Chroniques noires et partisanes

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Pat et Garrett de Jacques Bablon / Jigal

Un nouveau roman de Jacques Bablon est devenu un joli petit événement pour moi depuis le fabuleux Trait bleu, faux polar ricain en carton particulièrement virtuose en 2015. Ont suivi, avec toujours un code couleur en guise de clin d’œil au lecteur Rouge écarlate, Nu couché sur fond vert, Jaune soufre et Noir côté cour.

Prince de la concision, grand maître des romans borderline, Bablon raconte à merveille les histoires noires de gens très ordinaires qui résolvent leurs problèmes de manière peu ordinaire. Les romans sont courts, particulièrement rockn’roll, du plaisir brut immédiat agrémenté abondamment d’un humour ravageur, souvent noir évidemment, et de pas mal de malice.

 “Une mère, des jumeaux. Pat et Garrett. Pas de père déclaré. Suffisant pour faire une famille. Entre eux, les liens sont ténus. Elle n’a jamais ressenti d’amour pour ses fils. Les deux garçons ont passé leur jeunesse à se taper dessus. Leur en reste aujourd’hui une haine sourde. Quand leur mère dont ils ne connaissent rien, tombe sous des balles inconnues, la réaction des jumeaux est immédiate. Ils crient vengeance. Mais resserrer les liens après vingt ans de jalousie et de souffrance, ça donne quoi ? Venger sa mère quand le manque d’amour est criant, à quoi ça ressemble ?”

Tout va pour le mieux dans le meilleur du monde alors ? Eh bien non. Ce Pat et Garrett a doublé pas mal de livres dans ma file d’attente, a été très vite dévoré mais, horreur, encore plus vite oublié.

Est-ce dû à la disparition de la couleur dans le titre ? Est-ce dû à la couverture particulièrement moche alors que les précédentes étaient magnifiques ? Plus sérieusement, il me semble que cette histoire méritait plus d’attention pour les personnages. En prenant à bras le corps le concept de gémellité, ce monde obscur pour les profanes, on pouvait s’attendre à des développements un peu barrés de la part de l’auteur, mais non, pas cette fois. 

La concision ici, il me semble, a desservi l’histoire qui n’est pas assez rentrée dans l’intellect des personnages pour qu’on ressente une certaine empathie pour eux. Les jumeaux ne sont pas passionnants. Il est aussi difficile de comprendre complètement la mère tout comme un  père présent, restant secret sur sa paternité… 

Sur le thème des liens du sang, Jacques Bablon nous offre un polar somme toute plaisant se terminant par un duel digne d’un western comme le titre nous invitait à le penser. Un polar, c’est sûr mais pas vraiment un Bablon.

Vivement le prochain .

Clete.

NOIR CÔTÉ COUR de Jacques Bablon/Jigal.

Après TRAIT BLEU, ROUGE ECARLATE, NU COUCHÉ SUR FOND VERT et JAUNE SOUFRE, Jacques Bablon poursuit la chromatisation de ses romans hauts en couleur avec NOIR CÔTÉ COUR. Mais s’il ajoute toujours de la lumière à sa palette, la toile demeure toujours très, très noire, du très joli noir même.

“Paris. Un immeuble ancien avec une cour pavée. Cinq étages. Fin de semaine calme. Si ce n’est que… Que la grosse fête au quatrième chez ces trentenaires bien dans leur époque tourne mal. Qu’au premier, un des deux Lettons de passage dans la capitale a pris un éclat de grenade GLI-F4 dans le dos et saigne comme un bœuf. Que l’homme du deuxième qui a accueilli une sans-papiers ne rêve que de la baiser. Que la belle étrangère sait particulièrement bien calmer les ardeurs des hommes qui se croient tout permis. Que le jeune du cinquième connaît tout des horreurs commises par le salaud du deuxième et qu’il ne va pas en rester là. Que l’importateur de pistaches qui habite au troisième a pris une balle dans la tête. Mais qui pourrait affirmer que dans ce nid de vipères l’amour ne pourrait pas éclore ?”

En moins de deux cents pages, en quelques heures, Bablon est capable de vous inventer des intrigues barjes, partant parfois très loin dans le délire mais qui à l’arrivée sont impeccables. Bablon raconte des histoires de gens ordinaires un peu barrés qui commettent des crimes bien ordinaires mais il le fait d’une manière peu académique. En le lisant, on l’imagine bien accoudé à un zinc parti dans son histoire, y ajoutant sa gentille folie, et prenant un réel plaisir à combler, surprendre son auditoire. Je pense que Bablon nous fait vraiment cadeau de ses histoires, qu’il prend son pied à les imaginer, à les écrire et à les faire partager. Peu de descriptions, débrouille-toi avec le cadre… débrouille-toi avec les détails sur les personnages. Pas le temps de traîner, l’intrigue cavale, les situations se succèdent à un rythme de malade, rebondissements, coups de théâtre et surprises. 

Toujours un peu barrés, pigmentés d’humour noir, les romans de Jacques Bablon ne sont que des esquisses mais recèlent aussi toujours, en sous couche, des thématiques plus profondes comme ici les migrants, les mouvement sociaux récents, les “combats” de la jeunesse, les femmes. Jacques Bablon est un observateur pointu de la vie qu’il raconte si bien.

Tout commence par une goutte d’eau qui tombe sur un plancher… Roman à la machette, du grand art !

Clete

JAUNE SOUFRE de Jacques Bablon /Jigal Polar.

Une molécule de soufre volatile a la fragrance âcre et pénétrante. Elle a des vertus bronchiques mais elle repousse de même les velléités de rapprochement de nos congénères. Ce jaune soufre n’est pas la teinte capillaire arborée par une Esther mais par Marisa, l’un des points cardinaux de ce récit néo-polar. En partant d’un point noir, pas un comédon, Bablon trace deux lignes formant un ovale qui invariablement se rejoindront…

«D’un côté il y a Rafa pour qui le boulot se fait rare et qui, diplôme en poche, se voit contraint d’enchaîner des jobs merdiques. Avec sa chance insolente, il est même possible qu’une bande de cons viennent braquer la caisse de la station-service où il bosse… De l’autre il y a Warren, parti à l’autre bout du pays sur une moto volée à la recherche d’une petite sœur qu’il n’a jamais vue… Elle, c’est Marisa, une forte tête n’ayant que moyennement confiance en l’homme, et qui après avoir incendié un dépôt de nourriture et tenté d’empoisonner les animaux du zoo, ne compte vraiment pas s’embarrasser d’un frère dont elle n’a rien à faire ! Une mère excessive d’un côté, un père tué par balle de l’autre, un pactole qui tombe du ciel, un assassin qui court toujours… Tout est apparemment là pour que les retrouvailles n’aient rien d’un conte de fées et se règlent à coups de flingues… »

Il y donc quatre pôles dans ce roman, qui n’a que de jaune son titre et la tignasse de l’un d’eux, quatre pôles qui se frôlent, qui se croisent, qui se repoussent, qui inter-agissent. La force de l’ouvrage se loge dans l’énergie de parcours de vie chaotique qui cherche des réponses à des questions pas toujours claires dans l’esprit des protagonistes. Sans se départir de son style direct, Bablon fait mouche à chaque frappe de son stylet et l’on se prend à éprouver de la sympathie pour ce quatuor. On ne peut pourtant pas avouer que ceux-ci soient doués pour la sociabilisation, ni pour la quiétude d’une vie conformiste. Mais leurs souffrances conscientes ou inconscientes dessinent intangiblement la forme d’un fractale.

Bablon, sous couvert de son ouvrage uppercut, nous adresse en filigrane des réflexions sur la mono-parentalité  et l’éducation d’enfants hors du cadre de la famille conventionnelle. Il impose son rythme et nous capte dans sa tarentelle littéraire.

Le jaune est l’empreinte chromatique de ce chapitre toujours plus noir, je parierais pour le mauve funeste pour le prochain!

Chouchou.

NU COUCHÉ SUR FOND VERT de Jacques Bablon / Jigal.

Vert comme la pousse d’un jeune rameau, vert comme une jeunesse perdue, vert comme l’espoir friable, vert telle la chlorophylle de vie, source d’oxygène florale…Deux collègues, deux flics que beaucoup opposent s’agrègent dans une double affaire indépendante. L’une touche de manière directe Romain et sa vie antérieure, l’autre consume son présent. La « danse » de ces missions capitales pour nos protagonistes évoluant entre passé et événements de l’immédiateté, dressera par ailleurs les portraits taillés à la serpe d’un homme et d’une femme en quête de repères d’épanouissement pour leur futur.

« Margot et Romain. Deux flics d’une même brigade. Ont en commun l’habitude de sortir du cadre autorisé pour régler à leur manière les affaires criminelles qui leur tiennent à cœur. Margot veut retrouver l’assassin du père de Romain, tué par balle, il y a vingt-cinq ans. Une famille au destin tragique… Romain ne lui a rien demandé. Mais Margot ne supporte pas que des tueurs cavalent librement dans la nature. Romain, lui, traque les auteurs du carambolage meurtrier qui a coûté la vie à l’inspecteur Ivo, son coéquipier. Leurs armes ? Acharnement et patience sans bornes pour Margot… Beretta et fusil à lunette pour Romain ! Une plongée dévastatrice où le hasard n’a pas sa place… » Continue reading

ROUGE ECARLATE de Jacques Bablon/Jigal

Ceux qui ont lu et apprécié « trait bleu » le magnifique premier polar de Jacques Bablon chez Jigal attendaient certainement comme moi, le retour de cet auteur qui dans un mélange de violence et de péripéties particulièrement déjantées nous avait offert l’an dernier,dans une Amérique fantasmée, un superbe roman noir, une joyau très court mais d’une grande intensité que beaucoup d’auteurs aimeraient savoir reproduire en si peu de belles pages folles. Alors, bien sûr, l’auteur était forcément attendu au tournant du deuxième roman et avant d’entrer plus dans les détails, les fans du premier opus peuvent foncer tête baissée pour rentrer à nouveau dans le grand bastringue créé par Jacques Bablon, talentueux, malin,espiègle, doué pour nous raconter des histoires à vous fendre le cœur en plus de vous choquer.

« Elle mange une fraise. Un délice ! N’aurait pas dû. Un piège tendu par une ordure. Salma, trentenaire canon et forte tête, s’en tire avec quelques côtes et le nez cassés. Un avertissement. Courir comme une dératée lui suffira-t-il à échapper au pire ? Joseph, son père, est assailli par une envie de flinguer le mec d’à côté et d’étrangler Rosy qui ne le fait plus bander. Pourrait être amené à changer de cible. Marcus, le fameux voisin, faux expert-comptable et vrai salaud, fait dans l’import-export de produits prohibés, un milieu difficile où l’on ne peut espérer vivre vieux. À ses côtés, la fameuse Rosy, maman dévouée, pas aimée comme elle devrait. Leur petit garçon s’appelle Angelo, mais personne n’a dit qu’avoir quelque chose d’un ange protégeait des balles. À chacun sa petite maison… Un matin, ça canarde à la chevrotine dans l’une, l’autre est ravagée par les flammes. Pour les rescapés, le début de la cavale… »

Le premier roman revêtait la couleur bleue, le second est rouge écarlate mais pas de sang, rouge comme les fraises que déguste Salma tels des fruits défendus au début de l’histoire et qui la mèneront à sa perte, ou au moins aux débuts d’un gros bordel rendu encore plus terrible par les agissements de son père à l’Ouest de l’Ouest.

« Rouge écarlate » continue d’explorer des pistes qui avaient rendu « trait bleu » irrésistible. Si dans le premier, nous pensions être aux States, dans celui-ci nous ne savons plus où nous sommes…dans le monde occidental, c’est certain, mais ce sera tout comme infos et amplement suffisant. Gommant de son texte ce qu’il juge inutile à la compréhension de l’histoire, Bablon y prend même un malin plaisir. Si au début certains prénoms tels que Suzy, Joyce Carol, un cheesecake peuvent évoquer l’Amérique, le reste du roman dément cette première impression. Bablon joue avec ce mystère en utilisant des noms de famille tantôt slaves, tantôt méditerranéens, tantôt tout simplement bizarres. Les habitués de Bablon verront que ce coup-ci, il en joue, au travers de certaines phrases comme par exemple: « un journal écrit dans une langue parlée ailleurs ». En moins de deux romans, Jacques Bablon a su créer une connivence avec son lectorat et ce parti-pris de ne pas situer géographiquement l’action allié à l’utilisation du présent donne beaucoup de vitalité à un texte qui ne laisse jamais respirer le lecteur. Mais si l’auteur fait fi du superflu, il peut, néanmoins, tel le grand James Sallis, s’arrêter sur de petits détails d’une tique qui agresse un gendarme, de souris qui se font massacrer par une buse, d’un arbre misérable, pathétique étendard dans une cité HLM.

Dans « trait bleu », nous suivions un homme, ici cinq ou six personnages illustrent la trame et on ne sait lesquels n’auront pas à subir les foudres de la plume de Jacques Bablon, rude, sans concessions et parfois très surprenante.

Et cette fraise, objet de désir coupable de Salma qui peut être vue comme le fruit défendu de la tentation est aussi le symbole de vie, d ‘envie de maternité d’une Salma, femme très combative, mais aussi habitée de tendres sentiments cachés, de compassion qui font que « Rouge écarlate » est un roman hors norme réjouissant et tout simplement un roman à lire si vous êtes usés par tant de romans formatés.

Auteur à suivre, roman à lire.

Wollanup.

PS:la couverture est magnifique Jimmy.

 

TRAIT BLEU de Jacques Bablon/Jigal

Le trait, c’est le symbole de la trajectoire d’une Chevrolet sur une route rapide. Le trait, c’est aussi le symbole de la trajectoire d’une vie moins linéaire que la parabole motorisée…

Ça ressemble à l’Amérique, là où les vivants barbotent dans les grands lacs et les morts dans des baignoires remplies d’acide… »« Tout a commencé quand on a retrouvé le corps de Julian McBridge au fond de l’étang que les Jones avaient fait assécher pour compter les carpes. Ils auraient plutôt eu l’idée de repeindre leur porte de grange ou de s’enfiler en buvant des Budweiser et c’était bon pour moi. McBridge n’était pas venu ici faire trempette, ça faisait deux ans que je l’avais balancé là par une nuit sans lune avec un couteau de chasse planté dans le bide. 835 carpes et 1 restant de McBridge. Les Jones avaient un cadavre sur les bras, ils ont commencé à se poser les questions qui vont avec… »

D’ une écriture racée, directe et viscérale, Jacques Bablon nous emporte dans ce road trip sans but évident. Au fil de l’écrit les portes s’ouvrent, la trame prend sens .

Sur un point de départ “banal” d’une incarcération pour crime, le protagoniste central entrevoit une lumière. Sa souffrance, son nœud gordien ajusté à son enfance , sa filiation génère une boule enchevêtrée de haine, de rancœur, de froideur. Progressivement celui-ci se meut en une chrysalide douée de sentiments, de contradictions qui sauront le mener à la félicité.

L’utilisation de la narration à la première personne recentre la trame sur l’épicentre d’une histoire de vie d’un personnage qui se pose des questions, cherchant des réponses à des zones d’ombre.

Le mystère de la filiation, les risques de l’impulsivité sont traqués, déjoués, et joueront paradoxalement un rôle rédempteur. La lecture de Bablon est un combat sur un ring sans cordes ni arbitre , notre ressenti est un assentiment sincère à ses estafilades prosaïques. On en ressort ragaillardi d’une alacrité romanesque directe et emplie de références américaines et françaises évidentes.

La chance est une déesse qui se lasse d’habiter constamment auprès des mêmes….

 

Chouchou.

 

 

 

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