons et les mêmes passions, un hasard ?
« À la veille de l’élection présidentielle, des cambrioleurs dérobent l’ordinateur de Benoît Soubise, responsable de la sécurité au Commissariat de l’énergie atomique. Les choses tournent mal, Soubise est tué. Mais une webcam a filmé toute la scène… Le commandant Pâris de la Brigade criminelle se lance sur la piste d’un groupuscule «écoterroriste», tandis qu’en haut lieu on le presse – un peu trop – de conclure son enquête. »
Sortie aujourd’hui en folio d’un grand roman récompensé en 2011 par le grand prix de la littérature policière.
Même écriture sèche, précise, informée, Politique mais non politisée, puissante et révélatrice des coulisses du pouvoir et des affaires de la France et du monde, Dominique Manotti et DOA, deux monstres du roman noir français avaient tout pour se rencontrer tant, malgré des carrières et des parcours différents, ils empruntaient les mêmes sentiers qui mènent à la connaissance, à la véritable information. A l’origine un projet télévisé avorté pour Canal +, le scénario a été retravaillé par les deux lanceurs d’alerte qui n’ont pas renoncé pour créer ce roman à quatre mains qui m’a fait hurler de bonheur quand j’ai appris cette « union » en 2011. Depuis, ils ont continué excellemment chacun de leur côté avec un brillant « Or noir » pour Dominique Manotti et par un monstrueux Pukhtu dont paraitra la deuxième partie en octobre pour DOA.
Alors le monde politique, des médias, des services de l’état et des affaires présenté dans ce roman est bien dégueulasse, puant, mais cinq ans après sa parution , »l’honorable société » reste hélas toujours d’actualité pour montrer cet univers des puissants prêts à tout pour assouvir leur soif de pouvoir, de richesses en écrasant tous ceux qui les gênent. Le contenu de l’information en 2016, pourtant bien édulcoré offert par les médias actuels, offre de nombreuses tristes similitudes avec le roman sauf que ce que nous vivons n’est pas de la fiction.
« Le terme pukhtu renvoie aux valeurs fondamentales du peuple pachtoune, l’honneur personnel – ghairat – et celui des siens, de sa tribu – izzat. Dire d’un homme qu’il n’a pas de pukhtu est une injure mortelle. Pukhtu est l’histoire d’un père qui, comme tous les pères, craint de se voir privé de ses enfants par la folie de son époque. Non, plutôt d’une jeune femme que le remords et la culpabilité abîment. Ou peut-être d’un fils, éloigné de sa famille par la force du destin. À moins qu’il ne s’agisse de celle d’un homme cherchant à redonner un sens à sa vie. Elle se passe en Asie centrale, en Afrique, en Amérique du Nord, en Europe et raconte des guerres ouvertes et sanglantes, des conflits plus secrets, contre la terreur, le trafic de drogue, et des combats intimes, avec soi-même, pour rester debout et survivre. C’est une histoire de maintenant, à l’ombre du monde et pourtant terriblement dans le monde. Elle met en scène des citoyens clandestins. »
Quasi inclassable, cet écrit pourrait avoir des affiliations avec « Je suis Pilgrim » mais, car il y a un mais, l’auteur a enfanté un docu-fiction d’une rigueur, de détails techniques et narratifs exacerbés. Le résultat présente et exploite des thématiques lourdes et complexes que sont la géopolitique, les conflits armés modernes, les arcanes des politiques dévoyés sans se départir d’une peinture réaliste et impressionniste des personnages prépondérants au récit. L’entrée, l’immersion dans cette brique n’est pas initialement chose aisée mais en appui de glossaires, de cartes, de listes détaillées des personnages, le lecteur se fondera dans l’univers voulu de DOA. Un écrit magistral de part sa singularité et l’exigence qualitative de son géniteur. Un pari osé réussi!
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