Il n’aura échappé à personne que le blog Nyctalopes, par son ancrage, par le tropisme revendiqué de certains de ses contributors, marque des arrêts ou des jalons, régulièrement, sur la route de l’Amérique et des littératures, en péninsule armoricaine. Comme je l’avais fait auparavant, je reviens sur la production du sieur Marek Corbel, enrichie dernièrement d’un nouveau roman noir. Je m’étais personnellement chargé d’évoquer ici deux de ses précédents textes en 2017 (Auguste l’aventurier, Goater noir) et 2021 (Une compensation aux luttes, ECE-D). Tandis que nous commentons ici et là, Marek Corbel godille sûrement, sans faire naître une écume et un clapot des plus spectaculaires, pour rallier les prochains havres de son écriture.
Dans ce roman noir, véritable thriller politique et social, Marek Corbel brosse un tableau de la Bretagne bouleversée par les choix d’une classe politique indifférente et égoïste, mais une Bretagne qui se dresse, proteste et résiste. En effet : janvier 2019, trois membres du Collectif des Gilets jaunes du Finistère prennent en otages une élue, un conseiller ministériel et un notable…
Cette journée de mobilisation devient l’occasion de découvrir, non seulement les exigences singulières des prétendus forcenés, mais surtout de tenter de comprendre leurs parcours respectifs contrastés.
Dans un rebond d’Une compensation aux luttes, Marek Corbel récupère et réimplante certains des personnages rencontrés alors. Flics et magistrates, déchu(e)s ou muté(e)s, membres de la préfectorale, écartés de l’échelle d’ascension pour leur fumet anti-républicain. Le Grand Ouest comme une nouvelle Guyane, confins de relégation. Mais n’est-ce pas la France toute entière, la république toute entière, qui se transforme, en ce début 2019, en un espace de relégation pour beaucoup de ses citoyens ? Avènement d’une oligarchie, d’une ploutocratie… Il faudrait cocher la bonne case analytique. En tout cas, en réaction, advient un formidable sursaut social, les Gilets jaunes, qui agglomère déclassés en devenir ou de fait, tout un peuple divers, uni par ses frustrations politiques, démocratiques ou moins. Alors s’adjoignent à cette suite de personnages « historiques », des figures locales, sociales, qui parlent à leur manière de ce moment, disons-le, historique. Marek Corbel, en bon auteur de roman noir, de polar, fait sien ce terreau. « Le roman noir n’est pas un genre, c’est un regard », vient de dire un autre, dans une tribune nationale.
C’est sans doute là le principal intérêt du roman, faire se rapprocher dans un cadre de tension extrême, qui pourrait – non, qui va en fait – déboucher sur le drame, tous ces personnages qui, à leur échelle microscopique, personnelle, régionale, politique aussi (parce que Marek Corbel ne renonce jamais à toucher cet aspect), évoquent un moment de notre histoire commune, déjà enfuie. C’était il y a à peine cinq ans.
Pour les révoltés du Finistère et d’ailleurs.
Paotrsaout
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