Wandering Stars
Traduction: Stéphane Rocques

«De l’intérieur du tipi, j’ai d’abord cru que c’était le tonnerre, ou un bison, puis j’ai vu la lueur violet et orangé de l’aube là où les balles avaient troué les parois de la tente. Dehors, tout le monde s’enfuyait ou tombait, fauché en pleine course. » Jude Star
Jude Star est l’ancêtre des Etoiles errantes. Survivant du massacre de Sand Creek. (1864).
Comme dans Ici n’est plus ici retenu en 2019, Tommy Orange propose un prologue efficace nous préparant à la lecture de ce magnifique roman. Son écriture dense et poétique (souvent humble aussi) va nous aider à surmonter le désespoir des personnages. Tommy Orange, on le rappelle, appartient à la tribu des Cheyennes du Sud de l’Oklahoma.
Jude Star (Bird, à l’origine) a douze ans et raconte sa fuite avec un autre adolescent, Bear Shield. C’est la première errance. Désolation, douleur.
«Tant de faim et de souffrance, mais à partir de ce moment-là est apparu quelque chose de nouveau. On frappait le tambour, on chantait, et il en sortait une espèce de beauté brutale.»
Les deux adolescents connaîtront tout de l’emprisonnement, de l’entraînement à « devenir des soldats, habillés comme ceux-là mêmes que nous avions vus décimer notre peuple », de l’humiliation à être offerts en spectacle, de la honte, de la violence.
Et Jude Star va avoir un fils : Charles Star : Nouvelle errance, famine, réclusion, déracinement, alcool, Laudanum, braquages… Et Charles va avoir une fille : Opal Viola Bear Shield…L’épopée se terminant en 2018 !
Là, on se dit qu’on est déjà perdu dans la généalogie et que d’ailleurs, on a déjà beaucoup lu autour de cette thématique dans de nombreux très beaux romans (Louise Erdrich, pour ne citer qu’elle)…
Mais ce qui fait, selon moi, la richesse du livre, c’est la manière dont Tommy Orange va tresser ces sept générations. Il nous propose une autre forme de pensée que la pensée stratigraphique ancrée dans nos sensibilités qui superpose les générations et les sédimente.
C’est Tim Ingold (Le Passé à venir. Repenser l’idée de génération, trad. Cyril Le Roy, Seuil, 2025) qui imagine, plutôt qu’un empilement, une corde que l’on fabriquerait en enroulant les générations, en les entortillant comme des brins d’herbe.
« La solidité de la corde vient de l’opposition entre les deux torsions, celle des torons devant être inverse à celle de leur enroulement. Le couple de torsion des torons, qui, laissés seuls, auraient tendance à se détendre, renforce la tension de leur enroulement qui, en retour, resserre les torons eux-mêmes. Ce sont ces forces opposées, associées à la friction sur leur longueur des brins d’herbe constituant les torons, qui permettent à la corde de ne pas s’effilocher et lui donnent sa capacité de résistance à la traction. » Et « en introduisant de nouveaux brins d’herbe dans l’enroulement, la corde elle-même peut se poursuivre indéfiniment »
Les vies humaines des Etoiles errantes sont ces brins d’herbe qui s’enroulent selon un rythme « qui naît du cycle des générations humaines.» Et Tommy Orange, en tressant cette histoire, aide peut-être à assurer une continuité, (ou « perdurance ») plus que jamais menacée…
« Mais survivre ne suffit pas. Traverser les épreuves ne faisait que renforcer nos capacités d’endurance. Le simple fait de durer, c’est bon pour une muraille, une forteresse, mais pas pour un être humain.» dira Opal Viola Victoria Bear Shield.
Soaz
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