Chroniques noires et partisanes

Étiquette : actes noirs (Page 2 of 2)

COMME DES RATS MORTS de Benedek Totth / Actes sud.

Traduction: Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba.

« Ils fréquentent le même lycée et partagent les mêmes passions : la natation, le sexe, la drogue, les jeux vidéo… Quand ils ne sont pas à la piscine en train de s’entraîner, ils picolent, fument joint sur joint, jouent à GTA, matent des pornos et cherchent à se faire sucer par les filles. Le problème des ados, c’est que ça s’emmerde vite, et des ados qui s’emmerdent, c’est jamais très loin de faire une connerie. C’est ce qui s’est passé ce soir-là. Ils avaient coché toutes les cases : une voiture « empruntée », l’aiguille dans le rouge au compteur, les pupilles bien dilatées. Résultat : un mort. À partir de là, tout s’enchaîne. »

« Comme des rats morts » est le premier roman du Hongrois Benedek Totth qui s’est aussi distingué par ses traductions d’auteurs américains comme Cormac McCarthy, Hunter S. Thompson et Bret Easton Ellis. On note de suite la parenté visible avec les romans de Brett Easton Ellis comme « moins que zéro », « les lois de l’attraction » pour l’univers d’ados glandeurs et « Glamorama » sur les délires dus aux addictions… Je sais que Easton Ellis est aussi souvent détesté qu’apprécié et si vous ne faites pas partie du cercle des aficionados, restez néanmoins car l’auteur a su faire preuve d’originalité par rapport à celui qui semble être un peu son modèle.

Par ailleurs, une autre recommandation très utile, n’allez pas plus loin que moi dans la lecture de la quatrième de couverture sinon, vous vous priverez d’une « surprise » de l’histoire et le long résumé vous mènera, inutilement, à une vingtaine de pages de la fin.

Un mort, donc, un cycliste renversé par une des voitures de sport du père de Greg « empruntée » et conduite par le rejeton complètement défoncé et sans permis, cela va de soi. Greg est le leader de la bande car il a le fric parental pour acheter la came qu’ils s’enfilent et qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Cachetons, marijuana, shit, amphets, mixtures faites maison, space cakes, alcool, tout est bon, tout est consommable… Dans la voiture, se trouvait aussi à l’avant « la bouée », fidèle lieutenant dont la grande taille et le poids de 105 kg offre une bonne protection. A l’arrière, le narrateur  et Dany qui est en train de se faire faire une gâterie par Vicky, 15 ou 16 ans, une des deux créatures de Greg avec sa sœur Nicky (13 ans). Greg, bon prince, partage avec ses potes. Tout ceci, vous l’apprendrez lors d’un premier chapitre très fort présentant le raid nocturne et son issue terrible.

Alors, on s’imagine les remords, le sentiment de culpabilité, eh bien que dalle ! RAF, on continue la vie comme avant, c’est à dire les deux entraînements quotidiens de natation au club qui les prépare pour les championnats régionaux, quelques passages furtifs au lycée et le reste du temps à mater du porno « selon la couleur de la peau, des cheveux, la taille des seins, hentai, bukkake, animale, anal fisting, vomisseur, pipicaca, nectar de Satan, preteen, teen, MILF, BDSM, DP, TP, ATM et autres conneries. Plusieurs centaines de DVD. », à jouer à GTA ou à se taper les deux sœurs tout en se défonçant furieusement avec ce qu’ils ont sous la main.

Bien sûr, on pourrait croire qu’on est dans une version hongroise des « lois de l’attraction » mais, à la différence d’Easton Ellis, Totth utilise l’humour. Alors, attention, pas n’importe quel humour, de l’humour d’ados (et ce n’est déjà pas toujours facile à comprendre si on n’est pas dans le bon état d’esprit) mais de plus, de l’humour d’ados au cerveau cramé et là on atteint des sommets de connerie parfois réellement hilarants. La tentative de redresser un nez fraîchement cassé d’un pote bourré par le narrateur fracassé par la came, la mauvaise rencontre entre un 9 mm et le chat de la maison lors d’une démonstration de l’utilisation de l’arme, une compétition de natation effectuée après avoir ingurgité une gourde de jus de pommes bonifiée par les « amis » de quelques comprimés de viagra pilés … autant de scènes à hurler de rire et si vous arrivez à les supporter, si vous goûtez cet humour trash qui ferait passer McBride et son « Frank Sinatra dans un mixeur » pour un gentil plaisantin, alors vous allez gravement vous marrer une bonne partie du roman.

Mais, bien sûr, leur univers est factice et ils apprendront, à leurs dépens, la vraie vie, les conséquences de leurs actes et la fin sera, elle, forte en émotions et laissera les zygomatiques au repos.

Alors, gardons-nous de faire de « comme des rats morts » un portrait de la jeunesse hongroise. On pourrait très bien situer l’histoire en Allemagne, en Italie, en France, au Canada, au Japon ou aux USA… Des ados en train de plonger, il y en a partout et peut-on vraiment comprendre leurs motivations, ceux qui ont ou qui ont eu un ado à la maison comprendront bien… Tott a su montrer comment les carences parentales peuvent mener à des tragédies, des comportements odieux.

« Comme des rats morts »,  roman trash, roman choc mais exceptionnellement jubilatoire qui, au travers des délires d’un bande de petits salopards, sait aussi très bien montrer une facette dramatique de la démission parentale et les conséquences désastreuses d’une éducation menée par GTA et Youporn. Pour public très averti.

Choc !

Wollanup.

CALCAIRE de Caroline de Mulder / Actes sud / Actes Noirs.

 

« Sur la route de Maastricht, une villa s’effondre brutalement, et son occupante occasionnelle, la fragile Lies, ne donne plus de nouvelles : son ami Frank Doornen la cherche partout. L’enquête de cet ancien soldat se tourne vers le propriétaire de la villa, amateur de jolies femmes et industriel véreux, qui stocke illégalement dans d’anciennes carrières de calcaire des déchets hautement toxiques pour l’environnement. Avec Tchip, ferrailleur à la petite semaine et recycleur impénitent, Frank va s’aventurer dans les souterrains labyrinthiques à la recherche de Lies. Mais la jeune femme reste introuvable… »

Caroline De Mulder est Belge, bilingue, auteure de quatre romans chez Actes Sud et je dois sa découverte à quelques recensions qui faisaient envie et qui s’avèrent à l’usage, très justes. « Calcaire » est un roman noir, assurément, bien plus sombre que ne le laisse imaginer une couverture dont j’avoue ne pas avoir totalement saisi ce qu’elle évoquait dans le roman ni compris ce choix de couleurs pastel quand la couleur dominante est assurément le noir et sans aucune autre nuance. Vous allez vraiment morfler !

N’ayant pas lu d’autres romans de la dame, il m’est impossible de comparer ce bouquin aux précédents mais, néanmoins, il faut bien reconnaître que la dame a écrit là un roman fort, très fort, le genre qui vous en colle une bonne dès l’incipit rock n’ roll avant de cogner fort et souvent là où ça fait mal. Faisant naviguer le lecteur en eaux très troubles, usant de faux –semblants avec talent et créant une horrible cour des Miracles flamande, Caroline de Mulder nous fait croiser, partager l’existence, l’histoire de personnages bien cabossés, des doux dingues aux plus dangereux frappadingues. Et au fur et à mesure que le roman progresse, on s’enfonce dans la fange, dans la putréfaction, l’anéantissement, la pourriture parfois au bord de la nausée.

« Calcaire » tranche généreusement par rapport à une production internationale de plus en plus aseptisée, modélisée, en osant les chapitres très brefs, nerveux, en tabassant  à coups de phrases assassines ou cruelles, et le lecteur comprendra rapidement le fonctionnement, la logique scénaristique et appréciera rapidement l’impression d’urgence, que cette narration donne au roman. Tout n’est ici que pourriture, désenchantement et les phrases de Caroline de Mulder parfois comme des halètements, semblant bâclées alors que le roman est très habilement écrit, jetées à qui voudra bien tenter de comprendre quelque chose dans ce marasme et cette désolation, contribuent, en plus d’offrir un pouvoir d’évocation souvent redoutable, à donner un rythme dément où le pire peut survenir à tout moment.

L’intrigue est de très bonne qualité mais ce qui distingue « Calcaire », c’est cette ambiance très proche des magnifiques films de Felix Van Groeningen : « la merditude des choses », « Alabama Monroe » ou « belgica » où le meilleur comme le pire sont toujours envisageables où le moment unique, l’instant magique apparait là où on ne l’attend pas au cœur de l’adversité dans une lutte contre le mal dans laquelle les personnages ne se soucient plus des apparences, déterminés vers un noble objectif, un but dérisoire mais précieux parce qu’ unique.

De la belgitude des choses.

Wollanup.

PS: la zik, le cinéma, Eden Hazard, maintenant les polars, faut arrêter de flamber les Belgicains.

ATTENDS-MOI AU CIEL de Carlos Salem / Actes noirs.

Traduction: Judith Vernant

« -Même pas en rêve. »

« Quand Piedad de la Viuda, une femme séduisante et dévote au seuil de la cinquantaine, s’éveille ce lundi-là, elle ignore que sa vie va basculer à jamais. Un mois plus tôt, Benito, son époux, dont le succès dans les affaires doit tout à la fortune de sa belle-famille, est décédé dans un accident de voiture. Fille de paysans enrichis, Piedad a vécu une existence oisive, marquée par la piété héritée de sa mère, les aphorismes de son père et les boléros qui ont bercé son enfance. Brusquement, elle s’aperçoit que son mari n’était pas celui qu’elle croyait … » (Ne lisez pas la suite de la quatrième de couverture, vous vous gâcheriez un début tonitruant.)

Les hasards de l’inspiration des auteurs comme les calendriers des éditeurs créent de singulières heureuses coïncidences puisqu’après « la daronne » de Hannelore Cayre sorti chez Métailié en mars, revoici un roman qui donne la vedette à une femme proche de la cinquantaine qui sort de l’ombre pour s’ouvrir à la vie de manière très délictueuse et par ailleurs véritablement jouissive. Dans les deux cas, l’éveil se fait après 25 ans d’inertie et de veuvage pour la daronne et de cocufiage de classe mondiale pour l’héroïne de Carlos Salem, Piedad « une femme avec un corps à se damner et un cerveau de nonne ». Ensuite les quêtes des deux femmes sont différentes tout comme les déclencheurs. Par ailleurs, si une certaine critique sociale est présente dans le roman de Salem, elle est nettement moins poussée et mordante que dans l’excellent roman de Cayre.

Comme toujours chez Salem, il ne faudra pas tellement s’intéresser à la plausibilité de l’intrigue sous peine de vivre très mal le livre, comme ce fut le cas pour moi lors de la lecture de « un aller simple » premier roman de l’auteur sorti en France en 2009 et dont la folie et l’exubérance m’avaient désarçonné  puisque je ne m’attendais pas à un tel roman complètement loufoque. Aussi, faut-il bien prévenir le néophyte, Carlos Salem semble se moquer de la vraisemblance de son intrigue policière emporté par l’extravagance et la truculence des situations abracadabrantes qu’il invente pour le plus grand bonheur des lecteurs appréciant des moments d’hilarité et des espaces de grande exubérance contrebalançant des passages empreints de mélancolie. Outre Piedad, particulièrement remontée dans sa nouvelle vie, Salem a su créer des personnages très déjantés mais aussi très touchants comme ce formidable Soldati déjà rencontré dans « un aller simple » et dont j’aimerais vraiment qu’il soit un jour le personnage principal d’une histoire.

Alors, le roman est particulièrement addictif puisque ce sont les méchants qui morflent à coups de crucifix, de sac à main… et franchement, ceux à qui cela arrive, on ne va pas trop les regretter. De toute manière, il semblait rapidement évident que l’éveil de Piedad ne pouvait qu’être douloureux tant ce qu’elle apprend pendant le premier chapitre, comme dirait Nietzche, si cela ne la tue pas, cela doit la rendre plus forte et en l’occurrence, extrêmement forte.

Lisez ce premier chapitre brut, violent à l’humour terriblement noir et si vous n’êtes pas complètement conquis, il n’y a pas d’espoir. Ah et puis bien sûr, du cul, du cul, du cul.

Jouissif.

Wollanup.

L’ AMOUR ET AUTRES BLESSURES de Jordan Harper /Actes noirs.

Traduction: Clément Baude.

Jordan Harper est un auteur originaire du Missouri vivant actuellement à L.A. qui a été critique rock, d’où des références musicales impeccables, pleinement en harmonie avec le propos et scénariste pour des séries TV d’où peut-être aussi ce talent pour créer des situations franchement originales. Son premier roman « She rides shotgun » sort en mai aux USA et ici, il n’ y a plus qu’à attendre pour savoir s’il confirme l’essai éblouissant réalisé par ce recueil de nouvelles. Continue reading

BORDERLINE de Jessie Cole chez Actes Sud

Traduction : Hélène Frappat.

Borderline est le premier roman de Jessie Cole, jeune romancière australienne. Elle s’est inspirée de la chanson « Darkness on the edge of town » de Bruce Springsteen, qui est aussi le titre original du bouquin, une chanson sur les secrets si lourds à porter, sur le sort qui s’acharne… Une belle chanson pour un roman qui ne l’est pas moins.

« Un soir d’automne, Vincent rentre chez lui après quelques bières au pub avec des potes. Perchée sur les hauteurs, sa maison n’est accessible que par une route sinueuse. Dans le dernier virage, il avise une voiture renversée, dont le moteur tourne encore. Il se gare, sort de son pick-up et se précipite vers l’épave. Il n’y a personne dans la voiture, mais il perçoit du mouvement au bord de la route. C’est alors qu’il la voit, accroupie, le talus plongeant à pic derrière elle. Elle se balance légèrement et chantonne. Quand elle lève la tête, ses longs cheveux s’écartent, découvrant le bébé mort qu’elle tient dans les bras. Il les ramène chez lui en attendant l’arrivée des secours. La jeune femme est hospitalisée en état de choc. Quelques jours plus tard, il la retrouve, pieds nus, tremblante, perdue, dans son jardin.

Il la recueille et prend soin d’elle, sous le regard de sa fille adolescente. À mesure qu’il s’attache à elle, Vincent comprend que son traumatisme est plus ancien que la mort de l’enfant. Ce qu’il ignore, c’est que le père du bébé est sur le point de retrouver la trace de celle qui avait décidé de le fuir à tout jamais… » Continue reading

LA VEILLE DE PRESQUE TOUT de Víctor Del Árbol chez Actes Sud

Traduction : Claude Bleton.

Víctor Del Árbol a fait des études d’histoire et a travaillé pendant vingt ans dans la police régionale de Catalogne. Il écrit depuis 10 ans et a reçu un prix pour presque tous ses romans. « La veille de presque tout » est son cinquième roman publié en France, il a reçu le prix Nadal en 2016.

« L’inspecteur Ibarra a été transféré depuis trois ans dans un commissariat de sa Galice natale après avoir brillamment résolu l’affaire de la petite disparue de Málaga. Le 20 août 2010, 0 h 15, il est appelé par l’hôpital de La Corogne au chevet d’une femme grièvement blessée. Elle ne veut parler qu’à lui. Dans un sombre compte à rebours, le récit des événements qui l’ont conduite à ce triste état fait écho à l’urgence, au pressentiment qu’il pourrait être encore temps d’éviter un autre drame.

À mesure que l’auteur tire l’écheveau emmêlé de ces deux vies, leurs histoires – tragiques et sublimes – se percutent de plein fouet sur une côte galicienne âpre et sauvage.

Une fillette fantasque qui se rêvait oiseau marin survolant les récifs, un garçon craintif qui, pour n’avoir su la suivre, vit au rythme de sa voix, un vieux chapelier argentin qui attend patiemment l’heure du châtiment, un vétéran des Malouines amateur de narcisses blancs…

Aucun personnage n’est ici secondaire… » Continue reading

LE PORT SECRET de Maria Oruña chez Actes Sud / Actes noirs

Traduction : Amandine Py.

Maria Oruña est une jeune auteure espagnole née à Vigo. « Le port secret » est son premier roman.

« En délicatesse avec Londres et avec ses fantômes, Oliver Gordon gagne un petit village côtier de Cantabrie afin de redonner tout son lustre à l’imposante bâtisse familiale héritée de sa mère espagnole et de la transformer en havre de paix pour citadins stressés. Au cours des travaux, les ouvriers exhument le cadavre momifié d’un nouveau-né (qui semble dater de la Guerre civile) accompagné d’une mystérieuse et anachronique amulette aztèque. À la macabre découverte succèdent l’assassinat d’un vieil homme puis celui d’un paisible médecin de campagne – autant de faits divers qui détonnent dans ces contrées tranquilles. La garde civile est dépêchée sur place.

À mesure qu’avance l’enquête, se mêlent au récit les fragments d’un journal anonyme ouvert pendant les prémices de la Guerre civile. On y lit l’existence d’une famille ordinaire dont le destin bascule sous les mitrailleuses des avions de chasse nationalistes. À la suite de la mort de la mère et de son plus jeune fils, le père, incapable d’élever seul ses enfants, commet l’irréparable en séparant la fratrie ; qui partira travailler à la ferme et qui ira “servir” chez les riches. La rancœur et l’ambition nourries par les années d’infortune ont engendré un monstre insatiable qui crie vengeance. Pourrait-il être lié aux inquiétants secrets que recèle sa maison ? Pour le découvrir, Oliver devra laver tout le linge sale de sa famille sous le regard intrigué d’un mystérieux lieutenant aux yeux vairons. »

C’est un premier roman très réussi, Maria Oruña capte vite notre attention dans cette enquête entre présent et passé et les personnages sont attachants : Oliver Gordon, un Anglais un peu paumé venu panser ses plaies en Espagne et chercher une vie plus lumineuse que celle qu’il menait dans son pays, Valentina Redondo, policière maniaque de l’ordre qui cache elle aussi de sacrées blessures… Et beaucoup d’autres qui se débattent face à des vies parsemées de difficultés aujourd’hui ou broyées par la violence de la guerre civile et les années de dictature de Franco hier. Car les enquêteurs vont devoir remonter assez loin dans le temps, au moment où ont été commises des horreurs dans la folie meurtrière de la guerre.

Maria Oruña alterne le récit de l’enquête, menée par des personnages dont les vies sont tourmentées par des drames actuels et le journal d’un mystérieux narrateur dont on comprend vite qu’il est lié de près à la tragédie sans pour autant savoir qui il est. Et le suspense fonctionne, il va même aller crescendo au fur et à mesure de la lecture. Le mystère s’épaissit et on se rend compte que la découverte de ce cadavre de bébé a réveillé un monstre qui n’hésite pas à tuer encore pour couvrir ses méfaits.

Maria Oruña rappelle ce que fut la vie en Espagne pendant la guerre civile et juste après : les attaques des avions, la terreur, la misère, les républicains pourchassés, les franquistes triomphants, les riches encore plus puissants parmi toute cette détresse. Un temps d’horreurs, de traumatismes énormes, propice à l’éclosion d’un tueur psychopathe. Pour survivre ou échapper à la misère, certains ont dû passer outre certains scrupules mais quelqu’un y a pris goût et est tombé dans une malfaisance profonde…

Un temps béni pour un meurtrier : il est facile de camoufler une disparition ou de faire endosser un meurtre à d’autres. Un temps pas si lointain dont les souvenirs sont encore vifs dans certaines têtes avec des conséquences violentes. Maria Oruña réussit à mêler les deux récits habilement, l’enquête est bien menée et le journal dévoile un personnage de plus en plus inquiétant mais dont l’identité n’est percée qu’à la fin.

Le roman se finit sur un début d’idylle qu’on voyait venir, elle, à  grand pas et sur un rebondissement qui laisse à penser qu’on pourrait peut-être retrouver ces personnages… et pourquoi pas ? Le voyage n’était pas déplaisant.

Un bon polar noir.

Raccoon.

IDAHO BABYLONE de Théo Hakola /Actes Sud / Actes Noirs.

Traduction : Yoann Gentric.

Theo Hakola est un musicien américain vivant en France depuis 1978 et connu depuis le début des années 80 pour son talent dans l’indie rock au sein de formations comme Orchestre Rouge puis Passion Fodder avant de se consacrer à une carrière solo à partir de 1992. Il fut aussi le producteur du premier album d’un groupe bordelais nommé « Noir désir ». Mais Hakola a plusieurs cordes à son arc puisqu’il a aussi réalisé des musiques de films et est également un homme de théâtre et bien sûr et c’est ce qui nous intéresse particulièrement un auteur dont le cinquième roman fait son entrée chez Actes Sud.

« Metteur en scène originaire de Spokane, dans l’État de Washington, Peter Fellenberg réside en France depuis plus de trente ans. Alors qu’il est sur le point de monter une nouvelle pièce de théâtre dont le rôle principal sera tenu par une célèbre actrice de cinéma, sa soeur Marnie l’appelle des États-Unis, affolée : sa fille aînée, Macie, vient de disparaître lors d’un camp de vacances organisé par l’Église, dont l’adolescente a récemment embrassé un peu trop ardemment les principes… À moins qu’elle ne se soit enfuie avec un certain Brandon, neveu d’un suprémaciste blanc notoire de l’Idaho voisin ?
Si Marnie fait appel à ce frère qu’un sombre chapitre du roman familial a définitivement éloigné de ses origines, c’est que Peter a été le grand ami d’enfance de Tom Palm, pasteur, précisément, de l’église évangéliste dont la jeune fille est une prosélyte.
Secrètement taraudé par un désir confus de renouer avec son pays, Peter saisit cette occasion de retrouver Spokane et va tenter d’arracher Macie aux griffes d’un destin qui menace les enfants d’une Amérique victime de tous ses aveuglements. »

Attiré par le nom de l’auteur et le souvenir de son œuvre musicale assez sombre, la couverture du livre et la quatrième de couverture, je me suis jeté sur un roman qui n’est finalement pas celui que j’attendais. Si le propos est bien l’enlèvement d’une jeune fille par une congrégation religieuse trouble du côté de Spokane au cœur d’une Amérique très bigote et blanche, le roman raconte aussi et peut-être surtout le retour au pays d’un homme qui a atteint la cinquantaine en France et qui tente de retrouver ses racines au sein d’une famille qu’il a quittée depuis longtemps. Et c’est intéressant, pas décevant et sans être réellement bouleversant mais néanmoins touchant et il est certain que vous l’apprécierez bien plus que moi si vous ignorez tout de la première vie artistique de Théo Hakola.

La plume est alerte, vivante et le propos est animé d’un bel humour que je ne pensais pas trouver ici. Les personnages issus de la famille et des relations passées de Fellenberg, (à l’identique de Hakola ?), la propension du héros à être victime d’une lolitalisation font que nombreuses scènes sont très drôles sans que l’aspect plus sombre de l’embrigadement de la jeunesse et des plaies provoquées par la religion soit pour autant mal exploité mais sachez néanmoins que c’est l’aspect comédie qui est le plus remarquable dans ce « Idaho Babylone ».

A pratiquer sans retenue.

Wollanup.

LA TENDRESSE DE L’ ASSASSIN de Ryan David Jahn / Actes Sud

Traduction: Vincent Hugon

Sortie le premier juin.

Après « De bons voisins », « Emergency 911 » et le magnifique « le dernier lendemain », « La tendresse de l’assassin »est le quatrième roman de l’auteur américain Ryan David Jahn à sortir en France dans la collection « Actes Noirs » d’Actes Sud  qui fête ses dix ans cette année et que beaucoup d’amateurs éclairés ont tort de snober tant elle propose de plus en plus de diversité et d’auteurs talentueux notamment des Américains.

« Andrew était encore un nourrisson quand sa mère fut froidement abattue sous ses yeux à Dallas, en 1964. Pourtant, il se souvient avec une précision déconcertante de ce jour fatidique – l’intrusion d’un homme dans la maison, les coups de feu, les corps de sa mère et de son amant gisant sur le sol –, et l’identité de l’assassin ne fait pour lui aucun doute.
Vingt-six ans plus tard, l’heure de la vengeance a sonné. S’il veut tirer un trait sur son passé, Andrew n’a pas le choix, il doit retrouver et éliminer le responsable de ce drame : son propre père, Harry, ex-tueur à gages, désormais libraire à Louisville, remarié et vivant sous un patronyme d’emprunt.
Mais l’irruption d’un privé menaçant de révéler sa véritable identité et celle d’Andrew va mettre en péril cette nouvelle vie chèrement acquise, et contraindre Harry à sortir de sa retraite pour faire taire le maître chanteur.
Acceptant de faire équipe avec son fils et de l’initier au métier de tueur, Harry est loin de se douter qu’il s’engage avec Andrew dans un jeu à la vie à la mort. »

Afin que chacun comprenne la subjectivité de mes propos, je suis un fan de cet auteur et ce n’est pas ce quatrième roman qui me fera changer d’avis. Les intrigues de Jahn sont toujours originales, la dimension psychologique des personnages est toujours très aboutie et j’adore aussi sa façon d’écrire, pourquoi, mystère, on a tous des auteurs qui nous charment y compris dans les moments plus faibles, plus ordinaires.

Le roman démarre plein pot, ne laissant pas souffler le lecteur, littéralement harcelé dès les premières pages par le récit de la tragédie où la mère d’ Andrew et son amant ont été abattus par son père. L’assassinat est raconté froidement, cliniquement à l’image des agissements professionnels du père assassin actant sans pitié ni remords.

La suite du roman peut se résumer, même si le terme est assez réducteur voire franchement péjoratif et totalement erroné concernant ce roman, à un face à face, un duel, une sorte de huis-clos entre le père et le fils. Harry ne reconnaît pas en ce vieux père l’assassin froid de sa mère qu’il veut venger et Andrew a du mal à se lier à son fils qu’il peine à cerner. Tout le jeu des principaux acteurs est finement raconté par l’auteur qui y adjoint une partie fantasmée par le fils s’imaginant tuer son père en de multiples occasions.

En simplifiant à l’extrême pour vous laisser découvrir par vous-même le charme du roman, « La tendresse de l’assassin » est un roman d’initiation, Harry se disant qu’il deviendra adulte réellement quand il aura tué son père, le parricide comme rite de passage en fait. Il est évident qu’un tel final si prévisible en ferait un roman tel qu’on en lit tellement et si on peut regretter la relative brièveté du bouquin, on ne peut par contre que louer le scénario de l’histoire qui peut provoquer chez le lecteur de bizarres sentiments, d’étranges réflexions et de multiples interrogations tout en le questionnant sur la qualité et l’objectivité de ses souvenirs.

Bluffant.

Wollanup.

LA DERNIERE NUIT A TREMORE BEACH de Mikel Santiago chez Actes Sud

Traduction : Delphine Valentin.

Mikel Santiago est né et vit actuellement au pays basque mais il a longtemps vécu au Pays Bas et en Irlande où se passe « La dernière nuit à Tremore Beach », son premier roman.

« Clenhburran : cent cinquante âmes en hiver, ses routes sinueuses entre vallons verdoyants et récifs escarpés, ses tourbières et ses fleurs sauvages. C’est en Irlande, dans ce hameau du comté de Donegal, que le célèbre compositeur Peter Harper est venu trouver refuge dans une maison isolée sur la plage. Pour s’accommoder d’un divorce orageux et renouer avec la musique.

Au retour d’un dîner chez des amis par une nuit de tempête, il tente de dégager la branche d’un vieil orme qui lui barre le chemin, quand il est frappé par un éclair d’une rare violence. S’ensuit une migraine chronique qu’aucun traitement ne parvient à apaiser, suivie, quelques jours plus tard, par de récurrents cauchemars sanglants où peu à peu apparaissent ses voisins et ses propres enfants, qu’il attend pour les vacances. Ces rêves semblent l’avertir d’un danger imminent auquel personne n’est disposé à croire. Saisi d’une angoisse vertigineuse lorsqu’il constate que jour après jour des pans entiers de ses visions nocturnes s’incarnent dans la vie réelle, il doit lutter seul contre la menace qui désormais enserre les siens.

Dans ces paysages irlandais aussi grandioses qu’inhospitaliers, c’est la part d’ombre de chaque personnage qui se dévoile, tous rattrapés par ce qu’ils sont ici venus fuir. »

Peter Harper, en pleine dépression, en panne d’inspiration espère retrouver un peu d’équilibre dans cette maison isolée au fin fond du Donegal : un couple de voisins à une centaine de mètres, le plus proche village bien loin, la mer en face avec les tempêtes et les orages qui se déchainent brutalement et violemment…

Dans cette petite communauté, l’isolement resserre les liens et on s’intéresse aux nouveaux venus. Mikel Santiago nous décrit cette vie de petit village de manière très réaliste, la curiosité des indigènes, les liens qui se tissent entre nouveaux venus : les voisins les plus proches, une jeune femme Judie qui ne laisse pas Peter indifférent.  Les personnages sont bien campés, crédibles, attachants. On soupçonne chez tous des secrets mais c’est bien ordinaire, on a tous des secrets, des zones d’ombres qu’on ne livre pas facilement.

Tous les ingrédients classiques du thriller sont mis en place et Mikel Santiago les utilise avec brio. La solitude des lieux, la violence des éléments… il sait créer une atmosphère inquiétante où la tension va monter, forcément.

Mikel Santiago introduit une petite dose de fantastique ou de paranormal comme Stephen King (on le surnomme d’ailleurs le « Stephen King espagnol »). Après avoir été foudroyé, Peter Harper a des visions d’horreur, des rêves éveillés hyper réalistes qu’il pense prémonitoires. Un don de vision hérité de sa mère ! J’avoue que j’ai du mal à adhérer au fantastique, mais là, Mikel Santiago s’en sert vraiment bien : Peter tente de rationnaliser, il cherche des explications médicales, psychologiques et comme c’est lui le narrateur, on suit tous ses efforts pour comprendre ce qui lui arrive. On ne sait plus, comme lui, ce qui relève des hallucinations, de la réalité… On perd pied avec lui : ses visions sont peut-être juste l’expression de son inconscient ?  Peut-être est-il lui-même le danger ? On en vient à douter de sa santé mentale, de tout, de tous…

Bref, on est happé par cette histoire et Mikel Santiago nous trimballe à son gré et avec un grand talent jusqu’au dénouement.

Pour un premier roman, c’est une réussite, un très bon thriller.

Raccoon

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