Chroniques noires et partisanes

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UN VOISIN TROP DISCRET de Iain Levison / Liana Levi.

Traduction:  Fanchita Gonzalez Batlle.

“Pour que Jim, chauffeur Uber de soixante ans, voie la vie du bon côté, que faudrait-il? Une petite cure d’antidépresseurs? Non, c’est plus grave, docteur. De l’argent? Jim en a suffisamment. Au fond, ce qu’il veut, c’est qu’on lui fiche la paix dans ce monde déglingué. Et avoir affaire le moins possible à son prochain, voire pas du tout. Alors, quand sa nouvelle voisine, flanquée d’un mari militaire et d’un fils de quatre ans, lui adresse la parole, un grain de sable se glisse dans les rouages bien huilés de sa vie solitaire et monotone. De quoi faire exploser son quota de relations sociales…”

Iain Levison, Ecossais ayant débarqué enfant en Amérique continue d’explorer son pays d’adoption dans ce huitième roman, nouvelle radioscopie de la société américaine. Les romans de Levison racontent souvent les galères de types qui, un jour, décident de franchir la ligne pour s’en sortir mais qui souffrent d’un trop grand amateurisme pour les coups tordus pour en sortir vainqueurs. Cette petite classe moyenne qui peine à s’en sortir, qui tente des coups, espérant rejoindre un rêve américain est une fois de plus sa cible.

Iain Levison qui, lui aussi, a connu les galères, multiplié les expériences professionnelles, connu les secousses d’un ascenseur social particulièrement capricieux aux USA, met sûrement beaucoup de sa propre expérience dans ses romans. Il crée ainsi des histoires ordinaires arrivant à des gens tout aussi ordinaires à qui on s’identifie très rapidement dès que leur premier mauvais choix est fait. Les situations sont souvent très noires mais animées d’un méchant humour noir, d’une dérision bien sentie mais aussi d’une visible affection pour ces losers.

Dans “ Un voisin trop discret”, nulle surprise dans le schéma général avec néanmoins peut-être moins de corrosion qu’à l’accoutumée mais une histoire originale se situant souvent en Afghanistan avec les troupes spéciales US et les conflits nés dans les montagnes en zone de guerre se régleront, subtilement et étonnamment, sur le sol américain.

Cool une fois de plus mais sans plus et ce malgré un pied de nez final particulièrement hilarant, témoin, s’il en fallait encore d’une belle maîtrise des ressorts narratifs.

Clete.

POUR SERVICES RENDUS de Iain Levison / Liana Levi.

On ouvre un roman en étant influencé par son état. Ce week-end, je n’étais pas en forme et j’ai pensé un petit Iain Levison me ferait du bien, que je pourrais rire des absurdités qu’il met en scène. En fait, ce roman ne m’a pas fait rire, et je me suis rappelé ce qu’Iain Levison me répondit il y a quelques années.

« Ça arrive très souvent au boulot que je fasse une remarque, et mes collègues me trouvent drôle, mais je n’avais pas l’intention de l’être. Je suis sarcastique, et je sais repérer l’injustice et l’exploitation, mais je ne suis certainement pas un comique. Je suis juste content que les autres estiment que dans ce que j’ai écrit, il y a pas mal de choses drôles. »

Dans ce roman, Iain Levison est implacable. La guerre au Vietnam n’a rien à voir avec celle du débarquement. Il n’y a pas de héros et les civils sont les premières victimes. La politique, c’est une combinaison de sales coups. Draken, la recrue pas très douée du Vietnam, est devenu un homme politique important en 2016 et se présente une nouvelle fois aux élections dans Le Nouveau-Mexique. Un soir, en meeting, il raconte un épisode peu glorieux de son action au Vietnam en inversant les rôles. Malheureusement pour lui, il sera contredit ce qui l’entraînera à créer un nouveau mensonge qui l’entraînera à créer un autre mensonge. Dans cette partie-là, on pourrait se croire dans un roman de Carl Hiaasen tellement les politiques et les médias sont ridicules. Ce qui est bien chez cet auteur, c’est que les personnages restent toujours des humains.

« Les gens ne sont ni parfaits ni néfastes intrinsèquement , et c’est comme ça que j’aime les dépeindre. Donc c’est par les gens que je commence , et je construis l’histoire autour d’eux. »

A l’ère de Trump et des fake news, il n’est pas étonnant qu’Iain Levison ait choisi le mensonge comme thème de son roman. Il est malheureusement dommage que les gens ne lisent plus ou peu. On pourrait prescrire la lecture de « Pour services rendus » à tous les Américains en échange d’un remboursement par l’Obamacare.

« A chaque fois que j’ai écrit quelque chose dont je pense qu’il exprime vraiment bien une certaine émotion, je me sens plus léger, comme physiquement soulagé d’un poids. »

BST.

ILS SAVENT TOUT DE VOUS de Iain Levison / Editions Liana Levi

 

Roman après roman, l’Américain d’origine écossaise Iain Levison écrit de solides histoires noires ordinaires aux personnages particulièrement poissards mais toujours colorées par un humour parfois féroce mais toujours apte à rendre la tragédie moins sinistre.

Changement de cap radical a priori avec ce « Ils savent tout de vous » qui file vers le roman d’anticipation.

« Avez-vous déjà rêvé de lire dans les pensées des gens? Savoir ce que se dit la serveuse en vous apportant votre café du matin. Ce que vos amis pensent vraiment de vous. Ou même ce que votre chat a dans la tête? Eh bien, c’est exactement ce qui arrive un jour à Snowe, un flic du Michigan. Au début, il se croit fou. Puis ça l’aide à arrêter pas mal de faux innocents… À des kilomètres de là, un autre homme est victime du même syndrome. Mais lui est en prison, et ce don de télépathie semble fortement intéresser le FBI… »

Ce titre français assez loin de l’original « Mindreader » est finalement pour une fois plutôt une réussite dans le sens où à la lecture du roman, vous vous apercevrez que Levison à travers son intrigue nous lance un signal, une mise en garde contre les nouvelles technologies, les réseaux sociaux, le net, qui permettent aux personnes mal intentionnées, simples malveillants ou carrément institutionnalisés de nous traquer, de nous épier plus qu’on ne le pense. Entre parenthèses, les grands penseurs des cafés du commerce comme il en existe tellement sur les réseaux sociaux qui s’insurgent contre les ingérences de l’état ou d’organisations internationales dans nos petites affaires par le biais de… facebook m’ont toujours bien fait marrer. Bref, première leçon du roman, on est encore beaucoup plus fliqués qu’on ne le pense, on le savait mais sans rentrer dans les détails ni dans des descriptions techniques Levison nous le prouve à plusieurs reprises. Et c’est le vrai Levison qui s’intéresse aux victimes américaines ou simplement occidentales du XXIème siècle que l’on retrouve avec bonheur assez rapidement après avoir eu la frousse de le voir emprunter la voie de tant de daubes ricaines et de leurs pitoyables et regrettables ersatz français.

Nouveauté quand même chez Levison, à mon sens, c’est cette capacité à produire un thriller pas totalement haletant mais bien monté néanmoins et fonctionnant parfaitement par la sympathie qu’il sait créer pour ses personnages finalement un peu handicapés par ce talent de télépathie qu’ils possèdent et pour qui finalement on se soucie assez rapidement tout en dévorant des pages parsemées abondamment d’un humour vachard.

Fin observateur de nos mœurs, Levison crée à nouveau des personnages vivants dès les premières pages, des hommes et des femmes de chair et de sang victimes qu’on pourrait très bien connaître par leurs comportements humains dans le bon comme dans le mauvais sens. Loin des thrillers d’anticipation de supermarché, Levison a écrit un nouvelle fois un roman particulièrement réjouissant, un bouquin sur les manipulations du cerveau qui ne vous prendra pas la tête.

Intelligent.

Wollanup.

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