Traduction: Christine Barbaste

Au loin, comme la destination des pionniers embarquant les bateaux à destination des nouvelles terres. Comme la ligne de l’horizon à jamais inatteignable. Comme le temps de la jeunesse ou de l’adolescence lorsque nos corps commencent à faiblir.

Au loin, In The Distance dans sa version originale, vous embarque dans une traversée épique des États-Unis mais aussi dans une plongée au plus profond de la solitude humaine.

Håkan et son frère aîné, Linus, quittent leur Suède natale pour fuir la pauvreté et l’absence d’avenir. Leur père ne peut payer que deux traversées alors les deux jeunes garçons partent seuls, destination : New York. Seulement, dans le port de Portsmouth grouillant de monde, le jeune Håkan se retrouve séparé de son frère et dans la panique, ne parlant pas l’anglais, il monte à bord d’un navire partant bien vers les  États-Unis mais côte Ouest, à l’opposé de New York.

Commence alors pour Håkan un périple qui durera des années : son but initial, celui de rejoindre New York et d’y retrouver Linus, se transforme au fur et à mesure en un simple état de faits : exister.

Nous sommes en plein dans la ruée vers l’or et le nouveau continent est sillonné par des convois de colons à la recherche de la terre promise. Le jeune Suédois accompagne d’abord une famille d’Irlandais dont le mari, mineur, est obsédé par l’or – qu’il finit par dénicher au bout de journées et semaines de marche. Mais Håkan n’aura pas le loisir de voir si les Irlandais parviennent ou non à se faire une place sous le ciel des Amériques, une étrange tenancière de saloon jette son dévolu sur lui et le garde enfermé pendant de longues mois.

Parvenant à s’échapper, l’adolescent devenu un jeune homme entame une traversée du désert interminable durant laquelle il y laisse presque la vie : il est sauvé in extremis par un naturaliste extravagant qui lui apprendra tous les rudiments de l’anatomie humaine et qui lui transmettra sa fascination pour la puissance et les mystères de la Nature .

New York reste pour  Håkan le but à atteindre mais plus le temps passe, plus cette destination ressemble à un mirage. Reconnu pour des faits d’armes extraordinaires auxquels il se livre alors qu’il tente de protéger un convoi de colons, sa stature imposante et son nom anglicisé, Hawk, deviennent une légende dans les milieux des trappeurs, bandits, chercheurs d’or et autres hommes de loi. Chacun donne à cette légende l’interprétation qu’il veut et Håkan se voit obligé de se tenir éloigné de toute présence humaine pour rester en vie.

Ses errances, sa solitude, ses crises de doute à travers des paysages arides, le temps qui passe immuablement, rythmé par les saisons qui se suivent et qui finissent par se confondre sont les passages les plus somptueux de ce roman dont le personnage principal est, peut-être, la solitude.

« Retour vers l’ouest. L’herbe, l’horizon. La tyrannie des éléments ; des visions qui dérivent dans le cerveau, imprécises, rarement articulées en pensées. S’en remettre au cheval. Oublier de manger. Se racler la gorge pour se rappeler à soi-même qu’on existe. Le soleil qui brûle la peau. Sentir, de temps à autre, l’odeur de son propre corps. Poser sur les fleurs et les insectes un regard vaguement intéressé mais vide. De la pluie en quantité suffisante. Aucune trace de passage humain, aucune menace. Des flammes qui parfois dansent sous les doigts. La mule et le cheval dans leur présent perpétuel. Des mains – les siennes – qui s’activent. Se remettre en selle et aller de l’avant. Respirer, presque à son insu. L’engourdissement des sens, sans effet sur ce désespoir grandissant qui empêche de trouver le repos. Le ciel étoilé qui, chaque nuit, absorbe tout. »

On décèle en toile d’arrière-fond l’Amérique en train de se construire : pendant que  Håkan reste à l’écart de ses « frères humains », des villes sortent de terre, des clôtures sont posées, des terres sont attribuées. Si  « le Hawk » est rattaché viscéralement à l’ Être, la civilisation de l’Avoir est, elle, en train de sortir de terre.

Son périple commence à l’Ouest, le territoire où tous les nouveaux arrivants rêvaient de s’implanter et auquel il tourne le dos pour disparaître non pas dans un coucher de soleil mais dans la lumière de l’aube. Seul, étranger parmi les étrangers,  Håkan décide d’exister.

« L’espace de quelques instants – très fugaces – il songea que sa vie n’avait pas d’importance, et c’était sans importance. Il y avait un ciel. Il y avait un corps. Et une planète en dessous de celui-ci. Et tout cela était bien agréable. Et tout cela était sans importance. Jamais il n’avait été heureux.

Et c’était sans importance. »

Au loin est un grand roman sur la naissance d’un pays mais surtout un roman sur la solitude d’un homme. Les amoureux de westerns et de grands-espaces y trouveront leur compte, sans doute, mais il ne faudrait pas s’arrêter uniquement à cette image-là car Hernan Diaz va plus loin dans son analyse des sentiments humains. La violence est présente mais c’est justement ce que le personnage principal rejette au sein même d’un monde bâti sur la violence.

J’oubliais l’essentiel : il s’agit d’un premier roman. Inutile de préciser qu’il faudra faire très attention aux prochains écrits de Hernan Diaz.

Monica.