Fauvel a perdu un œil suite à un tir de LBD. Elle accepte de garder la chienne du père d’une de ses amies dans une maison isolée à la campagne. Hannah n’est pas un chien comme les autres, c’est le clone d’une première Hannah, qui trône empaillée au milieu du salon. Elle suscite les peurs et les reproches muets du village, à mesure qu’on découvre au matin des animaux massacrés, et qu’elle-même rentre parfois ensanglantée.

Que vous soyez d’emblée prévenus, Aliène, deuxième roman de Phoebe Hadjimarkos Clarke publié aux Editions du sous-sol, est tout sauf ce que vous pourriez en attendre. C’est un peu un cauchemar de bibliothécaire car totalement inclassable. L’expérience peut s’avérer déstabilisante pour les moins ouverts d’esprit et franchement ensorcelante pour les plus acquis. Mettez-vous dans les conditions adéquates et laissez-vous aspirer par cette première véritable curiosité littéraire de l’année. 

Rendue borgne par un titre de LDB dans une manifestation, c’est avec un lourd bagage psychologique que Fauvel saisit l’opportunité de se retirer durant un temps en pleine campagne, pour se ressourcer, dans la maison des parents de Mado, sa meilleure amie, ceux-ci étant partis en vacances. Elle est là pour garder le fort, s’occuper de la chienne et se poser sans véritable autre but. Très rapidement, Fauvel est dérangée par la chienne Hannah à qui elle trouve des comportements douteux. Il y a également ces bêtes attaquées et mutilées dans les environs. On ne sait pas quoi ou qui est responsable de cela. Serait-ce Hannah ? 

Aussi, dans les bois environnants, des coups de feu se font entendre car la saison de la chasse bat son plein. Cela devient rapidement oppressant et, sa première confrontation avec Julien, l’un de ces chasseurs, est assez perturbante. Un peu plus tard, Fauvel rencontre Mitch, un thésard revenu en terre natale, qui lui révèle enquêter sur des récits d’enlèvement et de rencontre avec des extraterrestres qui seraient apparemment nombreux dans les environs. Il s’avère, d’ailleurs, que le premier chasseur qu’elle a rencontré, ainsi que ses amis, font partie de ces personnes se disant visités par des extraterrestres. Le récit que fait Julien de ces visites est particulièrement bizarre et, lui-même, est tout aussi étrange qu’inquiétant. 

Petit à petit, un climat d’insécurité s’installe. La peur rôde. Les attaques se multiplient, les épisodes de chasse s’intensifient, l’imagination des uns et des autres s’emballe, Fauvel se rapproche de plus en plus de Hannah, les enquêtes s’embrouillent, la fumette embrume les esprits, un brouillard mystique habille le décor et les traces d’une substance pas clairement identifiée, et peut-être bien séminale, commence à faire son apparition ici et là.

C’est avec une langue vive, souple et poétique, que Phoebe Hadjimarkos Clarke nous embarque dans un conte organique et animal, avec la violence et ses séquelles en toile de fond, ainsi que le pouvoir et les rapports de domination qu’il impose. Le tableau halluciné qui nous est peint, entre réalisme magique, horreur, fantastique, science-fiction, post-apocalyptique et j’en passe, est détonnant, fascinant et parfaitement maîtrisé. Une imagination, à l’évidence fertile, mise au service d’un récit éminemment contemporain et politique.

Aliène, de Phoebe Hadjimarkos Clarke, c’est un peu la rencontre de X-Files, David Lynch et David Cronenberg, sous hallucinogènes, nourri d’un souffle poétique et d’un propos engagé, pour un résultat tout à fait atypique. Certainement difficile à vendre tant ce roman est particulier mais, pour ma part, je n’en pense que du bien et vous invite à vous laisser surprendre.

Brother Jo.