Traduction: Lim Yeong-hee avec la collaboration de Catherine Biros
Méchamment impressionné par La nuit du hibou de Hye-Young Pyun, je n’ai pas résisté très longtemps à la tentation de retourner dans les mondes bizarres de l’auteure coréenne qui sera certainement, sans augurer de l’avenir, ma plus belle découverte de l’année. Profitant de sa sortie en poche ce mois-ci, voici donc le douloureux La loi des lignes daté de 2015 et sorti en France l’année dernière.
“Lorsque sa demi-sœur est retrouvée noyée dans une rivière, Ki-jeong part à la recherche de réponses. Pendant ce temps, Sae-oh, qui n’a pas quitté sa maison depuis des années de peur d’être rattrapée par son passé, découvre que son père a été tué dans une explosion de gaz. La police est impatiente de résoudre ces deux affaires de suicides vraisemblablement justifiés par des dettes insurmontables.”
Changement d’univers, la forêt, décor de La nuit du hibou, cède sa place à la ville, sûrement aussi oppressante pour les deux héroïnes de ce roman infiniment triste. Quand on envisage la Corée du Sud par rapport à sa sœur ennemie du Nord, on imagine parfois une démocratie à l’occidentale, bercée par le libéralisme. Elle l’est visiblement mais subit les affres du capitalisme à sa manière, encore plus durement que chez nous, semble-t-il. La société coréenne semble très marquée par une soumission du peuple à la nation et au pouvoir. Mais individuellement aussi, selon son âge, sa condition : un total assujettissement de l’enfant à ses parents, de l’élève à son professeur, de l’employé à son chef, des jeunes aux aînés. La rébellion ou juste son envie sont sévèrement sanctionnées, parfois physiquement et toujours en cherchant à humilier durablement.
L’histoire, sans être particulièrement explosive, est une nouvelle fois très prenante. La plume de Hye-Young Pyun étant en somme très commune, il y a forcément chez elle autre chose, un talent, qui fait qu’une fois lancé, il est difficile de s’en détacher. Bien sûr, il y a la quête des deux jeunes femmes mais c’est, je pense, surtout ce climat de frayeur inspiré par chaque nouvelle page, chaque nouvelle incursion vers la vérité qui interpelle et parfois saisit d’effroi.
On ne nage pas dans le bonheur dans ce roman, vous verrez. On y retrouve par contre, avec plaisir, le talent déjà repéré dans la description des tourments humains. L’auteure rappelle en cela une nouvelle fois James Sallis et sa sollicitude pour les humbles. Par ailleurs, les deux auteurs usent avec bonheur de la fantaisie de laisser des blancs dans l’histoire, provoquant des questions, notamment sur la réelle fin des deux victimes : suicide, accident ou meurtre ?
Roman sur la perte et sur le libéralisme, formidable machine à broyer les humains, La loi des lignes séduira tous les amateurs de romans noirs durement politiques.
Clete
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