The History of Sound

Traduction : Héloïse Esquié

Il est des occasions (encore une fois) où des auteurs américains prouvent qu’ils prennent très au sérieux la forme courte, notamment par la qualité ou l’intensité données à des nouvelles. Né en 1984 dans le Massachusetts, Ben Shattuck – l’auteur qui nous intéresse aujourd’hui – est diplômé de l’Iowa Writers’ Workshop. Ses nouvelles lui ont valu d’être le lauréat du PEN/Robert J. Dau Short Story Prize et du Pushcart Prize.

Été 1919. Deux jeunes hommes, liés par un amour placé sous le signe de la musique, partent recueillir des chansons traditionnelles dans les campagnes du Maine, avant que l’un d’eux ne disparaisse brusquement. Des années plus tard, dans la maison où elle vient d’emménager, une femme retrouve les cylindres de cire enregistrés lors de ce fameux été… La première nouvelle de Ben Shattuck donne le ton de ce magnifique recueil qui explore le lien entre l’amour et la perte, et la manière dont celui-ci se métamorphose au gré du temps. Empruntant la forme musicale et poétique du « hook-and-chain », popularisée au XVIIIe siècle en Nouvelle-Angleterre, l’auteur relie chacune des nouvelles, tramant un récit où la mémoire d’un chaînon du passé resurgit fortuitement.

Un point d’explication avant de commencer. La forme musicale et poétique du hook-and-chain se présente selon le schéma suivant : A BB CC … A (pour clôturer). Ainsi dans le recueil, à l’exception de la première, les nouvelles se suivent comme en écho, à travers les époques. Puis la dernière « répond » à la nouvelle placée en première position, ici La forme et la couleur des sons qui donne son titre au recueil. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’une adaptation cinématographique par Oliver Hermanus : The History of Sound avec Paul Mescal et Josh O’Connor dans les rôles principaux.

L’intéressant procédé n’aboutit pas systématiquement à la constitution de couples de textes d’un équilibre parfait, à mes yeux. Par les balades qu’elles offrent dans les paysages de la Nouvelle-Angleterre, boisés ou marins, sauvages ou transformés par l’homme, en suivant aussi les méandres entre secrets et espoirs des personnages saupoudrés entre les quatre siècles qui les traversent, les nouvelles ciselées de Ben Shattuck ont de quoi séduire. C’est souvent fin et sensible et on quitte à regret ici ou là une histoire qui donne envie qu’elle soit prolongée.

Cela n’a probablement pas beaucoup d’importance mais je souhaite exprimer quelques satisfactions particulières.

La nouvelle La forme et la couleur des sons est de très haute tenue. Concept, écriture, émotions, c’est un texte qui touche au cœur, une véritable réussite. Globalement, les nouvelles de reconstitution historique comme celle-ci sont parmi les plus intéressantes. Edwin Chase de Nantucket raconte la surprenante visite de quelques heures d’un voyageur dans la ferme isolée de Nantucket où vivent une veuve et son fils à la fin du XVIIIe siècle. Serait-ce un intime du passé de la femme ? Le journal de Thomas Thurber est la chronique d’un hiver de bûcheronnage au fond des bois en 1907. Événements étranges, rivalités violentes, intempéries, l’expédition tourne au désastre et son auteur en écrit un journal à l’intention de sa femme, en attendant un hypothétique retour en ville… Un cygne dans la toundra se passe à notre époque et évoque le désarroi d’un père face aux troubles addictifs et comportementaux de son fils Ian. Employé de pépinière, il s’endette, vole et trafique des spécimens d’arbres pour réunir l’argent nécessaire aux cures qui pourraient rendre la santé à son enfant. Jusqu’au jour où Ian commet l’irréparable aux yeux de son père…

La nouvelle est un art, très américain. C’est ce que confirme Ben Shattuck.

Paotrsaout