Traduction:Myriam Chirousse

Polar, aventure, science-fiction, roman d’amour et d’amitié, mais aussi réflexion sur l’allant de notre monde, notre (sombre) avenir, à travers une écriture vive et belle, Montero nous secoue, il est temps de se réveiller, c’est dans l’air (pollué), il est temps de dire assez, stop, arrêtez ! Et regardez.

Nous sommes des êtres sensibles qui n’aspirons qu’à vivre, travailler, et profiter des nôtres, et surtout, de la beauté du monde. Et nous nous battrons pour cela.

Un grand roman, universel et humain.

«  Les humains sont de lents et lourds pachydermes, alors que les réplicants sont des tigres rapides et désespérés. »

Bruna est une réplicante (oui cela s’écrit ainsi), nous sommes en 2109, elle a été fabriquée par les humains à leur image et n’a droit qu’à une dizaine d’années de vie. Il ne lui reste que trois ans dix mois et quatorze jours. Chaque jour, en effet, elle retranche le temps qu’il lui reste à vivre ; «  rapide et désespérée ».

Nous retrouvons l’univers de Blade Runner emprunté à Philip K Dick que l’auteure espagnole avait déjà mis en place à sa manière dans son sublime roman « Des larmes sous la pluie ». Rosa Montero n’utilise pas seulement le monde crée par l’écrivain américain, elle nous plonge, tout comme il le faisait, dans la psyché des personnages, leurs émotions et leurs questionnements, et c’est ce qui rend ce roman attachant, terriblement touchant.

Sous couvert d’un polar – il y a eu des meurtres, Bruna, grande jeune femme de combat, torturée par son passé et sa condition, est embauchée pour enquêter. À travers ses déplacements et ses rencontres, Montero nous dévoile ses mondes imaginaires. Mais il ne s’agit pas d’un conte. Tous ces mondes – totalitaires, religieux, pseudo-démocratique – nous les (re)-connaissons, et c’est sans vouloir juger, seulement à travers les réactions de Bruna et de ses amis que nous ressentons le danger qu’ils représentent, le malaise qu’ils apportent pour qui est un tantinet humain, à l’image de Bruna la parano, car blessée au plus profond d’elle même.

C’est la richesse de cette auteure, à travers un seul livre, nous allons de réflexions en réflexions, de révélations en révélations, sur le monde, sur nous-même, elle arrive à faire ressentir les émotions dans les échanges entre ses personnages, car qu’y a t-il de plus important que l’amour, que l’autre, l’humain, au delà de l’amitié. Notre détective doit s’occuper d’une petite fille russe qui a été irradiée, et même violée, et oui, il ne s’agit pas d’un conte, son vieux mentor et ami l’aide en apportant ses connaissance sur l’art et l’histoire, car ce sont des sujets qui reviennent à nouveau. Cette fois il s’agit de peinture, son ex-amant veut l’aider, quitte à se faire détester par cette fille indépendante et méfiante, méfiante de tout, de l’amitié des autres, de leur besoin d’elle, sa petite vie ne l’a pas épargnée. Elle va rencontrer son double, la même réplicante qu’elle, en plus jeune, là aussi, une belle histoire humaine, de rapports et de conseils, entre grande et petite sœur, la bravache et la sérieuse, l’optimiste et celle, déjà minée par sa courte vie.

Car c’est à nouveau, un des sujets principaux, cette vie, si courte au fond, que nous menons en ne pensant qu’à nous, alors que le monde tout autour s’efforce de la raccourcir un peu plus chaque jour, à travers les guerres, les maladies (pollution) et les radiations. Rosa Montero, parle du monde, de son avenir, de ce que nous faisons pour essayer, soi-disant, de le préserver, et à nouveau nous reconnaissons des actes politiques, des gâchis, des atermoiements, et renoncements, entre une idée de départ salutaire et humaine, jusqu’à son résultat corrompu et dévié par nos dirigeants. Tant qu’à parler du futur, l’auteur ne se gène pas pour afficher les dégâts, plus que prévisibles, du réchauffement climatique, de la pollution, et bien sûr du cynisme et de la cupidité qui mènent nos économies, ceux-là-même qui gèrent le travail que nous fournissons chaque jour. Air irrespirable, eau potable au prix exorbitant, crise de logements, ségrégations sociales par territoires séparés par des murs. Rosa Montero nous réveille, elle insiste sur un thème qu’elle a soigneusement étudié, car contemporain et malheureusement en constante progression, le problème des centaines de milliers de tonnes de déchets nucléaires que nous produisons. Nous empoisonnons chaque jour un peu plus notre propre terre.

Plusieurs fois la question est posée, même par les adeptes du totalitarisme ; finalement, la démocratie, le foutoir, les arrangements, les compromissions, la diplomatie, n’est-ce pas la pire chose pour notre monde ?

Bruna, accompagnée de sa « jeune » sœur, de sa « fille » adoptée, à qui elle raconte un de ces contes horrifiques et beaux dont les Espagnols ont le secret, accompagnée de ses amis, savent, après avoir traversé des mondes noircis par la guerre, grimpés dans une tour/ville de 300 étages ( sans ascenseur), visité une sorte de Califat moyenâgeux où les femmes sont considérées comme des biens et esclaves, et découvert quelques terribles secrets du monde libre, oui, ils savent, que seules l’écoute, la volonté, le partage et l’acceptation des différences des autres ( « parce que les monstres sont beaux »), eux seuls, peuvent maintenir une société heureuse, en vie, en courte vie.

Quand à nous, pauvres petites entités organiques, la réponse se trouve dans le questionnement de Bruna sur le suicide. Quelque chose l’en avait empêché « Ou peut-être était-il impossible de mourir sous un ciel aussi beau que celui de cette nuit-là ? »

La beauté, toute simple, du monde et de l’autre, et de la communion des deux ; de l’art.

JOB.