Traduction: Han Yumi et Hervé Péjaudier 

“Pourquoi est-ce que le prix attribué à Kim Yeong-hoe me met dans un tel état ? Est-ce que je suis dépourvu de fierté à ce point-là ? C’est une bonne question. Qu’est-ce que ça peut me foutre, à moi, que ce mec reçoive un prix et se retrouve sous les projecteurs ? C’est quoi, cet état dans lequel je me vautre dès qu’il remonte à la surface, à ton avis ? Qu’est-ce que tu t’imagines que j’éprouve, quand je vois Jang Bo-yun pleurer en pensant à son mari ? Eh bien, c’est simple, je savoure le sentiment puissant de ma médiocrité et m’abandonne au vertige d’une chute infinie dans le gouffre, ça, tu piges ?”

« Le film volé » est un roman accidentel, il est d’abord écrit pour l’épouse de l’auteur en guise de divertissement quotidien, se transforme ensuite en webtoon, en pièce de théâtre, et enfin, à la demande d’un éditeur, You Sun-dong le reprend pour en faire un roman. Il a bien fait.


Et un drôle de roman. On a d’abord affaire à Seo Dong-yun, un scénariste vaguement cliché et bien loser, qui subit les petites humiliations quotidiennes de son milieu professionnel, de sa vie privée, des élèves de fac à qui il fait cours alimentairement. Mais il s’avère assez retors par moment. Et comme c’est lui qui raconte, il se révèle être aussi un sacré sale type.

C’était pendant le procès qui devait juger de l’assassinat de Kim Yeong-hoe, j’étais assis au fond du tribunal où j’assistais aux débats. Le juge interrogeait un témoin. « Vous affirmez que le coupable se trouve ici présent ? — Oui. » L’homme qui se tenait dans la pénombre à la barre des témoins répondait d’une voix ferme. Le juge a poursuivi l’interrogatoire. « Dans ce cas, pourriez-vous nous le désigner ? » Le témoin a alors levé lentement la main et a pointé du doigt un endroit précis. La direction de son index désignait très exactement une des personnes présentes dans le public, moi. Soudain, plein feu sur le visage du témoin accusateur…il s’agissait de Kim Yeong-hoe en personne !” 


L’histoire, qui débute avec une bonne dose d’humour, devient de plus en plus grave, noire. Ce scénariste au bord du gouffre s’accapare, sans trop de scrupules, du manuscrit d’un de ses étudiants. Et c’est à ce moment que sa vie commence à bien déraper : l’étudiant est… Je ne dévoilerai rien de plus. Je peux juste assurer que ce qui arrive, met ce scénariste à la manque sans dessus dessous, et surtout prêt à tout pour que sa face d’usurpateur reste bien planquée. Mais c’est sans compter sur ceux qu’il a humiliés, et qui sont très, très, en colère.

You Sun-dong s’amuse avec les codes du roman policier classique et du roman populaire. Tous les ressorts du polar sont au rendez-vous : trahison, vengeance, doigts coupés, sang sur les murs, etc.


« Le film volé » a tout les atouts d’une bonne série B, voire même série Z. C’est souvent outrancier, et même parfois inutilement cru. On navigue dans le milieu du cinéma en général, coréen en particulier. Ce qui au départ était une simple histoire d’écriture de scénario se transforme en roman hard-boiled bien ficelé. Quelque part entre Stephen King, David Lynch et Dashiell Hammett. 

NicoTag

Ce n’est pas parce que You Sun-Dong est coréen que l’on doit se farcir de la K-pop. Écoutons plutôt « Revenge (Of The Great Leader Of Rock’n Roll) » de Kim Jong 4 !