Chroniques noires et partisanes

Étiquette : médiapop

TOUT SAUF HOLLYWOOD de Mark SaFranko / Médiapop Editions

Nowhere near Hollywood

Traduction: Annie Brun

— Budweiser.

 Je n’avais pas envie d’une bière chère ou fantaisie.

 Il a tiré une pinte et l’a placée devant moi. Elle avait aussi peu de gaz qu’un pneu à plat, mais au moins elle était fraîche. 

 Je me suis mis à ruminer. J’avais trente-quatre ans et rien à mon actif. Ça faisait treize ou quatorze ans que j’écrivais, et j’avais tout essayé — des pièces, des romans, des nouvelles, de la musique. J’avais même été reporter professionnel pendant deux ans pour des quotidiens et pour un magazine régional, mais j’étais nul comme journaliste parce que je me foutais totalement de ce qui se passait dans le monde. À vrai dire toutes mes tentatives avaient foiré.

Voilà pour les présentations avec Max Zajack, héros récurrent de Mark SaFranko, dont on dit souvent que c’est son double, ce que sincèrement je n’espère pas pour l’auteur. Max est un type qui joue les angoissés pour mieux glander. Et comme tout vrai glandeur, il est constamment en train de tenter un truc pour faire rentrer un peu de fric, et aussi malheureusement d’échouer. Écrivain sans lecteurs qui se rêve acteur, Max collectionne les rôles foireux tel ce cadavre en début de film qu’on ne voit que quelques secondes, se retrouve factotum sur un tournage. C’est un mec sympa, un peu vaurien mais pas méchant ; il est soutenu moralement par l’admirable Gayle avec qui il vit et qui croit dur comme fer en ses talents d’auteur.
L’histoire de l’écrivain raté a déjà été racontée des dizaines de fois dans des romans, des films, etc. C’est à nouveau le cas, il n’y a pas vraiment d’intrigue dans  Tout sauf Hollywood . Il ne se passe rien de vraiment exceptionnel.
Et pourtant c’est bon, furieusement bon ! Connaissez-vous beaucoup d’auteurs capables d’écrire des phrases de ce genre : “Moi, par terre, j’aurais pu être n’importe quoi — un gant, une chaussure, un poil de cul. ; ou comme Ma seule apparition torpillait la plus animée des conversations, qui devenait aussi morte qu’Abraham Lincoln. ; ou encore Tout était tellement mauvais qu’on aurait pas su dire où ça pêchait. »

 Le livre est truffé de pépites comme celles-ci, il est difficile de choisir une citation en particulier. Cela paraît si facile, si simple, alors que non, tout mot est pesé, évalué, taillé. Mark SaFranko est un styliste ; tout son talent est entièrement contenu dans cette modestie, cette humilité qui chaque fois m’étonne, cette totale absence de recherche de la phrase qui fait mouche. Ça frôle le rudimentaire, ou la nonchalance.

 « C’est usant d’être déçu encore et encore. Tu finis par te dire que rien ne changera jamais. Que toute ta vie les choses ne feront que s’aggraver, et que c’est normal. Tu t’habitues à te faire flinguer. Et peu à peu tu réalises que t’en as plus rien à battre.« 


Max Zajack c’est un personnage d’Emmanuel Bove ou de Pascal Garnier, qui serait passé par les « Idées noires » de Franquin, ou chez Blake Edwards. Un humour assez noir traverse les pages, et côtoie le désespoir, la tristesse de vieillir, et cette chose inventée pour souffrir : le besoin de reconnaissance. On a envie de prendre dans les bras ce pauvre gars qui court en tous sens pour quelques dollars, quitte à imiter un chef Indien dans une pub pour des hot-dogs, ou à baisser son caleçon lors d’un casting. Il bataille pour essayer de placer « Le dragon écliptique », sa pièce sur Henry Miller, dont l’ombre plane sur le roman de bout en bout. Mais c’est à croire que tout se ligue contre lui. Acteurs, metteurs en scène, producteurs, tous flanchent à un moment ou un autre, sans exception. 

 Max collectionne les humiliations, excelle dans les échecs. Une pareille constance dans la malchance mérite le respect. 

 Max Zajack est un obstiné malgré lui.

NicoTag

Max Zajack n’est pas le seul à essayer de percer. Malgré une dizaine de 45t virulents, The Creation n’a jamais été sur devant de la scène.

ONE KISS de Jean-Pierre Cretin et Matthieu Messagier/ Médiapop

À l’origine, One Kiss était destiné à la Série Noire de Marcel Duhamel. Son bienveillant effarement et son incompréhension devant notre enthousiasme et notre naïveté arrogante de 19 ans remirent l’aventure à sa plus juste place, novatrice, de « roman policier poétique et moderne » comme nous le nommions affectueusement tandis que l’écrivant en marchant à haute voix et sous les pluies tièdes d’un avril prodigieux.

Voici donc, retrouvé cinquante ans plus tard dans la robe des vents, One Kiss le petit-fils naturel de La Reine des pommes, de Chéri-Bibi et du Surmâle.

Je ne savais pas le moins du monde dans quoi je m’engageais en acquérant One Kiss. On m’a dit « Tu verras, c’est le bouquin le plus dingue que j’ai publié. » J’ai pensé « Ouais, c’est pas la première fois qu’on me dit ça… » J’ai donc ramené le bouquin chez moi puis j’ai lu les premiers mots. Là, j’ai tout de suite compris. Enfin, je dis « compris », mais pas « compris » comme « comprendre », car il y a « comprendre » et « comprendre »… Est-ce que vous voyez ce que je veux dire ? Non ? C’est normal.

Avez-vous déjà lu et apprécié des livres difficilement lisibles, voire inappréciables ? Je ne parle pas là de mauvais livres mais plutôt d’œuvres inclassables, de ces bouquins dont on ne sait pas toujours quoi faire. Avez-vous déjà passé toute une lecture à chercher le sens des mots, l’histoire ou encore une quelconque logique à ce que vous avez sous les yeux ? Peut-être bien que non. Il faut dire que c’est assez difficile à vendre donc, forcément, pas si courant. Cela demande d’avoir des éditeurs courageux et des lecteurs aventureux. Ici, Mediapop est indéniablement courageux, mais serez-vous assez aventureux pour lire One Kiss ?

A ce stade vous avez peut être déjà saisi que j’essaye de vous présenter un livre auquel je n’ai strictement rien compris. Impossible de vous dire si celui-ci contient la moindre histoire. Nos deux auteurs, Jean-Pierre Cretin et Matthieu Messagier, nous retournent le cerveau dès les premières lignes et sans interruption, jusqu’au point final. On est tenté de rapidement déclarer forfait mais on peut aussi – et c’est bien ce qui m’est arrivé – se laisser porter par cette espèce d’exercice poétique abscons. Car oui, de la poésie, il y en a dans cet amas chaotique de mots. Une poésie hypnotisante et protéiforme. Je vous en propose un exemple, pioché au hasard de ces 220 pages : « Une vit d’un microsillon obligatoire dans la synagogue de son pouce les dents jaunies je trouvai enfin liquider au bout d’une longue attente le dernier paquet de girofle-holding, lecteurs, fredonnant sous la douche que tous les babouins sont des scarabées d’asphalte ». Le lecteur est ainsi mené, de bout en bout, sur un flow de mots, d’images, de bizarreries, d’absurdité, qui fascine autant qu’il perturbe. On a un peu l’impression de lire du Boris Vian halluciné et hallucinant. C’est incompréhensible mais beau. Beau car totalement autre, hors normes, hors tout. Les codes sont dynamités, les conventions aussi. Il faut accepté d’être laissé sans repères, sans direction, sans fil conducteur pour appréhender au mieux cette œuvre singulière. 

On a là un O.L.N.I (Objet Lisible Non Identifié), un vrai. Une lecture qui sera jubilatoire pour certains, pour moi tout du moins, ou insupportable pour d’autres. Point de demi-mesure ou de juste milieu. C’est un peu tout ou rien. A recommander à qui ? Je ne sais pas. Mais ça existe. Je voulais juste que vous le sachiez. 

Brother Jo.

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