Avec dix romans dans la collection “Actes noirs”, Keigo Higashino est un auteur de polars japonais reconnu internationalement. En France, il a reçu le prix du meilleur roman international du Festival Polar de Cognac 2010 pour La maison où je suis mort autrefois, roman qui a permis sa reconnaissance en France. Citons aussi le sublime roman fantastique Les miracles de bazar Namiya paru dans la collection Exofictions début 2020 et qui montrait un autre aspect du talent de conteur du Japonais. Les sept divinités du bonheur est le troisième roman mettant en scène l’inspecteur Kaga découvert dans Les doigts rouges et retrouvé l’an dernier dans Le nouveau. Nul besoin d’avoir lu les deux premiers volumes pour apprécier et comprendre cette nouvelle enquête.
“Aoyagi Takeaki, un homme d’une cinquantaine d’années, est assassiné au pied de la statue du dragon ailé qui orne le pont de Nihonbashi, à Tokyo. Une enquête apparemment simple pour l’enquêteur Kaga, fraîchement arrivé au commissariat d’un quartier d’affaires prospère de la capitale. Mais les apparences sont parfois trompeuses : comment servir la vérité lorsque le suspect numéro un s’avère innocent ?”
Les sept divinités du bonheur est un pur polar d’investigation, bien dans ses bottes, offrant tout ce qu’on aime trouver dans ce genre de romans où un flic un peu allumé, se fie à son instinct et fouille pour découvrir une vérité bien enfouie et nullement envisageable pour le lecteur. Bon, on se doute que le suspect, décédé, n’est pas coupable sinon l’auteur serait bien embarrassé pour meubler ses trois cents feuillets. Par ailleurs, une description un peu trop détaillée de certains personnages semble indiquer que certains n’ont pas tout révélé et qu’on pourrait les retrouver. Les romans japonais sont souvent très mystérieux d’emblée, de part leur cadre bien sûr mais surtout de part une culture et une morale très différentes des canons occidentaux et qui interrogent souvent, surprennent.
L’intrigue est béton, très surprenante, documentée et met l’accent, à l’image de la Coréenne Hye-Young Pyun, sur la précarité de la vie et la pression exercée sur les salariés japonais. Aucun temps mort, on suit Kaga qui a de plus la bonne idée de ne pas nous saouler avec ses problèmes personnels. Et sans être le polar de l’année, Les sept divinités du bonheur, fait généreusement le job.
Premier roman en France d’un auteur grec “le plongeur” souffrira bien évidemment de sa sortie en plein confinement mais par contre ne sera pas sacrifié, pour une fois chez Actes Noirs, par une horreur de médaillon en couverture. Là, vous enlevez juste les ptérodactyles et la couverture a une certaine tenue.
“Chris Papas, détective privé à Hambourg, de père grec et de mère allemande, reçoit la visite d’un homme très âgé qui lui offre une avance importante simplement pour suivre une femme durant quarante-huit heures. La filature commence au pied de l’immeuble de la dame, et se poursuit jusqu’à un hôtel minable où elle retrouve un jeune homme dans la chambre 107 tandis que Papas, installé dans la pièce mitoyenne, s’endort lamentablement.
Le lendemain, c’est la police qui sonne chez lui : un vieillard a été retrouvé pendu dans la fameuse chambre 107. Au fond de sa poche, la carte de visite du détective. Forcément suspect, Papas poursuit seul une enquête qui l’emmène bientôt dans un coin du Péloponnèse où se trouve son propre village natal.”
Et c’est dans ce village d’Aigion où vit également l’auteur que l’affaire prend une très sale tournure pour Chris Papas de retour aux sources. Commencé comme une histoire ordinaire de détectives à l’ancienne, “le plongeur” part plus loin dans le passé, raconte l’occupation nazie de la Grèce, les plaies jamais guéries pour revenir vers le marasme économique actuel du pays avec toujours cette animosité contre les rois de l’Europe.
Je ne me planterai pas en tentant de vous raconter l’histoire. C’est tout simplement du Thomas H. Cook et ses histoires d’amour dramatiques, du Indridason de la grande époque de “la femme en vert” pour le rythme, la parole donnée aux anonymes. Il se dégage beaucoup d’émotion dans la deuxième partie, un inquiétant crescendo qui culminera en fin de roman vers l’abomination ou à la stupéfaction pour le moins. Les personnes sensibles feront bien de se contenter de la première phrase du dernier chapitre, leur imagination fera très bien le reste.
A la page 187 d’un roman qui en propose à peine plus de deux cents, Minos Efstathiadis montre clairement tout le chemin parcouru par le lecteur et la vue est vertigineuse. Roman particulièrement intelligent, ”Le plongeur” maltraite, fait mal au cœur et aux tripes et prend la tête longtemps. Bien sûr, il y a eu Incardona et Taylor mais s’il fallait n’en garder qu’un cette année, ce serait vraisemblablement celui-là.
“Trois portables sonnent dans le vide au cœur de Londres dans un appartement de luxe. Plus tôt en soirée, quatre amis finlandais se sont retrouvés pour dîner. Robert, l’hôte, est un banquier qui a empoché des millions par le biais de manipulations pas très éthiques de taux d’intérêt. Cela fait plus de dix ans qu’il n’a pas vu son meilleur ami, Mikko, un journaliste d’investigation qui a consacré sa vie à démasquer les politiciens et hommes d’affaires corrompus. L’épouse de ce dernier, Veera – avec laquelle Robert a eu une brève liaison –, et Elise, la nouvelle femme “trophée” du banquier, font également partie de la mêlée. Mikko est arrivé à Londres muni de sombres desseins : il pense pouvoir commettre le meurtre parfait. Mais il est encore loin de se douter du menu des festivités. Un lourd secret pèse sur les convives, et leur réunion après toutes ces années est manifestement un jeu dangereux.”
Le printemps, les beaux jours des envies de lectures paresseuses dans le jardin lors d’un weekend dans la belle famille… Vous aimez les drames psychologiques? Les histoires de couple qui se mentent ? Vous n’avez rien contre les Finlandais? Si, que soient conviés Van Gogh, l’athlète Paavo Nurmi ne vous déplaît pas et si ce n’est pas un problème pour vous que les jeux olympiques et le monde économique version néo-libéralisme soient souvent au centre des conversations? Eh bien pourquoi ne pas se lancer dans ce jeu de massacre gentiment bourgeois proposé par Karo HÄMÄLÄINEN, auteur finlandais et journaliste économique et dont “Une soirée de toute cruauté” signe l’arrivée dans les librairies français.
“Une soirée de toute cruauté” est un huis clos entre deux couples et on sait dès le départ que trois mourront dans les prochaines heures et que le dernier personnage sera en fuite. Il y a bien sûr une montée du suspense, des révélations, des coups de théâtre, beaucoup d’éléments que l’on rencontre dans des vaudevilles. Le décorum est aussi très kitsch: chandelier, poison, sabre, armure, corde, une vraie petite partie de Cluedo à Londres de nos jours. Les découvertes comme les déductions personnelles permettent d’avancer dans un marigot de sentiments pas très sains mais curieusement, comme aucun des quatre personnages n’ est particulièrement attachant, on ne tremble pas réellement. On poursuit avec un certain amusement mais il est certain que sous des apparences légères, sous le masque de la parodie, l’auteur interroge aussi sur le rapport à l’autre, sur l’amour et donne une certaine gravité à une histoire qui va finir dans le sordide tangible. Une certitude, Quand on a de tels amis, pas besoin de s’embarrasser d’ennemis.
“La place du mort” est le premier roman de Jordan Harper. Il a été rock critique, certainement dans la partie du genre qui rend sourd et fait saigner les oreilles si on note les artistes qui l’ont accompagné dans l’écriture de ce premier roman: Electric Wizard, Sunn O))), Sleep, et enfin Boards of Canada pour les moins tolérants aux chants hurlés et aux très grosses guitares. Il est actuellement scénariste pour les séries “the Mentalist” et “Gotham” et vit à L.A., cadre de ce premier roman. Mais Jordan Harper, c’est aussi l’auteur d’un putain d’excellent recueil de nouvelles paru en 2017 “l’amour et autres blessures”. Nul doute que ceux qui ont vécu ce premier déferlement de violence, de sang et de terreur hyper addictif, urgent et parfois choquant n’ont pas oublié son nom.
“À onze ans, Polly est trop vieille pour avoir encore son ours en peluche, et pourtant elle l’emporte toujours par tout. Elle l’a avec elle le jour où elle tombe nez à nez avec son père. Elle était toute petite la dernière fois qu’elle a vu Nate, il était en prison depuis des années pour un braquage, mais elle reconnaît immédiatement ce visage taillé dans le roc, ce corps musculeux couvert de tatouages et, surtout, ces yeux bleu délavé semblables aux siens. Des yeux de tueur, comme le lui rappelle souvent sa mère. Nate a été libéré et il est venu la chercher. Pour la sauver. Parce qu’il ne s’est pas fait que des amis en cabane. De sa cellule de haute sécurité, le leader de la Force aryenne, un redoutable gang, a émis un arrêt de mort contre lui et sa famille. Quand Nate recouvre sa liberté, il est déjà trop tard : son ex femme Avis, la mère de Polly, a été exécutée. Et la petite fille est la prochaine sur la liste.”
Nate récupère sa fille, part en cavale avec elle, se cache… Pas très original, direz-vous mais Nate est un fêlé, un grand malade qui a vécu quelques années au milieu de la lie de la Californie et va riposter, s’attaquer à la “Force aryenne” et à ses satellites vassaux ainsi qu’à la Eme et autres gangs des prisons californiennes qui gèrent derrière les barreaux le trafic de meth de la région. Voulant annuler le contrat en cours sur lui et bien sûr sur Polly, sa fille de 11 ans qui, bon sang ne saurait mentir, est déjà bien déjantée pour son âge, il va piller les salopards, ruiner leur entreprise, leur faire perdre de la thune et de la confiance.
Alors? Alors “La place du mort “, récompensé aux USA du prix Edgar-Allan-Poe 2018 du meilleur premier roman démarre santiag au plancher, brûle de la gomme tout au long de 260 pages affolantes et termine sur les jantes dans un Armaggedon particulièrement malsain. Une vraie réussite, ce bouquin s’appréciera en un unique “one shot” mortel si vous avez aimé le dernier Willocks par exemple. L’histoire est furieuse souvent choquante, horripilante dans ses ellipses cruelles et ses pauses assassines. On ne sombre jamais dans le gore, dans le sale gratuit. Jordan Harper maîtrise parfaitement une intrigue particulièrement testostéronée où les pages puent l’adrénaline, la meth, le sang et surtout la peur, que dis-je, l’effroi, la terreur avant l’hallali final, le deguello terminal. Lisez Jordan Harper, un auteur qui rend bien pâles de nombreux auteurs contemporains. Harper aime Cormac Mac Carthy et suit son aîné dans son talent à montrer le mal, la pourriture. Définitivement un auteur à suivre de très très près. Two thumbs up!
« La mission de Rémil, vétéran de la guerre des Malouines, semble un rien frustrante : assurer la protection d’une jeune avocate espagnole envoyée à Buenos Aires pour exporter des vins vers l’Europe. Mais si l’agence officieuse des renseignements argentins a fait appel à l’un de ses plus brillants éléments, c’est que les malbecs tanniques et colorés, auxquels la belle s’intéresse, sont agrémentés d’une précieuse poudre blanche qui sait se faire très discrète. »
Un auteur inconnu, une lecture non prévue, des première pages séduisantes et en définitif un polar particulièrement costaud racontant un trafic de coke, entre autres, entre l’Argentine et l’Europe. Pourtant l’Argentine en littérature, j’ai quelques réticences après avoir lu à de trop multiples reprises la tragédie de la dictature militaire et ses tristes conséquences…
Jorge Fernandez Diaz auteur de plusieurs ouvrages dans son pays est journaliste d’investigation à l’origine et il a mis ici la somme de ses connaissances des affaires argentines au service d’un roman inspiré de faits réels qui a dû bien décoiffer dans son pays à sa sortie en 2014 mais qui sera aussi pour les lecteurs français un témoignage assez édifiant de l’universalité des agissements des puissants et des nantis pour se faire de la thune au mépris des lois et d’une certaine conscience avec la poudre blanche.
Quand on pense cocaïne en Amérique latine, on voit de suite la Colombie mais cette affaire racontée de façon très détaillée et précise (parfois peut-être un peu trop pour une ou deux scènes secondaires) montre que d’autres pays sud-américains lui ont emboîté le pas avec ou sans l’aval du suzerain colombien. Alors, évidemment rien de bien nouveau, les mêmes magouilles entre politiciens, flics, avocats, journalistes, courtiers, narcotrafiquants et officines hyper secrètes, bras armé du pouvoir mais également porte-flingues incontrôlables et indécelables… le narcotrafic mondialisé, la narcopolitique des seigneurs… Tous pourris !
Rien d’original au départ mais l’écriture de Diaz parvient d’emblée à accrocher le lecteur pour le posséder tout au long d’un récit au long cours où est expliqué et narré le montage d’un transport de montagnes de coke de l’Argentine vers l’Espagne.Tout sauf indigeste même si, parfois, certains passages au début pourront paraître un peu fastidieux. Mais on s’apercevra à posteriori que ces détails ont leur importance dans la résolution de l’intrigue criminelle hyper violente qui va s’immiscer à partir de la moitié du livre.
Le roman explore minutieusement la vie, le parcours, les intérêts, l’environnement familial et économique des personnages importants investis dans l’affaire et Jorge Fernandez Diaz élabore des portraits assez édifiants de ces puissants engagés dans la même quête et dont les invariants psychologiques sont la cupidité, l’arrogance née d’un sentiment d’impunité et une suffisance engendrée par l’argent facile et en grande quantité.
Mais c’est Rémil qui détient la palme, qui anime le roman, le fait exploser, au moment de sa colère. Rémil, vétéran de la guerre des Malouines de sinistre mémoire pour son pays, est un dur, un inflexible, un “soldat” qui officie pour l’annexe des services secrets argentins, agence autonome dans ses opérations et son financement. Rémil ne connaît pas la peur, la compassion, la pitié, la confiance, sait évoluer au milieu de la faune dominante comme au milieu de la lie de Buenos Aires… Rémil est un roc, un pro qui va succomber aux charmes vénéneux de Nuria “la Joconde” qu’il est chargé de protéger, tomber dans les filets de “la dame blanche” jusqu’ à la catastrophe prévisible.
Rémil est-il amoureux? Nuria est-elle éprise ? Peu importe ce sera le début de la fin pour l’entreprise et pour cette passion avec cette Méssaline moderne mais absolument pas façon bluette ou mainstream. Le roman s’avère particulièrement éprouvant et violent dans sa seconde partie quand les personnages enlèvent leur masque de bienveillance civilisée et nul doute qu’ Emil ne vous quittera pas une fois la dernière page tournée.
Passons rapidement sur la couverture particulièrement farfelue, une nouvelle fois, une habitude, une préciosité de la collection même si je suis peut-être un peu railleur, il y a bien des arbres et des forêts dans le roman et nous sommes bien en zone montagneuse comme semble le suggérer des structures coniques… pour se concentrer sur un ouvrage qui mérite l’attention, sans être le roman de l’année loin de là, mais possèdant une forme comme un fond qui devraient séduire un grand nombre d’amateurs de polars. Lansdale et Pollock ont encensé le roman mais ici on est quand même à des années lumière des pieds nickelés ricains Hap et Leonard mais aussi très loin de l’enfer terrestre qu’a su créer Pollock dans “le diable tout le temps”. Non, ici, on serait plutôt, sur les terres de Craig Johnson et pour beaucoup de lecteurs de noir, c’est déjà pas si mal. Ce roman est le premier d’une série dont le deuxième chapitre est déjà paru aux Etats Unis et peut-être allez-vous connaître à nouveau les affres de l’attente puis le bonheur des retrouvailles.
“Henry Farrell est le seul flic de Wild Thyme, une petite ville perdue dans le Nord de la Pennsylvanie. Le genre de patelin où il ne se passe pas grand-chose, où tout le monde se connaît, pour le meilleur ou pour le pire. Comme une sorte de marais un peu trouble : la surface est calme mais qui sait ce qu’on trouverait si on allait chercher là-dessous.
Quand il a pris son poste, Henry se voyait passer son temps entre parties de chasse et soirées peinard avec un bon vieux disque en fond sonore. Mais les compagnies pétrolières se sont mis en tête de trouver du pétrole dans le coin. Elles ont fait des chèques, et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’ambiance entre voisins s’en est ressentie. Et puis il y a eu la drogue. Des mecs plus ou moins bien emmanchés ont commencé à bricoler toutes sortes de saloperies dans des labos de fortune cachés dans les bois. Henry les connaît, du reste, il est allé à l’école avec eux. Alors quand on découvre un cadavre sur les terres d’un vieux reclus, il comprend que le temps est venu d’aller remuer l’eau de la mare.”
Et de fait, Farell va devoir aller au charbon, lui qui a choisi ce poste pour être tranquille et n’avoir à régler que rixes locales dans les bars et méfaits criminels de bas étage. “Dans la vallée décharnée” est un vrai polar d’investigation et le rythme sera imprimé par une enquête minutieuse, difficile et douloureuse pour un anti-héros à la personnalité effacée, au comportement souvent dicté par la douleur de la perte de l’être aimé et par une difficile expérience en Somalie lors d’une expédition de l’armée US. Alors, c’est du très classique au départ, évident dans le fonctionnement comme dans le déroulement et le lecteur averti comprendra aisément et rapidement que les suspects ou les coupables présumés n’ont rien à voir dans le meurtre d’un jeune homme étranger à la région. Farell est un solitaire, son violon étant son seul et véritable compagnon, mais il connait parfaitement son patelin, les gens et leurs petits secrets et magouilles, sait, à peu près, adapter son comportement à chaque nouvelle rencontre. Solitaire au point que l’auteur se met, à mon avis, une balle dans la main en créant puis en faisant disparaître très prématurément un personnage qui aurait pu être pour Farell,un très crédible équivalent d’un Clete Purcel pour le Dave Robicheaux de James Lee Burke.
Un peu comme chez le divin Burke, mais c’est vraiment là que s’arrêtera la comparaison, le roman offre de beaux moments dans la nature, notamment des scènes de traque dans les forêts hivernales assez tendues. On sent un amour pour la région ainsi qu’ une connaissance pointue des méthodes de chasse. L’auteur met aussi l’accent sur les risques pour l’environnement et pour les humains de l’exploitation sauvage du gaz de schiste tout en montrant l’absence de conscience de certains, avides de s’enrichir par cette manne inespérée sous leurs pieds, au mépris d’un semblant de conscience citoyenne. Ceci dit, peut-on vraiment les blâmer?
Si au début, on peut être un peu perdu par la quantité de personnages, insuffisamment dépeints pour qu’on les retienne vraiment, tout tourne vraiment autour de Farell, le narrateur et héros, on note de suite une histoire bien menée, rythmée par un crescendo soutenu jamais démenti et les révélations finales s’avèrent solides et suffisamment inattendues. Du coup, on n’oubliera la niaiserie inutile de douloureuses pages sur l’épouse de Farell qui s’adresse directement au lecteur pour le mettre dans la confidence d’une magnifique histoire terminée par une mort si prématurée.
Quelques jours après avoir terminé la lecture, je m’aperçois que malgré que je n’ai pas été particulièrement chaviré par ce roman, il reste néanmoins bien en tête. Reconnaissons-lui aisément une intrigue de qualité, une écriture très recommandable mais aussi un climat, une ambiance, un personnage principal qu’on prendra plaisir à retrouver et à mieux connaître loin des bouffonneries rurales ricaines dont on nous saoule depuis quelques années.
“À la chute de l’Empire ottoman, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Albanie connaît, comme le reste du monde, de profonds changements. Les nouveaux dirigeants souhaitent moderniser le pays et imposer leurs lois sur l’ensemble du territoire, mais ils se heurtent à la résistance farouche des montagnards du Nord, qui continuent de vivre selon le Kanun, le code ancestral de ces régions reculées que l’on dit hantées depuis la nuit des temps.
Au printemps 1924, deux Américains y sont assassinés sur une petite route. Contraire au Kanun, qui place l’hospitalité au plus haut rang des vertus, le crime, qui a touché le fils d’un sénateur américain, plonge le petit État dans une crise diplomatique qui risque de dégénérer en guerre civile. Mais que fabriquaient ces Américains sur la route du Nord ? Leur présence était-elle liée aux rumeurs selon lesquelles la région renfermerait d’abondantes ressources pétrolières ? Et qui a bien pu vouloir leur mort ? L’effervescence s’empare de la capitale. On ne parle plus que de cela dans les cafés, les journalistes enquêtent, et bientôt les services secrets s’en mêlent…”
Nous sommes en Albanie en 1924, quand le pays devient indépendant après des siècles au sein de l’empire ottoman, sous l’influence de la puissance régionale autrichienne et des règles millénaires des montagnards du Nord et cherchant une crédibilité, une légitimité internationale en draguant la toute nouvelle Société Des Nations tout en espérant une aile protectrice de l’oncle Sam. Voilà un bien beau décor original, une destination, un univers peu connus et qui dès les premières paragraphes enchanteront le lecteur en quête de nouveaux territoires, de société mal connues.
Evidemment le plan “mains propres” mis en place par les autorités naissantes albanaises part gravement en sucette avec cet étrange assassinat de deux Américains. L’ Albanie, pays secret à la population bâillonnée par un communisme dur pendant des décennies, offre ici une image d’une société méditerranéenne qu’elle est de par sa localisation et par les réactions de la population, rumeurs, gonflements des informations, vent de panique, foules en ébullition, théories du complot… quand le drame est connu. Pas de doute, Tirana, la petite capitale du pays réagit comme le feraient d’autres populations au sang chaud de la région comme son voisin grec ou les Italiens sur l’autre rive de l’ Adriatique.
S’ensuivent des luttes politiques complexes, l’intervention des services secrets, des coups fourrés entre les trois grands acteurs en lutte pour la domination de ce petit pays et si , au début, le propos s’avère léger empreint d’une certaine bouffonnerie puérile, une sorte de farce, les tenants et les aboutissants ainsi que les luttes pour maintenir le pays soit dans un traditionalisme rassurant soit dans une course vers la modernité pour réellement exister au plan régional et mondial, vont durcir le roman, lui donner une empreinte historique et sociologique.
Tiré d’une histoire réelle, le roman souffre néanmoins des défauts issus de ses qualités intrinsèques et de l’intérêt vif créé pour ce petit bout des Balkans. Le propos est souvent humoristique et toujours passionnant mais il manque certainement de profondeur pour nous permettre de réellement appréhender la situation de l’époque, de comprendre avec précision ce qui se trame à quelques semaines d’une révolution, bien réelle elle, au printemps 1924.
Néanmoins, le roman d’ Anila Wilms ouvre une jolie lucarne sur ce coin d’Europe secret et méconnu tout en offrant un polar coloré, original, franchement atypique.
Tel un Félix Faure des Tropiques, un patron de presse mexicain succombe dans les bras d’une ravissante Croate, connue sous le nom de Milena. À seize ans, elle a quitté son village pour suivre un passeur lui faisant miroiter les fastes de Berlin. Le voyage s’arrêta à quelques encablures de Zagreb, dans une bâtisse délabrée qui ouvrait grandes ses portes sur l’enfer de la prostitution.
Privée de son protecteur, voilà Milena livrée de nouveau aux exactions de la mafia ukrainienne qui pendant des années l’a contrainte à vendre son corps dans tous les palaces et les cloaques de Marbella. Son seul sauf-conduit : un précieux carnet où sont consignés des numéros de comptes bancaires prouvant l’implication de sociétés russes dans des opérations illicites. Pour lutter contre l’avilissement et le dégoût de soi, elle y avait aussi noté les confidences de diverses figures de la vie publique (l’évêque, le magistrat, l’avocat…) passées par son lit, justifiant toutes, avec un naturel confondant, de leur recours au commerce des femmes. Nombreux sont donc ceux qui veulent aujourd’hui la faire taire.”
Mais, mais, la belle demoiselle n’est pas seule. Quatre amis de 40 ans dans la force de l’âge, vont tout faire pour la retrouver. Comme ils sont beaux, puissants et sacrément intelligents, les quatre membres de ce club des “Bleus” unis depuis la plus tendre enfance et ayant tous quatre réussi leur parcours dans la vie. D’un point de vue affectif, on remarque aussi qu’ils n’ont pas atteint encore la maturité que l’on serait en droit d’attendre d’eux puisque deux continuent à se chamailler pour la représentante,très séduisante et puissante, du club des Bleus. Un universitaire, un spécialiste de la cybersécurité ancien patron des services secrets mexicains, le nouveau patron d’un puissant quotidien et la leader du plus grand parti de gauche vont unir leurs efforts pour sauver la belle Slave de ses tourmenteurs dans un pays qui bat des records en matière de délinquance et de criminalité en tous genres, hérités de traditions ou nés de nouvelles demandes.
Alors, ce roman luxueux dans sa couverture, ne m’a pas totalement séduit. D’abord, il convient de savoir que ce roman reprend les personnages de “les corrupteurs” sorti en mars 2015 chez Actes Sud et si ne vous ne connaissez pas ce précédent, les allusions dans le début de “Milena” vous priveront d’une lecture ultérieure non spoilée. Pourtant, l’auteur écrit bien, très bien, les situations s’enchaînent, le propos est tout sauf ennuyeux et souvent teinté d’humour. Peut-être est-ce dû à un manque de réalisme, cette âpreté que l’on retrouve abondamment chez d’autres auteurs mexicains écrivant leur pays de façon bien plus dure et mordante.Et puis, j’avoue les héros,sans défauts, ne m’intéressent pas trop. Un roman un peu lisse, pas assez noir, finalement, malgré certains passages. Les maux qui gangrènent le pays sont pourtant dénoncés à l’unisson des Arriaga, Sariaba, Diez et autres Serna et Taibo II mais… trop vus ici du côté d’une élite nantie, pas assez du côté des populations qui en souffrent le plus.
Néanmoins, « Milena » devrait drainer un très large public car l’auteur montre de belles qualités de conteur et propose un déroulement tout à fait prenant.
De qualité, romanesque, mais néanmoins mainstream.
Traduction: Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba.
« Ils fréquentent le même lycée et partagent les mêmes passions : la natation, le sexe, la drogue, les jeux vidéo… Quand ils ne sont pas à la piscine en train de s’entraîner, ils picolent, fument joint sur joint, jouent à GTA, matent des pornos et cherchent à se faire sucer par les filles. Le problème des ados, c’est que ça s’emmerde vite, et des ados qui s’emmerdent, c’est jamais très loin de faire une connerie. C’est ce qui s’est passé ce soir-là. Ils avaient coché toutes les cases : une voiture « empruntée », l’aiguille dans le rouge au compteur, les pupilles bien dilatées. Résultat : un mort. À partir de là, tout s’enchaîne. »
« Comme des rats morts » est le premier roman du Hongrois Benedek Totth qui s’est aussi distingué par ses traductions d’auteurs américains comme Cormac McCarthy, Hunter S. Thompson et Bret Easton Ellis. On note de suite la parenté visible avec les romans de Brett Easton Ellis comme « moins que zéro », « les lois de l’attraction » pour l’univers d’ados glandeurs et « Glamorama » sur les délires dus aux addictions… Je sais que Easton Ellis est aussi souvent détesté qu’apprécié et si vous ne faites pas partie du cercle des aficionados, restez néanmoins car l’auteur a su faire preuve d’originalité par rapport à celui qui semble être un peu son modèle.
Par ailleurs, une autre recommandation très utile, n’allez pas plus loin que moi dans la lecture de la quatrième de couverture sinon, vous vous priverez d’une « surprise » de l’histoire et le long résumé vous mènera, inutilement, à une vingtaine de pages de la fin.
Un mort, donc, un cycliste renversé par une des voitures de sport du père de Greg « empruntée » et conduite par le rejeton complètement défoncé et sans permis, cela va de soi. Greg est le leader de la bande car il a le fric parental pour acheter la came qu’ils s’enfilent et qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Cachetons, marijuana, shit, amphets, mixtures faites maison, space cakes, alcool, tout est bon, tout est consommable… Dans la voiture, se trouvait aussi à l’avant « la bouée », fidèle lieutenant dont la grande taille et le poids de 105 kg offre une bonne protection. A l’arrière, le narrateur et Dany qui est en train de se faire faire une gâterie par Vicky, 15 ou 16 ans, une des deux créatures de Greg avec sa sœur Nicky (13 ans). Greg, bon prince, partage avec ses potes. Tout ceci, vous l’apprendrez lors d’un premier chapitre très fort présentant le raid nocturne et son issue terrible.
Alors, on s’imagine les remords, le sentiment de culpabilité, eh bien que dalle ! RAF, on continue la vie comme avant, c’est à dire les deux entraînements quotidiens de natation au club qui les prépare pour les championnats régionaux, quelques passages furtifs au lycée et le reste du temps à mater du porno « selon la couleur de la peau, des cheveux, la taille des seins, hentai, bukkake, animale, anal fisting, vomisseur, pipicaca, nectar de Satan, preteen, teen, MILF, BDSM, DP, TP, ATM et autres conneries. Plusieurs centaines de DVD. », à jouer à GTA ou à se taper les deux sœurs tout en se défonçant furieusement avec ce qu’ils ont sous la main.
Bien sûr, on pourrait croire qu’on est dans une version hongroise des « lois de l’attraction » mais, à la différence d’Easton Ellis, Totth utilise l’humour. Alors, attention, pas n’importe quel humour, de l’humour d’ados (et ce n’est déjà pas toujours facile à comprendre si on n’est pas dans le bon état d’esprit) mais de plus, de l’humour d’ados au cerveau cramé et là on atteint des sommets de connerie parfois réellement hilarants. La tentative de redresser un nez fraîchement cassé d’un pote bourré par le narrateur fracassé par la came, la mauvaise rencontre entre un 9 mm et le chat de la maison lors d’une démonstration de l’utilisation de l’arme, une compétition de natation effectuée après avoir ingurgité une gourde de jus de pommes bonifiée par les « amis » de quelques comprimés de viagra pilés … autant de scènes à hurler de rire et si vous arrivez à les supporter, si vous goûtez cet humour trash qui ferait passer McBride et son « Frank Sinatra dans un mixeur » pour un gentil plaisantin, alors vous allez gravement vous marrer une bonne partie du roman.
Mais, bien sûr, leur univers est factice et ils apprendront, à leurs dépens, la vraie vie, les conséquences de leurs actes et la fin sera, elle, forte en émotions et laissera les zygomatiques au repos.
Alors, gardons-nous de faire de « comme des rats morts » un portrait de la jeunesse hongroise. On pourrait très bien situer l’histoire en Allemagne, en Italie, en France, au Canada, au Japon ou aux USA… Des ados en train de plonger, il y en a partout et peut-on vraiment comprendre leurs motivations, ceux qui ont ou qui ont eu un ado à la maison comprendront bien… Tott a su montrer comment les carences parentales peuvent mener à des tragédies, des comportements odieux.
« Comme des rats morts », roman trash, roman choc mais exceptionnellement jubilatoire qui, au travers des délires d’un bande de petits salopards, sait aussi très bien montrer une facette dramatique de la démission parentale et les conséquences désastreuses d’une éducation menée par GTA et Youporn. Pour public très averti.
« Sur la route de Maastricht, une villa s’effondre brutalement, et son occupante occasionnelle, la fragile Lies, ne donne plus de nouvelles : son ami Frank Doornen la cherche partout. L’enquête de cet ancien soldat se tourne vers le propriétaire de la villa, amateur de jolies femmes et industriel véreux, qui stocke illégalement dans d’anciennes carrières de calcaire des déchets hautement toxiques pour l’environnement. Avec Tchip, ferrailleur à la petite semaine et recycleur impénitent, Frank va s’aventurer dans les souterrains labyrinthiques à la recherche de Lies. Mais la jeune femme reste introuvable… »
Caroline De Mulder est Belge, bilingue, auteure de quatre romans chez Actes Sud et je dois sa découverte à quelques recensions qui faisaient envie et qui s’avèrent à l’usage, très justes. « Calcaire » est un roman noir, assurément, bien plus sombre que ne le laisse imaginer une couverture dont j’avoue ne pas avoir totalement saisi ce qu’elle évoquait dans le roman ni compris ce choix de couleurs pastel quand la couleur dominante est assurément le noir et sans aucune autre nuance. Vous allez vraiment morfler !
N’ayant pas lu d’autres romans de la dame, il m’est impossible de comparer ce bouquin aux précédents mais, néanmoins, il faut bien reconnaître que la dame a écrit là un roman fort, très fort, le genre qui vous en colle une bonne dès l’incipit rock n’ roll avant de cogner fort et souvent là où ça fait mal. Faisant naviguer le lecteur en eaux très troubles, usant de faux –semblants avec talent et créant une horrible cour des Miracles flamande, Caroline de Mulder nous fait croiser, partager l’existence, l’histoire de personnages bien cabossés, des doux dingues aux plus dangereux frappadingues. Et au fur et à mesure que le roman progresse, on s’enfonce dans la fange, dans la putréfaction, l’anéantissement, la pourriture parfois au bord de la nausée.
« Calcaire » tranche généreusement par rapport à une production internationale de plus en plus aseptisée, modélisée, en osant les chapitres très brefs, nerveux, en tabassant à coups de phrases assassines ou cruelles, et le lecteur comprendra rapidement le fonctionnement, la logique scénaristique et appréciera rapidement l’impression d’urgence, que cette narration donne au roman. Tout n’est ici que pourriture, désenchantement et les phrases de Caroline de Mulder parfois comme des halètements, semblant bâclées alors que le roman est très habilement écrit, jetées à qui voudra bien tenter de comprendre quelque chose dans ce marasme et cette désolation, contribuent, en plus d’offrir un pouvoir d’évocation souvent redoutable, à donner un rythme dément où le pire peut survenir à tout moment.
L’intrigue est de très bonne qualité mais ce qui distingue « Calcaire », c’est cette ambiance très proche des magnifiques films de Felix Van Groeningen : « la merditude des choses », « Alabama Monroe » ou « belgica » où le meilleur comme le pire sont toujours envisageables où le moment unique, l’instant magique apparait là où on ne l’attend pas au cœur de l’adversité dans une lutte contre le mal dans laquelle les personnages ne se soucient plus des apparences, déterminés vers un noble objectif, un but dérisoire mais précieux parce qu’ unique.
De la belgitude des choses.
Wollanup.
PS: la zik, le cinéma, Eden Hazard, maintenant les polars, faut arrêter de flamber les Belgicains.
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