Chroniques noires et partisanes

Étiquette : fleuve

LES NAUFRAGÉS HURLEURS de Christian Carayon / Fleuve.

J’ai retrouvé avec plaisir l’écriture de Christian Carayon, après son précédent roman “Torrents”, paru en 2018. « Les naufragés hurleurs » est en fait une réédition de 2014 paru aux éditions Les Nouveaux auteurs.

Cette fois, nous remontons le temps jusqu’en 1925. Martial de la Boissière est un homme qui vit reclus, il ne sort que pour enquêter seul, pour le compte d’une société secrète le Cercle Cardan. Un jour, il apprend avec stupéfaction la mort de son ami d’enfance Alain Monsignac lors d’un naufrage. Il n’était pas seul sur le bateau, il était avec sa belle-mère Madame Lestage. Mais Martial ne croit pas à un accident. Alain était un navigateur chevronné qui n’aurait jamais commis les erreurs qui ont conduit à cette noyade.

Il part donc pour l’île de Bréhat, rencontrer la famille Lestage et enquêter afin de réhabiliter le nom de son ami. Nous parcourons donc cette île sauvage, mystérieuse, qui fait la part belle à la sorcellerie. L’île est un personnage à part entière avec sa lande, sa mer agitée et ses habitants qui vivent reclus. 

Christian Carayon nous offre un roman plein de charme et d’émotions. L’enquête est menée comme dans un roman d’Agatha Christie avec souvent une corrélation entre Martial et Hercule Poirot. Nous sommes dans un huis-clos sur cette île, avec une ambiance de fin du monde lors des tempêtes hivernales qui secouent la lande et les côtes escarpées. Chaque protagoniste a des secrets que Martial se fera fort de débusquer. 

Ce livre est fait pour les amateurs d’enquêtes à l’ancienne, la comparaison avec Agatha Christie et son détective légendaire n’est probablement pas fortuite. Mais ce qui porte avant tout ce livre, c’est la qualité d’écriture qui permet de transcrire tout le charme de cette magnifique île bretonne.

Très beau.

Marie-Laure.


CINQ CARTES BRÛLÉES de Sophie Loubière / Fleuve noir.

La vie de Laurence est une longue suite de frustrations et de solitude. Elle naît et vit à St Flour et travaille à Chaudes-Aigues petite ville du Cantal dans un environnement assez austère. L’arrivée de cet enfant dans le foyer chamboule tout : son frère a du mal à accepter cette petite sœur qui prend sa place, et le couple de parents vole en éclat quelques années plus tard. Pour Laurence il s’agit là du grand malheur de sa vie, elle qui aimait son père d’un amour absolu, ne pourra plus le voir, partager sa vie. Elle se retrouve alors dans une solitude immense, entre une mère aigrie et un grand frère tyrannique. Elle sombre petit à petit, se réfugie dans la nourriture qui lui permet de se constituer une enveloppe qui la coupe certes du monde, mais la protège également.

C’est l’histoire d’une souffrance qui se transforme en folie. On sait, dès les premières pages que cela ne peut que tourner au drame, mais sous quelle forme, quel chemin va être suivi petit à petit pour en arriver là ? 

« Laurence Graissac était, depuis le premier jour de sa naissance, une bombe à retardement »

Son frère l’écrase, sa mère la rend responsable de ses propres malheurs, et au milieu Laurence doit avancer tant bien que mal. Elle voudrait s’échapper de ce monde, de cette famille, vivre sa vie sans aucune dépendance, en totale liberté. Mais en est-elle capable, peut-elle réellement couper les ponts et ne plus se préoccuper de sa mère et surtout de son frère, qui reste son pilier, son appui malgré les quolibets dont il l’afflige?

Sophie Loubière nous offre une illustration de ce que des traumatismes subis dans l’enfance génèrent dans une famille et dans une vie d’adulte. La manipulation est présente tout du long du roman, mais on en vient à se poser cette question : qui manipule qui, qui sous justificatif de sa douleur insuffle encore plus de souffrance aux autres ?

 « Pour les autres, l’important, c’est ce qu’ils font de nous, pas ce que nous sommes. » 

L’atmosphère du roman est très sombre, à l’image de ce coin du Cantal pendant l’hiver : rude, âpre, mordant. La solitude en est le fil conducteur, on peut l’apprécier, la chercher mais elle devient parfois lourde à porter et il faut une grande force pour l’apprivoiser et que ce ne soit pas elle, qui au bout du compte, emporte tout et nous écrase. 

Marie-Laure.



LA PYRAMIDE DE BOUE d’Andrea Camilleri / Fleuve noir.

Traduction: Serge Quadruppani.

Andrea Camilleri est un auteur italien figurant dans l’équivalent transalpin de la pléiade, un vrai monument donc devenu internationalement connu avec ses enquêtes policières du commissaire Montalbano dont nous découvrons avec “la pyramide de boue” la vingt cinquième aventure traduite en français (six restent inédites) et écrite à l’occasion du vingtième anniversaire de la création des personnages. Camilleri a aussi beaucoup écrit en dehors de cette série et bien souvent loin de l’univers polar. La Sicile est est le cadre de Montalbano et plus particulièrement la ville fictive de Vigàta. Cette cité imaginaire, la RAI qui a créé deux séries à partir des aventures du commissaire la situe au sud-est de l’île un choix qui a développé un intérêt touristique avec les années. Signalons que l’auteur, âgé de 93 ans, fumeur invétéré, a connu de graves problèmes de santé fin juin.

“Il pleut depuis une semaine à Vigàta et ce matin, le commissaire Montalbano doit se rendre sur un chantier boueux où l’on a retrouvé le corps sans vie de Giugiu Nicotra.

La victime, expert-comptable, vivait avec Inge, une Allemande de 25 ans qui, malgré le drame, reste introuvable. Autre particularité, le cadavre a été découvert en caleçon et un mystérieux vélo a été abandonné sur les lieux du crime. Voilà de quoi attiser la curiosité du commissaire.

Sur fond de bataille entre les deux familles qui se partagent la région, Montalbano se lance sur la piste d’un homme mystérieux que le comptable et sa très belle compagne hébergeaient. Mais qui cherche à intimider les témoins et un journaliste-enquêteur ?”

On compare souvent Montalbano à Maigret mais le personnage est beaucoup plus truculent, plus sanguin, prend toute sa saveur méditerranéenne dans l’environnement de son commissariat avec des adjoints qu’on suit aussi depuis des années, du matériel policier toujours en carafe ou absent et bien sûr, toujours planante et menaçante l’ombre de la Mafia, grande institution insulaire.

Le mystère reste entier: s’agit-il d’un drame passionnel ou de magouilles à couvrir? On est dans les pas d’un Montalbano, une fois de plus excédé par l’incompétence, les insuffisances, les mensonges ou les silences qui font son quotidien de flic sicilien. L’ amour de l’île reste présent, on parle toujours de bonne bouffe… A nouveau un régal de lecture estivale, oscillant entre farce et tragédie. 

Wollanup.

DÉLICIEUSE de Marie Neuser / Fleuve.

Un couple, Martha et Raph,  avec un enfant, ils se connaissent et construisent leur vie  depuis 20 ans, une vie de famille harmonieuse et tranquille. Soudain, tout bascule, un dimanche soir. Le mari, annonce à sa femme qu’il a rencontré quelqu’un d’autre, qu’il est amoureux, qu’il veut quitter le cocon familial pour vivre sa nouvelle vie avec sa nouvelle compagne. Pour Martha Delombre, c’est le choc, comment est-ce possible, comment a-t-il pu la tromper, comment peut-il l’abandonner ?

Après plusieurs nuits sans dormir, et à devoir reprendre sa vie, elle choisit de tout raconter dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux. De l’annonce de ce cataclysme pour elle, à la fin de sa vengeance. Car il s’agit bien d’une vengeance, celle d’une femme bafouée, malheureuse, qui est confrontée à la chute de tout ce en quoi elle croyait : sa vie, son couple, son amour.

Elle travaille comme psychologue criminelle, ainsi, elle a l’habitude d’entendre les pires confessions dont la nature humaine est capable. Mais ces monstres qu’elle interroge sont-ils vraiment des monstres ? Comment basculent-ils vers ces horreurs ? Il ne s’agit en fait que d’hommes et de femmes qui se sont laissés emporter par leur souffrance, qui ont craqué. Cela peut-il lui arriver à elle ? Peut-elle  tout envoyer balader pour essayer de faire ressentir à Raph cette même douleur, ce désespoir, celui du rejet et de l’abandon. Le temps n’arrange rien, la blessure ne fait que grandir en elle, jusqu’à prendre toute la place.

Marie Neuser a choisi de nous raconter cette histoire à la première personne : nous assistons, nous aussi, à la confession de Martha, comme des milliers de gens ont pu la voir sur les réseaux sociaux. C’est bien la force du roman, cela permet de rendre les actes de Martha plus humain, plus compréhensifs.

L’écriture est fluide, belle, on tourne les pages, on avance dans la confession, sans vraiment s’en apercevoir. Malheureusement, je n’ai pas réussi à véritablement rentrer dans le livre, je me suis essoufflée. Dès les premières pages, on imagine assez facilement le cheminement du livre jusqu’à sa fin qui ne m’a pas surprise. La confession de Martha s’apparente à la complainte d’une femme, et cela dure 450 pages, je dois avouer que j’ai trouvé cela assez long. Mais peut-être est-ce dû à mon manque d’empathie, de compassion pour une histoire somme toute assez courante : un homme qui quitte sa femme et son foyer pour une autre, plus jeune.

Marie-Laure.

 

TORRENTS de Christian Carayon / Fleuve noir.

Le silence, les secrets de famille, autant de non-dits qui peuvent détruire une vie, ou au moins faire éclater le bonheur familial.
Dans ce livre, Christian Carayon nous dresse le portrait d’une famille qui doit soudain faire face au passé, le passé du père qui n’a jamais rien raconté.

Nous sommes en 1984, dans une petite ville des Pyrénées Fontmile. On découvre dans la rivière, des morceaux de corps humain, une des victimes n’est autre que l’amie de François Neyrat. Son père, Pierre Neyrat, est chirurgien à l’hôpital de la ville. Cette famille fait donc partie de la bourgeoisie locale, il est donc tellement facile de la détester. Ils habitent une belle maison sur les hauteurs de la ville, et le chirurgien n’a pas une très bonne réputation morale dans la commune. Sur dénonciation de sa propre fille, Pierre Neyrat est arrêté et soupçonné de ces crimes.

S’en suit alors une longue analyse de ce foyer, François s’interrogeant sur la vie de son père, ses comportements, bien que froid, solitaire, et assez distant, est-il capable de perpétrer de tels crimes ?

Ce qui dessert le plus cet accusé, c’est en effet cette espace qu’il a instauré dans ses relations avec son fils et ses deux filles. La mère est une femme dévouée à son conjoint et ses enfants, elle les aime, les couve, les dorlote, elle leur montre de mille façons son attachement. Le père, lui, c’est tout l’inverse : il parle peu, ne participe que comme observateur aux repas de famille et autres activités de la vie quotidienne. Sur les pas de François, on repart dans l’enfance et la jeunesse de ce père, essayer de comprendre sa vie, ce qui l’a conduit à Fontmile, ce qui l’a poussé à partir de son village natal des Alpes. On parcourt avec lui les dernières années de la guerre, la reconstruction après 1945, et la vie de cet homme s’éclaircit, on comprend davantage ses comportements, ses silences, son besoin de s’isoler régulièrement dans une maisonnette dans la montagne.

Christian Carayon a une écriture très fluide, le roman en lui-même est assez lent mais par son talent, on ne ressent aucune longueur, aucun temps mort. Chaque phrase est à sa place et a son importance. Vous vous laissez emporter par l’histoire jusqu’au dénouement. Vous vibrez pour cette famille, et vous tournez les pages en espérant que chacun retrouve sa place, qu’ils finissent par retrouver le petit bonheur simple qu’ils avaient construit. Cette histoire est bien un polar, puisque le fil conducteur est l’enquête faite pour retrouver l’auteur des crimes, mais il s’agit également d’une démonstration sur ce que les secrets de famille peuvent engendrer et sur la façon dont la fin de la seconde guerre mondiale a marqué la vie dans les petites communes, où tout le monde connait la vie de ses voisins.

Un grand moment.

Marie-Laure.

ET L’ OBSCURITÉ FUT de Maurizio De Giovanni / Fleuve Noir.

J’ai déjà suffisamment avoué ma flamme pour les auteurs italiens de polars pour que vous compreniez aisément ma subjectivité maximale lorsque je parle d’un auteur transalpin et De Giovanni ne fera pas exception.

« Et l’obscurité fut » est la troisième enquête du commissariat atypique de Pizzoflacone à Naples après « la méthode du crocodile » et le très prenant « la collectionneuse de boules de neige ».

Bien sûr, il est toujours préférable d’avoir lu les premiers opus pour bien appréhender d’emblée les personnages récurrents, leur histoire, leur évolution, leurs déchirures, leurs failles mais on peut très bien lire celui-ci sans avoir lu les précédents puisque lors des premiers chapitres, dans une sorte d’introduction, l’auteur raconte le commissariat et les flics qui le composent. Pour ma part, j’avais lu le précédent sans connaitre le premier et n’avais pas connu réellement de problème.

« À l’image de Naples, écrasée par la chaleur d’un mois de mai estival, le commissariat de Pizzofalcone baigne lui aussi dans une atmosphère étouffante. En effet, l’équipe se débat avec un cas difficile : l’unique petit-fils d’un riche entrepreneur napolitain, aussi respecté que détesté, a été enlevé. La demande de rançon ne se fait pas attendre, toutefois, entre la mère révoltée contre l’autorité paternelle, le beau-père  » artiste endetté  » ou la secrétaire diffamée du patriarche, tout le monde semble avoir de bonnes raisons de vouloir toucher le magot. L’enquête, menée par Romano et Aragona, progresse à tâtons, tandis que Lojacono et Di Nardo sont chargés d’une  » simple  » histoire de vol dans un appartement. À première vue, aucun lien ne semble exister entre les deux affaires. Mais à l’instar des ruelles napolitaines, chaque découverte en fait resurgir une nouvelle… »

Tout comme le soleil napolitain, cette série de Maurizio de Giovanni brille de mille feux. En premier lieu, il faut bien sûr, souligner la belle étude des personnages, flics avec leurs forces et leurs faiblesses qui les rendent particulièrement humains et provoquent une empathie certaine dès les premières lignes. Tous les flics ne sont pas des machines aveugles.

Il faut aussi noter une intrigue qui si elle ne fait pas dans le sensationnel, met en lumière des secrets bien enfouis, révèle la noirceur de certains personnages dans une Naples magnifiquement décrite par un auteur amoureux de sa ville qu’il peint sans masquer la noirceur, la misère mais aussi les senteurs, les humeurs, les petits bonheurs. C’est charmant et touchant malgré la noirceur, donne envie de connaître la ville et aussi un auteur si plaisant à lire et si humainement désarmant.

Napolitain classe !

Wollanup.

© 2025 Nyctalopes

Theme by Anders NorenUp ↑