Traduction: Alain Defossé.

Passons rapidement sur la couverture particulièrement farfelue, une nouvelle fois, une habitude, une préciosité de la collection même si je suis peut-être un peu railleur, il y a bien des arbres et des forêts dans le roman et nous sommes bien en zone montagneuse comme semble le suggérer des structures coniques… pour se concentrer sur un ouvrage qui mérite l’attention, sans être le roman de l’année loin de là, mais possèdant une forme comme un fond qui devraient séduire un grand nombre d’amateurs de polars. Lansdale et Pollock ont encensé le roman mais ici on est quand même à des années lumière des pieds nickelés ricains Hap et Leonard mais aussi très loin de l’enfer terrestre qu’a su créer Pollock dans “le diable tout le temps”. Non, ici, on serait plutôt, sur les terres de Craig Johnson et pour beaucoup  de lecteurs de noir, c’est déjà pas si mal. Ce roman est le premier d’une série dont le deuxième chapitre est déjà paru aux Etats Unis et peut-être allez-vous connaître à nouveau les affres de l’attente puis le bonheur des retrouvailles.

Henry Farrell est le seul flic de Wild Thyme, une petite ville perdue dans le Nord de la Pennsylvanie. Le genre de patelin où il ne se passe pas grand-chose, où tout le monde se connaît, pour le meilleur ou pour le pire. Comme une sorte de marais un peu trouble : la surface est calme mais qui sait ce qu’on trouverait si on allait chercher là-dessous.

Quand il a pris son poste, Henry se voyait passer son temps entre parties de chasse et soirées peinard avec un bon vieux disque en fond sonore. Mais les compagnies pétrolières se sont mis en tête de trouver du pétrole dans le coin. Elles ont fait des chèques, et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’ambiance entre voisins s’en est ressentie. Et puis il y a eu la drogue. Des mecs plus ou moins bien emmanchés ont commencé à bricoler toutes sortes de saloperies dans des labos de fortune cachés dans les bois. Henry les connaît, du reste, il est allé à l’école avec eux. Alors quand on découvre un cadavre sur les terres d’un vieux reclus, il comprend que le temps est venu d’aller remuer l’eau de la mare.”

Et de fait, Farell va devoir aller au charbon, lui qui a choisi ce poste pour être tranquille et n’avoir à régler que rixes locales dans les bars et méfaits criminels de bas étage. “Dans la vallée décharnée” est un vrai polar d’investigation et le rythme sera imprimé par une enquête minutieuse, difficile et douloureuse pour un anti-héros à la personnalité effacée, au comportement souvent dicté par la douleur de la perte de l’être aimé et par une difficile expérience en Somalie lors d’une expédition de l’armée US. Alors, c’est du très classique au départ, évident dans le fonctionnement comme dans le déroulement et le lecteur averti comprendra aisément et rapidement que les suspects ou les coupables présumés n’ont rien à voir dans le meurtre d’un jeune homme étranger à la région. Farell est un solitaire, son violon étant son seul et véritable compagnon, mais il connait parfaitement son patelin, les gens et leurs petits secrets et magouilles, sait, à peu près, adapter son comportement à chaque nouvelle rencontre. Solitaire au point que l’auteur se met, à mon avis, une balle dans la main en créant puis en  faisant disparaître très prématurément un personnage qui aurait pu être pour Farell,un très crédible équivalent d’un Clete Purcel pour le Dave Robicheaux de James Lee Burke.

Un peu comme chez le divin Burke, mais c’est vraiment là que s’arrêtera la comparaison, le roman offre de beaux moments dans la nature, notamment des scènes de traque dans les forêts hivernales assez tendues. On sent un amour pour la région ainsi qu’ une connaissance pointue des méthodes de chasse. L’auteur met aussi l’accent sur les risques pour l’environnement et pour les humains de l’exploitation sauvage du gaz de schiste tout en montrant l’absence de conscience de certains, avides de s’enrichir par cette manne inespérée sous leurs pieds, au mépris d’un semblant de conscience citoyenne. Ceci dit, peut-on vraiment les blâmer?

Si au début, on peut  être un peu perdu par la quantité de personnages, insuffisamment dépeints pour qu’on les retienne vraiment, tout tourne vraiment autour de Farell, le narrateur et héros, on note de suite une histoire bien menée, rythmée par un crescendo soutenu jamais démenti et les révélations finales s’avèrent solides et suffisamment inattendues. Du coup, on n’oubliera la niaiserie inutile de douloureuses pages sur l’épouse de Farell qui s’adresse directement au lecteur pour le mettre dans la confidence d’une magnifique histoire terminée par une mort si prématurée.

Quelques jours après avoir terminé la lecture, je m’aperçois que malgré que je n’ai pas été particulièrement chaviré par ce roman, il reste néanmoins bien en tête. Reconnaissons-lui aisément une intrigue de qualité, une écriture très recommandable mais aussi un climat, une ambiance, un personnage principal qu’on prendra plaisir à retrouver et à mieux connaître loin des bouffonneries rurales ricaines dont on nous saoule depuis quelques années.

Sympa.

Wollanup.