Traduction: Jean Esch. ( Ce monsieur est la pointure, l’épée du genre. Sur son CV: Chesbro, Westlake, Pelecanos, Block, CRUMLEY et Winslow…toute la crème du roman noir ricain!)
Ce roman est tout sauf une surprise, c’est juste le retour du Grand Don Winslow, du très grand Winslow, jusqu’au vertige. Il y a deux Winslow, un auteur capable d’écrire des romans grandioses mais aussi du très quelconque même si ses bouquins les plus ordinaires feraient le bonheur de bien des auteurs. Seulement, on peut avoir du mal à supporter des daubes comme ses histoires de surfers écrites quand il s’est installé à San Diego au paradis de la glisse californien, sur les bords du Pacifique et les insupportablement xénophobes et clichetons “Savages” et “Cool” de la part d’un écrivain qui nous a offert le chef d’oeuvre que l’on n’attendait pas vraiment de lui, qu’il n’avait pas laissé vraiment deviner, au cœur de l’été 2007… “la griffe du chien”. Neuf ans après, retour de l’extase avec “Cartel” qui continuera ce qui sera une trilogie exceptionnelle sur la guerre contre les narcos-trafiquants. Enfin, début novembre déboule un nouveau monument nommé “the force”, hélas très pauvrement rebaptisé “Corruption” .
“Denny Malone est le roi de Manhattan North, le leader charismatique de La Force, une unité d’élite qui fait la loi dans les rues de New York et n’hésite pas à se salir les mains pour combattre les gangs, les dealers et les trafiquants d’armes. Après dix-huit années de service, il est respecté et admiré de tous. Mais le jour où, après une descente, Malone et sa garde rapprochée planquent pour des millions de dollars de drogue, la ligne jaune est franchie.
Le FBI le rattrape et va tout mettre en œuvre pour le force à dénoncer ses coéquipiers. Dans le même temps, il devient une cible pour les mafieux et les politiques corrompus. Seulement, Malone connaît tous leurs secrets.
Et tous, il peut les faire tomber……”
Denny Malone et ses trois collègues, potes, amis, frères forment une équipe soudée qui fait la guerre jour après jour et qui comme les autres flics, les politiciens, les juges, les avocats, les promoteurs en croque. Pas de raison de faire le sale boulot dans la rue tandis que les cols blancs s’en foutent plein les poches. Ils vont chercher le pognon sur le territoire des gangs (voir la stupéfiante carte interactive du crime), des prises de guerre. Les dealers vivent vite et meurent jeunes, Malone vit vite et veut mourir vieux. Il pense à sa retraite, les études des gosses… Il faut beaucoup de thune pour pouvoir vivre à New York, il amasse mais en risquant sa vie jour et nuit et il tombe… Malone, héros ou salaud, les deux ou ni l’un ni l’autre? Avant tout un très grand personnage romanesque, un mec inoubliable avec ses convictions, ses contradictions, ses failles… « Serpico », Le prince de New York », Denny Malone le cinéma de Sydney Lumet.
Quand les Noirs ne tuent pas des Noirs, les flics s’en chargent. Dans un cas comme dans l’autre, se dit Malone, des Noirs meurent.
Et il est toujours flic.
New York est toujours New York.
Le monde est toujours le monde.
Oui et non. Son monde a changé.
Il a mouchardé.
La première fois, se dit-il, ça change la vie.
La deuxième fois, c’est juste la vie.
La troisième fois,c’est votre vie.
C’ est ce que vous êtes devenu.
Une balance.
Mais Malone a du sang irlandais qui coule dans ses veines, la famille, le clan c’est sa vie son graal. Le fighting spirit, il l’a appris dans la rue, il maîtrise et il va entamer une putain de guerre dégueulasse pour sa vie, pour les siens et surtout son honneur. Don Winslow, dans des rues sordides, dans des halls dégueulasses, dans des apparts immondes peuplés de malades, de salauds, de paumés, de criminels crée la plus stupéfiante, la plus frappante des tragédies, un roman que vous n’oublierez sûrement jamais.
Corruption, c’est aussi et surtout New York et Manhattan mais pas celui des touristes et du faste, une zone qui commence quand Central Park disparaît, des endroits que le touriste n’entrapercevra que s’il monte jusqu’au musée des Cloisters. Harlem en intro colorée puis Washington Heighs et Inwood que la Harlem River séparera du Bronx. Des rues plus étroites où la pierre conserve la mémoire et les stigmates de guerres antérieures, des occupations irlandaises ou ritales puis hispanophones puis caribéennes et mettent en garde le passant imprudent, territoires attendant chaque soir que le soleil disparaisse derrière la skyline pour devenir des zones de guerre urbaine quand les junkies vont chercher leur dose. Winslow est originaire de New-York et on le sent, on le voit, on le touche immédiatement. Et son immense talent de conteur allié à une connaissance parfaite de son environnement romanesque entièrement dévoué au lecteur novice fonctionne une nouvelle fois à merveille.
Si vous connaissez New York, c’est un bonheur. Si vous avez vécu à New York, c’est un immense bonheur, si vous ne connaissez pas New York, c’est aussi un bonheur. Winslow aime New York, vous fait aimer New York, vous emporte, vous chavire, vous émeut. Il y a très longtemps que je n’avais pas connu un tel bonheur de lecture.
“Dans une seule rue vous entendez cinq langues, vous sentez six cultures, vous écoutez sept genres musicaux, vous voyez une centaine de personnes, un millier d’histoires, et tout ça c’est New York.
New York est le monde.
Le monde de Malone en tout cas.
Jamais il ne la quittera.
Il n’a aucune raison de le faire.”
Un roman exceptionnel, un chef d’oeuvre.
Masterpiece!
Wollanup.
J’ai lu ton billet en diagonale, parce que je suis en plein dedans. Je crois que mon avis sera un peu plus réservé que le tien : j’ai eu un peu de mal au départ avec le style et l’aspect un peu morcelé, « assemblage », de l’intrigue, me gêne un peu aussi… Je n’en suis qu’au premier tiers, mais je ne me sens pas emportée comme j’ai pu l’être avec La griffe du chien ou Cartel.
Attends, poursuis ta lecture… une vraie tragédie.
Belle chronique, ça me donne déjà envie de le relire… C’est vrai que le titre original est meilleur et permet plusieurs jeux de mot dans le roman entre autres avec des « May da Force be with you », même si je suis sûr que le grand Jean Esch a trouvé des moyens de rendre parfaitement justice au texte original ! J’ai vraiment l’impression que Winslow a franchi un palier depuis Cartel, et j’attends avec impatience The Border l’année prochaine (https://www.harpercollins.com/9780062664488/the-border/). Et pour finir, je ne sais pas si vous en aviez entendu parler, mais ce roman est en cours d’adaptation au cinéma par James Mangold, avec David Mamet et Scott Frank au scénario (une partie de l’équipe de « Logan »)
Ce palier franchi, c’est certain, vient aussi sûrement qu’il y met beaucoup d’affectif étant lui-même New-yorkais. J’ai vécu deux ans à NY et je me suis retrouvé dans de multiples petits détails qui échappent forcément au profane. On sent vraiment le souffle de la ville, ce rythme de vie trépidant qu’on est bien obligé de suivre sous peine de rester à quai, ce patchwork humain. Jean Esch est une légende, un livre qu’il traduit est de suite marque d’intérêt pour moi. Une adaptation ciné oui, je savais …j’aurais bien aimé le Paul Thomas Anderson de « there will be blood » ou le James Gray même si lui, c’est plutôt Brooklyn et Little Odessa. Merci de tes commentaires Tannhauser.
Ah c’est sûr que James Gray en aurait fait une sacrée adaptation que je serais allée voir aussitôt ! Mais je pense que l’apport de David Mamet peut donner quelque chose de bien (« La prisionnière espagnole » reste parmi mes films préférés), en tout cas je croise les doigts… Hélas, je ne connais New York que par les films et les romans de Westlake ou Ed McBain… Bonne journée !
Avec tout ton bagage littéraire sur la ville, quand tu la découvriras, tu auras l’impression d’entrer dans le roman, dans le film… parcourir les mêmes rues que Dortmunder, que le Scudder de Block… bonne journée à toi aussi.