Il y avait un moment que Nyctalopes n’avait pu se pencher sur le travail du Finistérien Marek Corbel, que ce soit en texte court ou en roman. Dans le parcours d’un auteur, il y a parfois des blancs, des retraites, des silences nécessaires. Cela sert aussi à travailler. Marek Corbel nous revient en 2021 avec un nouveau roman noir après s’être consacré également au scénario BD (Les fronts renversés, tome 1, avec Cyril Launais au dessin, éditions Y.I.L).
Sans doute qu’il faut ne pas ici s’attarder sur la présentation en 4e de couverture, un peu oiseuse, ne pas s’en imprégner, pour attaquer les premières lignes de ce roman social aux solides assises documentaires. Prenant pour cadre Morville-sur-Marne, une fictive commune de l’ancienne banlieue rouge de la région parisienne, Une compensation aux luttes nous invite à aborder les thèmes de l’affairisme et de la corruption chez les élus locaux étiquetés à gauche. Une telle étiquette n’est pas forcément une éternelle garantie, ni de fidélité aux idéaux claironnés ni de probité. Il y a une vraie justesse dans l’ambiance restituée de la « banlieue » à l’aube des années 2020 où on respire les bouffées d’un épuisement général. L’intégration citoyenne et économique, objet de grands programmes soutenus par le bruit des tambours depuis 30 ans, « n’est pas un échec mais disons que cela n’a pas marché. ». D’ailleurs, pour un certain nombre d’élus, ce n’est plus d’actualité. Le Grand Paris est en marche et la gentrification rampante et souhaitée est une aubaine pour spéculer et préparer à nouveau l’éloignement de toute une population pauvre, aux origines mélangées et pour partie encore plus soupçonnée depuis que la France a connu des attentats islamistes. Comme il est dit, à Morville et aux alentours, on (…) rebat les cartes sociales, politiques et économiques.
L’épuisement général, les cartes rebattues (souvent pour des mains plus minables ou plus incertaines) s’incarnent parfaitement au travers des personnages : Manlius, un enquêteur privé de retour à Morville après une vingtaine d’années passées à fuir des amitiés aujourd’hui carbonisées. Le commandant Letica, une quinquagénaire abîmée d’origine corse, en proie à la méfiance de sa hiérarchie à la brigade criminelle. Linda Kacimi une capitaine de la DGSI aux ambitions politiques affirmées au nom de l’antiterrorisme. L’ancien maire Bellego, rallié à Macron, pour rester accroché à la gamelle et son successeur, Valinsky, qui cherche à donner un dernier souffle à des idéaux malmenés. Leur affrontement va excaver des pratiques mafieuses implantées de longue date. Un homme brûle. Puis un deuxième et un autre. Leur profil ne les destine pas à côtoyer directement les matières inflammables. Alors tueur en série ? Chaîne de vengeance ? Quelque chose semble lier toutes les victimes à Morville et cela intéresse Manlius, Letica et Valinsky. C’est un roman noir alors tout le monde ne va pas marcher sur les braises et sans sortir sans y laisser un peu ou beaucoup.
Solide sur le fond, édifiant, un roman noir qui fait le job : se coltiner le réel. Avec un certain fatalisme : advienne que pourri.
Paotrsaout
Félicitations pour la qualité de votre blog, que je découvre aujourd’hui.
Un rapport entre le bourg imaginaire de Morville et l’ex-chanteur de NTM dont c’est le vrai nom?
En tout cas, vous donnez envie de lire tous ces polars.
Merci Jaribu, on ne va pas se mentir, cela fait toujours plaisir.
Si Marek passe dans le coin, on ne manquera pas de lui demander si ce Morville est voulu ou pas.Merci pour ce commentaire.
Bonjour à tous les deux. Merci encore au blog Nyctalope pour sa chronique et la qualité de ses recensions. Pour répondre à Jabiru et à sa très pertinente question, le choix de Morville Sur Marne n’est bien entendu pas fortuit. NTM fait partie de l’univers musical d’un des personnages principaux du roman et lui rappelle occasionnellement la fin des années 90, les espérances de sa jeunesse avant les brisures du temps. Merci de l’intérêt en tout cas. Bonne lecture. Marek