Chroniques noires et partisanes

Étiquette : donal ryan

LA VIE EST UNE CHOSE ÉTRANGE de Donal Ryan / Albin Michel.

Strange Flowers

Traduction: Sabine Porte

« Quand sa fille disparut, la lumière s’éteignit dans les yeux de Paddy Gladney ; la joie déserta son cœur. Jusque-là, il coulait des jours paisibles. »

Paddy et Kit vivent dans le canton de Tipperary, près de Nenagh, (lieu de naissance de l’auteur). Leur fille Moll, disparaît un matin, sa vieille valise en cuir à la main, à bord du bus de Frankie Welsh.

Nous sommes en Irlande, dans les années 1970, une période de violences et d’agitation politique et si on ne connaît pas Donal Ryan ( !) on imagine assez vite qu’après le bus il y aura un train vers Dublin…des groupes armés…

Mais.
Non.
La vie simple et ordinaire va se poursuivre.

Chaque jour Paddy n’a « pas d’autre choix que de continuer » à accomplir sa besogne : la distribution du courrier le matin et le travail à la ferme des Jackman l’après-midi et l’ensilage et le foin, et le travail de la « tourbe molle » et à admirer à chaque instant tout ce vert autour : les arbres , les haies, les prairies, les collines…

« Même la pluie avait des reflets verts »

Et Kit à prier.

« On promit des prières et on dit une messe, ou du moins le père Coyne fit une vague allusion embarrassée à sa disparition au détour d’un sermon invoquant saint Antoine et saint Jude, patrons des objets perdus et des causes désespérées… »

Ce n’est pas trahir l’intrigue que d’annoncer, qu’au bout de cinq ans , un matin de printemps, Moll réapparaît…

A l’instant précis où il voit sa fille, Paddy perçoit simultanément la haie verdoyante, les ronces et les bourgeons, les poules en colère…Plus tard, lors d’une confrontation avec sa patronne, ou l’apparition sinistre du curé et du sergent il verra la rose blanche d’églantier « qui jaillit en silence de la haie épineuse », l’oiseau nocturne qui se pose sur l’appentis…

Dans ce monde-là, on reste, quoiqu’il advienne, en prise avec la terre.

Un peu trop pour certains qui se recroquevillent sur leurs croyances et excluent ceux qui diffèrent d’eux-mêmes. Le racisme émane aussi des tourbières.

J’avoue m’être moins attachée aux personnages de la deuxième partie du livre, peut-être parce que justement, ils ne vivent plus à Nenagh mais à Londres…

L’écriture de Donal Ryan est poétique, pudique, sensible. Ses personnages, auxquels on s’attache, sont tendres, modestes et humbles dans leur façon de comprendre leurs failles et de les exprimer.

« Bougre » conclurait Paddy.

J’ai apprécié aussi les petites touches d’humour discrètes.

Nyctalopes a reconnu le talent de Donal Ryan dès 2019 avec Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe

Puis en 2021 dans Par une mer basse et tranquille et en 2023 Soleil oblique et autres histoires irlandaises

Soaz

SOLEIL OBLIQUE ET AUTRES HISTOIRES IRLANDAISES de Donal Ryan / Albin Michel

A Slanting of the Sun

Traduction: Marie Hermet

En le suivant depuis son arrivée dans les librairies françaises, on pensait, vraiment à tort, connaître, au moins en partie, l’univers de Donal Ryan. Des histoires simples de gens ordinaires comme  Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe dans la difficulté ou déjà dans la marge, sans misérabilisme, avec beaucoup de respect, d’une compassion  jamais surjouée avec une faculté impressionnante à conter d’une manière somme toute très banale, pudiquement mais souvent assassine pour le lecteur.

On attendait, on espérait fortement Strange Flowers, son roman sorti en Irlande en 2020 voire le dernier de 2022 The Queen of Dirt Island et puis finalement on découvre Soleil oblique et autres histoires irlandaises daté de 2015, un recueil de vingt nouvelles n’excédant que très rarement la dizaine de pages. Alors on connaît le couplet sur les lecteurs français qui goûtent peu la nouvelle mais je sais très bien que tous ceux qui ont un jour pénétré l’univers de Donal Ryan y retourneront les yeux fermés. 

Si on s’arrête sur le titre, Soleil oblique est la dernière histoire du recueil, découvrez l’émotion et l’horreur qui s’en dégagent pour savoir si vous serez capables d’appréhender la peine en totalité. Et autres histoires irlandaises semble très réducteur car on est très loin du microcosme irlandais et d’une celtitude fantasmée très barbante et autres biniouseries très à la mode par chez nous, c’est beaucoup plus universel. Les gens que raconte Donal Ryan, on les croise tous les jours aussi ici, on tourne juste un peu la tête pour ne pas savoir, pour ne pas voir mais ils sont présents parmi nous. Ryan nous montre leurs failles, leurs malheurs, leur déchéance, leurs regrets, leur noyade, leur ignominie, leur cruauté aussi,  rien n’est épargné, rien n’est faussé, aucun manichéisme juste la manifestation du malheur, quel qu’il soit, subi ou volontaire, parfois, mais juste parfois, atténué par un trait d’humour prouvant une fois de plus, s’il le fallait, la noblesse de l’auteur, le respect pour ces êtres et ses lecteurs.

Méfiez-vous de la couverture très belle mais qui vous donne une idée bien fausse de la réalité du bouquin.

Ces vingt nouvelles sont toutes écrites, sauf une, à la première personne, créant rapidement une promiscuité avec les personnages, une intimité avec leur mouise ou leurs dérives qui pourra s’avérer très douloureuse voire gênante quand vous comprendrez, par petites touches, la réalité des êtres pas tous recommandables. Elles se déroulent principalement en Irlande mais on voyage aussi vers le drame syrien comme dans Par une mer basse et tranquille et même jusqu’à Kinshasa.

Alors, toutes ne vous émouvront pas de la même façon, selon votre humeur, votre vie, votre histoire mais sûr que certaines vous seront très douloureuses. Il est vraisemblablement très difficile de les lire à la suite, l’émotion vous étreint trop durablement et de manière, ma foi, souvent insupportable. J’ai été obligé de prendre un autre ouvrage pour me changer les idées. J’ai été plombé par Soleil oblique, détruit par un tout petit passage vraiment anecdotique dans Le peloton, choqué par Nephtys et l’alouette, horrifié par Départ en retraite, gêné par La passion, ému aux larmes par Bleu roi, ébloui par Grace… 

“Le monde est rempli de mots que personne n’a envie d’entendre.”

Donal Ryan les dit avec talent et c’est aussi douloureux que frappant et imparable.

Clete.

PAR UNE MER BASSE ET TRANQUILLE de Donal Ryan / Albin Michel.

FROM A LOW AND QUIET SEA

Traduction: Marie Hermet

 

Donal Ryan a essuyé 47 refus d’éditeurs pour ses deux premiers romans “Le Cœur qui tourne” et “Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe” avant de faire son entrée dans les librairies irlandaises puis françaises. Quelques années et deux autres romans plus tard, Donal Ryan a connu beaucoup de distinctions et de nominations récompensant une œuvre de qualité. J’ai toujours bien aimé les bouquins de Ryan tout en lui préférant néanmoins Paul Lynch l’autre Irlandais de la collection “les grandes traductions” de Francis Geffard chez Albin Michel.

Donal Ryan sait parfaitement créer l’émotion, la vraie, celle qui touche, attriste ou révolte. Ses tableaux d’une Irlande rurale dont il est assurément le chantre, peuplés de personnages souvent fantaisistes, de gentils dingues qui dansent dans la tourmente, qui vous remontent quand vous tombez, qui oublient leur propre malheur pour vous réconforter, qui savent encore se réjouir de petits bonheurs sont vraiment sa patte. Mais, l’Irlandais, en littérature c’est connu, a quand même du mal à envisager des histoires qui finissent bien et Ryan suit la ligne nationale en vous flinguant à chaque fois à la fin, vous laissant bien amoché…

“Par une mer basse et tranquille” se révèle être un tournant dans l’œuvre de Ryan puisque pour la première fois, il ne situe pas l’action en Irlande. D’ordinaire, Ryan vous flingue à la fin, là, dès la première page, vous êtes dans la tourmente en plongeant dans l’enfer syrien avec Farouk médecin fuyant Daesh avec sa femme et sa fille. Cette première partie, très dure, très émouvante, crispante, raconte l’odyssée, la traversée vers l’Europe. 

Suit une partie racontant l’histoire de Lampy, 23 ans, qui rêve de quitter l’Irlande suite à un chagrin d’amour. Là, on revient de plain-pied dans le monde irlandais de Ryan et l’histoire est bien plus légère… Évidemment, Lampy est malheureux mais le petit monde de personnes âgées qui l’entoure est souvent drôle et toujours touchant. 

Dans un troisième temps, Ryan raconte John qui, sentant la fin approcher, cherche une rédemption après le bilan d’une vie passée à faire du mal aux gens. Ces deux parties seront beaucoup plus familières aux habitués de l’auteur et leur permettront de refaire le plein de mouchoirs ou de cannettes de Harp avant un final où Farouk, Lampy et John, forcément, vont se rencontrer et unir leurs talents pour vous faire chavirer.

Attention, Donal Ryan n’écrit pas des niaiseries, mais bien des histoires de vie douloureuses, dramatiques et l’émotion dure est souvent au coin de la page. “Par une mer basse et tranquille” est un roman qui émeut, ébranle et en en même temps permet de croire toujours un peu en l’humanité. Et même, paradoxalement, la lecture de certaines pages avec Lampy et son grand-père Pop peuvent vous rendre heureux pour la journée. 

En fait “ Par une mer basse et tranquille” n’est pas un vrai roman, juste trois portraits joliment mais aussi durement troussés, reliés par un fil très, très ténu dans le final. Donal Ryan n’avait sûrement pas en tête la fin de son roman quand il a écrit la partie sur Farouk, il n’avait pas besoin d’un Syrien en exil pour boucler le roman. Non, Donal Ryan avait juste envie, besoin de parler de cette tragédie du peuple syrien et cela l’honore d’être ainsi sorti de sa zone de confort pour le montrer.

On peut regretter une couverture qui induit un petit peu trop un roman consacré aux migrants alors que la plus grande partie du roman est purement irlandaise. On peut s’interroger sur le point commun aux trois histoires et d’emblée viennent les thèmes de l’empathie, de l’humanité. Dans tous les cas, “Par une mer basse et tranquille” est un sacré bon roman et Donal Ryan sûrement un mec bien.

Comhghairdeas.

Clete.

UNE ANNEE DANS LA VIE DE JOHNSEY CUNLIFFE de Donal Ryan / Albin Michel.

Traduction: Marina Boraso.

Donal Ryan, auteur irlandais avait conquis le lectorat français avec « le cœur qui roule » de bonne facture en 2015 déjà dans la collection « les grandes traductions ». Albin Michel, du coup, dans le désir de profiter de ce premier élan, lance le premier roman de Ryan. Si jamais vous aviez le mauvais réflexe de relire des passages du « cœur qui tourne », vous connaîtriez la fin de cette histoire et nul doute que vous le regretteriez… Continue reading

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