Il rend un bien bel hommage, Marek Corbel, dans son dernier roman noir, Auguste l’aventurier, librement inspiré par la vie et l’œuvre d’Auguste Monfort dit Le Breton (1913-1999).

Né à Lesneven (29-N, comme le précisaient les PTT à une autre époque, qui n’avaient pas intérêt à se gourer de train postal), orphelin de père dès les premiers orages d’acier de la guerre en 14, abandonné par sa mère par la suite, le jeune Auguste devient pupille de la Nation et est placé en intuition. Il s’en évade plusieurs fois, ce qui l’amène être transféré dans un Centre d’Education surveillée, au régime sévère. Devenu adulte, en région parisienne, il fréquente la zone et mène une vie de petit ouvrier. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale et l’Occupation surviennent, il fait le bookmaker, possède des parts dans des tripots et restaurants, s’égratigne avec une partie du Milieu français qui profite de cette période pour développer des affaires et des « services » voués depuis aux gémonies. Certains de nos bandits nationaux de l’époque choisirent en effet de se salir les mains et l’honneur. Auguste, qui faillit vraiment mal tourné, décoré de la Croix de Guerre à la Libération, ne se vit jamais que comme « héraut » de celles et ceux à qui on avait salopé l’enfance. Il en savait lui-même quelque chose.

C’est une promesse personnelle, après la naissance de sa fille, qui le pousse à écrire et devenir un auteur de romans noirs et polars, signés par sa maîtrise d’une langue verte et argotique. Il invente le terme même de « rififi » et en décline le terme dans de multiples titres, introduit le verlan dans la littérature, qui jusque-là était le verlen pour ses locuteurs. Ses succès de librairies deviennent aussi des adaptations cinématographiques assez peu méconnues, pour employer la litote : « Du rififi chez les hommes », « Razzia sur la chnouf », « Le clan des Siciliens ».  Il côtoie Gabin, Ventura, Delon, Hossein, Gilles Grangier, Henri Decoin, Henri Verneuil, Jean-Pierre Melville.

J’abrège. Vous lirez de toute façon sur la page Wikipédia d’Auguste des lignes qui ressembleront trop aux miennes, qui n’a pas le courage de rédiger mieux. Cela m’a en tout cas donné envie d’en savoir plus.

Marek Corbel a trouvé la force et le talent pour nous donner un Auguste réinventé dans son expression et des moments de sa vie (et ceci nécessite un travail de recherche et de passion, il faut le saluer) : Gus Le Léon, taulier de bar interlope et prêt au coup de main pour sauver une pauvre fille bretonne mise au tapin (contre quelques talbins quand même), dans le XVIIIe arrondissement de Paris, aux dernières heures de l’Occupation en août 1944 ; le ci-après Auguste Tréguier, écrivain reconnu et déjà sur la pente du dédain dans les milieux littéraires, au beau milieu de l’été caniculaire de 1976, en villégiature à Nevez (29-S, comme le précisaient les PTT à une autre époque). Un satané bougre, un peu amer, mais toujours attaché à la Bretagne et à ce que lui a enseigné son destin personnel : « il faut (essayer de) sauver les enfants de la dureté de ce monde ».

Trois décennies après, ce qu’il a fait en août 1944 à Paris, revient lui gratter la mémoire, en la personne de Suzanne, une journaliste locale, qui a trente ans de chagrin sur le plastron. Elle est chargée de l’interviewer. Auguste va réaliser petit à petit à qui il a affaire. Ils ne se sont plus vus depuis lors. Mais ni l’une ni l’autre n’ont réellement oublié.

Pas loin, dans une résidence sur les bords de l’Aven, Le Hénan, on a retrouvé, un notable au passé pas si glorieux, calanché. Mort pas si naturelle, se révèle-t-il. Tandis qu’un gendarme local, un peu con, et un vieux briscard de la Sûreté rennaise envoyé sur place, s’acoquinent et racontent au travers de leurs échanges formels ou moins, la police et ses dynamiques politiques, en particulier en région Bretagne, depuis la Libération, jusqu’à la Ve République, le passé plus personnel pour d’autres remonte à la surface…

J’ai aimé, au travers de sœurs, que cela parle aussi de ces femmes bretonnes de la première moitié du XXe siècle, perdues entre la paroisse, la tradition et la grande ville, où elles ont été avalées, bonniches ou putains, bonnes filles du terroir assez fragiles pour qu’un sale destin (et des sales types) en fasse des putains. Certaines ont trouvé un courage énorme a existé.  On a pu faire de Bécassine une godiche de l’imagerie nationale aussi parce qu’elle cristallisait une réalité de l’histoire sociale française. Un jour, quand il n’y eût plus assez de pauvres filles originaires des provinces à vouloir survivre, malgré la misère, les préjugés religieux et bourgeois, on partit en trouver ailleurs : Europe du Sud, Maghreb, Sud-Est asiatique… Toutes n’ont pas eu leur histoire évoquée ou exposée. Toutes n’ont pas eu un sauveur comme Auguste.

Parfois, dans ce roman d’une grande culture historique, littéraire et stylistique, régionale aussi, on se retrouve pris dans un faisceau de points vues et d’époques, entre août 1944 (l’Histoire) et août 1976 (la saison). On peut alors s’égarer entre troisième personne du pluriel, deuxième personne du singulier, reconstitutions historiques précises et vivantes et anecdotes locales non moins précises et vivantes, qu’il saurait falloir contextualiser ou décrypter. Ce serait peut-être à mes yeux un des défauts de l’écriture, celui de nous laisser par brefs instants désorientés. Mais d’autres pourraient y voir une virtuosité narrative.

En tout cas, du Paris des voyous et des compromis sous l’Occupation à l’été caniculaire de 1976 sur la côte sud du Finistère, Marek Corbel nous rend plus proche la voix, la gouaille et le parcours sinueux d’un personnage, Auguste, qui, s’il n’est ici pas totalement réel, est diablement romanesque.

Emouvant portrait et belle reconstitution d’époque.

Paotrsaout