Chroniques noires et partisanes

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SOCIÉTÉ NOIRE de Andreu Martin/ Asphalte

Traduction: Marianne Millon.

Andreu Martin est, entre autres, un auteur catalan de romans policiers. Autrefois publié à la Série Noire, il revient sur le devant de la scène chez Asphalte dont les polars, souvent en langue espagnole, sont redoutables de noirceur urbaine. Citons pour exemples le Chilien Quercia récemment récompensé par un prix de la littérature policière bien mérité et Zanon un autre Catalan dont le « J’ai été Johnny Thunders » fait partie des très belles réussites de l’année. J’ai l’ impression de souffrir de paramnésie mais peu importe les polars d’Asphalte déménagent salement et il faut que cela se sache.

« Les triades ne sévissent pas qu’en Chine : elles se déploient aux États-Unis et en Europe. Seule Barcelone se croit encore épargnée. À tort, selon l’inspecteur Diego Cañas. Il charge son indic Liang, un Sino-Espagnol né à Hong Kong, d’infiltrer pour lui la très discrète mafia chinoise. 
Un mois plus tard, on retrouve au petit matin la tête d’une femme sur un capot de voiture. Un crime atroce qui porte la marque des maras, ces gangs ultra-violents d’Amérique centrale. Mais Cañas est convaincu que l’affaire est liée, d’une façon ou d’une autre, à son enquête sur les triades. Reste à le prouver à ses supérieurs… »

« Société Noire » démarre le pied au plancher et le rythme ne ralentira que très rarement grâce à des chapitres courts et souvent survoltés, surtout dans la deuxième moitié. Pendant la première partie, Martin utilise de façon intelligente des flash-back qui nous amènent à comprendre le pourquoi de l’abjection décrite au premier chapitre ainsi que deux autres tueries dont le massacre d’une famille aux modes opératoires qui semblent indiquer qu’ elles ont un lien. Andreu Martin utilise deux fils conducteurs Diego Cañas le flic incompris par sa hiérarchie et en proie à de grosses difficultés familiales avec sa fille ado et Liang, son jeune indic assez attachant et dont on n’imagine pas au départ le rôle crucial qu’il tiendra dans la seconde moitié du roman qui raconte l’après tuerie.

Outre un suspense très bien maîtrisé, ne laissant pas vraiment l’occasion de souffler à cause d’une envie de comprendre et d’un certain attachement qui peut naître pour Liang, petit voyou et surtout grand gosse inconscient qui s’est mis dans une belle panade, le roman, comme toujours chez Asphalte, offre un éclairage sociologique particulièrement intéressant,en l’occurence sur les Triades et les Maras organisations criminelles qui, de manière « cocasse », élisent Barcelone comme nouvelle terre d’épouvante. Enfin, vous comprendrez en  lisant, que ne ferait-on pas pour sa mère, le meilleur comme le pire…

Adictivo!

Wollanup.

 

TANT DE CHIENS de Boris Quercia / Asphalte.

Traduction : Isabel Siklodi

Le roman a remporté aujourd’hui le grand prix de la littérature policière…Ce n’est pas volé. On ressort une chronique de novembre 2015.

Un polar chilien déjà ce n’est pas banal, un polar chilien qui est le deuxième d’une série après « les rues de Santiago » au titre un peu passe-partout et qui semble avoir une côte élevée auprès des amateurs de polar, cela semble assez irréel et en même temps assez jouissif car il sort chez Asphalte et pour ce qui est des polars sud-américains intelligents, vous pouvez leur faire confiance. Et je ne peux que me joindre au chœur des louanges tant ce roman, garanti, c’est de la bonne came.

« Encore une mauvaise période pour Santiago Quiñones, flic à Santiago du Chili. Son partenaire Jiménez vient de mourir au cours d’une fusillade avec des narcotrafiquants. Pire encore, le défunt semble avoir été mêlé à des histoires peu claires, et il avait les Affaires internes sur le dos. Il était également lié à une « association de divulgation philosophique » aux allures de secte, la Nouvelle Lumière. Interrogé par les Affaires internes, Santiago a du mal à croire ce qu’on lui dit de Jiménez. En se rendant à la Nouvelle Lumière, par curiosité autant que par désœuvrement, il tombe sur la jeune Yesenia, qu’il connaît bien. Tous deux ont grandi dans le même quartier, puis leurs chemins se sont séparés. Entretemps, Yesenia a connu l’enfer : elle raconte à Santiago avoir été séquestrée et violée par son beau-père. Depuis, elle ne vit plus que pour une seule chose, et elle va demander à Santiago de l’aider, au nom de leur amitié passée : il s’agit d’abattre son bourreau… »

Une quatrième de couverture particulièrement réussie ne vous indiquant que le début des problèmes de Santiago Quiñones qui en verra des vertes et des pas mûres dans un court roman particulièrement explosif mais pas seulement parce que s’il a tout d’un hardboiled, il présente bien d’autres aspects positifs qui en font autre chose qu’un petit polar où ça défouraille à tout va.

Grâce au talent de Boris Quercia, on a ici un héros particulièrement intéressant car malgré les clichés habituels sur les policiers déglingués à moitié défoncés, on a néanmoins quelqu’un de terriblement humain, de lamentablement humain aussi. Santiago se défonce, a des jugements peu sûrs, perturbés par la coke qu’il s’enfile, ne sait plus vraiment où il en est dans sa vie amoureuse, n’hésite pas à baisouiller si l’occasion se présente quitte à le regretter après, pense de façon très émotive à ses parents, veut aider autrui mais doute aussi énormément et souffre de la mort de son partenaire dans une capitale chilienne qui ne semble pas être une destination de villégiature à privilégier. C’est ce côté faillible de Santiago qui crée une sorte de paranoïa tout au long de l’histoire. Santiago se montrant sympathique, on tremble pour lui qui donne l’impression de tomber de Charybde en Scylla et ceci, quoi qu’il fasse. Il m’a fait un peu penser à Milogradovitch dans « La Danse de l’Ours » de James Crumley qui connait lui aussi des moments de terreur incontrôlables dans des situations qui le dépassent.

En 200 pages bien souvent vitriolées (les lecteurs hommes vont sûrement se sentir visés, agressés), on a une histoire particulièrement bien montée, passionnante où n’est conté que l’essentiel pour offrir, comme dans le bouillant premier chapitre, certains tableaux apocalyptiques de première bourre mais aussi des passages plus intimistes très troublants, magnifiques malgré ou grâce à leur tristesse ou mélancolie. Beaucoup ont déjà dit avec justesse le bien qu’ils pensaient de ce roman et… je confirme, c’est très, très bien mais je m’en doutais un peu car j’avais déjà été bien époustouflé par « basse saison » de Saccommano cette année chez Asphalte qui est une maison d’édition, on ne le dira jamais assez, offrant toute l’Amérique latine et hispanophone version macadam dangereux dans des histoires bien noires et très pointues pour qui s’intéresse à cette partie du monde et bien sûr, à ce genre de littérature. Franchement, je n’imagine pas un quelconque vrai amateur de polars ne pas trouver ici son bonheur tout en découvrant un Chili bien mal en point si on juge la corruption et la criminalité. Ceci dit, dans quel pays la corruption est-elle absente? Elle est visible et médiocre dans les pays pauvres, souvent invisible et particulièrement rémunératrice dans les pays riches.

Un grand polar. Faut pas le rater celui-là!

Wollanup.

Novembre 2015 /  Unwalkers.

LE SYSTÈME NERVEUX de Nathan Larson / Asphalte.

Traduction: Patricia Barbe-Girault.

Nathan Larson est un auteur américain qui a écrit une trilogie mettant en scène le héros Dewey Decimal dont le dernier tome a paru aux USA en 2015. Mais Larson a plus d’une corde à son arc puisqu’il est aussi un musicien accompli ayant composé la musique d’une trentaine de films tels que « Boys don’t cry », « Dirty pretty things »  après un passé dans la scène hardcore punk de Washington et une collaboration avec la chanteuse du groupe « The Cardigans » dans son projet solo « A CAMP ». Il joue les séducteurs dans le clip en lien. (https://www.youtube.com/watch?v=vTyDzI7eyuc)

« Le système nerveux » suit donc « le système D » paru aussi chez Asphalte en 2014 et sorti début en juin en poche mais qu’il n’est pas réellement nécessaire de lire avant d’entamer celui-ci puisque certains paragraphes du début du roman vous permettront de comprendre aisément le contexte. Ceci dit, une fois terminée cette aventure,vous aurez certainement envie de lire le précédent pétage de plombs de Dewey.

« Après une série d’attaques terroristes, New York n’est plus que l’ombre d’elle-même. La célèbre Bibliothèque municipale, abandonnée comme tous les bâtiments publics, est désormais le repaire de Dewey Decimal, dandy amnésique expert dans le maniement des armes et du second degré. Pour survivre, ce mercenaire aguerri a mis au point un « Système » incluant, entre autres bizarreries, un lavage de mains compulsif et l’ingestion régulière de cachets mystérieux.
La découverte de documents compromettants impliquant un sénateur va mener Dewey Decimal dans la Koreatown de New York, véritable zone de non-droit. »

Avant tout « le système nerveux » est un polar dont l’intrigue tient parfaitement la route avec un final particulièrement soigné, tendu dans un décor new-yorkais que les connaisseurs de la ville apprécieront sans aucun doute. Tout le roman se situant dans le décor magique de Manhattan, les amoureux de NY fondront dès les premières pages.

Ensuite, Dewey, avec ses manies, son amnésie, son amour des livres, du classement et de la bibliothèque municipale de New York est un personnage très attachant,un héros que, d’emblée, on a envie de suivre dans ses aventures tumultueuses et vous verrez, ça décoiffe salement.

Le rythme du roman est soutenu avec de nombreux actes de bravoure et guerriers et bien souvent on se croirait dans « Die hard » avec toutes les incohérences possibles qui vont avec et il faut bien se mettre cela dans la tête en démarrant ce roman  décapant avec un héros bien sympathiquement dérangé. On peut d’ailleurs s’imaginer le navet pour gosses attardés que Hollywood pourrait en faire alors que l’histoire racontée par Larson est jouissive par les réflexions du héros qui ne cherche pas les ennuis dans lesquels il se retrouve mais qui choisit la manière musclée et virile pour se sortir de ce cauchemar digne du « New York 1997 » de Carpenter où on côtoie gangs coréens, saloperies chinoises et organisations paramilitaires à la solde de politiciens véreux dans un décor post-apocalyptique. Il ne manque guère que des zombies!

Là où beaucoup d’autres romans plus ambitieux échouent, « le système nerveux », pyrotechnie littéraire déjantée, vous fera sûrement passer un bon moment.

Wollanup.

MON AMÉRIQUE À MOI / Claire Duvivier (éditions Asphalte).

Claire Duvivier est l’une des deux fondatrices avec Estelle Durand de la maison d’édition Asphalte dont l’esprit créatif se tourne vers la littérature urbaine, la contre-culture et les bouquins qui font voyager. Leur catalogue de grande qualité porte énormément l’empreinte de l’Amérique mais celle qui parle plutôt espagnol et portugais, ce qui nous permet d’élargir le questionnaire à l’ensemble du continent.

Première prise de conscience d’une attirance pour l’Amérique

Je ne me souviens pas… c’est que c’est solidement ancré dans mon inconscient ! En tout cas, cette attirance se limitait pendant mon adolescence à l’Amérique du Nord et plus précisément aux États-Unis, avant de basculer peu à peu du côté de l’Amérique du Sud, comme cela peut se voir dans le catalogue d’Asphalte.

Une image

Cette photographie de Philip-Lorca diCorcia (qui n’est pas sans évoquer un célèbre tableau…)

Un événement marquant

Comme pas mal de monde, je dirais le 11 septembre 2001…

Un roman

« Cent ans de solitude » de Garcia Marquez : pour moi c’est vraiment LE great american novel.

Un auteur

Paul Auster : j’ai dévoré tous ses romans ado, et c’est le premier auteur que j’ai lu en anglais.

Un film

« Trois enterrements » : un film de frontière…

Un réalisateur

Orson Welles, sans hésiter. Un autre film de frontière, tiens, La Soif du mal…

Un disque

Highway 61 Revisited.

Un musicien ou un groupe

Je fais mon coming-out : j’aime Bob Dylan, j’adore Bob Dylan, j’écoute Bob Dylan depuis mon adolescence. S’il te plaît meurtrière année 2016, laisse Bob Dylan tranquille.

Un personnage de fiction

Randall Flagg. J’ai toujours préféré les supervilains aux superhéros !

Un personnage historique

Harriet Tubman

Une personnalité actuelle

David Graeber

Une ville, une région

Je n’ai fait qu’une visite éclair à Buenos Aires, mais elle m’a suffi à nourrir l’obsession que j’ai pour cette ville !

Un souvenir, une anecdote

Une soirée post-marathon de New York à engloutir des travers de bœuf dans une pure gargote (je précise que ce n’est pas moi qui ai couru ledit marathon…)

Le meilleur de l’Amérique

Les contrastes ! Ces grands espaces (grandes plaines, déserts et pampa) qui séparent d’immenses mégapoles (Mexico-New York-Buenos Aires)…

le pire de l’Amérique

Réponse potache : les Starbucks et les Oreo.

Un vœu, une envie, une phrase.

Mon vœu, c’est qu’on commence à voir l’Amérique comme un continent, pas comme un pays 😉

Réalisé par mail en mai 2016.Sincères remerciements.

J’AI ÉTÉ JOHNNY THUNDERS de Carlos Zanón/Asphalte

Traduction: Olivier Hamilton

Rock!

Ce roman est rock, doublement rock, infiniment rock. Rock dans le sens musical mais aussi dans le sens anglais de pierre précieuse de joyau noir et je n’ai pas peur de tels superlatifs tant j’ai été ébloui et bousculé par ce roman. Tout est magique pour l’amateur de rock un peu expérimenté, comme dans « Haute Fidélité » ou « 31 songs » de Nick horby, le genre de roman où l’évocation de groupes, d’époques musicales, de morceaux vous rappelle différentes étapes bonnes ou mauvaises de votre propre histoire, où les choix musicaux vous rendent d’emblée complices de l’auteur. Et le parcours musical proposé dans ce roman colle de façon presque inquiétante au mien. J’ai jubilé pendant tout le roman et j’aurai du mal à expliquer de façon précise à quel point j’ai lu le roman que j’attendais depuis un petit moment. Le genre de bouquins dont vous avez vraiment envie de parler avec vos amis. L’auteur en est même devenu un pote au moment où j’ai commencé à chipoter sur une référence musicale et pourtant c’est une sacrée pointure en matière de culture rock. Et si j’ai choisi de mettre en premier Pixies, c’est d’abord parce que les pages parlant du morceau « Debaser » dans le roman sont superbes et je n’ai pu qu’approuver ces dires tout en notant à plusieurs reprises une vraie préférence pour Kim Deal par rapport au « gros » et d’autre part, c’est quand même Pixies la grande star musicale de ce roman, qu’on retrouve dans certaines pages, dans les titres de chapitres « Ed is dead », dans des moments urgents ou dramatiques à vous briser le cœur.

Et là, je m’interromps un instant parce qu’il n’y a quand même une grosse connerie dans le roman, une énorme pour moi, mais vu la confidentialité du groupe en France, cette énorme bévue ne choquera sûrement pas grand monde et n’est pas très importante dans l’histoire non plus. Mais, moi, je suis un grand fan des Avett Brothers dont la musique est attachée à de belles périodes récentes de ma vie et ils n’ont jamais écrit « live and let die », c’est McCartney pour un James Bond,  les Avett Brothers chantent « Live and Die » et ce morceau magique, » les Beatles sous le soleil » respirant l’humanité, les bonheurs simple vécus et chantés, est présent à deux énormes moment du roman, l’un terriblement tendre et émouvant et l’autre complètement ahurissant et je vous invite à lire le dernier chapitre avec le morceau au casque, je l’ai tenté et si vous avez aimé le roman jusque là, eh bien là, vous allez mourir de plaisir… « Live and Die »

De la magie, dès la couverture, quelle belle photo qui colle bien à l’histoire, un mec en cuir triturant sa guitare mais ce n’est pas Johnny Thunders, c’est un anonyme dans un bar, un prolo du rock, un roadie à vie, un glandeur des backstages, un mec trop camé pour voir sa triste réalité qui à 40 ans s’en imagine 20. Ce n’est pas le côté glamour du rock que l’on va connaître, ce n’est pas festif, c’est un roman noir que vous allez lire, surtout un roman noir où, bien sûr, la musique joue parfois la plus belle partition mais c’est une histoire, une vraie, sale et misérable.

Le titre bien sûr, bien trouvé, l’évocation de l’icône d’une certaine génération ayant grandi et parfois, hélas, vieilli, en écoutant l’aimable hymne ado « Born to lose ». Ce n’est pas tant la zik de Thunders qui est vénérée mais plutôt son attitude destructrice, rock n’roll, « no future » « sex, drugs and rockn’roll ». Issu en partie d’un courant qui voulait brûler les icônes (« beatlemania has bitten the dust » the Clash, London Calling) Johnny Thunders se retrouve finalement canonisé comme une prochaine génération canonisera peut-être Casablancas ou Doherty. Pour ma part, les artistes qui nous montrent leur lent suicide par la drogue ne m’émeuvent plus depuis très longtemps mais l’apparition de son nom sur une belle couverture a eu immédiatement un effet attractif incontrôlable. De toutes les manières si vous êtes déjà conquis, la lecture de la quatrième de couverture ne pourra que vous enchanter si vous êtes bien le passionné de littérature noire de grande qualité qui passe par chez nous.

« Ancien guitariste de rock, Francis revient à Barcelone, dans le quartier où il a grandi, où il a noué ses premières amitiés et surtout où il a découvert le rock. La cinquantaine bien tassée et sans le sou, il doit retourner vivre chez son père. Mais Francis a un plan en tête. Retrouver une vie normale, trouver un job qui va lui permettre de payer ses pensions alimentaires en retard, renouer avec ses enfants, rester à l’écart de la drogue… Et revoir sa petite soeur adoptive, afin qu’elle l’aide à se remettre en selle. Mais celle-ci fréquente un certain don Damiàn, le parrain du quartier, qui a la main sur tous les trafics… »

« J’ai été Johnny Thunders » est donc aussi et de façon magistrale un roman noir qui vibre au son de la basse de Kim Deal et aux hurlements de Frank Black, une bande son Pixies parfaite pour la catastrophe inévitable. Francis a cru devenir une rock star le soir où il a été membre du backing band de Johnny Thunders échoué, tel l’épave qu’il était devenu, à Barcelone. Mais la réalité a été autre et il n’est devenu une gloire que dans son quartier gris de Barcelone et s’en sont suivies de longues années de coke, d’héroïne, d’alcool, de paradis artificiels avec les désillusions oubliées dans la poudre, la réalité modifiée par la seringue…Et puis à l’approche de la cinquantaine…

« Il y a toujours un commencement.

Un jour, tu te réveilles à côté de quelqu’un dont tu te fiches totalement, tu te fourres les doigts dans le nez, ils en ressortent rouges et blancs,et c’est là que te reviennent en mémoire,tout en même temps, le nom de ta mère, celui de ton fils et le titre d’une chanson. Alors tu te dis: c’est bon,ça suffit. »

Et le retour à la vie, à la réalité que vivent quotidiennement depuis des décennies les habitants de son quartier va s’avérer terriblement humiliante pour un Francis vieilli, bouffi qui repart de zéro sans un centime, sans aura ni charisme ni histoire autre que fantasmée, sans came et avec les problèmes de la vie réelle, pension alimentaire, boulot de merde, petits délits minables mais Francis affronte la réalité, se bat pour son fils ado qu’il redécouvre à l’âge de quinze ans. Mais ses démons reparaîtront très vite et quand Francis sera bien shooté, attention les yeux, le roman va accélérer en cadence mettant l’aspect musical en sourdine pour entrer dans une zone particulièrement stressante parce que Francis, malgré toutes ses fautes, ses manquements, les saloperies qu’il a pu faire aux femmes, à ses gosses est quelqu’un de très touchant dans sa quête de rédemption. L’ intrigue criminelle existe et elle permet d’offrir des scènes particulièrement violentes, percutantes. L’ étude psychologique des personnages est magnifiquement écrite. L’écrit d’une manière générale est en parfaite adéquation avec le climat général de l’histoire, très mordant, précis, rock… provoquant de nombreux chocs émotionnels de grande envergure qui vont vous mettre dans des drôles d’état si vous captez bien certains moments magiques comme d’autres monstrueusement tristes.

L’indie rock de ces trente dernières années, une histoire très noire avec des personnages aussi fascinants que misérables, les deux s’entrecroisant pour fusionner dans un final phénoménal mais aussi un auteur qui raconte son amour de la musique, qui se révèle, se raconte à travers l’histoire de Francis, s’identifie à lui en le faisant jouer des reprises de Willy de Ville, musicien qui a été l’objet d’un de ses ouvrages inédits en France. On sent le roman d’introspection, de la maturité, des réflexions sur la solitude, l’amour, le vieillissement, des coups à l’ego, des claques dans la gueule de nos fantasmes. Un énorme roman. Noir parfait.

Merci et bravo Asphalte.

ROCK!

Wollanup

WONDER LOVER de Malcolm Knox/Asphalte.

Il y a deux ans un émouvant Woodrell, l’année dernière un Gilardi exceptionnel, je tente de commencer l’année en chroniquant un roman qui pour moi fera date. Et en 2016, sur les bouquins qui me sont parvenus pour janvier et sortant en début de mois, deux m’ont profondément secoué dans des registres totalement différents, n’offrant aucune chance aux autres pourtant de premier choix, pour inaugurer cette nouvelle année;

Le premier, « La femme qui avait perdu son âme » de Bob Shacochis chez Gallmeister est un monument, un Everest à conquérir et à chroniquer comme à réellement comprendre finement et attendra un peu son heure et nécessitera un traitement spécial comme un « Pukhtu », un « Underworld USA » tant la puissance du texte, son intelligence, son érudition, son écriture en font un modèle de thriller politique et mais aussi d’histoire d’amour filial.

Le second, à priori, n’ aurait jamais dû être sur ma table de chevet sans l’avis d’Estelle Durand d’Asphalte, une muse, qui après, « Basse Saison » de l’Argentin Saccommano, après « Tant de chiens » du Chilien Quercia, vient encore nous éblouir avec un roman magnifique de l’Australien Malcolm Knox, dont la simple évocation du nom doit métamorphoser vers l’allégresse les lecteurs de son précédent roman « Shangrila ».

« Wonder Lover » n’est pas un polar, pas un thriller, pas un roman noir en tant que tel, pas un roman social non plus, pas un roman grivois non plus malgré un propos qui aurait pu s’y prêter, pas un roman sur le couple et ses errances, pas plus un pamphlet contre les hommes qu’une ode au mariage et encore moins un vaudeville et pourtant il aurait pu. « Wonder Lover » est une magnifique fable servie par une belle plume caustique mais aussi  bien souvent attendrissante et mélancolique, un roman que vous n’oublierez pas une fois la lecture terminée car les échos persistent longtemps, j’en suis quand même à deux semaines. C’est un feu d’artifice d’intelligence narrative, nostalgique et éperdument situé dans les rapports père/fils, beau et féérique comme le cinéma de Wes Anderson.

« John Wonder est passionné par les faits, les chiffres et la mesure de la vérité. D’ailleurs, il est Certificateur en chef pour un organisme de type Guinness des records. Pour aller authentifier des records en tout genre, il parcourt sans cesse le monde. Mais derrière sa vie bien réglée se cache un étonnant secret : John Wonder a trois familles, sur trois continents différents. Ses trois épouses n’en savent rien, de même que ses six enfants : trois garçons nommés Adam et trois filles appelées Evie.
Obsédé par les habitudes et la routine, John Wonder passe une semaine dans chaque foyer, à tour de rôle, expliquant ses longues absences par les nécessités de son métier. Mais dès qu\’il pose le pied dans une de ses maisons, il devient un papa-poule aimant, ainsi qu’un mari parfait. »

Quiconque ayant déjà trahi son conjoint comprendra aisément la complexité de la vie de John mais bien sûr toi lecteur qui me lis tu ne fais pas partie de cette engeance représentant 39% des hommes comme toi chère lectrice qu’on ne peut pas associer aux 25% des femmes françaises ayant connu l’adultère aurez bien du mal à vous identifier au héros et à son parcours du combattant du mensonge, de la duplicité et de la trahison. Comptez sur Knox pour vous faire entrer dans ce monde qui vous est si étranger.

Commencé avec un humour très pince sans rire et des situations cocasses, « Wonder Lover » ressemble étonnamment, dans ses premières pages, au charmant film des années 70 de Pierre Tchernia « le viager » mais je vous laisse découvrir de quelle manière. Le monde de John est bien huilé mais bien sûr, une catastrophe va se produire. John, comme l’ado qu’il n’est plus depuis longtemps avec sa cinquantaine bien entamée tombe amoureux de « la plus belle femme du monde », selon ses critères d’évaluation, qui a l’âge d’être sa fille et se trouve être la progéniture d’un de ses clients qu’il va voir une fois par an. Comment, quand on est déjà marié trois fois, peut-on tomber amoureux d’une autre femme? Quelle logique dicte un tel comportement? Même si on dit souvent que l’amour est aveugle et vous en lirez ici une succulente et terrible démonstration, le vieil adage populaire ne peut expliquer un tel sabordage, un si terrible crash. Évidemment, les conséquences risquent d’être terribles, John le sait, mais ne dramatise pas outre mesure habitué qu’il est à vivre dangereusement depuis de nombreuses années et disposant finalement, pour le moins, d’une semaine disponible par mois, ma foi, pour une éventuelle nouvelle alliance.

Mon ton peut donner à penser que « Wonder Lover » est un moderne vaudeville australien mais on est très loin du compte. Camouflant souvent la gravité derrière des scènes cocasses, voire franchement hilarantes Knox parle de l’amour de manière peut-être discutable, à voir, mais dans une histoire originale, prenante et souvent finalement très tendre. Il traite de la paternité, des sentiments qui peuvent s’épanouir en amour plutôt qu’en amitié, du désir charnel ou simplement intellectuel, du vieillissement, de l’homme, cet animal si faible.

 « la bite rend plus esclave qu’un planteur de coton sadique, qu’un pharaon mégalo. Encore plus que la religion. Les hommes s’en iraient sur-le-champ à la guerre, si leur bite l’exigeait d’eux. »

Knox a créé des personnages inoubliables, offrant une véritable symphonie des sentiments autour de la notion de famille, incitant à une réflexion sur les liens, la vie, la mort, l’ amour dans ses différentes dimensions jusqu’aux plus insoupçonnées, rien que ça et c’est…

magnifique.

Wollanup.

VETIVER: « I know no pardon for the guilty… »

 

 

 

 

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