Chroniques noires et partisanes

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LEGITIME DEMENCE de Laurent Philipparie / Actes Noirs – Actes Sud.

Légitime démence est le quatrième polar de Laurent Philipparie criminologue et commandant de police mais également son premier dans la collection Actes Noirs d’Actes Sud.

« Une opération de police vire au cauchemar. Le capitaine Thierry Bar tue le leader des « Servants de Gaïa », premier groupe écoterroriste français. Quand sa supérieure et amie, Catherine Novac, suspecte une bavure, il n’a d’autre choix que de l’exécuter elle aussi…Traqué par toutes les polices du pays, et prêt à tout pour accomplir une mystérieuse mission, Bar élimine un à un les membres du groupuscule terroriste. L’enquête est confiée au commissaire Nicolas Novac, frère de la commandante assassinée, qui, guidé par une experte des mouvances écoguerrières, met au jour un effroyable secret… »

Ce roman de Laurent Philipparie plaira certainement à tous les amateurs de thrillers explosifs où les situations chaudes et les coups de théâtre, très impressionnants, s’enchaînent pour créer une addiction certaine. De par sa fonction, l’auteur dresse un tableau assez cinglant de la police, de l’inertie dans sa lutte contre la criminalité handicapée par une hiérarchie et des politiques adeptes du principe du « pas de vagues ». C’est une police désabusée, déconsidérée, désarmée qui est confrontée à une criminalité de plus en plus diversifiée et insaisissable. L’exemple le plus frappant de ces nouveaux maux qui nous guettent est ici l’écoterrorisme ; ces écoguerriers qui, sous couvert de protection de la planète et des animaux, s’attaquent aux humains, fomentent des complots et pourraient presque faire passer Poutine et Trump pour de jolis plaisantins. Sont contés des groupuscules fictifs mais aussi des organisations réelles ayant pignon sur rue et dont les desseins et les vues sur l’humanité sont particulièrement terrifiants.

Si on peut trouver que la figure du mal combattue ici par le commissaire Novac possède quand même beaucoup de talents pour une seule et même personne, il n’empêche que l‘histoire ne souffre d’aucun temps mort et apporte son lot d’enseignements sombres qui donnent à réfléchir.

Clete

DREAM GIRL de Laura Lippman / Actes Noirs-Actes Sud

Dream Girl

Traduction: Thierry Arson

« Gerry rêve. Dans son lit médicalisé de location, surplombant la ville plus haut qu’il ne l’aurait jamais cru possible dans ce Baltimore à l’architecture écrasée et sans grâce, Gerry passe plus de temps endormi qu’éveillé. Il flotte, il s’éveille, il dérive, il rêve. »

Gerald Andersen – Gerry – Ecrivain, auteur du roman Dream Girl qui l’a rendu célèbre.

On ne va pas l’aimer ce sexagénaire. Il est autoritaire, cynique, égocentrique. Il rame dans son appartement à 1,75 millions de dollars pour se maintenir un beau torse, mange des carottes râpées, se préoccupe de sa densité osseuse…
Il a été un mari médiocre, 3 femmes dont il a divorcé, et un coureur de jupons effréné : 37 partenaires sexuelles (il en donne le compte exact) « des assistantes qui travaillaient pour lui »…

Et… il apprécie peu les auteurs de romans noirs…

Il se retrouve là, cloué, au vingt-cinquième étage d’un immeuble luxueux dans une Baltimore « il est assez malvenu de parler des événements de 2015 » et d’évoquer la mort de Freddy Gray (un Afro-Américain  de 25 ans, tabassé à mort par six agents de la police de Baltimore ) à la suite d’une chute violente dans son « escalier flottant »…

Une infirmière Eileen et une assistante, Victoria, se relaient pour le soigner, le nourrir, obéir à ses ordres… et filtrer et gérer  un quotidien de plus en plus inquiétant…

«Il n’y a pas de démarcation claire entre ses songes et son imagination, son demi-sommeil et son état de veille embrumé. Les engrenages de son cerveau sont grippés »

Et quand « une lettre adresse écrite en cursive à l’ancienne » qu’il est sûr d’avoir aperçue, reste introuvable, lorsqu’il reçoit des appels de Aubrey, l’héroïne de fiction de son dernier roman, qui ne laissent aucune trace sur l’écran du récepteur, quand les tweets disparaissent …c’est le chaos :

« Était-ce un rêve ? Une hallucination ? L’effet de ses médicaments ? Une combinaison des trois ? »

C’est une errance kaléidoscopique d’une bonne cinquantaine d’années. De petites bulles colorées réfléchissant sa mère (morte récemment), son père qui a décampé et refondé une deuxième famille, des amis disparus, des souvenirs d’enfance, des femmes ambigües et machiavéliques…

Le rythme imposé par Laura Lippman est assez lent…  Les évocations incessantes d’auteurs (une quarantaine !) ou de films (une trentaine !) censées ajouter de la profondeur à un personnage qui, pendant toute sa vie a oscillé entre réalité et fiction, plombent, par leur surdosage, la montée en puissance de ce huis clos macabre…
Mais Il y a une présence littéraire, saluée déjà pour La Voix du lac . L’intrigue est bien travaillée et le suspens assuré…

Soaz

LE FIL DE L’ESPOIR de Keigo Higashino / Actes Noirs / Actes sud.

Traduction: Sophie Refle.

« Quand Yayoi, propriétaire d’un paisible salon de thé, est retrouvée assassinée, les enquêteurs Kaga et Matsumiya plongent au cœur d’une affaire aussi complexe qu’émouvante. Leurs investigations les conduisent à Shiomi, un homme marqué par une tragédie indescriptible… »

Le fil de l’espoir est le quatrième volume de la série mettant en scène le flic Kaga Kyōichirō du romancier japonais Keigo Higashino, incontestable grand maître du polar d’investigation qui doit certainement à son éloignement géographique le fait que son œuvre, brillante, ne soit pas encore aussi reconnue en France que celle de l’Islandais Indridason.

Les doigts rouges, début d’une série publiée en 2009 débarque chez nous en 2019 et sera suivi par Le Nouveau et Les Sept Divinités du bonheur l’an dernier. Cet opus qui est loin d’être le dernier d’une série ce qui ravira les fans, est une nouvelle plongée dans un Japon actuel si éloigné de nos valeurs et de nos comportements. Une plongée dans le malheur aussi, dans un drame qui amènera l’émotion, énorme, à vous briser le cœur.

Kaga aura dans cette enquête un rôle secondaire se contentant de donner des conseils à Mastsumiya l’enquêteur qui en plus d’être son subalterne s’avère être son cousin. A noter que parallèlement à l’enquête, Matsumiya se verra confronté à un évènement familial particulièrement troublant. Ainsi les moments où les deux hommes confrontent leurs sources et leurs opinions seront complétés par des parenthèses beaucoup plus intimes mais aussi stupéfiantes.

Il serait vain de détailler l’intrigue magistrale, relancée intelligemment à chaque fin de chapitre et qui vous entraîne, vous oblige à poursuivre, à ne pas lâcher les victimes. Comme dans les précédents opus, on trouvera les révélations dans une histoire de famille, bien dissimulées dans le passé malchanceux de personnages particulièrement bien brossés.

Higashino fait sentir, éprouver la malchance, la douleur, la peine incommensurable, du point de vue de la victime mais aussi de son entourage familial et également de la part du coupable. L’enfer intime de certains personnages est décrit de manière poignante et la résolution achèvera de montrer que certaines personnes vivent toute leur existence un calvaire qu’ils n’ont pas cherché. Si vous connaissez le bonheur d’être père ou mère, vous serez particulièrement touchés.

Brillant, mémorable, la classe.

Clete.

Du même auteur: LE CYGNE ET LA CHAUVE-SOURIS, LES SEPT DIVINITÉS DU BONHEUR, LES MIRACLES DU BAZAR NAMIYA .

LA NUIT DU HACKEUR de Yishaï Sarid / Actes Noirs / Actes Sud.

Megaleh HaHulshot

Traduction: Rosie Pinhas-Delpuech

Yishaï Sarid, dont c’est ici le cinquième roman à paraître à France, s’est rendu célèbre chez nous avec Le poète de Gaza, grand prix de la littérature policière en 2011.

« Surdoué du piratage informatique, Ziv est débauché à l’armée par une start-up qui offre ses services de cybersurveillance et de détournement de systèmes de communication à de petits États en délicatesse avec leurs dissidents. Tétanisé dans sa vie intime par une culpabilité qui le poursuit depuis l’adolescence, il noie dans l’exercice aveugle de ses compétences professionnelles toute notion de scrupule. Mais il n’en demeure pas moins tiraillé entre le désir de laisser derrière lui sa dépouille d’asocial angoissé pour embrasser sa réussite et le fantasme de devenir enfin le tout-puissant protecteur qu’il n’a pas su être pour sa jeune sœur à la dérive. »

L’épisode récent des bipeurs du Hezbollah qui explosent a montré une fois de plus la maîtrise technologique des services d’espionnage d’Israël, à la pointe de toutes les nouvelles armes des guerres à venir. Ce roman s’envisage d’abord comme une passionnante et effrayante plongée dans les nouveaux mondes du flicage des individus, des nouvelles manières d’épier son voisin afin de lui nuire. Pour autant, on n’est nullement dans un thriller techno-futuriste, plutôt dans l’histoire de Ziv, sa brillante ascension professionnelle mais aussi son histoire familiale douloureuse. Alors, on le sait bien « il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne ». Pourquoi Ziv échapperait-il à l’adage quand, de son plein gré, il va commencer à franchir la ligne, se montrant hautement méprisable et indéfendable. Et quand bien même on aurait peut-être agi pareillement.

A l’heure où tous les géants de la tech s’aplatissent devant Trump, La nuit du hackeur apporte une terrible et brillante illustration du monde qui arrive et des choix que chacun peut ou doit faire.

Clete.

LES SEPT DIVINITÉS DU BONHEUR de Keigo Higashino / Actes noirs / Actes Sud

Traduction: Sophie Refle

Avec dix romans dans la collection “Actes noirs”, Keigo Higashino est un auteur de polars japonais reconnu internationalement. En France, il a reçu le prix du meilleur roman international du Festival Polar de Cognac 2010 pour La maison où je suis mort autrefois, roman qui a permis sa reconnaissance en France. Citons aussi le sublime roman fantastique Les miracles de bazar Namiya paru dans la collection Exofictions début 2020 et qui montrait un autre aspect du talent de conteur du Japonais. Les sept divinités du bonheur est le troisième roman mettant en scène l’inspecteur Kaga découvert dans Les doigts rouges et retrouvé l’an dernier dans Le nouveau. Nul besoin d’avoir lu les deux premiers volumes pour apprécier et comprendre cette nouvelle enquête.

“Aoyagi Takeaki, un homme d’une cinquantaine d’années, est assassiné au pied de la statue du dragon ailé qui orne le pont de Nihonbashi, à Tokyo. Une enquête apparemment simple pour l’enquêteur Kaga, fraîchement arrivé au commissariat d’un quartier d’affaires prospère de la capitale. Mais les apparences sont parfois trompeuses : comment servir la vérité lorsque le suspect numéro un s’avère innocent ?”

Les sept divinités du bonheur est un pur polar d’investigation, bien dans ses bottes, offrant tout ce qu’on aime trouver dans ce genre de romans où un flic un peu allumé, se fie à son instinct et fouille pour découvrir une vérité bien enfouie et nullement envisageable pour le lecteur. Bon, on se doute que le suspect, décédé, n’est pas coupable sinon l’auteur serait bien embarrassé pour meubler ses trois cents feuillets. Par ailleurs, une description un peu trop détaillée de certains personnages semble indiquer que certains n’ont pas tout révélé et qu’on pourrait les retrouver. Les romans japonais sont souvent très mystérieux d’emblée, de part leur cadre bien sûr mais surtout de part une culture et une morale très différentes des canons occidentaux et qui interrogent souvent, surprennent.

L’intrigue est béton, très surprenante, documentée et met l’accent, à l’image de la Coréenne Hye-Young Pyun, sur la précarité de la vie et la pression exercée sur les salariés japonais. Aucun temps mort, on suit Kaga qui a de plus la bonne idée de ne pas nous saouler avec ses problèmes personnels. Et sans être le polar de l’année, Les sept divinités du bonheur, fait généreusement le job.

Clete

LE PLONGEUR de Minos Efstathiadis / Actes noirs / Actes Sud.

Traduction: Lucile Arnoux-Farnoux.

Premier roman en France d’un auteur grec “le plongeur” souffrira bien évidemment de sa sortie en plein confinement mais par contre ne sera pas sacrifié, pour une fois chez Actes Noirs, par une horreur de médaillon en couverture. Là, vous enlevez juste les ptérodactyles et la couverture a une certaine tenue.

“Chris Papas, détective privé à Hambourg, de père grec et de mère allemande, reçoit la visite d’un homme très âgé qui lui offre une avance importante simplement pour suivre une femme durant quarante-huit heures. La filature commence au pied de l’immeuble de la dame, et se poursuit jusqu’à un hôtel minable où elle retrouve un jeune homme dans la chambre 107 tandis que Papas, installé dans la pièce mitoyenne, s’endort lamentablement.

Le lendemain, c’est la police qui sonne chez lui : un vieillard a été retrouvé pendu dans la fameuse chambre 107. Au fond de sa poche, la carte de visite du détective. Forcément suspect, Papas poursuit seul une enquête qui l’emmène bientôt dans un coin du Péloponnèse où se trouve son propre village natal.”

Et c’est dans ce village d’Aigion où vit également l’auteur que l’affaire prend une très sale tournure pour Chris Papas de retour aux sources. Commencé comme une histoire ordinaire de détectives à l’ancienne, “le plongeur” part plus loin dans le passé, raconte l’occupation nazie de la Grèce, les plaies jamais guéries pour revenir vers le marasme économique actuel du pays avec toujours cette animosité contre les rois de l’Europe.

Je ne me planterai pas en tentant de vous raconter l’histoire. C’est tout simplement du Thomas H. Cook et ses histoires d’amour dramatiques, du Indridason de la grande époque de “la femme en vert” pour le rythme, la parole donnée aux anonymes. Il se dégage beaucoup d’émotion dans la deuxième partie, un inquiétant crescendo qui culminera en fin de roman vers l’abomination ou à la stupéfaction pour le moins. Les personnes sensibles feront bien de se contenter de la première phrase du dernier chapitre, leur imagination fera très bien le reste.

A la page 187 d’un roman qui en propose à peine plus de deux cents, Minos Efstathiadis montre clairement tout le chemin parcouru par le lecteur et la vue est vertigineuse. Roman particulièrement intelligent, ”Le plongeur” maltraite, fait mal au cœur et aux tripes et prend la tête longtemps. Bien sûr, il y a eu Incardona et Taylor mais s’il fallait n’en garder qu’un cette année, ce serait vraisemblablement celui-là.

Clete.

UNE SOIRÉE DE TOUTE CRUAUTÉ de Karo HÄMÄLÄINEN / Actes noirs / Actes Sud.

Traduction: Sébastien Cagnoli.

“Trois portables sonnent dans le vide au cœur de Londres dans un appartement de luxe. Plus tôt en soirée, quatre amis finlandais se sont retrouvés pour dîner. Robert, l’hôte, est un banquier qui a empoché des millions par le biais de manipulations pas très éthiques de taux d’intérêt. Cela fait plus de dix ans qu’il n’a pas vu son meilleur ami, Mikko, un journaliste d’investigation qui a consacré sa vie à démasquer les politiciens et hommes d’affaires corrompus. L’épouse de ce dernier, Veera – avec laquelle Robert a eu une brève liaison –, et Elise, la nouvelle femme “trophée” du banquier, font également partie de la mêlée. Mikko est arrivé à Londres muni de sombres desseins : il pense pouvoir commettre le meurtre parfait. Mais il est encore loin de se douter du menu des festivités. Un lourd secret pèse sur les convives, et leur réunion après toutes ces années est manifestement un jeu dangereux.”

Le printemps, les beaux jours des envies de lectures paresseuses dans le jardin lors d’un weekend dans la belle famille… Vous aimez les drames psychologiques? Les histoires de couple qui se mentent ? Vous n’avez rien contre les Finlandais? Si, que soient conviés Van Gogh, l’athlète Paavo Nurmi ne vous déplaît pas et si ce n’est pas un problème pour vous que les jeux olympiques et le monde économique version néo-libéralisme soient souvent au centre des conversations? Eh bien pourquoi ne pas se lancer dans ce jeu de massacre gentiment bourgeois proposé par Karo HÄMÄLÄINEN, auteur finlandais et journaliste économique et dont “Une soirée de toute cruauté” signe l’arrivée dans les librairies français.

“Une soirée de toute cruauté” est un huis clos entre deux couples et on sait dès le départ que trois mourront dans les prochaines heures et que le dernier personnage sera en fuite. Il y a bien sûr une montée du suspense, des révélations, des coups de théâtre, beaucoup d’éléments que l’on rencontre dans des vaudevilles. Le décorum est aussi très kitsch: chandelier, poison, sabre, armure, corde, une vraie petite partie de Cluedo à Londres de nos jours. Les découvertes comme les déductions personnelles permettent d’avancer dans un marigot de sentiments pas très sains mais curieusement, comme aucun des quatre personnages n’ est particulièrement attachant, on ne tremble pas réellement. On poursuit avec un certain amusement mais il est certain que sous des apparences légères, sous le masque de la parodie, l’auteur interroge aussi sur le rapport à l’autre, sur l’amour et donne une certaine gravité à une histoire qui va finir dans le sordide tangible. Une certitude, Quand on a de tels amis, pas besoin de s’embarrasser d’ennemis.

Wollanup.


LA PLACE DU MORT de Jordan Harper / Actes Noirs Actes Sud.

Traduction: Clément Gaude.

“La place du mort” est le premier roman de Jordan Harper. Il a été rock critique, certainement dans la partie du genre qui rend sourd et fait saigner les oreilles si on note les artistes qui l’ont accompagné dans l’écriture de ce premier roman: Electric Wizard, Sunn O))), Sleep, et enfin Boards of Canada pour les moins tolérants aux chants hurlés et aux très grosses guitares. Il est actuellement scénariste pour les séries “the Mentalist” et “Gotham” et vit à L.A., cadre de ce premier roman. Mais Jordan Harper, c’est aussi l’auteur d’un putain d’excellent recueil de nouvelles paru en 2017  “l’amour et autres blessures”. Nul doute que ceux qui ont vécu ce premier déferlement de violence, de sang et de terreur hyper addictif, urgent et parfois choquant n’ont pas oublié son nom.

À onze ans, Polly est trop vieille pour avoir encore son ours en peluche, et pourtant elle l’emporte toujours par ­tout. Elle l’a avec elle le jour où elle tombe nez à nez avec son père. Elle était toute petite la dernière fois qu’elle a vu Nate, il était en prison depuis des années pour un braquage, mais elle reconnaît immédiatement ce visage taillé dans le roc, ce corps musculeux couvert de tatouages et, surtout, ces yeux bleu délavé semblables aux siens. Des yeux de tueur, comme le lui rappelle souvent sa mère. Nate a été libéré et il est venu la chercher. Pour la sauver. Parce qu’il ne s’est pas fait que des amis en cabane. De sa cellule de haute sécurité, le leader de la Force aryenne, un redoutable gang, a émis un arrêt de mort contre lui et sa famille. Quand Nate recouvre sa liberté, il est déjà trop tard : son ex femme Avis, la mère de Polly, a été exécutée. Et la petite fille est la prochaine sur la liste.”

Nate récupère sa fille, part en cavale avec elle, se cache… Pas très original, direz-vous mais Nate est un fêlé, un grand malade qui a vécu quelques années au milieu de la lie de la Californie et va riposter, s’attaquer à la “Force aryenne” et à ses satellites vassaux ainsi qu’à la Eme et autres gangs des prisons californiennes qui gèrent derrière les barreaux le trafic de meth de la région. Voulant annuler le contrat en cours sur lui et bien sûr sur Polly, sa fille de 11 ans qui, bon sang ne saurait mentir, est déjà bien déjantée pour son âge, il va piller les salopards, ruiner leur entreprise, leur faire perdre de la thune et de la confiance.

Alors? Alors “La place du mort “, récompensé aux USA du prix Edgar-Allan-Poe 2018 du meilleur premier roman démarre santiag au plancher, brûle de la gomme tout au long de 260 pages affolantes et termine sur les jantes dans un Armaggedon particulièrement malsain. Une vraie réussite, ce bouquin s’appréciera en un unique “one shot” mortel si vous avez aimé le dernier Willocks par exemple. L’histoire est furieuse souvent choquante, horripilante dans ses ellipses cruelles et ses pauses assassines. On ne sombre jamais dans le gore, dans le sale gratuit. Jordan Harper maîtrise parfaitement une intrigue particulièrement testostéronée où les pages puent l’adrénaline, la meth, le sang et surtout la peur, que dis-je, l’effroi, la terreur avant l’hallali final, le deguello terminal. Lisez Jordan Harper, un auteur qui rend bien pâles de nombreux auteurs contemporains. Harper aime Cormac Mac Carthy et suit son aîné dans son talent à montrer le mal, la pourriture. Définitivement un auteur à suivre de très très près. Two thumbs up!

Furieux !

Wollanup.


LE GARDIEN DE LA JOCONDE de Jorge Fernández Díaz / Actes Noirs Actes Sud.

Traduction: Amandine Py.

« La mission de Rémil, vétéran de la guerre des Malouines, semble un rien frustrante : assurer la protection d’une jeune avocate espagnole envoyée à Buenos Aires pour exporter des vins vers l’Europe. Mais si l’agence officieuse des renseignements argentins a fait appel à l’un de ses plus brillants éléments, c’est que les malbecs tanniques et colorés, auxquels la belle s’intéresse, sont agrémentés d’une précieuse poudre blanche qui sait se faire très discrète. »

Un auteur inconnu, une lecture non prévue, des première pages séduisantes et en définitif un polar particulièrement costaud racontant un trafic de coke, entre autres, entre l’Argentine et l’Europe. Pourtant l’Argentine en littérature, j’ai quelques réticences après avoir lu à de trop multiples reprises la tragédie de la dictature militaire et ses tristes conséquences…

Jorge Fernandez Diaz auteur de plusieurs ouvrages dans son pays est journaliste d’investigation à l’origine et il a mis ici la somme de ses connaissances des affaires argentines au service d’un  roman inspiré de faits réels qui a dû bien décoiffer dans son pays à sa sortie en 2014 mais qui sera aussi pour les lecteurs français un témoignage assez édifiant de l’universalité des agissements des puissants et des nantis pour se faire de la thune au mépris des lois et d’une certaine conscience avec la poudre blanche.

Quand on pense cocaïne en Amérique latine, on voit de suite la Colombie mais cette affaire racontée de façon très détaillée et précise (parfois peut-être un peu trop pour une ou deux scènes secondaires) montre que d’autres pays sud-américains lui ont emboîté le pas avec ou sans l’aval du suzerain colombien. Alors, évidemment rien de bien nouveau, les mêmes magouilles entre politiciens, flics, avocats, journalistes, courtiers, narcotrafiquants et officines hyper secrètes, bras armé du pouvoir mais également porte-flingues incontrôlables et indécelables… le narcotrafic mondialisé, la narcopolitique des seigneurs… Tous pourris !

Rien d’original au départ mais l’écriture de Diaz parvient d’emblée à accrocher le lecteur pour le posséder tout au long d’un récit au long cours où est expliqué et narré le montage d’un transport de montagnes de coke de l’Argentine vers l’Espagne.Tout sauf indigeste même si, parfois, certains passages au début pourront paraître un peu fastidieux. Mais on s’apercevra à posteriori que ces détails ont leur importance dans la résolution de l’intrigue criminelle hyper violente qui va s’immiscer à partir de la moitié du livre.

Le roman explore minutieusement la vie, le parcours, les intérêts, l’environnement familial et économique des personnages importants investis dans l’affaire et Jorge Fernandez Diaz élabore des portraits assez édifiants de ces puissants engagés dans la même quête et dont les invariants psychologiques sont la cupidité, l’arrogance née d’un sentiment d’impunité et une suffisance engendrée par l’argent facile et en grande quantité.

Mais c’est Rémil qui détient la palme, qui anime le roman, le fait exploser, au moment de sa colère. Rémil, vétéran de la guerre des Malouines de sinistre mémoire pour son pays, est un dur, un inflexible, un “soldat” qui officie pour l’annexe des services secrets argentins, agence autonome dans ses opérations et son financement. Rémil ne connaît pas la peur, la compassion, la pitié, la confiance, sait évoluer au milieu de la faune dominante comme au milieu de la lie de Buenos Aires… Rémil est un roc, un pro qui va succomber aux charmes vénéneux de Nuria “la Joconde” qu’il est chargé de protéger, tomber dans les filets de  “la dame blanche” jusqu’ à la catastrophe prévisible.

Rémil est-il amoureux? Nuria est-elle éprise ? Peu importe ce sera le début de la fin pour l’entreprise et pour cette passion avec cette Méssaline moderne mais absolument pas façon bluette ou mainstream. Le roman s’avère particulièrement éprouvant et violent dans sa seconde partie quand les personnages enlèvent leur masque de bienveillance civilisée et nul doute qu’ Emil ne vous quittera pas une fois la dernière page tournée.

Violemment édifiant et superbement prenant.

Wollanup.

DANS LA VALLÉE DÉCHARNÉE de Tom Bouman / Actes noirs d’ Actes Sud

Traduction: Alain Defossé.

Passons rapidement sur la couverture particulièrement farfelue, une nouvelle fois, une habitude, une préciosité de la collection même si je suis peut-être un peu railleur, il y a bien des arbres et des forêts dans le roman et nous sommes bien en zone montagneuse comme semble le suggérer des structures coniques… pour se concentrer sur un ouvrage qui mérite l’attention, sans être le roman de l’année loin de là, mais possèdant une forme comme un fond qui devraient séduire un grand nombre d’amateurs de polars. Lansdale et Pollock ont encensé le roman mais ici on est quand même à des années lumière des pieds nickelés ricains Hap et Leonard mais aussi très loin de l’enfer terrestre qu’a su créer Pollock dans “le diable tout le temps”. Non, ici, on serait plutôt, sur les terres de Craig Johnson et pour beaucoup  de lecteurs de noir, c’est déjà pas si mal. Ce roman est le premier d’une série dont le deuxième chapitre est déjà paru aux Etats Unis et peut-être allez-vous connaître à nouveau les affres de l’attente puis le bonheur des retrouvailles.

Henry Farrell est le seul flic de Wild Thyme, une petite ville perdue dans le Nord de la Pennsylvanie. Le genre de patelin où il ne se passe pas grand-chose, où tout le monde se connaît, pour le meilleur ou pour le pire. Comme une sorte de marais un peu trouble : la surface est calme mais qui sait ce qu’on trouverait si on allait chercher là-dessous.

Quand il a pris son poste, Henry se voyait passer son temps entre parties de chasse et soirées peinard avec un bon vieux disque en fond sonore. Mais les compagnies pétrolières se sont mis en tête de trouver du pétrole dans le coin. Elles ont fait des chèques, et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’ambiance entre voisins s’en est ressentie. Et puis il y a eu la drogue. Des mecs plus ou moins bien emmanchés ont commencé à bricoler toutes sortes de saloperies dans des labos de fortune cachés dans les bois. Henry les connaît, du reste, il est allé à l’école avec eux. Alors quand on découvre un cadavre sur les terres d’un vieux reclus, il comprend que le temps est venu d’aller remuer l’eau de la mare.”

Et de fait, Farell va devoir aller au charbon, lui qui a choisi ce poste pour être tranquille et n’avoir à régler que rixes locales dans les bars et méfaits criminels de bas étage. “Dans la vallée décharnée” est un vrai polar d’investigation et le rythme sera imprimé par une enquête minutieuse, difficile et douloureuse pour un anti-héros à la personnalité effacée, au comportement souvent dicté par la douleur de la perte de l’être aimé et par une difficile expérience en Somalie lors d’une expédition de l’armée US. Alors, c’est du très classique au départ, évident dans le fonctionnement comme dans le déroulement et le lecteur averti comprendra aisément et rapidement que les suspects ou les coupables présumés n’ont rien à voir dans le meurtre d’un jeune homme étranger à la région. Farell est un solitaire, son violon étant son seul et véritable compagnon, mais il connait parfaitement son patelin, les gens et leurs petits secrets et magouilles, sait, à peu près, adapter son comportement à chaque nouvelle rencontre. Solitaire au point que l’auteur se met, à mon avis, une balle dans la main en créant puis en  faisant disparaître très prématurément un personnage qui aurait pu être pour Farell,un très crédible équivalent d’un Clete Purcel pour le Dave Robicheaux de James Lee Burke.

Un peu comme chez le divin Burke, mais c’est vraiment là que s’arrêtera la comparaison, le roman offre de beaux moments dans la nature, notamment des scènes de traque dans les forêts hivernales assez tendues. On sent un amour pour la région ainsi qu’ une connaissance pointue des méthodes de chasse. L’auteur met aussi l’accent sur les risques pour l’environnement et pour les humains de l’exploitation sauvage du gaz de schiste tout en montrant l’absence de conscience de certains, avides de s’enrichir par cette manne inespérée sous leurs pieds, au mépris d’un semblant de conscience citoyenne. Ceci dit, peut-on vraiment les blâmer?

Si au début, on peut  être un peu perdu par la quantité de personnages, insuffisamment dépeints pour qu’on les retienne vraiment, tout tourne vraiment autour de Farell, le narrateur et héros, on note de suite une histoire bien menée, rythmée par un crescendo soutenu jamais démenti et les révélations finales s’avèrent solides et suffisamment inattendues. Du coup, on n’oubliera la niaiserie inutile de douloureuses pages sur l’épouse de Farell qui s’adresse directement au lecteur pour le mettre dans la confidence d’une magnifique histoire terminée par une mort si prématurée.

Quelques jours après avoir terminé la lecture, je m’aperçois que malgré que je n’ai pas été particulièrement chaviré par ce roman, il reste néanmoins bien en tête. Reconnaissons-lui aisément une intrigue de qualité, une écriture très recommandable mais aussi un climat, une ambiance, un personnage principal qu’on prendra plaisir à retrouver et à mieux connaître loin des bouffonneries rurales ricaines dont on nous saoule depuis quelques années.

Sympa.

Wollanup.

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