Chroniques noires et partisanes

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LE FARDEAU DU PASSÉ de Michael Hjorth et Hans Rosenfeldt / Actes Noirs / Actes Sud

Skulden man bär

Traduction: Rémi Cassaigne

« Hjorth & Rosenfeldt frappent à nouveau avec ce dernier opus de leur série phénomène consacrée au profileur Sébastian Bergman. » (Actes Sud)

Michael Hjorth et Hans Rosenfeldt sont deux scénaristes et producteurs suédois qui connaissent quelques succès dans les « polars nordiques » !
Il s’agit en effet du 8ème tome de la série Dark secrets, qui, au début, (2011), devait être une trilogie…

Je les ai tous lus …mais Nyctalopes n’en a retenu aucun…d’où une certaine inquiétude de ma part, FORCÉMENT ! et l’impression de me faire l’avocate du diable…

Le diable étant … Sébastian Bergman lui-même !

Sébastien Bergman est un psychologue et profileur expérimenté et ancien policier. Dès que la police, et plus précisément, la police criminelle suédoise, s’embourbe, elle fait appel à lui.
Il est brillant et imbattable dans son domaine…
MAIS : antipathique, égocentrique, cavaleur, arrogant, cynique. Il se fait détester de tout le monde sauf…de certains lecteurs assidus qui sont les seuls à connaître ses failles.
Il est devenu au fil du temps un grand-père que la petite Amanda adore. (l’espoir d’amélioration est donc permis !)

Au cours des enquêtes on s’est attaché à Torkel, Vanja, Carlos, Billy…

Et Billy, parlons-en : le collègue, le policier exemplaire, l’ami… vient d’être arrêté : c’est un tueur en série : « Il a tué huit personnes. Parce qu’il le voulait. Parce qu’il y prenait du plaisir. »
Et cette découverte sidérante met l’avenir de la section de la police criminelle (avec, en plus, ses intrigues et ses luttes de pouvoir proches du pouvoir politique) dans une mauvaise posture pour affronter la nouvelle enquête : celle d’un meurtrier qui semble vouloir se venger de Sébastien Bergman, et lui lancer un défi .Mais se venger de quoi ?

«La femme dans le coffre de la voiture était la première. Combien en faudrait-il d’autres, cela dépendrait de son adversaire : était-il aussi malin qu’il le prétendait ?
Ce salaud arrogant. Sébastian Bergman.»

Contrairement à certains auteurs habitués aux longues séries, Hjorth et Rosenfeldt  n’entravent pas l’intrigue avec de nombreux ressassements. Les allusions aux histoires précédentes sont concises et s’inscrivent juste dans la compréhension ponctuelle des éléments de l’enquête.

Bien sûr, comme d’habitude, la vie personnelle de Bergman s’imbrique dans sa vie professionnelle :
Le lecteur est dans le secret depuis longtemps : Sébastien a perdu sa femme et sa petite fille de trois ans dans un Tsunami , en 2004, en Thaïlande.  Mais « que s’est-il réellement passé ce Noël-là, il y a presque vingt ans ? »

Vingt ans de deuil pendant lesquels Bergman s’est peut-être fabriqué de toutes pièces ce rôle de dinosaure autodestructeur et insupportable?…
Ce rôle qu’il a joué si longtemps lui permettra-t-il d’en endosser un nouveau si un évènement bouleversant surgit ? En est-il capable ?

L’écriture est nette, précise, sans fioritures, elle va direct à l’essentiel …

Dans Le fardeau du passé  il y a un savoir-faire indéniable qui maintient le suspens constant… Pas beaucoup de nuances, ni de sensibilité, ni peut-être de subtilité mais seulement du travail bien fait, bien agencé. Peut-être avons-nous là, le reflet d’un système implacable, technique et froid, celui de la police suédoise ou…d’ailleurs.

Soaz.


ZEM de Laurent Gaudé / Actes Sud.

ZEM de Laurent Gaudé / Actes Sud

Zem ? On le connaît !
Dans Chien 51, (Nyctalopes, octobre 2022), il était un « chien », ayant fui une Athènes en faillite, rachetée, comme grand nombre de pays, par le consortium GoldTex…Un policier désespéré errant dans une zone sordide de Magnapole…En le suivant dans cette «  zone du dehors »  nous nous étions même attendus, parfois, à croiser ces « furtifs » d’ Alain Damasio…


Alors, évidemment quand Zem sort en librairie ou quand on apprend qu’il va apparaître sur les écrans le 15 octobre prochain dans un film de Cédric Jimenez avec Gilles Lellouche, on éprouve à la fois du plaisir et de l’appréhension…Ce Zem là va-t-il être à la hauteur de notre attente ?

« La ville se prépare aux festivités de la cérémonie des Cinq Cents Jours. »
« Tout aurait dû se passer ainsi. Les docks qui travaillent. Les journalistes qui font tourner les caméras  pour pouvoir fournir aux informations des images du découpage des blocs jusqu’à plus soif… » Des blocs de glace qui arrivent du Groenland transformé en comptoir par GoldTex pour fournir « trois cent mille bouteilles d’une eau qui a connu les mammouths et l’ère glaciaire. Une eau d’avant la pollution humaine, pure comme l’éternité. »

« Mais soudain, un chariot porte-container surgit. Il déboule de la droite, dans le dos des journalistes, et roule vers le quai. Il va étrangement vite. » 

Il percute un bloc de glace, fait éclater un container qui laisse apparaître… « Cinq corps. Trois inconnus et deux « Rebuts.», se tenant les uns les autres et bourrés d’antidouleurs…

« Qui sont ces gens ? Et qu’est-ce qu’ils fuyaient ?»

 « Le surgissement du container au port est-il une mise en scène très bien réfléchie ? « 

C’est l’enquête que devront mener Zem, aujourd’hui garde du corps de Barsok chef de la Commission des Grands Travaux, et l’inspectrice Salia Malberg : « deux déracinés qui s’accrochent à leurs enquêtes pour ne pas se noyer. »

Par de discrètes allusions Laurent Gaudé nous rappelle habilement la trame essentielle du livre précédent.
L’intrigue policière est parfaite.
De courts paragraphes scandent sa progression.
« Inspirer, expirer » s’impose Salia à elle-même et le récit va suivre ce rythme haletant.

Mensonges, Cynisme, violence, barbarie, pillage des ressources, mépris, voire déni, du vivant chez ces nouveaux « maîtres du monde » (mais ne croisons-nous pas les mêmes chaque jour sur nos écrans ?).

Nous allons donc éprouver beaucoup de tendresse pour Zem et Salia, leur fragilité cachée qui les submerge parfois, leur amitié. Ils sont sans compromissions. Ils gardent aussi l’espoir qu’il y ait « d’autres mondes » et que la vie soit toujours « plus forte que tout. »

«Je ne sais pas ce que tu as mis en moi, Zem, il y a des années de cela, mais cela a peut-être à voir avec la rage ou la résistance.»(Salia)

Comme dans chien 51, l’auteur a choisi un genre littéraire auquel il ne nous avait pas habitués (au travers de ses pièces de théâtre, de ses romans, de ses nouvelles, de sa poésie …il écrit quand même depuis 1999 !) mais on y retrouve toujours le même souffle, le même élan, la même puissance, la même précision d’écriture.

Soaz.

PS : Il y a un autre « personnage » , une sorte de bidule qui m’a attendrie. A mon grand étonnement d’ailleurs, puisqu’il s’agit de Motus, le DataGulper de Salia, un programme d’assistance intelligente… « presque timide », qui hésite et affirme son désir de loyauté !

« Si les machines peuvent désobéir par loyauté, peut-être faut-il encore croire en l’avenir. » ?

LE GOÛT DES SECRETS de Jodi Picoult et Jennifer Finney Boyland / Actes sud.

Mad Honey

Traduction: Marie Chabin

« Je plonge dans une mer de monstres : des caméras cyclopes avec leurs yeux aveugles et noirs braqués sur moi, des micros dardés comme des baïonnettes dans ma direction.
Connaissiez-vous Lily Campanello ?
Pourquoi votre fils l’a-t-il tuée ?
Asher a-t-il un passé de garçon violent ? »

Asher est le fils d’Olivia, il a dix-huit ans, plein d’attentions délicates pour sa mère. « Il a un tempérament tellement doux » murmure son amoureuse Lily.

Dans Le Goût des secrets, deux voix alternent, mélangeant le présent et le passé, comme à contre-courant : celles d’Olivia et de Lily. Elles se côtoient (dans le New Hampshire), l’une ayant échappé à un mari violent, l’autre à un père dont on sait seulement qu’elle le hait.


Au début, on a parfois l’impression d’être immergé dans un traité d’apiculture…Il n’y aura plus aucun secret… pour la vie des abeilles ! Olivia nous raconte, par petites touches, l’organisation de la ruche, la récupération d’un essaim, la récolte du miel, ou comment allumer un enfumoir…

« Quand on travaille avec des abeilles, on commence par les enfumer. » nous explique-t-elle, et, peu patiente, j’ai eu un peu peur que cet enfumage agisse aussi sur le lecteur…Mais non, ce sont au contraire, Mille petits riens (un autre ouvrage de Jodi Picoult (2018) qui nous captivent et nous entraînent vers le drame : La mort de Lily.

Asher crie son innocence « Je me rappelle juste avoir vu la mère de Lily devant moi, et elle me demandait ce qui s’était passé. Elle a appelé les secours et ensuite elle s’est agenouillée près de Lily et là, je… je me suis écarté. Et ensuite, la police est arrivée. »

Emprisonnement, procès, et de multiples rebondissements…

Une étincelle de violence surprise dans les yeux d’Asher, un pli mauvais au coin de sa bouche…le souvenir d’un mur de plâtre enfoncé dans la chambre de l’ado et le poison du doute s’insinue dans le cœur d’Olivia. Et si…comme son père … ??

Le titre anglais Mad honey fait peut-être mieux ressentir l’atmosphère du roman :
«L’arme secrète du miel fou, bien sûr, c’est que l’on s’attend à quelque chose de doux sans penser un instant qu’il peut être mortel.»

L’écriture ressemble aux gestes de l’apicultrice (et aux mouvements des abeilles?)…Simple, efficace, mesurée, fluide. Toute en douceur et subtilité pour aborder des thèmes difficiles comme ceux de la violence faite aux femmes, le rapport au mensonge, (Est-ce que le fait de ne pas tout dire revient à mentir? Quelle est la différence entre ce qui relève du secret et ce qui relève de
l’intime ?), la construction de l’identité…

Les autrices ? Jodi Picoult et Jennifer Finney Boylan. Les éditeurs n’en révèlent quasiment rien et nous laissent attendre les notes des autrices elles-mêmes pour que le secret se dévoile.

Alors, on dira simplement que les deux autrices, engagées pour la défense des Droits humains abattent (avec délicatesse), tout au long de ce livre, des « pyramides de préjugés ».

Soaz

Du même auteur chez Nyctalopes: La tristesse des éléphants.

NOIR COMME LA NEIGE de Lilja Sigurdardottir – Les enquêtes d’Aurora, T3 / Métailié Noir.

Traduction: Jean-Christophe Salaün

« L’obscurité était totale dans la chambre lorsque Elín se réveilla. Derrière l’épais rideau, elle discernait par la fenêtre entrouverte un faible sifflement monotone – le vent jouait toujours la même mélodie hésitante. »

C’est la première phrase du livre mais ce n’est pas elle qui va accrocher le lecteur ! Elin a 47 ans, elle est amoureuse de Sergeï, …Il a 27 ans, musclé à souhait, grosse chaîne en or et voix câline pour parler à longueur de journée à…sa mère…Et on se doute, dès le début, que celui-là terminera vraisemblablement dans le peloton de tête des inévitables méchants (russes comme d’hab !)…et qu’Elin va vite dégringoler de son « nuage cotonneux »

C’est l’autre affaire, traitée en alternance avec les déboires d’Elin, qui peut nous attirer :

« Un coureur avait découvert le conteneur. Il venait faire son jogging dans le coin tous les matins avant 8 heures avec son chien et avait appelé le service environnemental de la ville pour demander ce qu’un conteneur de six mètres de long faisait là, au cœur d’une zone naturelle protégée. Un employé municipal était venu évaluer la situation et, ouvrant le conteneur, avait immédiatement vomi sur sa combinaison orange. Les premiers policiers dépêchés sur place avaient eu du mal à décrire ce qu’ils voyaient. Le conteneur abritait un tas de cadavres, avaient-ils dit. Un tas. »

Daniel Hansson inspecteur de la brigade criminelle, arrivé sur les lieux: « Il y en avait une en vie, souffla-t-il. Elle était encore vivante au milieu de ce tas de cadavres. Ils ont dû la maintenir au chaud. »

« Une en vie »…donc elle va sans doute parler, donc elle va sans doute être recherchée par les mafieux…on sent un peu tout à l’avance non ?

C’est lui et sa collègue Héléna, qui vont faire le gros de l’enquête. La part d’Aurora, détective privée, inspectrice financière…(Il est bien précisé, dans le titre Les enquêtes d’Aurora, T3)…me semble un peu réduite…Elle va davantage s’employer à séduire Daniel, qu’à s’impliquer totalement dans l’enquête . Il n’est même plus trop question de la recherche de sa sœur qui semblait pourtant être un fil rouge dans les tomes précédents…

L’écriture est banale, voire souvent délayée, avec de fréquentes redites et il est affligeant par exemple d’assister plusieurs fois à la toilette complète d’Aurora et à ses exercices de planche dynamique ( ?!)…alors que la traite d’êtres humains semblait être le cœur du livre…
On retrouve souvent l’expression « teinte bleuâtre »…de la nuit, des écrans, des néons, des cadavres…Alors…un roman bleuâtre ?

Ce sont les toutes dernières pages du roman, quand un rythme se met en place, qui peuvent lui valoir sa place ici, Le premier tome, Froid comme l’enfer, avait eu sa chronique dans Nyctalopes, et Lilja Sigurdardottir y était reconnue comme une « Islandaise convenable »…

Donc, d’autres synonymes ? Acceptable, présentable…

FILS PRODIGUES de Colin Barrett / Rivages.

Wild Houses

Traduction: Charles Bonnot

Georgie.
C’est le chien.

«C’est quoi comme race ?
– C’est le chien de la mère, répondit Dev. »

Dev. Un géant.
« Guette ses paluches, renchérit Sketch. On dirait des godets de pelleteuse. » 
Un costaud que tout le monde supposait débile parce qu’il ne se défendait jamais, n’était pas bavard et qu’il vivait « au milieu de nulle part » dans la maison de sa mère qu’il avait trouvée morte dans le potager.
Seul avec sa douleurs dans sa tête, « insaisissable et granuleuse. », sa migraine nébuleuse et flottante, crissant contre les recoins de ses pensées. »


« Dev se considérait comme un rien. Il était calme et discret, mais pas à un point qui sortait de l’ordinaire. »

Mais l’histoire ?

D’abord, il y a quelque chose d’étrange dans ce livre :
Pour moi, tout se passe comme si Colin Barrett avait écrit, dans la même veine que les sept superbes nouvelles qui constituent son livre Jeunes loups paru en 2016, un très beau texte sur le personnage magistral de Dev (et son chien ). Et un autre sur la lucide, généreuse et bosseuse Nicky. Et j’aurais beaucoup aimé ces deux nouvelles.

L’écriture est précise, ciselée, dense, sensible et j’aurais partagé l’enthousiasme des critiques.

Et puis on dirait que l’auteur a imaginé que ces deux personnages feraient tout aussi bien les sujets d’un beau roman…Il a alors bricolé à la va-vite une intrigue un peu faiblarde sur fond de peinture sociale…désenchantement, picole, drogue…

Et à partir de là ?

« On est dans la merde, Georgie », lance Dev dans la nuit.

Dans le comté de Mayo, en Irlande, Les Ferdia, deux dangereux escrocs kidnappent le jeune frère d’un trafiquant de drogue minable qui leur doit une grosse poignée de billets. Comme ils se sont insinués petit à petit dans la vie et la maison de Dev ils y planquent le gamin et donnent leurs ordres…

L’écriture se délaie, se délite. Le livre se vide de sa substance, s’effiloche…

Et on est déçu de voir l’émotion soulevée par Dev (et le chien !), la mélancolie, l’humanité, se dissoudre dans la banalité d’une écriture qui cède à la facilité…

Soaz.

UN JEU SANS FIN de Richard Powers / Actes Sud.

Playground

Traduction: Serge Chauvin

“Tu sais pourquoi j’aime les jeux ? Pour la même raison que j’aime la littérature. Dans un jeu… un bon poème, une bonne fiction… C’est la mort qui engendre la beauté.”
Il s’interrompit et pivota pour me regarder en face. “Tu vois ce que je veux dire ?
— Pas du tout.”

Dans ce livre, « chaque organisme, terrestre ou aquatique », joue, même les grandes raies manta de récif …
Et peut-être que l’auteur lui-même joue avec le lecteur…C’est comme s’il l’installait devant le tablier quadrillé d’un jeu de go. Il va distribuer les pierres. Les noires. Les blanches. Construire des territoires  (La banlieue chic de Chicago, ses quartiers défavorisés : le South Side, le prestigieux lycée Ignatus, l’université d’Urbana, la bibliothèque municipale de Taylor Street, la minuscule île de Makatea) .Placer minutieusement ses pions. En décidant des intersections dans le temps (de 1947 à 2027), et dans l’espace…

Todd Keane est devenu ingénieur, spécialiste de l’intelligence artificielle et milliardaire. Sa mémoire s’efface peu à peu mais c’est lui qui va replonger dans les souvenirs : Son enfance, sa fascination pour la première femme océanographe Evelyne Beaulieu, ses parents riches mais « ineptes », son père acharné du jeu de dames, son amitié avec Rafi Young.
Cette amitié qui va naître autour d’un échiquier avant d’être supplantée par une passion dévorante pour le jeu de go, leur point commun étant « d’être les fils de pères déconnants et de mères erratiques incapables de maîtriser leur couple. »

Rafi Young, jeune noir, que sa mère affuble d’un blouson et d’une casquette orange vif qui peupleront à jamais ses cauchemars et qui, à « treize ans décida de vivre à jamais dans la vérité », passionné de philosophie, de poésie.

Ina Aroita vit depuis 4 ans dans l’île de Makatea, (82 habitants) où Rafi Young « a fini par la rattraper ». Elle fabrique « des choses » avec ce qu’elle ramasse sur l’estran, y compris les déchets plastiques rejetés par l’océan.

Evelyne Beaulieu, Evie, qui plonge toujours à 92 ans.(Son père s’étant pourtant servie d’elle comme cobaye, la jetant à l’eau à 12 ans attachée à un prototype…) Qui plonge dans les eaux de… Makatea… et se perd dans la contemplation et l’écoute de la cacophonie des fonds sous-marins.

Makatea…on sent déjà que c’est là que tout va se… jouer !…

Alors, on patiente encore un peu…

Les longues énumérations de Cnidaires et autres bestioles pélagiques nous séduisent et nous fatiguent pourtant.
Les fantasmes de Todd « enivré par la croissance exponentielle de la puissance de programmation du monde», même s’ ils nous défripent un peu les neurones au passage, nous ennuient quelques temps …

Et puis, tous les personnages sont si brillants, si intelligents, qu’on se trouve fatalement un peu idiot !

Mais…

«Je ne veux pas gâcher la fête, mais quelque chose est en train de se passer et il faut que tout le monde en soit informé. Un groupe d’entrepreneurs américains, des spécialistes du… capital-risque, sont en train d’explorer la possibilité de construire des communautés flottantes à partir d’éléments modulables. Ces communautés s’assembleraient d’elles-mêmes dans les eaux internationales. » va annoncer le maire de Makatea. Un référendum va donc être organisé : « On va cocher votre nom sur le registre et vous donner à chacun deux pierres : une noire et une blanche.»…

Ni noir, ni polar, avait déjà prévenu Nyctalopes à propos de Sidérations paru en 2021. C’est encore le cas pour ce nouveau roman de Richard Powers Un jeu sans fin. Sciences, technologie, poésie …il y a beaucoup d’érudition, mais l’écriture reste limpide malgré une architecture complexe. C’est un roman brillant.

L’extinction des espèces se profile évidemment, ainsi que la menace des intelligences artificielles au service du cynisme humain …mais Richard Powers nous fait miroiter que la partie n’est peut-être pas encore tout à fait jouée ?

Soaz.

LA VIE EST UNE CHOSE ÉTRANGE de Donal Ryan / Albin Michel.

Strange Flowers

Traduction: Sabine Porte

« Quand sa fille disparut, la lumière s’éteignit dans les yeux de Paddy Gladney ; la joie déserta son cœur. Jusque-là, il coulait des jours paisibles. »

Paddy et Kit vivent dans le canton de Tipperary, près de Nenagh, (lieu de naissance de l’auteur). Leur fille Moll, disparaît un matin, sa vieille valise en cuir à la main, à bord du bus de Frankie Welsh.

Nous sommes en Irlande, dans les années 1970, une période de violences et d’agitation politique et si on ne connaît pas Donal Ryan ( !) on imagine assez vite qu’après le bus il y aura un train vers Dublin…des groupes armés…

Mais.
Non.
La vie simple et ordinaire va se poursuivre.

Chaque jour Paddy n’a « pas d’autre choix que de continuer » à accomplir sa besogne : la distribution du courrier le matin et le travail à la ferme des Jackman l’après-midi et l’ensilage et le foin, et le travail de la « tourbe molle » et à admirer à chaque instant tout ce vert autour : les arbres , les haies, les prairies, les collines…

« Même la pluie avait des reflets verts »

Et Kit à prier.

« On promit des prières et on dit une messe, ou du moins le père Coyne fit une vague allusion embarrassée à sa disparition au détour d’un sermon invoquant saint Antoine et saint Jude, patrons des objets perdus et des causes désespérées… »

Ce n’est pas trahir l’intrigue que d’annoncer, qu’au bout de cinq ans , un matin de printemps, Moll réapparaît…

A l’instant précis où il voit sa fille, Paddy perçoit simultanément la haie verdoyante, les ronces et les bourgeons, les poules en colère…Plus tard, lors d’une confrontation avec sa patronne, ou l’apparition sinistre du curé et du sergent il verra la rose blanche d’églantier « qui jaillit en silence de la haie épineuse », l’oiseau nocturne qui se pose sur l’appentis…

Dans ce monde-là, on reste, quoiqu’il advienne, en prise avec la terre.

Un peu trop pour certains qui se recroquevillent sur leurs croyances et excluent ceux qui diffèrent d’eux-mêmes. Le racisme émane aussi des tourbières.

J’avoue m’être moins attachée aux personnages de la deuxième partie du livre, peut-être parce que justement, ils ne vivent plus à Nenagh mais à Londres…

L’écriture de Donal Ryan est poétique, pudique, sensible. Ses personnages, auxquels on s’attache, sont tendres, modestes et humbles dans leur façon de comprendre leurs failles et de les exprimer.

« Bougre » conclurait Paddy.

J’ai apprécié aussi les petites touches d’humour discrètes.

Nyctalopes a reconnu le talent de Donal Ryan dès 2019 avec Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe

Puis en 2021 dans Par une mer basse et tranquille et en 2023 Soleil oblique et autres histoires irlandaises

Soaz

DREAM GIRL de Laura Lippman / Actes Noirs-Actes Sud

Dream Girl

Traduction: Thierry Arson

« Gerry rêve. Dans son lit médicalisé de location, surplombant la ville plus haut qu’il ne l’aurait jamais cru possible dans ce Baltimore à l’architecture écrasée et sans grâce, Gerry passe plus de temps endormi qu’éveillé. Il flotte, il s’éveille, il dérive, il rêve. »

Gerald Andersen – Gerry – Ecrivain, auteur du roman Dream Girl qui l’a rendu célèbre.

On ne va pas l’aimer ce sexagénaire. Il est autoritaire, cynique, égocentrique. Il rame dans son appartement à 1,75 millions de dollars pour se maintenir un beau torse, mange des carottes râpées, se préoccupe de sa densité osseuse…
Il a été un mari médiocre, 3 femmes dont il a divorcé, et un coureur de jupons effréné : 37 partenaires sexuelles (il en donne le compte exact) « des assistantes qui travaillaient pour lui »…

Et… il apprécie peu les auteurs de romans noirs…

Il se retrouve là, cloué, au vingt-cinquième étage d’un immeuble luxueux dans une Baltimore « il est assez malvenu de parler des événements de 2015 » et d’évoquer la mort de Freddy Gray (un Afro-Américain  de 25 ans, tabassé à mort par six agents de la police de Baltimore ) à la suite d’une chute violente dans son « escalier flottant »…

Une infirmière Eileen et une assistante, Victoria, se relaient pour le soigner, le nourrir, obéir à ses ordres… et filtrer et gérer  un quotidien de plus en plus inquiétant…

«Il n’y a pas de démarcation claire entre ses songes et son imagination, son demi-sommeil et son état de veille embrumé. Les engrenages de son cerveau sont grippés »

Et quand « une lettre adresse écrite en cursive à l’ancienne » qu’il est sûr d’avoir aperçue, reste introuvable, lorsqu’il reçoit des appels de Aubrey, l’héroïne de fiction de son dernier roman, qui ne laissent aucune trace sur l’écran du récepteur, quand les tweets disparaissent …c’est le chaos :

« Était-ce un rêve ? Une hallucination ? L’effet de ses médicaments ? Une combinaison des trois ? »

C’est une errance kaléidoscopique d’une bonne cinquantaine d’années. De petites bulles colorées réfléchissant sa mère (morte récemment), son père qui a décampé et refondé une deuxième famille, des amis disparus, des souvenirs d’enfance, des femmes ambigües et machiavéliques…

Le rythme imposé par Laura Lippman est assez lent…  Les évocations incessantes d’auteurs (une quarantaine !) ou de films (une trentaine !) censées ajouter de la profondeur à un personnage qui, pendant toute sa vie a oscillé entre réalité et fiction, plombent, par leur surdosage, la montée en puissance de ce huis clos macabre…
Mais Il y a une présence littéraire, saluée déjà pour La Voix du lac . L’intrigue est bien travaillée et le suspens assuré…

Soaz

TOUTES LES NUANCES DE LA NUIT de Chris Whitaker / Sonatine.

All the Colors of the Dark

Traduction: Cindy Colin-Kapen

Monta Clare. Missouri. 1975.
«Du toit plat de la cuisine, Patch porta son regard par-delà l’épaisse forêt de pins blancs et de chênes des marais pour contempler les montagnes Saint-François, qui, en toute saison, enveloppaient de leur ombre la petite ville de Monta Clare. À treize ans, il croyait dur comme fer qu’il y avait de l’or derrière les Ozarks. Que là-bas, un monde meilleur l’attendait.»

Patch Macauley est né borgne et a choisi ce jour-là le cache œil violet avec l’étoile argentée. Dans les bois, il surprend un homme qui agresse Misty Meyer, une ado de son école. En brave petit pirate, il tente d’attaquer l’homme.
Et disparaît, laissant un tee-shirt ensanglanté…

Mais il ne faut pas s’attendre à partager tout le dispositif policier de rigueur : les battues, les chiens, les alibis… L’inspecteur Nix fait son travail sérieusement, et discrètement,.. Il est bienveillant vis-à-vis de Saint, l’amie de Patch, 13 ans elle aussi, « si petite et si intelligente » qui va elle-même mener ses recherches de son côté y compris autour d’autres disparitions de jeunes filles dans la région … Saint est tenace, perspicace. Et elle n’admet pas qu’on ait fait passer Patch « pour quelqu’un …d’ordinaire » alors, elle nous le raconte, le miel, les jeux, les confidences, leur amitié…et on prend le temps de l’écouter…

« À l’âge de dix ans, il comprit que les êtres humains naissaient entiers, et que les blessures qu’ils subissaient effaçaient les différentes strates qui faisaient d’eux ce qu’ils étaient, détruisant peu à peu leur compassion, leur empathie, et leur capacité à se bâtir un avenir. À treize ans, il découvrit que ces strates pouvaient se reconstruire lorsque vous étiez aimé, et lorsque vous aimiez.»
Prendre le temps… c’est en effet ce que va demander la lecture de ce livre, (il compte quand même 832 pages !)… Parfois, on craindra un peu de tomber dans la romance, on se demandera si on est toujours dans un roman policier mais les années passent (de 1975 à 2001) et les rebondissements sont nombreux et toujours imprévisibles …

Les personnages sont attachants et nous émeuvent de par leur volonté de ne pas abdiquer, de ne pas se soumettre: leur quête est toujours si obsédante, si douloureuse, si solitaire…

C’est le deuxième roman de cet auteur britannique. Le premier était Duchess publié en français en 2022 et apprécié ici, sur Nyctalopes. Il y était aussi question d’enfant dont le devenir adulte est chaotique, cruel, voire incertain.
L’écriture de Chris Whitaker est subtile, poétique. On évolue librement parmi les tornades, les formations rocheuses émergentes, les silos argentés, les asclépiades et le Missouri « qui serpente entre les flancs de Loess Hills »… Il peint une Amérique toute en nuances…comme les tableaux qu’expose Sammy dans sa galerie :

« J’ai acheté un tableau. J’étais un peu plus jeune que toi, à l’époque. Rothko. J’ai vu l’état de son esprit là où d’autres ne voyaient que de la couleur. – Tu as acheté un Rothko ? – J’étais pauvre. Un gamin pauvre comme toi.»

Soaz.

LES LENDEMAINS QUI CHANTENT d’Arnaldur Indridason / Métailié Noir.

 Sæluríkið

Traduction: Eric Boury

« Le moteur de la Lada s’étouffa et cala une fois de plus, ils la poussèrent jusqu’au bout de la jetée où était amarré le chalutier russe.»

C’est le début du sixième tome de la série « Konrad » d’ Arnaldur Indridason…Mais avant de se prononcer sur cette nouvelle enquête, il faudrait faire un peu de ménage. Il faudrait se débarrasser d’un nombre important de pages qui, pour moi, affaiblissent la progression de l’intrigue, diluent les nouvelles investigations, cassent les ressorts et irritent le lecteur fidèle et non amnésique qui aurait juste besoin de petites allusions ou de simples références aux livres concernés pour se remettre dans le bain…

Il faudrait donc rejeter tout ce qui concerne la mort d’Erna, (la femme de Konrad), les infidélités de Konrad et ses regrets…Les souvenirs de camping avec les amis Léo et Dora. La tentative d’assassinat (un anesthésiste sorti de prison lui administre un produit et l’envoie en soins intensifs)… Les relations avec son fils Hugo qui s’améliorent après l’agression subie par Konrad …La sœur Beta qui a été rouée de coups et hospitalisée entre la vie et la mort… Eyglo et ses visions…L’histoire du meurtre de Seppi, le père de Konrad, devant les abattoirs…

Il faudrait aussi passer outre un certain nombre de répétitions agaçantes : J’ai lu 7 ou 8 fois quasiment le même paragraphe, expliquant le trafic de vieilles Lada volées embarquées sur des chalutiers soviétiques…

Le livre (l’opuscule ?) qui survivrait à tous ces rejets nous offre un enchevêtrement d’intrigues provenant d’affaires résolues auxquelles Konrad, toujours à la retraite, se consacre avec l’espoir de rendre justice aux victimes. Les réseaux d’espionnage russes organisent des disparitions inquiétantes dans les années 60. Léo, l’ami policier de Konrad a fait sciemment accuser un innocent. Le mystère de la mort du père de Konrad … Là, on retrouve « notre » Arnaldur Indridason, mais si on pouvait lui susurrer quelque chose dans l’oreille on lui dirait : « Laisse tomber Konrad, il tourne en boucle, il a bien mérité sa retraite !»

Indridason chez Nyctalopes: LE LAGON NOIR, DANS L’ OMBRE, PASSAGE DES OMBRES, LES ROSES DE LA NUIT, LA PIERRE DU REMORDS, LE MUR DES SILENCES, LES PARIAS,

Soaz.

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