À l’origine, One Kiss était destiné à la Série Noire de Marcel Duhamel. Son bienveillant effarement et son incompréhension devant notre enthousiasme et notre naïveté arrogante de 19 ans remirent l’aventure à sa plus juste place, novatrice, de « roman policier poétique et moderne » comme nous le nommions affectueusement tandis que l’écrivant en marchant à haute voix et sous les pluies tièdes d’un avril prodigieux.

Voici donc, retrouvé cinquante ans plus tard dans la robe des vents, One Kiss le petit-fils naturel de La Reine des pommes, de Chéri-Bibi et du Surmâle.

Je ne savais pas le moins du monde dans quoi je m’engageais en acquérant One Kiss. On m’a dit « Tu verras, c’est le bouquin le plus dingue que j’ai publié. » J’ai pensé « Ouais, c’est pas la première fois qu’on me dit ça… » J’ai donc ramené le bouquin chez moi puis j’ai lu les premiers mots. Là, j’ai tout de suite compris. Enfin, je dis « compris », mais pas « compris » comme « comprendre », car il y a « comprendre » et « comprendre »… Est-ce que vous voyez ce que je veux dire ? Non ? C’est normal.

Avez-vous déjà lu et apprécié des livres difficilement lisibles, voire inappréciables ? Je ne parle pas là de mauvais livres mais plutôt d’œuvres inclassables, de ces bouquins dont on ne sait pas toujours quoi faire. Avez-vous déjà passé toute une lecture à chercher le sens des mots, l’histoire ou encore une quelconque logique à ce que vous avez sous les yeux ? Peut-être bien que non. Il faut dire que c’est assez difficile à vendre donc, forcément, pas si courant. Cela demande d’avoir des éditeurs courageux et des lecteurs aventureux. Ici, Mediapop est indéniablement courageux, mais serez-vous assez aventureux pour lire One Kiss ?

A ce stade vous avez peut être déjà saisi que j’essaye de vous présenter un livre auquel je n’ai strictement rien compris. Impossible de vous dire si celui-ci contient la moindre histoire. Nos deux auteurs, Jean-Pierre Cretin et Matthieu Messagier, nous retournent le cerveau dès les premières lignes et sans interruption, jusqu’au point final. On est tenté de rapidement déclarer forfait mais on peut aussi – et c’est bien ce qui m’est arrivé – se laisser porter par cette espèce d’exercice poétique abscons. Car oui, de la poésie, il y en a dans cet amas chaotique de mots. Une poésie hypnotisante et protéiforme. Je vous en propose un exemple, pioché au hasard de ces 220 pages : « Une vit d’un microsillon obligatoire dans la synagogue de son pouce les dents jaunies je trouvai enfin liquider au bout d’une longue attente le dernier paquet de girofle-holding, lecteurs, fredonnant sous la douche que tous les babouins sont des scarabées d’asphalte ». Le lecteur est ainsi mené, de bout en bout, sur un flow de mots, d’images, de bizarreries, d’absurdité, qui fascine autant qu’il perturbe. On a un peu l’impression de lire du Boris Vian halluciné et hallucinant. C’est incompréhensible mais beau. Beau car totalement autre, hors normes, hors tout. Les codes sont dynamités, les conventions aussi. Il faut accepté d’être laissé sans repères, sans direction, sans fil conducteur pour appréhender au mieux cette œuvre singulière. 

On a là un O.L.N.I (Objet Lisible Non Identifié), un vrai. Une lecture qui sera jubilatoire pour certains, pour moi tout du moins, ou insupportable pour d’autres. Point de demi-mesure ou de juste milieu. C’est un peu tout ou rien. A recommander à qui ? Je ne sais pas. Mais ça existe. Je voulais juste que vous le sachiez. 

Brother Jo.