Sœur Holiday, aussi chrétienne qu’agnostique marche sur les dalles du cloître sans en effleurer les angles ni en égratigner les règles. Non, d’ailleurs : elle s’en fout des dalles, de que dalle, de l’ordre comme du désordre. Plus Carpe diem que Jour du seigneur, et confrontée soudain à un incendie criminel au cœur de son sacerdoce entre les murs de l’Ecole Saint-Sébastien, elle écrase derechef son mégot et se lance corps et âme, voire corps et amen, sur les traces du ou des coupables pyromanes. Tabagique, accro à toutes les bribes d’un passé qui nous sont diffusées au fil des escarbilles, elle mute en détective improvisée et auxiliaire de police dubitative. La paix de son sanctuaire est à ce prix, mais son passé rock’n’roll de nonne queer’n’punk n’est pas sans luttes internes ni sacrifices personnels. Fidèle, c’est le mot, à ce refuge où la foi en la rédemption l’a acceptée lorsque sa jeunesse bringuebalante fermait toutes les autres portes, elle délaisse les serpillières et les cours de chant dont elle a la charge pour rechausser les Docs et emprunter un chaotique chemin de croix, aussi binaire que dévoyé. Des basses besognes qu’elle considère comme un privilège (« Ressentir la douleur ? La preuve qu’on progresse ») aux pénitences infligées, elle relativise toutes les conneries des clochers dominants et finit par statuer que survivre aux flammes est un peu son destin de dure à cuire, dure en cuir, voire dure en queer. Et en toute logique, avec ce personnage central qui fume comme un pompier, Repentie commence par le feu et finit par le feu, sans cesse attisé par les gerbes d’étincelles noires d’une écriture inédite qui à la fois se moque de tout et respecte tout. L’équilibre est parfait, porté haut par un humour pointu, déchargé à chaque page par les canons surchauffés d’une arme littéraire à répétition, aussi intelligente qu’intelligible, entre révérences, références et irrévérences. Diluant ainsi la rigueur paroissiale grise dans la moiteur colorée de la Nouvelle-Orléans, Margot Douaihy (poétesse et figure de la communauté LGBT yankee, enseignante à l’université Franklin Pierce du New Hampshire et rédactrice en chef du Northern New England Review) réussit un premier roman pétillant et joliment rythmé. C’est totalement foutraque et charpenté d’un humour décapant, mais incroyable d’assurance et de modération entre le respect des croyances et le désir de sauter à pieds joints dans le marigot. À noter que la VO américaine du livre (titrée Scorched Grace, grâce brûlée) est publiée par Gillian Flynn, l’autrice de GoneGirl devenue éditrice pour le coup.
“Des bas-fonds de La Nouvelle-Orléans aux plages de Hawaï en passant par la côte californienne, on y croise petites frappes et trafiquants de haut vol, gentlemen cambrioleurs, flics obsessionnels, surfeurs de légende et fugitifs, autant d’âmes damnées qui évoluent dans l’envers du rêve américain…”
Un Winslow, ça ne se refuse pas même si “Le prix de la vengeance” n’est qu’ un recueil de nouvelles mais ma foi conséquentes et savoureuses à bien des égards. En fait, y compris ou surtout peut-être dans des écrits plus courts, Winslow montre l’étendue de son talent et l’universalité de son propos dans le polar.
Winslow est un grand auteur de polars, de loin le meilleur ricain du moment pour cette incroyable trilogie de “La griffe du chien” inaugurée par le roman éponyme, poursuivie par “Cartel” et terminée par “La frontière”. Mais il ne faudrait tout de même pas résumer l’oeuvre de Winslow très diversifiée à ce monument. Allant du très bon avec sa série de jeunesse autour de l’épatant Neil Carey, au plus ordinaire dans ces romans sur les surfeurs de l’époque où il vivait à San Diego jusqu’au très peu crédible de sa série Missing sans oublier les très détestables “Savages” et “Cool” par la mentalité qui s’y dégage avec des gentils Américains beaux, jeunes, intelligents, blancs, Californiens pourvoyeurs de bonheur avec leur weed cultivée avec amour en lutte contre des méchants Mexicains dealers de beuh dégueu… Winslow a beaucoup écrit.
On peut très bien envisager “Le prix de la vengeance” comme un résumé de sa carrière et les fans de l’auteur, et j’en suis, vont forcément apprécier à sa juste mesure ces six histoires écrites avec le talent de conteur qu’on connaît maintenant si bien et offertes au lecteur et qui lui sont d’ailleurs dédiées en préambule. La vengeance, la justice et l’auto-justice, la came, les flics, la frontière, les voleurs de haut vol, la trahison, la rédemption autant de thèmes présents dans l’oeuvre de Winslow qu’on retrouve dans ces six petites merveilles.
Neil Carey, Bobby Z !!!, Boone Daniels de “la patrouille de l’aube” mais aussi les trois têtes à baffes de “Savages”, tous ces personnages emblématiques ressortent de l’ombre et ce sont autant de clins d’œil réjouissants pour ceux qui connaissent bien Winslow. Mais nul besoin de connaître ces héros pour apprécier le bouquin. De pouvoir embrasser plusieurs aspects de l’oeuvre de Winslow dans un même recueil est même une très belle chance pour entrer dans l’univers protéiforme noir de l’auteur. La peur mais aussi le rire, la nostalgie, l’émotion parsèment, chacun à leur tour, ces six nouvelles que les fans, sans nul doute, adoreront.
Clete.
PS: Mention spéciale à l’hommage à Elmore Leonard intitulé “le zoo de San Diego” où un flic essaye de neutraliser un singe avec un flingue évadé d’un zoo.
Depuis quelque temps, Harper Collins nous balance de bons polars ricains et c’est quand même la moindre des choses. Quand on a Don Winslow dans son catalogue, on doit être un peu obligé d’offrir un peu de richesse aussi par ailleurs et ce premier roman du Canadien David Albertyn n’a pas, effectivement, à rougir de se trouver aux côtés de l’auteur de “La frontière”.
“Las Vegas. Antoine Deco, jeune boxeur outsider et enfant de la ville, s’apprête à affronter le favori Kolya Konytsin, réputé pour sa brutalité et ses 19 victoires par K.-O., dans l’arène d’un des plus grands casinos du Strip.
Quelques heures avant le combat, le hasard réunit autour de lui deux amis qu’il n’a pas revus depuis l’enfance. Tyron, un ex-marine tout juste revenu d’Irak. Et Keenan, devenu flic et l’homme le plus haï de Vegas après qu’il a tué un jeune Noir désarmé dans la rue.
Adolescents, une passion unissait leur bande : le sport. Antoine, orphelin et mutique, restait dans l’ombre, tandis que Tyron, Keenan et Naomi, la seule fille mais aussi la plus douée, prenaient la lumière. Jusqu’à ce que les parents de Tyron, des activistes de la communauté afro-américaine, se fassent assassiner. Et que le petit groupe explose.
Avec le quatuor recomposé surgissent les souvenirs, les non-dits, les rancunes.
En l’espace de vingt-quatre heures et d’un combat de boxe sous haute tension, leurs vies vont basculer.”
En démarrant “Riposte”, on peut se montrer inquiet: un latino boxeur ayant fait de la taule, un black capitaine chez les Marines rentré en héros de ces campagnes en Afghanistan et en Irak, un flic qui a commis une énorme bavure, une fille qui était éprise des trois garçons et qui a finalement épousé le mauvais, un grand combat de boxe et Las Vegas. Beaucoup de stéréotypes, beaucoup de situations et de décors déjà bien usés par la littérature noire et puis cela fonctionne, très bien même avec un auteur aussi à l’aise dans l’urgence de scènes de violence que dans la lenteur mélancolique des regrets intimes.
Sur un cycle de 24 heures, David Albertyn va passer d’un personnage à l’autre avec un réel talent contant cette histoire de vengeance dont on va connaître les raisons petit à petit sans que cela gêne l’avancée de l’intrigue et racontant l’histoire de ces quatre mômes qui ont bien changé vingt ans après. Sans ennuyer le lecteur un seul instant, David Albertyn montre les guerres ricaines au Moyen Orient, « Black Lives Matter », le milieu de la boxe, l’enfer des casinos, la corruption policière mais aussi les remords, l’amitié, l’amour qui s’enfuit et celui, bien plus ancien, qui brille toujours autant. Le rythme est bon, s’accélérant dans sa deuxième moitié qui baignera dans le sang, la violence, la stupéfaction et l’hébétement.
Bien pensé, bien monté, bien raconté, très bien joué monsieur Albertyn… Assurément un nom à retenir.
“Art Keller, ancien agent de la DEA, est recruté par le sénateur républicain O’Brien pour participer à une opération officieuse au Guatemala : aider le cartel de Sinaloa, dont la mainmise sur le Mexique assure un semblant de stabilité à la région, à se débarrasser d’une organisation rivale sanguinaire, Los Zetas. La rencontre organisée entre les dirigeants des deux cartels tourne au bain de sang : les trafiquants s’entretuent et le parrain de Sinaloa disparaît. Keller retourne alors au Mexique, où il retrouve la femme qu’il aime, Marisol. Maire d’une petite ville, celle-ci résiste vaillamment aux cartels, malgré la tentative d’assassinat qui l’a laissée infirme quelques années plus tôt. Quand O’Brien propose à Keller de prendre la tête de la DEA, il y voit l’occasion de lutter contre les organisations qui sèment la mort en Amérique. Il accepte.”
Les décharges du Guatemala, les pêcheurs du Costa Rica, le Guerrero et le Sinaloa au Mexique, Mexico, Juarez, Tijuana, Acapulco mais aussi Vegas, la Californie, Washington, New York avec Inwood et Washington Heights au nord de Manhattan et Staten Island, les prisons américaines, les centres de rétention… la zone de guerre s’est étendue.
Don Winslow a déclaré que tout ce qui était raconté dans cette trilogie, inaugurée en 2005 avec “la griffe du chien”, poursuivie en 2016 avec “Cartel” et qui connaît son dénouement cette année, s’est réellement passé et que parfois il a lui-même préféré édulcorer les faits. C’est un monde effroyable que nous montre, nous décrit, nous explique, nous raconte Don Winslow pour la troisième fois et peut-être de manière encore plus aboutie que précédemment.
“La frontière” chère à Trump, démarre au début des années 2010 et se termine au moment de l’élection du promoteur à la Maison Blanche. Il y a deux Winslow, celui qui a écrit et continue encore à produire des polars globalement honnêtes et parfois même d’un goût douteux comme “Savages” et sa suite et… le grand Don auteur de cette exceptionnelle trilogie sur cette guerre contre le trafic des narcotiques: la marijuana, la meth, la cocaïne autrefois, l’héroïne et le fentanyl maintenant.
Une fois de plus, c’est du très, très haut niveau. Il faut parfois s’accrocher, rester bien concentré, le théâtre des conflits s’ est étendu, leur nombre méchamment aussi. Au cours de ces huit cents pages, fleurit un nombre impressionnant d’intrigues qui se recoupent, s’éloignent pour se retrouver en mode sanglant et éprouvant y compris pour un vieux guerrier comme Art Keller, toujours aussi cow-boy et franc-tireur malgré sa promotion à la tête de la DEA.
Nul besoin de lire les deux premiers pour attaquer “la frontière” tout en considérant néanmoins que vous vous privez de deux énormes monuments. “La frontière” lance une nouvelle histoire, une nouvelle apocalypse qui démarre par une guerre entre “los hijos”, héritiers des chefs narcos se disputant l’empire, le territoire, la thune, la came, les femmes…Keller, lui, a compris qu’il ne pourra jamais venir à bout du trafic à partir du Mexique et va s’attaquer ainsi au financement, à l’argent qui circule, à la came qui débarque aux USA, à l’ennemi intérieur.
Don Winslow dévoile toute la constellation narcos, les gamins qui crèvent d’overdose, les nanas en manque qui se vendent, les maras, les sicarios, les victimes de la terreur, les dispensaires, les massacres, la barbarie, la misère, les ateliers de fabrication du poison, les trains de l’horreur pour monter vers la frontière américaine, les territoires, mais aussi les financiers véreux, les banquiers ripoux, le blanchiment des montagnes de narcodollars, les trahisons, les politiques américains et mexicains unis par l’argent sale, les flics corrompus, la géopolitique régionale, l’économie du trafic…
La route vers “la frontière” est longue, difficile, complexe, noyée de sang et de larmes, pavée d’horreur et de mort: huit cents pages sidérantes, époustouflantes au bout de l’enfer.
Drogue dure !
Wollanup.
PS: Et une petite chansonnette à la gloire de Juan Alberto Ortiz Lopez, alias “Juan Chamale”, un gros narco.
Chez Harper Collins Noir, on commence à se doter d’un catalogue particulièrement intéressant pour les fans de polars. Après la surprise Winslow et l’excellent roman newyorkais “Corruption”, voici Lou Berney, tout nouveau chez nous mais déjà auteur reconnu aux States. Même si Winslow se fend, pour l’occasion, d’un ruban somme toute assez incertain, on aurait tort de snober “November Road”, roman qui se situe au moment de la mort de JFK le 22 novembre 1963 et les quelques jours suivants quand l’ Amérique est abasourdie, sous le choc.
Tout en frôlant la grande histoire de la tragédie de Dallas, “November road” n’est absolument pas un énième roman sur la mort de Kennedy. Il se cadre par contre sur la thèse largement répandue de l’implication de la Mafia et sur l’hypothèse Carlos Marcello, parrain de la Nouvelle Orleans, qui vouait une haine farouche au président adulé.
Frank Guidry, un des bras droits de Carlos Marcello, voit certains des membres de la “Famille” disparaître, exécutés quelques heures après l’assassinat de JFK. Rapidement, il fait le rapprochement et se rend compte que les exécutions sont en lien avec l’évènement monstrueux, il comprend l’implication de son boss et saisit que sa propre implication très indirecte en fait, lui aussi, un témoin gênant. La mort de Lee Harvey Oswald, deux jours plus tard, dans les locaux de la police, sous les balles de Jack Ruby mafieux de bas étage, finit de le convaincre de fuir vers l’Ouest, la Californie, afin de quitter le pays le plus rapidement possible. « Go West » et à tombeau ouvert pour semer Barone, tueur à gages chevronné, vite lancé à ses trousses.
Dans le même temps, Charlotte, dans l’Oklahoma, n’aime plus sa vie. Son ex-prince charmant devenu son mari et le père de ses deux filles se noie dans l’alcool et passe de boulots merdiques à des emplois pourris avec la même constante, il boit son salaire. La famille a du mal et à 30 ans, Charlotte n’en peut plus. Un jour de déprime plus prononcé que les autres, elle décide de mettre ses deux filles et son chien épileptique dans la voiture, de remplir quelques valises et de partir vers L.A., la Californie, retrouver une lointaine parente pour se donner une nouvelle chance.
Le début alterne les péripéties avant le départ des deux fuyards. Nul doute, qu’ils vont se retrouver quelque part sur la route et le roman balance entre un polar, un roman sur la Mafia particulièrement bon et addictif dans son urgence et sa violence froide et un drame social, un roman noir plus intime, ordinaire, plus tourné vers le désespoir d’une Américaine moyenne des années 60, voulant forcer le destin, briser les chaînes imposées par son épave de mari. La seule pitié qu’il lui inspire ne suffit plus.
Le roman se lit, dans sa première partie, comme un page turner tout en développant une version crédible de Dallas, montrant le fonctionnement de la Pieuvre en Louisiane mais donnant aussi un intéressant instantané de l’ Amérique au moment d’une tragédie nationale. Guidry veut leurrer le tueur à ses trousses et Charlotte, ses deux filles et le chien, en panne, dans un bled pourri, très loin de l’Eldorado californien sont une aubaine pour lui. Hélas, Guidry, un dur, un salopard, un vrai mafieux, un collectionneur de femmes faciles va tomber sur un os, un très gros… en la personne de Charlotte. Son charme ordinaire, sans artifice ni fard, va foudroyer Guidry, donnant, pendant quelques pages mais quelques pages seulement, un ton beaucoup plus rose aux lignes parcourues.
La deuxième partie hausse le ton d’une intrigue qui se trouve complexifiée par les mensonges de Guidry pour parfaire sa couverture de représentant de commerce aux yeux de Charlotte et d’adorable père de famille aux yeux de tous ceux qu’ils rencontrent sur la route.
Certains amateurs de polars tiqueront certainement sur cette “idylle” si soudaine mais rassurons-les, l’aspect romans de gangsters prévaut très largement et “ November Road” a le charme rétro assez irrésistible de certains polars de cette époque justement et s’avère être avant tout, un pur roman de gangsters, franchement dans la ligne sanglante des polars sur la Mafia. De la bonne came.
Traduction: Jean Esch. ( Ce monsieur est la pointure, l’épée du genre. Sur son CV: Chesbro, Westlake, Pelecanos, Block, CRUMLEY et Winslow…toute la crème du roman noir ricain!)
Ce roman est tout sauf une surprise, c’est juste le retour du Grand Don Winslow, du très grand Winslow, jusqu’au vertige. Il y a deux Winslow, un auteur capable d’écrire des romans grandioses mais aussi du très quelconque même si ses bouquins les plus ordinaires feraient le bonheur de bien des auteurs. Seulement, on peut avoir du mal à supporter des daubes comme ses histoires de surfers écrites quand il s’est installé à San Diego au paradis de la glisse californien, sur les bords du Pacifique et les insupportablement xénophobes et clichetons “Savages” et “Cool” de la part d’un écrivain qui nous a offert le chef d’oeuvre que l’on n’attendait pas vraiment de lui, qu’il n’avait pas laissé vraiment deviner, au cœur de l’été 2007… “la griffe du chien”. Neuf ans après, retour de l’extase avec “Cartel” qui continuera ce qui sera une trilogie exceptionnelle sur la guerre contre les narcos-trafiquants. Enfin, début novembre déboule un nouveau monument nommé “the force”, hélas très pauvrement rebaptisé “Corruption” .
“Denny Malone est le roi de Manhattan North, le leader charismatique de La Force, une unité d’élite qui fait la loi dans les rues de New York et n’hésite pas à se salir les mains pour combattre les gangs, les dealers et les trafiquants d’armes. Après dix-huit années de service, il est respecté et admiré de tous. Mais le jour où, après une descente, Malone et sa garde rapprochée planquent pour des millions de dollars de drogue, la ligne jaune est franchie. Le FBI le rattrape et va tout mettre en œuvre pour le force à dénoncer ses coéquipiers. Dans le même temps, il devient une cible pour les mafieux et les politiques corrompus. Seulement, Malone connaît tous leurs secrets. Et tous, il peut les faire tomber……”
Denny Malone et ses trois collègues, potes, amis, frères forment une équipe soudée qui fait la guerre jour après jour et qui comme les autres flics, les politiciens, les juges, les avocats, les promoteurs en croque. Pas de raison de faire le sale boulot dans la rue tandis que les cols blancs s’en foutent plein les poches. Ils vont chercher le pognon sur le territoire des gangs (voir la stupéfiante carte interactive du crime), des prises de guerre. Les dealers vivent vite et meurent jeunes, Malone vit vite et veut mourir vieux. Il pense à sa retraite, les études des gosses… Il faut beaucoup de thune pour pouvoir vivre à New York, il amasse mais en risquant sa vie jour et nuit et il tombe… Malone, héros ou salaud, les deux ou ni l’un ni l’autre? Avant tout un très grand personnage romanesque, un mec inoubliable avec ses convictions, ses contradictions, ses failles… « Serpico », Le prince de New York », Denny Malone le cinéma de Sydney Lumet.
Quand les Noirs ne tuent pas des Noirs, les flics s’en chargent. Dans un cas comme dans l’autre, se dit Malone, des Noirs meurent.
Et il est toujours flic.
New York est toujours New York.
Le monde est toujours le monde.
Oui et non. Son monde a changé.
Il a mouchardé.
La première fois, se dit-il, ça change la vie.
La deuxième fois, c’est juste la vie.
La troisième fois,c’est votre vie.
C’ est ce que vous êtes devenu.
Une balance.
Mais Malone a du sang irlandais qui coule dans ses veines, la famille, le clan c’est sa vie son graal. Le fighting spirit, il l’a appris dans la rue, il maîtrise et il va entamer une putain de guerre dégueulasse pour sa vie, pour les siens et surtout son honneur. Don Winslow, dans des rues sordides, dans des halls dégueulasses, dans des apparts immondes peuplés de malades, de salauds, de paumés, de criminels crée la plus stupéfiante, la plus frappante des tragédies, un roman que vous n’oublierez sûrement jamais.
Corruption, c’est aussi et surtout New York et Manhattan mais pas celui des touristes et du faste, une zone qui commence quand Central Park disparaît, des endroits que le touriste n’entrapercevra que s’il monte jusqu’au musée des Cloisters. Harlem en intro colorée puis Washington Heighs et Inwood que la Harlem River séparera du Bronx. Des rues plus étroites où la pierre conserve la mémoire et les stigmates de guerres antérieures, des occupations irlandaises ou ritales puis hispanophones puis caribéennes et mettent en garde le passant imprudent, territoires attendant chaque soir que le soleil disparaisse derrière la skyline pour devenir des zones de guerre urbaine quand les junkies vont chercher leur dose. Winslow est originaire de New-York et on le sent, on le voit, on le touche immédiatement. Et son immense talent de conteur allié à une connaissance parfaite de son environnement romanesque entièrement dévoué au lecteur novice fonctionne une nouvelle fois à merveille.
Si vous connaissez New York, c’est un bonheur. Si vous avez vécu à New York, c’est un immense bonheur, si vous ne connaissez pas New York, c’est aussi un bonheur. Winslow aime New York, vous fait aimer New York, vous emporte, vous chavire, vous émeut. Il y a très longtemps que je n’avais pas connu un tel bonheur de lecture.
“Dans une seule rue vous entendez cinq langues, vous sentez six cultures, vous écoutez sept genres musicaux, vous voyez une centaine de personnes, un millier d’histoires, et tout ça c’est New York.
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