La nuit est tombée sur Paris et une meute mixte arpente les trottoirs. Sur ces images s’ouvre le générique de la série télévisée Vernon Subutex, inspirée de la trilogie de Virginie Despentes et produite par Canal +. La jeunesse tangue et s’apostrophe, mais le joyeux chahut n’arrive pas à couvrir les premières notes d’une bande-son magistrale. Impossible de lutter : les guitares sont bien plus denses que la pluie flirtant avec un bitume sur lequel rebondissent les lumières de la ville. As Happy As Possible, mitraillent Les Thugs. La voix off de Romain Duris déclame que, durant les trente glorieuses binaires d’un siècle en bout de piste, on entrait dans le rock comme dans une cathédrale. Et le premier épisode peut commencer.

Les Thugs ? Dans le livre éponyme, en VO donc, lorsque Vernon Subutex se retrouve à la rue, l’une des dernières reliques qu’il conserve est un disque (un test-pressing pour les initiés) de ce même groupe. Alors quoi ? C’est qui, c’est quoi, Les Thugs ? Un groupe de rock, certes, un contre-pied surtout. Rien à voir avec une histoire de stars : une question d’implication et de volonté plutôt.

J’ai toujours aimé ces mecs, même si notre premier contact fut assez rugueux, conforme en fait à nos conceptions respectives d’un rock’n’roll digne. Normal, j’étais à l’époque le pourvoyeur d’une presse musicale nationale, quasi étatique, et eux les pourfendeurs de rêves alternatifs. Match nul, chacun montre un peu les dents, dialogue de sourds, puis dialogue tout court, balle au centre, et nous ne nous sommes plus jamais quittés.

Et aujourd’hui donc, un Auvergnat inconscient, un proche de la famille aussi, tente une biographie du mythe. OK, c’est limpide dès l’incipit du livre, Virginie Despentes ne pouvait être absente et signe la préface et la 4ème de couverture d’une aventure qui commence du côté d’Angers au début des eighties.

«  Les Thugs ont été capables, dans leur discographie qui a tellement bien passé l’épreuve des décennies, de capter tout ce qu’on a aimé de cette musique qui n’était pas faite pour plaire au plus grand nombre, qui était plus qu’une stratégie de survie, qui était une authentique déclaration de résistance et un projet de vie. »

La suite est dans l’ouvrage, racontée par l’auteur, témoins et protagonistes. De Patrick Foulhoux nous connaissions une précédente Histoire du rock à Clermont-Ferrand et quelques textes noirs dans des opus collectifs charpentés autour du rock (dont un Birds of Ill Omen dans le recueil Welcome to the Club, regroupant justement 20 nouvelles électriques inspirées par les titres des Thugs) et, surtout, ne doutions pas de sa légitimité pour raconter l’épopée angevine. Il s’en acquitte à merveille…

Des prémices régionales à leur conquête de l’Amérique, la Radical History défile entre insouciance revendiquée et fiers murs soniques. Chacun y va de son commentaire, a posteriori, mais pas mécontent d’avoir été aux premières loges d’une aventure unique, celle d’un rock’n’roll sans lâcheté ni doute. Compagnons d’écurie de Nirvana puisque leurs disques sortaient aux Etats-Unis sous la clanique étiquette Sub Pop, vaisseau amiral d’une armada locale et pléthorique, levée du Havre à Périgueux, de Toulouse à Nantes, Les Thugs restent à jamais l’exemple d’une route tracée avec morgue, hargne, élégance et, surtout, sans compromissions.

À noter en addenda que le label Nineteen Something publie simultanément un CD inédit du groupe, enregistré en public à Paris en 1999. De quoi allier le bruit à l’odeur, ceux de la liberté et d’un index pour toujours pointé vers les cieux…

JLM