Chroniques noires et partisanes

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LA CHAIR de Rosa Montero chez Métailié

Traduction : Myriam Chirousse.

Rosa Montero, journaliste et romancière espagnole a écrit de nombreux livres : romans, récits et essais. Elle est très populaire dans le monde hispanophone et neuf de ses romans ont été traduits en français mais je ne les ai pas lus. Elle raconte dans « la chair » l’histoire « d’une séductrice impénitente aux prises avec les ravages du temps ». Continue reading

LE POIDS DU CŒUR de Rosa Montero/Métailié.

Traduction:Myriam Chirousse

Polar, aventure, science-fiction, roman d’amour et d’amitié, mais aussi réflexion sur l’allant de notre monde, notre (sombre) avenir, à travers une écriture vive et belle, Montero nous secoue, il est temps de se réveiller, c’est dans l’air (pollué), il est temps de dire assez, stop, arrêtez ! Et regardez.

Nous sommes des êtres sensibles qui n’aspirons qu’à vivre, travailler, et profiter des nôtres, et surtout, de la beauté du monde. Et nous nous battrons pour cela.

Un grand roman, universel et humain.

«  Les humains sont de lents et lourds pachydermes, alors que les réplicants sont des tigres rapides et désespérés. »

Bruna est une réplicante (oui cela s’écrit ainsi), nous sommes en 2109, elle a été fabriquée par les humains à leur image et n’a droit qu’à une dizaine d’années de vie. Il ne lui reste que trois ans dix mois et quatorze jours. Chaque jour, en effet, elle retranche le temps qu’il lui reste à vivre ; «  rapide et désespérée ».

Nous retrouvons l’univers de Blade Runner emprunté à Philip K Dick que l’auteure espagnole avait déjà mis en place à sa manière dans son sublime roman « Des larmes sous la pluie ». Rosa Montero n’utilise pas seulement le monde crée par l’écrivain américain, elle nous plonge, tout comme il le faisait, dans la psyché des personnages, leurs émotions et leurs questionnements, et c’est ce qui rend ce roman attachant, terriblement touchant.

Sous couvert d’un polar – il y a eu des meurtres, Bruna, grande jeune femme de combat, torturée par son passé et sa condition, est embauchée pour enquêter. À travers ses déplacements et ses rencontres, Montero nous dévoile ses mondes imaginaires. Mais il ne s’agit pas d’un conte. Tous ces mondes – totalitaires, religieux, pseudo-démocratique – nous les (re)-connaissons, et c’est sans vouloir juger, seulement à travers les réactions de Bruna et de ses amis que nous ressentons le danger qu’ils représentent, le malaise qu’ils apportent pour qui est un tantinet humain, à l’image de Bruna la parano, car blessée au plus profond d’elle même.

C’est la richesse de cette auteure, à travers un seul livre, nous allons de réflexions en réflexions, de révélations en révélations, sur le monde, sur nous-même, elle arrive à faire ressentir les émotions dans les échanges entre ses personnages, car qu’y a t-il de plus important que l’amour, que l’autre, l’humain, au delà de l’amitié. Notre détective doit s’occuper d’une petite fille russe qui a été irradiée, et même violée, et oui, il ne s’agit pas d’un conte, son vieux mentor et ami l’aide en apportant ses connaissance sur l’art et l’histoire, car ce sont des sujets qui reviennent à nouveau. Cette fois il s’agit de peinture, son ex-amant veut l’aider, quitte à se faire détester par cette fille indépendante et méfiante, méfiante de tout, de l’amitié des autres, de leur besoin d’elle, sa petite vie ne l’a pas épargnée. Elle va rencontrer son double, la même réplicante qu’elle, en plus jeune, là aussi, une belle histoire humaine, de rapports et de conseils, entre grande et petite sœur, la bravache et la sérieuse, l’optimiste et celle, déjà minée par sa courte vie.

Car c’est à nouveau, un des sujets principaux, cette vie, si courte au fond, que nous menons en ne pensant qu’à nous, alors que le monde tout autour s’efforce de la raccourcir un peu plus chaque jour, à travers les guerres, les maladies (pollution) et les radiations. Rosa Montero, parle du monde, de son avenir, de ce que nous faisons pour essayer, soi-disant, de le préserver, et à nouveau nous reconnaissons des actes politiques, des gâchis, des atermoiements, et renoncements, entre une idée de départ salutaire et humaine, jusqu’à son résultat corrompu et dévié par nos dirigeants. Tant qu’à parler du futur, l’auteur ne se gène pas pour afficher les dégâts, plus que prévisibles, du réchauffement climatique, de la pollution, et bien sûr du cynisme et de la cupidité qui mènent nos économies, ceux-là-même qui gèrent le travail que nous fournissons chaque jour. Air irrespirable, eau potable au prix exorbitant, crise de logements, ségrégations sociales par territoires séparés par des murs. Rosa Montero nous réveille, elle insiste sur un thème qu’elle a soigneusement étudié, car contemporain et malheureusement en constante progression, le problème des centaines de milliers de tonnes de déchets nucléaires que nous produisons. Nous empoisonnons chaque jour un peu plus notre propre terre.

Plusieurs fois la question est posée, même par les adeptes du totalitarisme ; finalement, la démocratie, le foutoir, les arrangements, les compromissions, la diplomatie, n’est-ce pas la pire chose pour notre monde ?

Bruna, accompagnée de sa « jeune » sœur, de sa « fille » adoptée, à qui elle raconte un de ces contes horrifiques et beaux dont les Espagnols ont le secret, accompagnée de ses amis, savent, après avoir traversé des mondes noircis par la guerre, grimpés dans une tour/ville de 300 étages ( sans ascenseur), visité une sorte de Califat moyenâgeux où les femmes sont considérées comme des biens et esclaves, et découvert quelques terribles secrets du monde libre, oui, ils savent, que seules l’écoute, la volonté, le partage et l’acceptation des différences des autres ( « parce que les monstres sont beaux »), eux seuls, peuvent maintenir une société heureuse, en vie, en courte vie.

Quand à nous, pauvres petites entités organiques, la réponse se trouve dans le questionnement de Bruna sur le suicide. Quelque chose l’en avait empêché « Ou peut-être était-il impossible de mourir sous un ciel aussi beau que celui de cette nuit-là ? »

La beauté, toute simple, du monde et de l’autre, et de la communion des deux ; de l’art.

JOB.

DES LARMES SOUS LA PLUIE de Rosa Montero (Métailié/Suite)

Un Blade Runner au féminin, fascinant, et d’une écriture envoûtante.

« Bruna se réveilla en sursaut et se rappela qu’elle allait mourir.

Mais pas maintenant. »

« Quatre ans trois mois et quatre jours… »

Encore une fois les éditions Métailié nous ouvrent la porte de la littérature mondiale pour nous offrir une superbe traduction d’un roman de l’auteure Espagnole Rosa Montero, entre la science fiction-fiction, le polar, le roman sociétal et surtout existentiel. Il y a tant de choses dans ce livre, une telle richesse de thème, amenée par une écriture douce et rafraîchissante que c’est un véritable bonheur de se plonger dedans afin de poursuivre les aventures et émotions de son personnage principal ; Bruna (prononcez Brouna, elle est Madrilène).

Et encore je ne parle pas des réminiscences, petites pointes de plaisir titillant, que tout fan du film Blade Runner (dont c’est inspiré l’auteure), et même des écrits de Philip K Dick, éprouvera en attaquant les premières pages. Les réminiscences et la mémoire étant d’ailleurs un des sujets principal de ce livre.

Nous sommes en 2109, les humains maîtrisent la technologie, ils ont conquis les planètes et découvert de nouveaux minéraux permettant accroître cette technologie. Afin de pouvoir voyager dans l’espace et d’exploiter ces mines ils créent des humanoïdes, des « répliquants », des copies physiques conformes à l’homme et à la femme pouvant s’exprimer et même penser. « Ces humanoïdes obtiennent un succès immédiat, tant dans les colonies que sur la Terre où les versions se multiplient, androïdes de combat, de calcul, d’exploitation et même de plaisir (cette dernière spécialité sera interdite par la suite). »

Les « répliquants » sortent des usines comme des grandes poupées nues déjà grandes ; âgées de 25 ans. Par contre, leur durée de fonctionnement est matériellement limitée à 10 années, les scientifiques n’ayant pas encore trouvé le moyen de faire mieux.

Afin que ces humanoïdes se socialisent le mieux possible, il leur a été implanté une « Mémoire », un passé, fabriqué par des écrivains, contenant des scènes d’enfance, des parents ( ayant disparu durant l’adolescence ou l’enfance), des souvenirs faisant vivre des sentiments, des douleurs et des joies, il est aussi raconté que vers l’âge de quatorze ans, les parents annoncent à leur enfants qu’ils sont en réalité des humanoïdes destinés à servir, et à mourir jeunes. Tout cela le « Rep » n’en prend conscience qu’au début de sa vie, à 25 ans (je sais, ça a l’air compliqué, mais c’est très bien expliqué dès le début du livre).

Bon, ça, c’est pour les personnages, quand à leur place dans la société ; suite à des guerres et des révoltes, et à la prise de conscience de ces humanoïdes, de plus en plus nombreux et de plus en plus indispensables ( en tant qu’ « esclaves »), des droits leur ont été donnés. Ainsi, ils travailleront gratuitement pendant les deux premières années de leur vie pour les entreprises d’état (en tant que soldat, ouvrier, ingénieur) et disposeront ensuite de leur huit années suivantes pour s’intégrer dans la société et vivre une vie normale, avec relation d’amour (mais pas d’enfant), travail rémunéré, vacances, visites au musée, prises de position politique, etc…

Ouf, voilà, je vous ai expliqué en gros le tableau, c’est là qu’arrive notre personnage, bon, je ne vais pas vous raconter l’histoire, juste essayer de partager le plaisir que j’ai pris en lisant ce livre.

Ce personnage, c’est Bruna, une détective privée, ancienne androïde de combat, à qui il reste à vivre « Quatre ans, trois mois et quinze jours », (leitmotiv qu’elle se répète tous les matins à son réveil en enlevant une journée), elle a donc 31 ans, et a déjà vécu une relation amoureuse avec un autre répliquant, qui malheureusement était proche de ses 35 ans et qui est mort, parti, débranché, désactivé ? Elle se sent différente, elle sait que sa mémoire, ses parents, ont été inventés, de nombreux répliquants l’acceptent, mais pas elle.

De fait, c’est aussi une jeune femme moderne, qui galère pour trouver des contrats, de l’argent, qui vit dans un petit deux-pièces de Madrid (ville que l’auteur nous restitue à la fois moderne et ancienne, car, en une centaine d’années, les pierres ne changent pas), nous nous immergeons avec elle dans cette capitale, d’ailleurs, que cela soit dans les quartiers chauds et glauques la nuit où elle part à la recherche de sexe, de drogue ou de violence, ou dans les musées qui la captivent.

Une fille qui picole un peu (beaucoup), prend parfois de la drogue, cherche des partenaires sexuels et surtout, qui a un cruel besoin (ou manque) d’amour, et je ne parle pas de son drame de couple vécu quelques années plus tôt. Tout cela rajouté à son problème existentiel, qui suis-je réellement ? Une machine, un être humain ? Les hommes m’ont fabriqué, pour eux, mais aussi pour vivre, mais pas comme eux ! Vivre juste un morceau de vie ; dix ans à peine. Quelle horreur, se dire que l’on va mourir à 35 ans, essayez d’imaginer ! Tout cela, la plombe, la mine, la bousille parfois. Nous la suivons dans ses réflexions, somme toute simples et normales, et sa détresse, mais aussi son amour de la vie, sa soif de sport, d’art, de rencontres, de rires (son cynisme est terrible et ravageur) en même temps qu’elle se lance dans une enquête sur des meurtres impliquant des forces politiques ainsi que ses semblables, les « réps », organisés, et avec d’autres manières de voir.

C’est là qu’intervient le miroir du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, un monde où les gens différents de la majorité ont toujours souffert. D’ailleurs, Bruna elle-même se trouve confrontée à ce problème, car la terre est peuplée de quelques « réfugiés » à cause de guerre (ben tiens ?), des extra-terrestres aux physiques étranges, réfugiés qui font peur, et qui intriguent, nous croisons l’un d’entre eux, qui devient un ami de Bruna, et vivons ces problèmes et soucis d’adaptation, à lui aussi.

L’auteure nous offre un magnifique passage sur la passion de la musique, on est en pleine littérature, là, sur la beauté, sur l’architecture, sur ce qu’un humain peut ressentir, sur la solitude, l’amitié, l’amour, et pourtant, la société, l’argent, continuent de broyer et de secouer le monde, l’air est devenu payant, l’eau aussi, les pauvres vivent dans des zones infectées. Certains réps sont mieux lotis que d’autres humains.

Il y a cette symbolique de la mort proche, sa violence, cette pauvre ours Melba, la dernière de sa race que les caméras ont filmée jusqu’à sa dernière goulée d’air, avant qu’elle ne sombre, nageant à la recherche d’un bout de banquise (oui, il y a aussi les phénomènes Météo qui ont empiré avec le réchauffement). Melba que l’on a reconstruit en répliquant et qui patauge dans un parc en centre ville pour les enfants. Il y aurait tant et tant à dire…

Puis Bruna rencontre l’écrivain qui l’a « crée », fascinant je vous dis, lui-même n’est pas exempt d’angoisses et de questionnements, de mystères, il l’aime. Elle va aussi s’amouracher, ou s’énerver, d’un flic lourdaud, un gros, (et oui, encore la différence), un humain, c’est peut-être toutes ces petites trouvailles qui font la tendresse, qui font l’attachement, la fascination que l’on a à lire ce livre.

À oui, une dernière chose, l’écriture ! L’écriture fluide, belle, rapide et vivace, comme une androïde de combat qui se bastonne contre des extrémistes (de belles scènes là aussi).

« Il était déprimé par cette heure du petit matin, sale, délavée, où la huit mourrait et le jour nouveau ne pointait pas encore. Cette heure si nue qu’il n’y avait pas moyen de déguiser l’absurdité du monde. »

Ou bien, à propos de la mort de l’amoureux de Bruna ;

« Achevant ainsi son existence fugace de papillon humain. »

Alors, hein ? Fascinant je vous dis !

Et ce n’est pas fini, car la suite des aventures de Bruna vient de sortir en grand format chez Métailié. (Oui, parce que, petits veinards, le livre dont je vous parle est en réédition poche – Suite – chez Métailié)

JOB.

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