Chroniques noires et partisanes

WONDER LOVER de Malcolm Knox/Asphalte.

Il y a deux ans un émouvant Woodrell, l’année dernière un Gilardi exceptionnel, je tente de commencer l’année en chroniquant un roman qui pour moi fera date. Et en 2016, sur les bouquins qui me sont parvenus pour janvier et sortant en début de mois, deux m’ont profondément secoué dans des registres totalement différents, n’offrant aucune chance aux autres pourtant de premier choix, pour inaugurer cette nouvelle année;

Le premier, « La femme qui avait perdu son âme » de Bob Shacochis chez Gallmeister est un monument, un Everest à conquérir et à chroniquer comme à réellement comprendre finement et attendra un peu son heure et nécessitera un traitement spécial comme un « Pukhtu », un « Underworld USA » tant la puissance du texte, son intelligence, son érudition, son écriture en font un modèle de thriller politique et mais aussi d’histoire d’amour filial.

Le second, à priori, n’ aurait jamais dû être sur ma table de chevet sans l’avis d’Estelle Durand d’Asphalte, une muse, qui après, « Basse Saison » de l’Argentin Saccommano, après « Tant de chiens » du Chilien Quercia, vient encore nous éblouir avec un roman magnifique de l’Australien Malcolm Knox, dont la simple évocation du nom doit métamorphoser vers l’allégresse les lecteurs de son précédent roman « Shangrila ».

« Wonder Lover » n’est pas un polar, pas un thriller, pas un roman noir en tant que tel, pas un roman social non plus, pas un roman grivois non plus malgré un propos qui aurait pu s’y prêter, pas un roman sur le couple et ses errances, pas plus un pamphlet contre les hommes qu’une ode au mariage et encore moins un vaudeville et pourtant il aurait pu. « Wonder Lover » est une magnifique fable servie par une belle plume caustique mais aussi  bien souvent attendrissante et mélancolique, un roman que vous n’oublierez pas une fois la lecture terminée car les échos persistent longtemps, j’en suis quand même à deux semaines. C’est un feu d’artifice d’intelligence narrative, nostalgique et éperdument situé dans les rapports père/fils, beau et féérique comme le cinéma de Wes Anderson.

« John Wonder est passionné par les faits, les chiffres et la mesure de la vérité. D’ailleurs, il est Certificateur en chef pour un organisme de type Guinness des records. Pour aller authentifier des records en tout genre, il parcourt sans cesse le monde. Mais derrière sa vie bien réglée se cache un étonnant secret : John Wonder a trois familles, sur trois continents différents. Ses trois épouses n’en savent rien, de même que ses six enfants : trois garçons nommés Adam et trois filles appelées Evie.
Obsédé par les habitudes et la routine, John Wonder passe une semaine dans chaque foyer, à tour de rôle, expliquant ses longues absences par les nécessités de son métier. Mais dès qu\’il pose le pied dans une de ses maisons, il devient un papa-poule aimant, ainsi qu’un mari parfait. »

Quiconque ayant déjà trahi son conjoint comprendra aisément la complexité de la vie de John mais bien sûr toi lecteur qui me lis tu ne fais pas partie de cette engeance représentant 39% des hommes comme toi chère lectrice qu’on ne peut pas associer aux 25% des femmes françaises ayant connu l’adultère aurez bien du mal à vous identifier au héros et à son parcours du combattant du mensonge, de la duplicité et de la trahison. Comptez sur Knox pour vous faire entrer dans ce monde qui vous est si étranger.

Commencé avec un humour très pince sans rire et des situations cocasses, « Wonder Lover » ressemble étonnamment, dans ses premières pages, au charmant film des années 70 de Pierre Tchernia « le viager » mais je vous laisse découvrir de quelle manière. Le monde de John est bien huilé mais bien sûr, une catastrophe va se produire. John, comme l’ado qu’il n’est plus depuis longtemps avec sa cinquantaine bien entamée tombe amoureux de « la plus belle femme du monde », selon ses critères d’évaluation, qui a l’âge d’être sa fille et se trouve être la progéniture d’un de ses clients qu’il va voir une fois par an. Comment, quand on est déjà marié trois fois, peut-on tomber amoureux d’une autre femme? Quelle logique dicte un tel comportement? Même si on dit souvent que l’amour est aveugle et vous en lirez ici une succulente et terrible démonstration, le vieil adage populaire ne peut expliquer un tel sabordage, un si terrible crash. Évidemment, les conséquences risquent d’être terribles, John le sait, mais ne dramatise pas outre mesure habitué qu’il est à vivre dangereusement depuis de nombreuses années et disposant finalement, pour le moins, d’une semaine disponible par mois, ma foi, pour une éventuelle nouvelle alliance.

Mon ton peut donner à penser que « Wonder Lover » est un moderne vaudeville australien mais on est très loin du compte. Camouflant souvent la gravité derrière des scènes cocasses, voire franchement hilarantes Knox parle de l’amour de manière peut-être discutable, à voir, mais dans une histoire originale, prenante et souvent finalement très tendre. Il traite de la paternité, des sentiments qui peuvent s’épanouir en amour plutôt qu’en amitié, du désir charnel ou simplement intellectuel, du vieillissement, de l’homme, cet animal si faible.

 « la bite rend plus esclave qu’un planteur de coton sadique, qu’un pharaon mégalo. Encore plus que la religion. Les hommes s’en iraient sur-le-champ à la guerre, si leur bite l’exigeait d’eux. »

Knox a créé des personnages inoubliables, offrant une véritable symphonie des sentiments autour de la notion de famille, incitant à une réflexion sur les liens, la vie, la mort, l’ amour dans ses différentes dimensions jusqu’aux plus insoupçonnées, rien que ça et c’est…

magnifique.

Wollanup.

VETIVER: « I know no pardon for the guilty… »

 

 

 

 

4 Comments

  1. BS

    J’ai encore plus envie de lire ce roman. 😉

    • clete

      J’espère juste ne pas avoir pas créé de faux espoirs mais j’ai vraiment trouvé cela remarquable,intelligent et aussi drôle que grave.Le genre d’auteur que tu as franchement envie de rencontrer.

      • BS

        J’avais lu Shangrila et j’avais trouvé cela encore meilleur que les romans de Kem Nunn. Je sais par contre qu’il faut s’accrocher pour lire cet auteur.

        J’avais réalisé une interview de Malcolm Knox pour Feedbooks. Elle est encore en ligne ici http://fr.feedbooks.com/interview/90

        • clete

          Bien bel entretien que j’ai mis sur notre page FB. Merci.

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